Au château de Windsor, 900 ans d’histoire de la monarchie britannique

Geo - Jean-Baptiste Michel – 03 mar 2021

.            Avant d’être le nom d’une dynastie, Windsor est celui du plus ancien palais royal d’Europe toujours habité aujourd’hui. Cette merveille d’architecture gothique symbolise à lui seul 900 ans d’histoire britannique.

La future reine Elisabeth II prononça au château de Windsor son premier discours à l’âge de 14 ans, en 1940, au début de la Seconde Guerre mondiale, pour soutenir les enfants du royaume. 80 ans plus tard, elle choisit de s’y retirer lors de la pandémie du coronavirus. Quotidiennement, 500 personnes s’y croisent dans ses plus de 1.000 pièces. Si Buckingham Palace, au cœur de Londres, est la résidence officielle de la royauté, alors Windsor, situé dans les faubourgs de la capitale, demeure plus que jamais sa résidence de cœur. Dans ce château à l’architecture gothique se sont déroulés neuf siècles de l’histoire monarchique anglaise. Une histoire bien tumultueuse…

Le jardin aux roses, à l’est du château, en 1952. Ouvert au public, Windsor est encore aujourd’hui l’une des principales attractions de Grande-Bretagne. © Time & Life Pictures

Tout commence en 1066. Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, vient de débarquer sur les côtes britanniques. Après avoir battu son rival, le roi saxon Harold, à la bataille d’Hastings le 14 octobre, Guillaume est couronné roi à Westminster le 25 décembre, avec la bénédiction du pape. Pour consolider son pouvoir, il fait ériger une série de forteresses autour de Londres, à 30 kilomètres de la ville et du château suivant. Celui de Windsor est placé stratégiquement dans le Berkshire, à 36 kilomètres à l’ouest de Londres, au-dessus d’un méandre de la Tamise. Ce n’est alors qu’une « motte castrale » : une tour en bois de 15 mètres de haut, protégée d’une palissade, sur un piton rocheux.

La tour ronde de Windsor vient rappeler les conquêtes de Guillaume le Conquérant

.            Il faut attendre 1165 et le règne d’Henri II pour que la petite forteresse connaisse son premier agrandissement. Le roi, de la dynastie des Plantagenêt, s’éprend de ce site exceptionnel. Il est conscient aussi de sa position stratégique au bord de la Tamise et sur la route de Londres, et décide donc de reconstruire la tour ronde en pierre, en hommage aux conquêtes de Guillaume, et la ceint d’un haut rempart d’où l’on pourra surveiller douze comtés. Mais toutes les fortifications ne pourront rien contre la révolte qui gronde dans le royaume.

En 1214, Jean d’Angleterre, dit Jean sans Terre, fils d’Henri II, ne peut endiguer la fronde des barons qui réclament un partage du pouvoir. Le jeune roi est contraint de les rencontrer sur la prairie voisine de Runnymede où il accepte de signer la Grande Charte (Magna Carta). Cet embryon d’institution parlementaire stipule que si le roi « est sans égal », il n’est pas pour autant sans conseillers. Ses comtes et ses barons sont ses partenaires, et ils doivent le freiner et le réfréner afin de l’empêcher d’errer. Cette « théorie contractuelle de la royauté » deviendra la base du modèle institutionnel britannique que l’on connaît aujourd’hui. Windsor, résidence des rois, sera tout autant un refuge face aux tentatives de révoltes de seigneurs trop ambitieux…

Les fastueux aménagements d'Edouard III à Windsor

.            Entre 1350 et 1377, Edouard III procède à de fastueux aménagements, rendus possibles par le gain de ses victoires à Crécy, Calais, Poitiers… Ses prétentions au trône de France, contre les Valois, viennent en effet d’y déclencher une guerre qui va durer cent ans. Il dépense à Windsor plus d’une fois et demie les revenus de la couronne. Ce nouveau palais comprend trois cours le long du côté nord. On peut encore voir sa trace avec la porte des Normands, placée à la sortie orientale de la cour principale.

