Des abeilles et des chiffres, de la théorie économique et … du miel !

D'après : Syndicat des apiculteurs de Thann et environs - Frédéric Schubnel, Robert Hummel & Maurice Feltin – Septembre 2019 _ The Conversation - François Lévêque – 13 mai 2021.

Des abeilles et des chiffres

.            En France, on consomme environ 40.000 tonnes de miel par an, soit 600 g par habitant. Nous sommes parmi les plus gros consommateurs de miel en Europe ! Seuls environ18.000 tonnes sont produites par les apiculteurs français, les 22.000 tonnes restantes sont donc des miels importés principalement de Chine et d’Amérique du sud.

Si les pollinisateurs peuvent prendre de nombreuses formes (les rongeurs, les reptiles et même les humains participent au voyage du pollen), on estime néanmoins qu'en Europe, 78% des fleurs sauvages et 84% des espèces cultivées de l'UE dépendent au moins en partie des insectes pour se reproduire. Ces petits acteurs ailés, principalement les abeilles domestiques ou sauvages, jouent non seulement un rôle crucial et indispensable pour environ 40% de la nourriture que nous trouvons dans nos assiettes (sans parler de leur impact sur l'alimentation du bétail), mais également dans l'équilibre d'un écosystème fragile. De même, 80% des espèces végétales sur terre dépendent directement de la pollinisation. Sans les abeilles et les autres pollinisateurs, plus de fleurs, de parfums, de fruits, de graines ... Une terre sans abeilles n’est pas envisageable, car cela signifierait une terre sans agriculture, donc sans une grande partie de notre nourriture actuelle.

Les apiculteurs européens perdent en moyenne chaque année 20 à 30 % de leurs abeilles domestiques. En 1994, il y avait 85.000 apiculteurs français. En 2018, la France n’en comptait plus que 55.000 soit 1.360.000 ruches. 97 % de ces apiculteurs sont des producteurs familiaux propriétaires de 1 à 50 ruches et seulement 2 à 3 % sont des professionnels possédant plus de 200 ruches. Une étude de l’ITSAP qui a porté sur la valeur de la contribution économique de l’activité pollinisatrice des abeilles à l’agriculture française, a montré une valeur approximative de 2 milliards d’euros par an.

.            Pour faire 1 kilogramme de miel, les abeilles font environ 1,5 fois à 2 fois le tour du monde, travaillent environ 10.000 heures et butinent environ 10 millions de fleurs. Au cours d'une saison, une abeille récolte en moyenne 2 à 5 grammes de miel ; il lui faudrait plus d’un siècle pour en récolter 1 kilo. Les abeilles ouvrières vivent environ 6 mois pendant la saison d’hiver, mais seulement 5 à 6 semaines pendant les mois d’été. Une abeille bat des ailes environ 200 fois par seconde. Elle peut voler à des vitesses allant jusqu’à 25 km/h et peut parcourir jusqu’à 800 km durant sa vie.

Au cours d’un vol de 15 à 30 minutes, l’abeille butineuse visite de 50 à 300 fleurs et parcourt de 1 à 3 km. L’abeille butineuse peut transporter dans les corbeilles de ses pattes arrière de 20 à 30 milligrammes (mg) de pollen. Elle peut aussi transporter en moyenne 50 à 60 mg de nectar. Ce sont des moyennes, car son jabot qui est extensible peut contenir jusqu’à 75 microlitres (μl). La densité du nectar étant d’environ 1.1, le poids de ces 75 μl de nectar correspond à environ 80 mg, soit presque le propre poids de l’abeille. Une abeille vit moins de 40 jours, visite au total quelques milliers de fleurs et produit moins d'une cuillère à café de miel, mais pour elle … c'est toute une vie.

.            Selon la race, une abeille pèse de 90 à 110 mg. Cela signifie qu’un essaim de 1 kg d’abeilles contient près de 10.000 abeilles. Un gros essaim primaire, peut peser plus de 3 kg et par conséquent contenir près de 30.000 abeilles. Lorsqu’un essaim primaire quitte une ruche pour créer une nouvelle colonie, le nombre d’abeilles contenu dans l’essaim correspond à environ 50 ou 60 % de la population de la ruche souche. Une ruche se compose de 15.000 à 30.000 abeilles en hiver et de 30.000 à 60.000 abeilles en pleine saison, c’est-à-dire de février/mars à juin/juillet. Une belle colonie peut produire plus de 100 kg de miel par an.

