La pollution spatiale
D’après : NASA et Le Figaro - Tristan Vey – 20 jun 2023
. Cette image montre la terre prise dans une nuée si dense que notre planète semble presque disparaitre. Chacun de ces points représente un objet de plus de 10 cm. On dénombre un peu plus de 36.000 débris orbitaux, ou "déchets spatiaux", parmi lesquels 8.100 satellites actifs seulement. L'image est spectaculaire, presque choquante. Un peu trompeuse aussi. Si elle permet de sensibiliser à la problématique grandissante de l’encombrement spatial, elle montre paradoxalement beaucoup moins d'objets qu'il n'en existe, tout en donnant l'illusion d'une omniprésence bien supérieure à la réalité (chaque point occupe, à l'échelle, une dizaine de kilomètres).
Les spécialistes estiment qu'il y aurait environ 1 million d 'objets de plus d'un centimètre et 150 millions de plus d'un millimètre. Cela peut paraître énorme. Pour autant, un vaisseau spatial traverserait aisément ce nuage sans en toucher un seul. L'espace est en fait beaucoup (beaucoup) plus grand et bien plus vide qu'on ne peut l'imaginer.
Les débris orbitaux sont suivis par les capteurs du réseau mondial de surveillance de l'espace (SSN) du ministère américain de la défense. Mais les trop petits pour être repérés, sont suffisamment gros pour menacer les vols spatiaux habités et les missions robotiques : les débris et les engins spatiaux se déplacent à des vitesses extrêmement élevées (plus de 25.000 km/h en orbite terrestre basse), l'impact d'un débris orbital, même minuscule, sur un engin spatial pourrait poser de gros problèmes. Même de minuscules éclats de peinture peuvent endommager un vaisseau spatial lorsqu'il se déplace à cette vitesse. Un certain nombre de fenêtres de la navette spatiale ont été remplacées en raison de dommages causés par des matériaux qui ont été analysés et se sont avérés être des éclats de peinture. En fait, les débris orbitaux de taille millimétrique représentent le plus grand risque de fin de mission pour la plupart des engins spatiaux robotisés opérant en orbite terrestre basse.
Il ne s'agit donc pas « simplement de faire le constat, un peu triste et tout à fait exact, des déchets accumulés en orbite sans réfléchir depuis soixante ans, mais de voir l'impact que cela a concrètement sur l'exploitation de l'espace.
Ecartons la problématique assez spécifique des orbites lointaines, de 20.000 km à 36.000 km, où se trouvent notamment les satellites GPS et équivalents et les plus gros engins de télécommunication. Des règles ont été fixées il y a vingt-cinq ans pour envoyer les satellites en fin de vie sur des orbites cimetières. La question qui se pose alors est plutôt l'intérêt économique d'aller ravitailler ou réparer un satellite plutôt que de le mettre au garage.
Syndrome de Kessler
. La question la plus brûlante est celle des orbites basses. Entre 700 km et 1.100 km d'altitude, la zone est devenue quasiment impraticable. Par négligence, dans cette région précise, il y a désormais 100 à 1.000 fois plus de débris que de satellites actifs. Sur sa durée de vie, un engin a 8 % de chances d'y être détruit par un débris, ce qui constitue un risque inacceptable pour à peu près n'importe quel opérateur.
Et la situation ne semble pas près de s'améliorer. Le syndrome de Kessler, qui prédit une inflation exponentielle du nombre de débris à cause des collisions de plus en plus nombreuses, est dores et déjà une réalité dans cette région. À 850 km, un risque particulier est présent : 20 étages supérieurs de l'ancienne fusée russe Zenit 2 dérivent dans un dangereux ballet. Chacun mesure plus de 9 mètres et pèse plus de 9 tonnes. Quand deux d'entre eux entreront en collision -ce qui se produira fatalement un jour ou l’autre s'ils restent là- cela doublera instantanément le nombre actuel de débris de plus de 10 cm. À titre de comparaison, la collision accidentelle la plus emblématique s'est produite en 2009 entre le satellite Iridium 33 de Thalès et un satellite de communication militaire russe hors-service, Kosmos 2251 : ils pesaient respectivement 560 kg et 900 kg et ont généré plus de 2.200 nouveaux débris.