Un plan de Windsor sous l’ère des Plantagenêts (XIIe- XVe siècle). Très attaché au château où il grandit, Edouard III (1312-1377) fit réaliser le projet de construction laïc le plus onéreux de l’Angleterre médiévale. © The British Library

En 1349, un banal incident de bal inspire à Edouard de créer une nouvelle distinction. La comtesse de Salisbury perd l’une de ses jarretières en dansant avec le roi. Le monarque la ramasse galamment et annonce devant les courtisans amusés, dans un français parfait : « Honni soit qui mal y pense, tel qui s’en rit aujourd’hui, demain s’honorera de la porter. » La devise sera désormais celle de la royauté, et l’ordre le plus prestigieux de la chevalerie britannique celui de la Jarretière : les heureux élus porteront au genou gauche la boucle de métal en signe d’allégeance au roi.

 

Le hall Saint-George a été construit sous Edouard III. C’est ici que se réunissent tous les ans, en juin, les membres de l’ordre de la Jarretière. © Bridgeman Images

Henri Tudor monte sur le trône sous le nom d’Henri VII

.            Au siècle suivant, Henri VI, déjà appelé Henri de Windsor parce qu’il y est né, couronné roi d’Angleterre en 1422, puis roi de France en 1431 à Notre-Dame de Paris, est défait par son cousin, Charles VII. Rentré en son royaume, il fonde, à 1 kilomètre de Windsor, le collège d’Eton. Cette école privée, financée par la Couronne pour accueillir une centaine d’étudiants pauvres, va devenir au fil du temps l’une des écoles les plus huppées du royaume, où seront formés tous les membres de la classe dirigeante. Affaibli politiquement et plongé dans la mélancolie de son échec en France, Henri VI doit affronter une inévitable guerre civile qui oppose bientôt les plus grandes familles du royaume, notamment les deux branches rivales de la maison des Plantagenets, les York et les Lancastre.

Trente années de cette guerre, dite « des Deux Roses », voient le triomphe d’Henri Tudor, comte de Richmond, descendant des Lancastre. Il épouse Elisabeth d’York, fille d’Edouard IV et monte sur le trône sous le nom d’Henri VII. Une nouvelle dynastie tient désormais les rênes du royaume, même si, après tant de troubles et de prétendants possibles, « il n’était plus nécessaire de croire béatement que la légitimité était un impératif absolu. Un roi de fait valait bien un souverain de droit ».

Les Tudor, un règne centré sur Windsor

.            Après la guerre de Cent Ans contre la France, et avant la conquête du Nouveau Monde, le XVIe siècle des Tudor sera insulaire et, plus que jamais, centré sur Windsor. Profitant du redressement des finances qui a triplé le revenu royal, Henri VIII, fils d’Henri Tudor, cultivé, galant et grand chasseur, donne de somptueux banquets pour l’ordre de la Jarretière qui a son siège dans la chapelle Saint-Georges, dont il achève la construction. Il fait également aménager un cours de tennis et, dans la cour basse, à l’ouest, l’une des plus belles portes du château, dite la porte Henri VIII. La forteresse devient sa base arrière contre les révoltes, et il vient régulièrement s’y protéger des épidémies de peste qui ravagent Londres.

Elisabeth Ière, aussi méfiante que son père, sait qu’elle pourra « résister à un siège si nécessaire ». Elle passe donc ici une bonne partie de son règne (1558-1603), même si le château médiéval s’avère moins confortable que d’autres palais plus récents. Cela n’empêche pas la cour de s’y rassembler : William Shakespeare s’inspirera des réceptions diplomatiques données au palais pour Les Joyeuses Commères de Windsor, un divertissement donné à la reine en 1602.

