Comment les cyclistes vont-ils de plus en plus vite ?

D’après : Ouest-France - Dorian Girard – 15 jul 2021 / Le Figaro -  Xavier Condamine - 15 jul 2017 & Gilles Festor -  02 jul 2022

.            Depuis plusieurs années, la vitesse des coureurs du Tour de France augmente de manière importante. Ces performances sportives sont le résultat d’un ensemble de facteurs, techniques, humains et environnementaux, toujours repoussés au maximum.

12 juillet 1964. Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, à la lutte pour le maillot jaune sur les pentes brûlantes du Puy de Dôme.

.           C’est une performance qui a fait beaucoup de bruit. En gravissant en 49 minutes la montée entre le col de Romme et celui de la Colombière – performance remarquable – et reprenant au passage 3’20’’ à ses rivaux, lors de la 8e étape du Tour de France à vélo 2021, le gagnant de cette édition de l’épreuve, le slovène Tadej Pogacar (22 ans ; 1,76 m ; 66 kg) a de nouveau alimenté des suspicions de dopage à son égard. D’autant plus que le Slovène semblait presque facile, comparé à ses principaux adversaires.

Depuis de nombreuses années déjà, on a pu constater une hausse importante des performances en terme de vitesse des coureurs du Tour de France. Que ce soit sur la vitesse maximale, avec des pointes dépassant les 100 km/h dans les descentes les plus pentues, la vitesse moyenne du vainqueur relevée chaque année, ou encore la vitesse pour gravir les grands cols du parcours du Tour.

Depuis de nombreuses années déjà, on a pu constater une hausse importante des performances en termes de vitesse des coureurs du Tour de France. Que ce soit sur la vitesse maximale, avec des pointes dépassant les 100 km/h dans les descentes les plus pentues, la vitesse moyenne du vainqueur relevée chaque année, ou encore la vitesse pour gravir les grands cols du parcours du Tour.

En 2021, Tadej Pogacar a parcouru les 3.414 kilomètres du tracé en 82 heures, 56 minutes et 36 secondes, soit une vitesse moyenne de 41,165 km/h. L’étape entre Vierzon et le Creusot a été gagnée par Matej Mohoric qui a effectué les 249 kilomètres en 45,5 km/h. Sans aucun temps mort ! Ce Tour a donc été le deuxième plus rapide de l’histoire.

Mais avec une moyenne de 42,026 km/h, la 109e édition du Tour (2022) est la plus rapide depuis la création de l'épreuve en 1903. Jonas Vingegaard améliore le record détenu par Lance Armstrong depuis 2005 (avant que l'Américain ne soit effacé des tablettes pour dopage). Plusieurs facteurs peuvent expliquer au moins partiellement la furie du peloton, mais c'est la manière d'appréhender la course qui est en train de muter.

On sentait depuis quelques années que les étapes dites de transition ou de "journée tranquille" disparaissaient. Aujourd'hui, le Tour démarre au sprint, puis il accélère, avec des attaques très tôt, très loin, avant de finir à fond de cale. Il se passe quelque chose dans toutes les étapes, une première heure courue à très grande vitesse, avec souvent des favoris et des équipiers de favoris dans les échappées, c'est une façon de courir tout à fait nouvelle.

Autre fait notable, la longueur des étapes ne joue plus sur le comportement. Aujourd’hui, l'étape est nerveuse, quelle que soit sa longueur. L'étape de Longwy, la plus longue du Tour 2022, a été pliée à 49,4 km/h. Plus que des éléments variables (distance parcourue ou sens du vent, qui a été le plus souvent favorable cette année ce qui, à la marge, joue sur cette vitesse-record), ce sont donc les intentions du peloton qui auraient bel et bien évolué.

Est-ce quelque chose de structurel, ou une simple affaire de contexte, renforcé notamment par le comportement de deux des acteurs majeurs du Tour, Tadej Pogacar et Wout van Aert ? Le Slovène et le Belge n'ont pas le même maillot, mais ils partagent la même passion : celle du dynamitage permanent.

.            Mais au-delà de la question du dopage, biologique ou mécanique, l’augmentation des vitesses et performances sur le Tour a connu une progression depuis des années, liée à un ensemble de facteurs technologiques, humains et environnementaux.

Anciens Tours, Tours contemporains.

.            L’une des grandes différences avec les premières éditions du Tour vient de l’état des routes empruntées par les coureurs A l’époque les montées de col par exemple, avaient des revêtements en cailloux ; il n’y avait même pas de goudron.

Ensuite, la réduction de la longueur des parcours doit aussi être prise en compte. Par exemple, la plus longue étape de la première édition du Tour de France en 1903 faisait 467 kilomètres, contre 249 kilomètres en 2021. On n’aborde ainsi pas de la même manière les étapes si elles nécessitent de tenir plus sur la durée.