.            Mais l'autoconsommation représente environ 60 % de la récolte, soit 50 à 70 kg de miel par an, cela correspond à une récolte de 150 à 200 kg de nectar par an. Par autoconsommation on entend la nourriture de toutes les abeilles adultes, celle consommée pour l’élevage du couvain et celle utilisée pour produire les rayons de cire. La quantité de miel consommée par une butineuse est directement dépendante de la distance qu’elle doit parcourir pour atteindre son aire de butinage. Si celle-ci est proche de la ruche,1 ou 2 mg seront suffisants, par contre on estime qu’une butineuse qui doit parcourir environ 3 km pour trouver une aire mellifère peut consommer jusqu’à 8 mg par voyage aller-retour.

Une autre grosse partie du miel produit par la colonie est consacré à l’élevage du couvain et c’est également pour l’élevage qu’une colonie consomme la plus grande partie des 30 à 60 kg de pollens récoltés par année. Lorsqu’il y a du couvain ou qu’il fait très chaud, une colonie d’abeilles a également besoin d’eau pour la préparation de la bouillie larvaire et pour la régulation de la température intérieure de la ruche. Une très grosse colonie avec beaucoup de couvains peut consommer jusqu’à 2 litres d'eau par jour.

Les abeilles cirières elles aussi, se nourrissent de beaucoup de miel, car pour produire 1 kg de cire, elles consomment environ 7 kg de miel. Un rayon de 10 × 10 cm (1 dm2) comprenant de 800 à 850 alvéoles sur ses 2 faces pèse environ 12 grammes. Chaque alvéole remplie peut contenir entre 0.3 et 0.4 g de miel.

L’intelligence productive des abeilles. L’hexagone régulier, est la forme géométrique qui permet de recouvrir complètement une surface plane, sans laisser aucun espace vide perdu et en minimisant la quantité de cire nécessaire pour obtenir un alvéole d’une surface donnée.

Ainsi, pour une même surface de 1 m2, un triangle équilatéral a un périmètre de 4,56 mètres (un triangle quelconque aura toujours un périmètre supérieur à cette valeur), un carré a un périmètre de 4 mètres (un rectangle aura toujours un périmètre supérieur à 4 m), alors qu’un hexagone régulier a lui un périmètre de seulement 3,72 m, c’est-à-dire une diminution de 7 % par rapport à un carré et de plus de 18 % par rapport à un triangle équilatéral.

L’hexagone est la forme qui permet de répondre à cette délicate question : comment stocker un maximum en faisant un minimum d’effort et en perdant le moins de place ? Bien qu’il ait été conjecturé dès le IVe siècle par le mathématicien Pappus d’Alexandrie, ce n’est que récemment, en 1999, que Thomas Hales a démontré rigoureusement le « théorème du nid d’abeille » qui énonce le caractère idéal de l’hexagone.

.            En pleine saison, une très grosse ruche peut abriter jusqu’à 60.000 ouvrières, de 1.000 à 2.000 mâles et 1 reine. La reine qui est unique dans chaque colonie assure la reproduction de l’espèce et est capable de pondre jusqu’à 2.000 œufs par jour, mais uniquement en pleine saison. Après le solstice d’été (le 21 juin), le nombre d’œufs pondus diminue lentement jusqu’à devenir pratiquement nul à l’entrée de l’hiver. On estime le nombre d’œufs pondus chaque année par la reine entre 180.000 et 220.000, mais ce nombre dépend beaucoup de la race d’abeilles, de la qualité et de l’âge de la reine. Si on suppose que la durée de vie d’une reine est d’environ 4 ans, cela correspond à 720.000 / 880.000 œufs qu’elle aura pondus durant toute sa vie. Pourtant, on sait avec certitude que la spermathèque de la reine contient près de 5 millions de spermatozoïdes. On peut donc supposer que la reine libère dans son utérus un groupe de plusieurs spermatozoïdes pour féconder chaque œuf d’ouvrière pondu.