Les royalistes sont emprisonnés dans un Windsor dévasté

.            Avant de mourir un an plus tard, la « Reine vierge » (ainsi surnommée car elle ne se maria pas) a désigné comme successeur Jacques Ier Stuart. Cette nouvelle dynastie, celle des Stuart, unit sous une seule couronne les royaumes distincts d’Angleterre et d’Ecosse. Les deux parties se disputent à Windsor les chambres du château et le roi noie ses soucis dans l’alcool. Il n’est guère facile d’être monarque, encore moins en Angleterre.

Son fils Charles Ier en fait la dramatique expérience dans le conflit qui l’oppose à un Parlement jaloux des prérogatives royales et farouchement anticatholiques. Douze compagnies de fantassins, les « têtes rondes », sont envoyées à Windsor pour empêcher le roi de marcher sur Londres. Il y est finalement retenu prisonnier, avant d’être jugé et exécuté à Londres le 30 janvier 1649.

Suivent onze ans d’une république plus ou moins bien conduite par son Lord protecteur, Oliver Cromwell, qui meurt en 1658. L’heure est alors à la restauration. Charles II Stuart, acclamé à Londres le 29 mai 1660, retrouve un Windsor dévasté, transformé en prison pour les royalistes, occupé par l’armée parlementaire, pillé par d’innombrables indigents… Reflet de la royauté, Windsor est quasiment en ruine et il faut reconstruire le château.

Une grande allée de 4,5 km. En 1680, Charles II fit planter une travée d’ormes menant au château. Cette longue promenade rectiligne fut par la suite bordée de marronniers et de platanes. © Corbis via Getty Images

Le château de Windsor vers son aspect actuel

.            Le nouveau monarque, décide alors de transformer le lieu un peu dans le style « grand siècle » de son cousin d’outre-manche, Louis XIV. On abat les tours d’angle et les remparts pour aménager de grands appartements avec pièces en enfilade, somptueusement décorées. Le château commence à prendre son aspect actuel, et va peu changer au XVIIIe siècle.

La dernière des Stuart, la reine Anne (1702-1714), se contente de faire bâtir, à 9 kilomètres du château, l’hippodrome d’Ascot qui deviendra, au moment des courses, en juin, un haut lieu de la vie mondaine et de cour. Anne meurt sans héritier direct. Il est alors décidé que la couronne reviendra aux descendants allemands de Jacques Ier (par sa fille Elisabeth mariée au prince-électeur palatin). Les Hanovre, bons protestants, s’installent donc à Londres. Pas à Windsor. Georges Ier, puis Georges II, apprécient peu cette retraite isolée et grise.

Mais Georges III, monté sur le trône en 1760, s’enthousiasme pour les lieux, surtout pour le parc que le temps a démocratiquement ouvert aux promeneurs et aux enfants. Il y aménage des fermes, des exploitations laitières, avant que la porphyrie ne détruise peu à peu ses facultés physiques et mentales. Le « roi fou » reste confiné à Windsor. La régence est confiée à son fils, qui lui succède en 1820 sous le nom de George IV. Le nouveau roi aime ce domaine, qu’il veut rendre digne d’un Royaume-Uni alors en pleine expansion. Son architecte Jeffry Wyattville rehausse de 9 mètres la colossale tour ronde, puis réorganise la partie haute (upper ward) en séparant les appartements privés des appartements d’Etat, réservés aux souverains et invités étrangers, le tout dans un style à la fois gothique et baroque. Le château que l’on connaît aujourd’hui est peu ou prou le même.