Les évolutions matérielles

.            Le matériel utilisé pour les coureurs a par ailleurs beaucoup évolué depuis la première édition de la grande boucle effectuée en 1903. Et c’est l’un des facteurs les plus importants qui continue aujourd’hui encore à faire l’objet de recherches pour repousser toujours plus les limites.

Parmi les grosses évolutions technologiques, on peut retenir l’apparition du dérailleur en 1937, qui permit aux coureurs de monter des dénivelés importants sans avoir à retourner leur roue arrière, ce qui était monnaie courante à l’époque.

Dans les années 80, on note également l’arrivée des guidons avec prolongateurs (type triathlon), ainsi que les systèmes de roues lenticulaires, qui permettent un gain de temps en contre-la-montre.

La décennie suivante, l’arrivée des cadres composites, plus rigides, plus légers, ou encore celle des systèmes de freinage plus performants (disques), des capteurs de puissance, des dérailleurs électriques ou des roulements céramiques, des plateaux ovales (utilisés presqu’exclusivement par Chris Froome !), autant d’éléments qui ont permis l’accroissement des performances, et donc des vitesses moyennes sur les compétitions cyclistes.

Le poids des vélos joue énormément. Un kilo sur un vélo, c’est à peu près 20 à 30 secondes en moyenne de gagnées, dans une pente à 7 % comme celle de l’Alpe d’Huez. Mais le poids minimal des vélos est fixé à 6,8 kg par l’UCI, sécurité oblige. (On sait faire jusqu’à 3 kg !)

Aujourd’hui, on a des coefficients de friction de chaîne qui sont inférieurs à ceux qu’on pouvait avoir plusieurs années en arrière. Même si c’est 1 ou 2 %, c’est toujours énorme.

Les pneumatiques sont aussi en constante évolution. Non seulement on crève moins, mais ils permettent d’économiser quelques watts en réduisant les résistances à l’avancement. (Note 1)

Les tenues

.           Beaucoup de ces facteurs sont pris en compte également dans les équipes : le textile, avec des combinaisons toujours plus aérodynamiques. Entre les vêtements en laine, qui flottaient dans tous les sens, et ceux très fittés (très près du corps et ajustés), aujourd’hui, en aéro, on sait que le moindre pli sur un vêtement, ça coûte énormément.

Entre une très bonne combinaison, et une autre qui serait bas de gamme, on peut avoir jusqu’à 4 ou 5 % d’écart dû au textile au niveau de la résistance à l’air. Ce fut le cas pour les coureurs de l'équipe Sky qui s’étaient vu interdire leurs combinaisons “spéciales contre-la-montre“ dotées de micro billes d’air sur les bras et les épaules. On estime qu’elles apportaient 5% de frottements en moins. … Et les équipements vestimentaires ne doivent pas modifier la morphologie des coureurs !

Des stratégies d’équipe

         Un autre élément qui explique l’augmentation des performances est la professionnalisation des sportifs et des stratégies d’équipes plus sophistiquées. Jusqu’au début des années 2000, il n’y avait quasiment pas d’entraînements dans les équipes. Le cyclisme était un sport où les athlètes se débrouillaient pour ainsi dire tout seuls. Souvent, quelques-uns se faisaient entraîner mais très peu, alors que sur les 20 dernières années, c’est devenu la stratégie de préparation de base. Les stages en altitude sont désormais incontournables.

Ces entraînements permettent de travailler des aspects comme la protection aérodynamique des leaders, pour empêcher la fatigue et augmenter la vitesse globale d’un groupe. Selon la position d’un coureur dans un « train », la résistance à l’air va en effet être bien différente, et ce facteur est important dans la performance sur le long terme d’un coureur ou d’une équipe.

L’aérodynamique individuelle, fait l’objet d’études en soufflerie, pour définir la meilleure position du coureur sur sa machine et la conception des casques. Toutefois, la position de descente "Mohoric" qui consiste à se coucher sur le cadre du vélo pour un gain aérodynamique de 15%, a fait débat au sein du peloton, avant d’être interdite par l’UCI en avril 2021.

À cela s’ajoutent également les capteurs de performances et systèmes de communication entre managers des équipes et leurs cyclistes (oreillettes), qui permettent d’évaluer les statistiques, et d’ajuster la cadence des coureurs et la tactique de course en temps réel.

La logistique

.            Ainsi, les 22 membres de l'équipe Cofidis du Tour de France 2022 sont aux petits soins pour bichonner les 8 coureurs de la formation française. Nutrition, équipement, vêtements, aucun aspect n'est négligé. Au total, 12 véhicules sont mobilisés durant trois semaines.