.            En pleine miellée de printemps, dans une très belle et très grosse ruche productrice de 60.000 abeilles ouvrières, la population se répartit approximativement de la manière suivante : environ 20.000 nourrices, environ 10.000 ouvrières d’intérieurs, environ 30.000 butineuses. Une ruche de force moyenne ne contiendra que 40.000 abeilles ouvrières et sera composée d’environ 15.000 à 20.000 nourrices, environ 8.000 à 10.000 ouvrières d’intérieurs, et seulement environ 10.000 à 15.000 butineuses. La première colonie produira presque trois fois plus que la seconde, car les rentrées de nectar sont proportionnelles au nombre de butineuses. Encore faut-il que ce nombre élevé de butineuses, soit présent au bon moment, c’est-à-dire au début des « grandes miellées », que les fleurs produisent du pollen, beaucoup de nectar et que la météo soit favorable au butinage. En cas de mauvais temps, les abeilles restent confinées et consomment plus de miel qu’elles en produisent.

.            Certaines espèces de fleurs excrètent des volumes importants de nectar (plusieurs dizaines de microlitres par jour), dans ce cas, la visite de quelques dizaines de fleurs suffit à remplir le jabot de la butineuse. Pour d’autres fleurs par contre, la sécrétion du nectar se compte en quelques microlitres, ce qui, pour la butineuse demande la visite de plusieurs centaines de fleurs. Si le jabot de l’abeille peut contenir près de 75 microlitres, l’abeille ne remplit que partiellement son jabot. On estime à 50-60 mg ou 45-50 μl la quantité moyenne de nectar rapportée par une butineuse de retour de voyage.

Par jour : une abeille visite entre 1.000 et 5.000 fleurs et parcourt de 10 à 30 kilomètres pour rapporter plus d’un demi-gramme (de 500 à 800 mg) de nectar par jour. Cela signifie qu’une butineuse fait entre 10 à 15 voyages chaque jour, mais cela dépend de la météo, de la température, de la miellée et de la saison.

Par voyage : lorsque les miellées sont belles et que la météo est bonne, la butineuse visite de 50 à 300 fleurs pour récolter en moyennes 50 ou 60 mg de nectar. En fin de saison, lorsque les floraisons et le nectar se font plus rares, il faut compter 100 à 400 fleurs pour récolter la même quantité de nectar.

Par voyage, l’abeille butineuse pourrait donc transporter presque l’équivalent de son propre poids de nectar soit 80 mg. Si par jour elle effectuait 12 voyages (ce qui correspond approximativement à la moyenne) elle récolterait 80 mg x 12 voyages = 960 mg de nectar par jour, soit presque1 gramme. Mais la quantité moyenne récoltée par voyage se situe plutôt aux environs de 50 ou 60 mg, soit approximativement 600 mg par jour, si on suppose que la butineuse effectue une douzaine de voyages par jour. Le nombre de voyages journaliers est très dépendant de l’éloignement des aires de butinage. Lors des grandes miellées, le nombre de voyages par jour se situera plutôt dans une fourchette de 10 à 15. Après cette période faste, c’est-à-dire en juillet, août et septembre, le nombre de voyages se situera plutôt dans une moyenne de 5 voyages par jour.

Selon l’espèce de fleurs, la concentration en sucres du nectar peut aller de 20 à 60 % de saccharose et en moindre quantité du glucose, fructose et autres oligosaccharides. Supposons que le nectar récolté contienne 40 % de sucre. Pour produire du miel, cela nécessite de réduire la teneur en eau de 60 % à 18 %, ce qui est le taux d’humidité moyen dans le miel. Pour 600 mg récoltés l’abeille ne produira donc que 180 mg de miel.