. Dans le cas de la station spatiale internationale (ISS), lorsque les prévisions indiquent qu'un objet suivi passera suffisamment près pour susciter des inquiétudes et que la qualité des données de suivi est jugée suffisamment précise, les centres de contrôle de mission de Houston et de Moscou collaborent pour élaborer un plan d'action. Si la probabilité de collision est supérieure à 1 sur 100.000, une "manœuvre d'évitement des débris" sera effectuée si elle n'a pas d'impact significatif sur les objectifs de la mission. Si elle est supérieure à 1 sur 10.000, une manœuvre sera effectuée à moins qu'elle n'entraîne un risque supplémentaire pour l'équipage. Les manœuvres d'évitement des débris sont généralement de faible ampleur et ont lieu entre une et plusieurs heures avant le moment de la conjonction. La planification et l'exécution de telles manœuvres avec la station spatiale nécessitent environ 5 heures et font appel aux propulseurs russes de la station ou aux systèmes de propulsion de l'un des vaisseaux spatiaux amarrés. La station spatiale internationale a effectué 29 manœuvres d'évitement des débris depuis 1999, dont trois en 2020.
. Deux options pour continuer d'exploiter l'orbite basse : aller plus haut ou rester plus bas. C'est la première option qui a été choisie par la méga constellation OneWeb (environ 600 satellites). Cela pose néanmoins un problème immédiat : à 1.200 km, un objet met 2.000 ans avant de retomber sur Terre. Autant dire qu'il faut prévoir une solution de fin de vie.
Théoriquement, les opérateurs doivent faire en sorte que leur engin soit désorbité au bout de 25 ans. Mais cette norme n'est pas contraignante (sauf en France, pionnière sur cette question) et ne tient pas compte des risques de panne. C'est d'ailleurs dans cette optique que fleurissent les start-up et projets destinés au nettoyage de l'espace. L'Agence spatiale européenne (ESA) a chargé l’entreprise suisse ClearSpace de la première démonstration grandeur nature, prévue en 2026. Un petit morceau d'une centaine de kilos d'un étage supérieur de fusée Vega doit être attrapé par un satellite équipé de 4 bras articulés. Un peu comme un grappin de fête foraine, il devra capturer sa cible avant de la ramener dans l'atmosphère. ClearSpace a fait le choix de s’atteler au désorbïtage de gros objets non coopératifs car les premiers clients du marché seront probablement pour enlever ces gros objets en fin de vie ou en panne, qui présentent le plus de risques de créer des nuages de débris. Les satellites Oneweb sont clairement dans cette cible.
Désorbitation naturelle
. Pour continuer à exploiter l'orbite basse, la seconde possibilité est de descendre à des altitudes inférieures, en dessous de 600 km. Auquel cas, la désorbitation naturelle sous l'effet des frottements de l'atmosphère résiduelle, est de l'ordre de 25 ans. C'est la stratégie choisie par SpaceX, qui a déjà déployé plus de 4.600 satellites Starlink vers 500 km. Dans cette zone, ce n’est plus tant la question des débris que celle de l'encombrement qui devient cruciale. Selon les projections il y aura entre 30.000 et 100.000 satellites actifs dans cette région d’ici à [a fin de la décennie. Cela ne pose pas vraiment de risque de collision, car tous sont dotés de capacités de manœuvres et d'évitement. En revanche, les règles ne sont pas clairement établies et les situations de tension vont se multiplier de manière exponentielle. Dans ce contexte, il est urgent que les agences spatiales, les opérateurs et les États définissent un cadre réglementaire strict.
Autre nécessité, celle de connaitre le plus précisément possible les menaces qui pèsent sur tous ces satellites. Cela passe par la cartographie la plus minutieuses des débris les plus petits possibles. Lancé à 28.000 km/h, un boulon de quelques millimètres seulement peut vite se révéler fatal. Actuellement, la base de données la plus complète est fournie par tes militaires américains. Mais elle ne recense que les objets de plus de 10 cm, sans garantie de mise à jour ni marges d'incertitude. Une grande partie des manœuvres qui sont réalisées aujourd'hui pourraient être évitées si on connaissait plus précisément les trajectoires des objets. C'est cependant ce domaine de surveillance de l'espace qui est actuellement le plus mûr technologiquement.