La nourriture fait l'objet d'un réapprovisionnement quotidien pour certains produits frais. Il est prévu de distribuer 2.500 barres énergétiques et gels aux coureurs qui engloutiront 150 baguettes et utiliseront 3.000 bidons de 55 cl d'eau (6 à 7 litres par coureur au cours d'une étape) tout au long des 3.300 kilomètres du parcours. Avec le médecin, le nutritionniste gère les menus, le contenu des collations avant et après course, la composition des boissons avant, pendant et après la course ; les menus personnalisés de quelques coureurs, en fonction de la dépense énergétique et des watts de l’étape.

Comme les 8 coureurs, les 40 vélos (auxquels il faut ajouter ceux dédiés uniquement aux contre-la-montre) font aussi l'objet d'une attention toute particulière. Ils sont nettoyés et réglés quotidiennement par 4 mécaniciens travaillant avec un camion atelier et une camionnette en complément. 80 boyaux de secours sont prévus, ainsi que 70 paires de roues dont 20 neuves pour un total de 1.800 roues gonflées sur trois semaines ! En cas de casse, une douzaine de cadres de secours attendent dans les stocks.

La lingerie. Deux machines à laver et un sèche-linge accompagnent la formation tout au long de l'épreuve. 40 maillots suffisent malgré tout pour habiller les forçats de la route qui auront à leur disposition 200 musettes destinées aux ravitaillements. Chacun disposera d'un casque de rechange et d’une quinzaine de casquettes pour les podiums protocolaires qu'ils espèrent collectionner jusqu'à l'arrivée à Paris.

Les assistants gèrent la préparation des véhicules (lavage, nettoyage), la préparation des ravitaillements, le linge des coureurs et du staff, le bus (conduite et entretien). Ils sont postés sur les lieux de ravitaillement ; ils gèrent l’arrivée des coureurs ; puis, si nécessaire, assurent une partie des massages.

La santé des coureurs

.            Elle est de la responsabilité du médecin de l’équipe. Surveillance du poids et du % de masse grasse (même si le coureur pro se connaît et sait ce qu’il a à faire pour être à son poids de performance). Prévention avant le Tour : recherche et correction des carences, stratégie pour arriver au poids et masse grasses adaptés, prévention des infections, équilibrer un asthme, prise en charge des allergies. Pendant le Tour : pansements …, bobologie, pathologies ORL et digestives, périnée, carrosserie, troubles du sommeil (PAS de somnifère). Le médecin est assisté d’un ou plusieurs kinés, pour les massages et les soins de kinésithérapie éventuels (T-Care thérapie, strapp, physiothérapie, Tape, etc.). Un ostéo peut éventuellement renforcer l’équipe.

La performance est bien sûr étroitement liée au rôle décisif joué par l'alimentation. Chez les coureurs cyclistes, le moindre gramme compte et tout superflu est traqué. Plus que dans tout autre sport, le rapport poids-puissance est très important. En moyenne, un coureur va brûler entre 6.000 et 9.000 calories par jour, contre 2.000 pour un homme sédentaire. Cette dépense d'énergie impose de porter une attention toute particulière à l’alimentation. Les coureurs sont pesés tous les jours afin de réajuster les quantités individuelles lors des repas confectionnés par des cuisiniers qui gardent jalousement leurs recettes au sein de leur équipe.

Pendant la course, les fameux bidons, composés d'eau, et de boissons énergétiques, puis la célèbre musette lors des ravitaillements avec des bidons, mais surtout des gels alimentaires, des pâtes de fruits ou encore des barres de céréales.

… et puis peut-être aussi d’autres « additifs » !

.            Parmi les suspicions autour de Tadej Pogacar, ses performances par exemple avec 442 watts étalon développés en 49 minutes de montée entre le col de Romme et celui de la Colombière lors de la 8e étape du Tour 2021. Des statistiques qui ont été rapidement comparées avec d’anciens coureurs accusés de dopage au début des années 2000.

Cette performance peut-elle s’expliquer « normalement » ? C’est effectivement possible, au vu des améliorations constatées. Aujourd’hui, on monte plus vite certains cols que dans les années Armstrong, avec des personnes qui sont non-dopées. De par déjà le poids des vélos : 800 grammes à 1 kg en moins sur de nombreux coups de pédale, c’est énorme sur trois semaines de course. Ensuite les vélos en carbone répondent beaucoup mieux que les vélos d’il y a 10, 15 ou 20 ans. Le carbone a révolutionné beaucoup de choses.

Pour le “moteur“, des contrôles anti-dopage mécanique sont effectués à l’arrivée de chaque course et sur toutes les étapes du Tour de France. À ce niveau, les fluctuations peuvent s’expliquer par des facteurs extérieurs aux équipes, comme la météo, la direction du vent sur des étapes décisives, mais aussi la géométrie du parcours et le profil plus ou moins montagneux des étapes.