L’apiculteur a souvent l’impression que cette quantité, multipliée par le nombre de butineuses, soit pour une colonie très forte 30.000 x 180 mg = 5.400.000 mg = 5,4 kg ou pour une colonie moyenne 1.8 kg sera stockée dans les hausses. La réalité est tout autre, car une grosse partie est consommée par les butineuses qui en ont besoin pour voyager, par les cirières qui en ont besoin pour produire la cire et par les nourrices qui s’en servent pour se nourrir et confectionner la bouillie larvaire. On estime qu’environ 60 % du miel récolté est ainsi consommé par la colonie. Seul, environ 40 % de la quantité de miel récolté est stockée dans les alvéoles pour subvenir aux besoins de la colonie en cas de météo défavorable ou pour leur consommation durant l’hiver à venir. En réalité, la récolte de miel journalière destinée au stockage est donc en moyenne et dans de bonnes conditions de miellée de 40 % de 180 mg, soit 72 mg de miel par jour et par abeille. Soit pour une colonie très forte avec 30.000 butineuses x 72 mg = 2.160.000 mg = 2,16 kg par jour ou pour une colonie moyenne avec 10.000 butineuses 0.72 kg par jour.

.            Bien  sûr, ce n’est que de la théorie et ce  ne  sont  que  des  chiffres  qui  sont discutables et dépendants d’un très grand  nombre  de  facteurs  tels  que:  la  saison,  la  grosseur  de  la  colonie, la  surface  de  couvain,  la  nécessité  de construction de rayons, la durée de vie des butineuses, la race des abeilles, les ressources mellifères de la région, l’éloignement de  ces  ressources,  le  type  de  nectar  récolté,  la  durée  et l’intensité des miellées, la  météo,  la température, la pluviométrie ... Mais on peut voir grâce à ces chiffres, que dans des conditions idéales, une belle colonie de 60.000 abeilles dont 30.000 butineuses peut stocker jusqu’à 3 kg de miel par jour. Ceci bien entendu durant les grandes miellées et dans des conditions idéales, car quand arrivent «les trous dans la miellée» ou en cas de mauvais temps ou durant une sècheresse exceptionnelle, la colonie consomme quelquefois plus qu’elle ne récolte. En effet, lorsque la période des grandes miellées est passée, que les fleurs se font rarissimes, il n’est pas rare que la butineuse rentre à sa ruche avec le jabot presque vide. Bien pire    encore, en période de sècheresse et de chaleur extrême, les butineuses restent inactives sur la planche d’envol.

Des théories économiques de l’abeille

.            La vie sociale des abeilles a longtemps excité l’imagination. Pline l'Ancien (23-79 de notre ère) admirait leur organisation politique, avec ses chefs et ses conseils. Il pensait même que des principes moraux guidaient leur comportement. Près de 1.700 ans plus tard, l'auteur anglo-hollandais Bernard Mandeville prend le contre-pied de cette idée en décrivant une ruche pleine de vices et peuplée d'abeilles égoïstes. La Fable des abeilles, publiée en 1714, est devenue un ouvrage de référence pour les économistes politiques. Précurseur d'Adam Smith, dont la main invisible de l'intérêt individuel nourrit le bien commun, Mandeville s'attache à prouver que, contrairement à l'altruisme, l'égoïsme est productif. Hostile à la frugalité - la richesse volée à un avare se répercute, après tout - il a inspiré à Keynes sa critique de l'excès d'épargne.

La Fable des abeilles, édition de 1724. Wikimedia

.            Précurseur d'Adam Smith, dont la main invisible de l'intérêt individuel nourrit le bien commun, Mandeville s'attache à prouver que, contrairement à l'altruisme, l'égoïsme est productif. Hostile à la frugalité - la richesse volée à un avare se répercute, après tout - il a inspiré à Keynes sa critique de l'excès d'épargne.

Pour être juste envers Pline, Mandeville et bien d'autres qui ont fantasmé sur les abeilles, la ruche telle que nous la connaissons aujourd'hui, avec ses cadres en bois amovibles, n'avait pas encore été inventée. Il était donc difficile d'observer la vie et les mœurs sociales des abeilles. Il n'y avait pas de parois vitrées permettant d'observer leur travail ou de compter les faux-bourdons, des mâles dont le seul but dans la vie est de s'accoupler avec une reine vierge. Il n'y avait pas non plus de balises électroniques pour suivre le mouvement incessant des abeilles et découvrir que pour produire une livre de miel, elles doivent parcourir une distance équivalente à un tour du monde en avion, en visitant quelque 5 millions de fleurs.