Victoria, la « veuve de Windsor »

          En 1837, Victoria en prend possession. La nièce de Georges IV n’a que 18 ans quand elle accède au trône. Trois ans plus tard, elle épouse son cousin, le prince allemand Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, dont elle aura neuf enfants. Victoria apprécie peu Windsor, trop proche de Londres et de Buckingham Palace (on peut désormais s’y rendre en chemin de fer ou en bateau à vapeur). Elle se sent ici prisonnière et préfère des séjours plus informels et lointains, dans ses résidences privées d’Osborne, sur l’île de Wight, ou de Balmoral, en Ecosse.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Victoria et son époux Albert (ici dans la salle à dessin, dans l’aile est) firent de Windsor leur résidence royale principale, bien que la reine ait trouvé le palais « morne et ennuyeux ». © Royal Collection Trust © Her Majesty Queen Elizabeth II, 2020 / Bridgeman Images

Les circonstances la pousseront à revenir. La mort prématurée d’Albert, en 1861, dans la « chambre bleue », transforme tout le château en un sanctuaire que la reine éplorée quitte de plus en plus difficilement. Elle déserte Buckingham Palace, et ne paraît presque plus à Londres. On l’appelle désormais la « veuve de Windsor ». Elle y marie son fils aîné Albert-Edouard (futur Edouard VII) à la princesse Alexandra de Danemark et trois de ses filles, dont l’une avec le prince de Schleswig-Holstein qui se voit même attribuer la fonction de gardien du parc de Windsor, afin que le couple reste près de la reine. La vieille dame devient la « grand-mère de l’Europe », sa nombreuse descendance l’apparentant à presque toutes les dynasties alors régnantes en Allemagne, Espagne, Suède, Danemark, Russie, Grèce, Roumanie. Elle écrit même dans une de ses lettres que le spectacle de ses petits-enfants « devient une chose très inintéressante. Cela me fait penser aux lapins dans le parc de Windsor ». (Deux de ses petit-fils, George V et Guillaume II d'Allemagne, et un gendre, Nicolas II de Russie, se sont affrontés durant la Grande Guerre.) Sa mort, début 1901, à l’acmé de la puissance impériale britannique, suscite un deuil dépassant de loin le cadre national. La reine Victoria est inhumée aux côtés d’Albert, son bien-aimé dont elle a toujours porté le deuil, dans le mausolée qu’elle lui a fait construire dans le Petit Parc (Home Park) qui s’étend au nord du château.

Edouard VII, son séduisant successeur, malgré ses 60 ans, entreprend de moderniser le château avec une énergie de jeune homme. Il parcourt à grandes enjambées ses 1.000 pièces occupant 52.000 m², de la cour basse à la cour haute, de la porte Henri VIII à la tour du prince de Galles, et va revitaliser un domaine que sa mère a quelque peu figé par souci d’économie. Il désencombre, réaménage, nettoie les salles anciennement occupées par le prince consort et religieusement laissées intactes depuis sa mort. Il fait installer l’éclairage électrique, le chauffage central et le téléphone, ouvre des garages pour les automobiles et donne au château de Windsor le départ du marathon des premiers Jeux olympiques de l’histoire, ceux de Londres, en 1908.

Ce souverain enjoué et plein d’esprit donne l’impression d’avoir rénové le vieux château pour son fils, qui lui succède en 1910. En plein tumulte de la Première Guerre mondiale, Georges V efface le nom des Saxe-Cobourg-Gotha et choisit naturellement celui de Windsor qui claque comme un drapeau, en hommage à ce palais devenu reflet de la monarchie britannique.

.            « Annus horribilis » est l'expression utilisée par la reine Élisabeth II pour qualifier l'année 1992, dans un discours prononcé le 24 novembre 1992 à Guildhall, quelques mois après le 40e anniversaire de son accession au trône. Outre les problèmes conjugaux de ses enfants, Anne, Charles et Andrew, et que Maurice, le dernier royaume de la reine en Afrique et l’un de ses pays préférés, devienne une république, quatre jours avant le discours de la reine, le 20 novembre 1992, le château de Windsor est la proie d'un grave incendie accidentel, causant entre autres de graves pertes d'œuvres d'art (entraînant pour la monarchie, au cours des mois qui allaient suivre le sinistre, une crise liée au financement de la reconstruction du château).