Dans tous les cas, cette vitesse toujours plus importante commence à questionner au sein du peloton, sur la sécurité à long terme pour les coureurs. C’est l’un des points qui est largement discuté, les Tours successifs étant marqués par des polémiques sur le nombre de chutes toujours plus important. A la moitié du Tour 2021, presque un tiers du peloton a déjà chuté ; un coureur a une chance sur trois de se blesser sérieusement.

Note 1. Les vélos

Outil indispensable du cycliste du Tour, le vélo présente des spécificités nécessaires à la réussite de son propriétaire. Qu'il s'agisse de l'aérodynamisme, du poids, du matériau ou encore de la position du coureur, l'ensemble est rigoureusement préparé.

.            Occasionnellement réduit au « simple appareil », parfois jeté au bord de la route par les cyclistes (pour cause de problème mécanique), le vélo n'en reste pas moins un instrument primordial.

Des vélos aux caractéristiques bien spécifiques

.            C'est une donnée évidente, les vélos des coureurs du Tour sont atypiques Les vélos des cyclistes sur la Grande Boucle sont entièrement en carbone, cela va des roues aux cadres en passant par les pédales et le guidon. L'objectif consiste ainsi à minimiser le poids : les cycles pèsent environ 7 kg. Ils doivent respecter le poids minimum requis par l'Union Cycliste Internationale (UCI), à savoir 6,8 kg. Compromis risque-sécurité !

Autre aspect à prendre en considération : les vitesses. Une simple impulsion sur un bouton permet d'envoyer un signal électrique au dérailleur chargé dans la seconde d'adapter la vitesse ; le confort du coureur est ainsi garanti. Concernant les roues, celles-ci sont également conçues afin d'assurer l'aérodynamisme : on utilise des profils assez hauts, et plusieurs types de jantes sont adoptés en fonction des coureurs.

Dans le même registre, les cadres peuvent varier selon les caractéristiques de l'étape, voire de la stratégie de course envisagée.

Des moyens scrutés à la loupe

.            Ces technologies sont utilisées pour la performance. Chaque vélo dispose d'un capteur de puissance au niveau du pédalier. Toutes les données du coureur sont affichées sur un compteur relié à un ordinateur. Le soir-même, l'entraîneur peut ainsi disséquer les relevés de puissance.

Compte tenu des particularités de l'épreuve, l'optimisation doit être maximale. Ainsi il existe des vélos propres à chaque type de parcours, montagne ou plaine. Lors du contre-la-montre, les cyclistes utilisent des vélos spécifiques ; ces derniers sont en particulier équipés de roues spécialement adaptées, voire lenticulaires (en cas de faible vent uniquement) et d’un prolongateur de guidon pour améliorer l’aérodynamisme.

Concernant les étapes de plaine, l'objectif est simple : privilégier l'aérodynamisme et la vitesse, à la manière du contre-la-montre. Pour ce faire, la pénétration dans l'air est préalablement étudiée avec notamment des roues élevées et un outil un peu plus lourd. A contrario, le poids minimum légal est (logiquement) recherché pour la montagne, le profil des roues se trouve ici réduit pour faciliter la montée dans les cols.

Chaque coureur a sa position, c'est millimétré sur la longueur, la hauteur de selle, la largeur du guidon, la taille des manivelles (partie du pédalier permettant de fixer la pédale) : c'est du travail personnalisé pour la performance du cycliste. Dès que sa position est trouvée, elle ne bouge plus et reste fixe. Ainsi, les 5 vélos mis à la disposition d'un coureur (il n'y a aucun règlement sur un maximum de vélos par athlète) correspondent spécifiquement à son profil.

De 9.000 à 20.000 euros pour un vélo

.            A matériel de professionnel, prix forcément conséquent ! De coquettes sommes (chiffres 2022) démarrant entre 9.000 et 12.000 € chez Cofidis, environ 10.000 € chezntermarché, et entre 15.000 et 20.000 € chez Jumbo Visma. Sans oublier, le matériel supplémentaire et les roues de secours, dont le prix s'élève déjà à un SMIC ! La valeur du peloton se chiffrerait en millions d'euros.

.            Précision importante, tous les vélos présents sur la Grande Boucle sont obligatoirement commercialisés en magasin (selon le règlement international) ; il n'existe ainsi pas de « prototype ». Avis aux amateurs !

.            A titre de comparaison, les principales spécificités du vélo de Monsieur tout le monde (fourchette large) : Prix, entre 150 et 3.000 euros ; Poids, environ 8-14 kg, selon le modèle, Passage de vitesses : avec des câbles, Matériau : aluminium (pour partie en carbone), acier.

Combien le vainqueur du Tour de France brûle-t-il de calories ?