Les abeilles voyagent parfois en camion

.            Les apiculteurs américains font payer leurs services de pollinisation depuis des années. Mais le boom des amandes a considérablement augmenté l'ampleur de ces opérations. Chaque année, des millions de ruches sont transportées par camion vers les vergers d'amandiers de Californie depuis d'autres régions du pays. Représentant près de 80 % de la demande mondiale, ces exploitations accueillent quelque 30 milliards d'abeilles pendant quelques semaines. Les ruches sont ensuite emmenées en Floride ou au Texas pour polliniser d'autres arbres.

Apiculteurs nord-américains chargeant des "ruches itinérantes" sur un tracteur-remorque. Pollinator/Wikimedia, CC BY

.            Les abeilles et les ruches voyagent également dans d'autres pays. En France, elles se déplacent d'une région à l'autre pour récolter le pollen des plantes et des arbres en pleine floraison. À différents moments de la saison, la même ruche peut produire un miel aromatisé par la garrigue méditerranéenne, les acacias et enfin les buissons de lavande. Contrairement à leurs homologues américains, les apiculteurs professionnels des pays d'Europe gagnent leur vie en produisant du miel, et non principalement en assurant des services de pollinisation. Le commerce des abeilles n'y est pas non plus très développé.

.            Jusqu'à récemment, le transport des abeilles en Chine était essentiellement destiné à la production de miel, et non à la pollinisation. Mais dans des provinces comme le Sichuan, la balance des gains est en train de se déplacer vers la pollinisation. Cela est dû indirectement à une pénurie locale d'abeilles associée à une augmentation des terres consacrées aux vergers. Mais la cause profonde est l'utilisation massive de pesticides sur les pommiers et les poiriers. Ayant perdu leurs colonies d'abeilles, les apiculteurs sont réticents à transporter leurs ruches par camion dans de tels endroits.

.            Le commerce du miel a une portée mondiale bien plus grande que le commerce des abeilles elles-mêmes. Dans les magasins de Paris, Berlin ou Londres, qu'il s'agisse de magasins spécialisés ou d'épiceries de luxe, on trouve du miel provenant d'aussi loin que la Nouvelle-Zélande ou Cuba. Les détaillants vendent également du miel chinois - mais souvent sans le savoir. En Europe, si l'étiquette d'un miel indique un "mélange de miels non communautaires" ou un "mélange de miels communautaires et non communautaires", c'est très probablement le cas. La Chine est la principale source de miel importé dans l'UE, suivie de l'Ukraine

La fraude loin d’ici

.            Comme dans de nombreux autres domaines, la Chine est le premier producteur et exportateur mondial de miel. Mais ces statistiques doivent être prises avec discernement. La façon la plus courante de frelater le miel est d'y ajouter du sirop de sucre, beaucoup moins cher et difficilement détectable. Soit les pots ne sont tout simplement pas contrôlés - l'inspection au cours du processus de production ou à l'importation est exceptionnelle - soit le sirop passe inaperçu. Certains types de sucre ne peuvent être repérés qu'à l'aide de technologies coûteuses comme la résonance magnétique nucléaire.

Seule l'adultération au sucre peut expliquer la récente croissance des exportations de la Chine, de l'Inde et même de l'Ukraine. Dans ces pays - comme ailleurs d'ailleurs - la demande intérieure n'a pas chuté (ce qui aurait libéré du volume pour le marché d'exportation). La productivité des ruches n'a pas non plus augmenté (au contraire, les abeilles sont en proie à des problèmes sanitaires et environnementaux de plus en plus aigus). Enfin, le nombre de ruches n'a que faiblement augmenté, faute de marges bénéficiaires intéressantes et de formation poussée des nouveaux apiculteurs.

.            Une autre forme de fraude consiste à "blanchir" le miel en dissimulant sa véritable origine. Des pays comme le Vietnam et la Thaïlande exportent plus de miel qu'ils ne peuvent en produire de manière réaliste. La différence est compensée par des exportations chinoises, et le mélange obtenu est expédié aux États-Unis. La Chine est visée par un droit antidumping depuis le début des années 2000, mais le fait d'étiqueter le miel comme provenant du pays d'escale permet de contourner cet obstacle. Parmi les autres stratagèmes de contournement, citons les fausses obligations des expéditeurs et la sous-évaluation des entrées. On estime qu'en 2015, environ un tiers de l'approvisionnement en miel des États-Unis provenait de Chine.