D’après : The Conversation - John Eric Goff – 04 jul 2022 / Le Figaro - Vincent Bordenave – 20 jul 2018.

.            Il est difficile de comprendre totalement les capacités physiques nécessaires pour terminer la course cycliste la plus célèbre du monde. Seule une petite élite sportive est capable de boucler une étape du Tour de France en un temps qui se mesure en heures et non en jours … La raison pour laquelle ils sont capables de faire ce dont le reste d’entre nous ne peut que rêver est que ces athlètes peuvent produire d’énormes quantités de puissance.

La puissance est la vitesse à laquelle les cyclistes sont capables de brûler de l’énergie, et l’énergie qu’ils brûlent provient de la nourriture qu’ils absorbent. Le vainqueur d’une compétition comme le Tour de France brûle l’équivalent d’environ 210 Big Macs (environ 550 kcal) durant l’épreuve.

Cyclisme, le « jeu des watts »

.            Pour faire avancer un vélo, un coureur du Tour de France (comme tout cycliste) transfère, à travers le vélo, l’énergie de ses muscles aux roues qui repoussent le sol et le propulsent. Plus un coureur est capable de produire de l’énergie rapidement, plus sa puissance est grande. Ce taux de transfert d’énergie est généralement mesuré en watts. C'est la quantité d'énergie, fournie par le cycliste sur un temps donné pour se déplacer.

Les cyclistes professionnels sont capables de générer d’énormes quantités d’énergie pendant des périodes de temps incroyablement longues par rapport à la plupart des sportifs amateurs. Pendant environ 20 minutes, un cycliste amateur en bonne condition physique peut produire de façon constante 250 à 300 watts. Les cyclistes professionnels peuvent, eux, produire plus de 400 watts sur la même période. Ils sont même capables d’atteindre 1.000 watts pendant de courtes périodes, dans une montée raide par exemple (une puissance à peu près suffisante pour faire fonctionner un four à micro-ondes), voire plus durant un sprint (Note 2).

Mais toute l’énergie qu’un cycliste met dans son vélo ne se transforme pas à 100 % en mouvement vers l’avant. Il y a des déperditions : ces sportifs doivent lutter contre la résistance de l’air et les pertes par frottement entre leurs roues et la route. Et s’il bénéficie de l’aide de la gravité dans les descentes, il doit la combattre dans des montées parfois épuisantes.

On estime qu’un vainqueur typique du Tour de France doit fournir une moyenne d’environ 325 watts pendant les quelque 80 heures de la course. La plupart des cyclistes amateurs sont heureux quand ils réussissent à produire 300 watts pendant seulement 20 minutes !

Transformer la nourriture en kilomètres

.            Alors, d’où ces cyclistes d’exception tirent-ils toute cette énergie ? De la nourriture, bien sûr !

Mais leurs muscles, comme d’ailleurs n’importe quelle machine, ne peuvent pas convertir 100 % de l’énergie alimentaire en énergie produite. Là encore, il y a de la déperdition. Les muscles peuvent avoir un rendement compris entre 2 % pour des activités comme la natation, et de 40 % pour le cœur (qui est aussi un muscle).

On calcule, en considérant une efficacité moyenne de 20 %, que les cyclistes les plus performants du Tour, ceux capables de terminer les 21 étapes dans les meilleurs temps, brûlent environ 120.000 calories pendant la course, soit une moyenne de près de 6.000 calories par étape. Mais dans certaines des étapes de montagne, les plus difficiles, le curseur peut monter plus près des 8.000 calories !

Pour compenser ces énormes pertes d’énergie, les coureurs mangent de délicieuses friandises telles que des petits pains à la confiture, des barres énergétiques et d’appétissantes « gelées » … pour ne pas gâcher d’énergie à les mâcher.

Tadej Pogačar, qui a remporté les Tour de France 2021 et 2020, ne pèse que 66 kilogrammes. Ce qui frappe dans leurs silhouettes affûtées, c’est que ces cyclistes n’ont pas beaucoup de graisse à brûler pour générer de l’énergie. Sans réserve, ils doivent donc apporter en continu de l’énergie (alimentaire) à leur corps pour pouvoir la lui faire dépenser presque aussitôt, à un rythme qui semble surhumain.

Il suffit de regarder le nombre de fois où les cyclistes mangent !

Note 2. Les watts.

.            Les watts sont au cœur des courses cyclistes. Scrutés, analysés, comparés, bien plus que la vitesse, ils sont un indicateur de l'état de forme d'un coureur. D'aucuns voient dans leur calcul un moyen de surveiller les performances.

Connaître sa puissance est devenu indispensable pour un cycliste de haut niveau. Un bon préparateur est désormais capable de prédire à deux secondes près le temps que mettra un coureur pour gravir un col.

En montagne l'effort est plus long, la dépense d'énergie et la puissance sont reparties durant toute la montée. Pour calculer la puissance d'un coureur de manière indirecte, il faut connaître plusieurs paramètres : la vitesse du coureur, les coefficients de roulement et de pénétration dans l'air, le pourcentage de la pente, et enfin, le poids du coureur. Et alors, cela devient plus compliqué. Par exemple, l'équipe Sky refusait de communiquer le poids exact de Christopher Froome.

Antoine Vayer, ancien médecin de chez Festina en 1998, est l'un des premiers à avoir utilisé les watts pour parler de dopage. Il a compilé toutes les données recueillies sur les Tour de France des 30 dernières années. À partir de ces résultats, il a constitué 3 catégories.

  • Au-delà de 410 watts de moyenne sur un col, le coureur est jugé suspect. En 2000, le duo Pantani-Armstrong (tous les deux confondus pour dopage après), a gravi le Ventoux avec 416 watts de moyenne.
  • À partir de 430, il parle de coureurs « miraculeux ».
  • Au-dessus de 450, il ne s'agit rien de moins que d'un mutant ! Un Marco Pantani grimpait l'Alpe d'Huez (7,9 % sur 13,8 km) en 36 minutes et 45 secondes en 1997 (37 mn et 15 s en 1994), soit une moyenne de 468 watts sur l'ascension. En 2013, la performance de Froome sur les routes d'Ax 3 Domaines (7,7 % sur 8,6 km, 663 mètres de dénivelée) flirte en 2013 avec cette limite. Pour une ascension en 23 minutes et 13 secondes, il a été flashé à 446 watts. Mais cette époque est-elle désormais révolue ?

Les 21 virages entre Bourg d’Oisans et l’Alpe Huez. 1120 m de dénivelée.

Le calcul des watts ne constitue cependant pas une preuve de dopage. Le propre du sportif de haut niveau est de chercher la performance et donc de dépasser ce qu'on l'on pensait indépassable. C'est seulement un moyen d'alerte qui permet d'éveiller les soupçons sur des performances parfois trop extraordinaires.

Cyclistes de haut-niveau, tous asthmatiques ou tous dopés ?

D’après : The Conversation - Valérie Bougault - 25 juillet 2022

.            La question revient souvent, dès qu’un cycliste utilise un inhalateur aux yeux de tous sur une course majeure. Les avis, se partageant entre ceux qui estiment qu’il y a dopage et ceux qui jugent que non… Mais que dit la science ? Que sait-on réellement de ce phénomène ? La réponse n’est en fait pas si simple !

Les bronches malmenées du sportif d’endurance

.            Il n’est plus à démontrer que les sportifs d’endurance sont à risque de développer des problèmes respiratoires à cause de leur pratique.

Quelques chiffres déjà. Le niveau de ventilation à l’effort des sportifs élites dépasse les 120 litres d’air par minute pendant plusieurs heures, avec des pics au-delà des 200 l/mn pendant plusieurs minutes ; une personne non sportive atteint, elle, difficilement les 100 l/mn à l’effort maximal.

En se basant sur un effort en continu de 30 minutes, mené sur vélo par des sujets actifs, à une température de 19 °C et une humidité de 55 % (autour de 70 % de la VO2max, qui est la quantité maximale d’oxygène que notre corps peut utiliser pendant l’exercice), on a pu établir qu’une ventilation d’environ 80 l/min chez des jeunes hommes (probablement moins chez les femmes, la ventilation étant inférieure du fait de voies aériennes plus petites) correspondait au seuil de déshydratation bronchique.

Cela signifie qu’au-delà de cette ventilation, comme ce qu’expérimentent les cyclistes élites en course, le système bronchique n’est plus capable de se réhydrater suffisamment du fait du flux d’air trop important.

En lien avec cette déshydratation, les flux d’air provoquent des dommages de l’épithélium bronchique (couche de cellules de la paroi) et le tout provoque une inflammation des bronches. En conséquence, il est courant d’observer une inflammation et des dommages bronchiques après un effort intense chez des sportifs d’endurance, asthmatiques ou non, s’ils ont ventilé suffisamment fort et longtemps. À cela s’ajoutent les polluants inhalés à l’effort, puissants oxydants aggravant le processus d’inflammation.

Les cyclistes, tous asthmatiques ?

.            Il n’est pas surprenant de constater qu’il y a plutôt moins d’asthmatiques chez les sportifs que dans la population normale (entre 8 et 15 %).

On parlera de bronchoconstriction induite par l’exercice (BIE), ou « asthme d’effort », pour qualifier une chute des débits bronchiques (soit une fermeture anormale de la lumière des bronches) à l’effort. La BIE sans asthme apparaît chez les sportifs d’endurance, en général pendant leur carrière après l’âge de 20 ans. L’inflammation répétée des bronches chaque jour, à chaque entraînement, aggravée par l’exposition concomitante aux polluants atmosphériques, et avec un délai de récupération insuffisant entre deux entraînements en est probablement responsable. Sa fréquence est, chez les athlètes, bien plus élevée que chez les non-sportifs. Il semble que la prévalence soit la même, voire légèrement supérieure chez les femmes.

La BIE peut être symptomatique, et le sportif est alors confronté à des difficultés respiratoires.

Beaucoup sont toutefois asymptomatiques, du fait d’une BIE légère à modérée qui entraîne une chute des débits bronchiques de 10 à 25 %.

Dans une optique de performance, si augmenter un calibre bronchique n’améliore pas la performance, une réduction peut la diminuer. Certaines équipes sont donc tentées de faire un dépistage systématique de leurs équipes.

Médication pour l’asthme et dopage

.            En France, le SABA (bronchodilatateur courte durée d’action) par voie inhalée le plus couramment utilisé est le salbutamol, dont la plus célèbre représentante est la Ventoline, il ne fait pas partie des substances interdites par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA ou WADA.

Pour le salbutamol par voie inhalée, les études ne montrent aucun effet quelle que soit la dose (de 200 à 800 µg en général) sur différents marqueurs de la performance – VO₂max, temps limite à 105 ou 110 % de VO2max, performance sur vélo sur 10 ou 20 km, puissance maximale ou travail total au test de Wingate (profil anaérobie), ou encore la force des muscles extenseurs et fléchisseurs du genou. Il a donc été retiré de la liste de l’AMA en 2008, après les J.O. de Beijing.

Malgré le peu d’études, il semble que de la même façon, les LABA (bronchodilatateur longue durée) n’ont pas d’effets non plus sur la performance. Une étude suggère toutefois que le Formotérol seul par voie inhalée à forte concentration (54 µg) pourrait améliorer la disponibilité glucidique au niveau musculaire et donc la puissance développée pendant les sprints.

Toute autre substance ou toute autre voie d’administration est interdite car ayant des effets potentiels sur la performance. L’AMA a publié, pour toutes les molécules identifiées (Formotérol, etc.), une liste des seuils en lien avec les effets potentiels sur la performance et des interdictions.

Quelle polémique autour du salbutamol ?

.            La polémique porte en général sur le contenu des inhalateurs utilisés pour traiter un asthme d’effort.

Point important : les voies aériennes (trachée, pharynx, larynx, bronches, bronchioles et alvéoles) et le poumon, sauf pathologie avérée tel qu’asthme ou vieillissement normal du système respiratoire, ne sont pas le facteur limitant l’effort.

N’étant pas le facteur limitant, elles ne peuvent augmenter la performance : maintenir le système bronchique ouvert à son maximum n’amènerait pas plus d’oxygène, n’augmenterait pas davantage la capacité de transport de l’oxygène sanguin. La polémique vient en fait des effets du salbutamol pris à haute dose sur le muscle et le métabolisme énergétique.

En effet, il peut être anabolisant (qui contribue à la croissance musculaire), et ainsi améliorer la performance en sprint et favoriser le métabolisme lipolytique … mais également avoir des effets délétères. Si l’on parle de milligrammes absorbés par voie orale, par inhalation il ne s’agit que de microgrammes : les doses sont donc très faibles.

Comme il n’est pas encore possible de différencier l’origine du salbutamol retrouvé dans le sang ou les urines, l’AMA a légiféré sur les doses de salbutamol à ne pas dépasser afin d’éviter des conduites potentiellement dopantes.

La dose quotidienne maximale autorisée par inhalation est, elle, de 1.600 µg sur 24 h, soit un maximum de 600 µg toutes les 8h ; les 1.600 ug correspondent à 16 bouffées par jour. Deux bouffées de Ventoline correspondent à 200 ug, et sa durée d’action est de 4 à 6 h. Si un cycliste professionnel a besoin de doses plus importantes, il doit le justifier et faire une demande d’autorisation d’usage thérapeutique (AUT) auprès de l’AMA.

JO 2021, pourquoi les records d’athlétisme sur piste tombent-ils les uns après les autres ?

20 minutes Sport - Julien Laloye – 03 aoû 2021

.            Kevin Young, l’ancien détenteur d’un des plus vieux records du monde de l’athlétisme, celui du 400 m haies depuis 1992, avec le temps de 46 s 78, à l'occasion de la finale des Jeux olympiques à Barcelone : « Je suis passé de recordman du monde à 4e sur la liste de tous les temps en une course ! » Record qui a volé en éclats ce 03 août 2021, non pas une fois, mais trois fois, dans l’ordre du podium le norvégien Warholm, l’américain Benjamin Rai, et le brésilien Dos Santos.

L’éclair du 400m haies

.            Une énième déflagration dans le ciel de Tokyo depuis que l’athlétisme est entré en piste, avec des performances proprement stupéfiantes : la vénézuélienne Yulimar Rojas au triple saut, la jamaïcaine Elaine Thompson-Herah pas loin de taper les records les plus lunaires du sport (les 10"49 et 21"34 de Griffith-Joyner sur 100 et 200 m), et un Italien inconnu, Lamont Marcell Jacobs, qui a déposé le record d’Europe du 100 m. La succession de miracles interroge les spécialistes, lesquels laissent le dopage de côté, pour une fois.

La rapidité de la piste tokyoïte, déroulée comme un tapis de soie en novembre 2019 était anticipée par les athlètes. On vous épargne le procédé spécifique « des granulés de caoutchouc tridimensionnels spécialement conçus avec un système polymère » pour écouter son « inventeur ». Andrea Vallauri, travaille pour la société italienne Mondo, qui revendique plus de la moitié des records mondiaux battus sur une piste maison depuis 20 ans : « La surface du revêtement à Tokyo permet d’encaisser les chocs et de restituer l’énergie, comme s’il s’agissait d’un trampoline ».

« La sensation de marcher sur un nuage »

.            Une impression en ligne avec la jolie métaphore du sprinteur américain Ronnie Baker. « J’ai la sensation de marcher sur les nuages. C’est très lisse quand on est dessus. C’est vraiment une superbe piste, une des meilleures sur lesquelles j’ai pu courir ». Soit. Mais les granulés magiques peuvent-ils expliquer de tels gains chronométriques, quand Vallauri estime lui-même que cette piste à 1,5 million de dollars offre au mieux un bénéfice de 2 % aux athlètes engagés aux Jeux ?

Selon Stéphane Diagana, il faut regarder ailleurs : « Quand on passe d’un record du monde qui dure 29 ans à une telle flambée de performances en quelques semaines, avec trois personnes sous l’ancien record de Young, il y a forcément quelque chose. La piste est rapide, mais il n’y a pas eu d’évolution récente majeure dans ce domaine. Il reste donc les pointes. On le voit depuis plusieurs mois, cela doit favoriser les athlètes en réception de haies, avec plus de récupération d’énergie, plus de facilité dans l’intervalle, plus d’économie de course ».

Les fameuses pointes popularisées par la Vaporfly de Nike, qui faussent la perception de la compétition comme les combinaisons en leur temps en natation. Leur secret ? Des chaussures ultralégères, équipées d’une lame de carbone dans la semelle qui, associée à une fine mousse, renvoie de l’énergie à l’appui. Un trampoline sur un trampoline, en quelque sorte, dont la plupart des athlètes reconnaissent l’effet bœuf sur les chronos, même si Benjamin Rai assure « qu’il courrait toujours aussi vite avec d’autres chaussures ; ça n’a pas vraiment d’importance ».

Les records de Bolt menacés ?

.            Ça en a pour Warholm, qui ne mange pas de ce pain-là. Le nouveau recordman du monde norvégien s’est longuement arrêté sur la question en zone mixte : « J’ai des super chaussures qu’on a développées avec mon coach grâce à la collaboration de Puma et de l’équipe de F1 de Mercedes, mais il était important pour moi de garder la crédibilité du résultat. Oui, il y a une lame de carbone, ce que j’aime, mais je ne comprends pas pourquoi il faudrait mettre autre chose sous une semelle de sprint, parce que vous y recherchez juste du retour d’énergie mais pas à en créer. C’est une connerie et ça enlève de la crédibilité à mon sport. Nous, on a essayé de garder la semelle la plus fine possible. La technologie sera toujours là mais je veux qu’on puisse comparer les résultats. »

.            La fédération internationale a bien tenté de mettre de l’ordre dans le foutoir des semelles autorisées, mais la liste validée avant les JO fait davantage craindre une fuite en avant qu’autre chose : 201 modèles différents sont inscrits sur la liste de conformité de World Athletics (20 mm d’épaisseur max en sprint, 25 en fond et demi-fond), ce qui promet des courses de plus en plus rapides, et de plus en plus illisibles.

.            A Tokyo, certains se demandent même si les records du roi Bolt, qu’on pensait intouchables pour des décennies, ne vont pas tomber dans les mois à venir. « Qu’est-ce que je peux faire si la fédération internationale décide que c’est légal ? Les règles sont les règles, même si je n'en suis pas très heureux » s’exprimait récemment le Jamaïcain, immédiatement rattrapé par son orgueil : « Je ne sais pas exactement à combien j’aurais pu courir avec ces pointes, mais plus vite que 9.50, c’est sûr ».