Le Figaro - Véronique Guillermard – 27 avr 2022

À bientôt 51 ans, cet ingénieur naturalisé américain en 2002 est aux avant-postes de toutes les utopies.

En entrant dans le club restreint des rois des réseaux sociaux, avec l’acquisition de Twitter pour 44 milliards de dollars, Elon Musk signe un nouveau coup d’éclat. Jusqu’où ira ce visionnaire de génie qui dynamite tout ce qu’il touche ? La question lui semblerait incongrue tant il a mené sa vie et ses affaires sans tabou, ni limite. Tout l’intéresse, rien ne l’arrête, comme le montre un « track record » impressionnant, de l’industrie spatiale avec SpaceX créé en 2002, à l’automobile avec les voitures électriques Tesla, en passant par l’intelligence artificielle avec NeuroLink, les robots humanoïdes Optimus, l’énergie avec Solar City et les infrastructures avec The Boring Company.

Elon Musk est devenu, grâce à son audace et ses méthodes innovantes, conjuguées à un sens inné de la communication, une machine à obtenir des milliards de contrats et subventions publiques, avec une certaine propension à forcer la main aux autorités (pour obtenir des permis de construire par exemple). Résultat, il a décroché le titre de l’homme le plus riche du monde. Sa fortune personnelle atteint, en ce début 2022, 254,6 milliards de dollars. Il dépasse son meilleur ennemi, Jeff Bezos, patron d’Amazon, classé deuxième avec une fortune de 177,1 milliards.

À 51 ans, qu’il fêtera le 28 juin 2022, Elon Musk est aux avant-postes de toutes les utopies. Son credo: rendre le monde meilleur en s’appuyant sur l’accélération prodigieuse des technologies. Son objectif ultime: coloniser Mars pour assurer la survie de l’humanité, qui, selon lui, n’a pas d’avenir sur Terre, un monde fini aux ressources limitées. La planète rouge étant la première étape de la transformation des Terriens en espèce multiplanétaire. Cette vision quasi messianique, obsessionnelle selon certains, sous-tend tout son engagement. Des profondeurs de la Terre où il creuse des tunnels, aux méandres du cerveau qu’il veut connecter aux machines intelligentes afin de ne pas en perdre le contrôle, aux confins de la galaxie, où il veut faire essaimer l’humanité, Elon Musk voit grand et loin. Ce qui n’exclut pas de faire du business et de gagner beaucoup d’argent, y compris sur le marché des cryptomonnaies.

La puissance du bon sens

Mais Elon Musk n’a pas toujours été ce sérial-entrepreneur, ce milliardaire fantasque et provocateur, dont la vie privée défraie la chronique au gré de ses mariages, de ses liaisons avec de jeunes actrices, et de la naissance de ses huit enfants, dont les deux derniers - un garçon né en 2020 et une fille née en 2021 - se prénomment X AE-Xii et Exa Dark Sideræl.

À ses débuts, ses ambitions clamées haut et fort, suscitent le scepticisme, pour ne pas dire des moqueries à peine voilées. Mais même si ses succès ne respectent pas à la lettre les calendriers annoncés, il ne lui faut que quelques années pour clouer le bec de ses détracteurs. Qu’importe. Elon Musk se fixe toujours des délais intenables afin d’impulser un mouvement, de faire rêver et de viser l’impossible. Pour le magazine Time, qui l’a sacré « personnalité de l’année » en 2021, Elon Musk incarne « un retour à notre glorieux passé industriel, avant que l’Amérique ne se mette à stagner et ne plus produire que des règles, des restrictions, des limites, des obstacles et Facebook. » Il est vrai que le Christophe Colomb du XXIe siècle, selon plusieurs de ses 85,2 millions de followers sur Twitter, résume le rêve américain et le renouveau du « Made in the USA ».

Elon Musk, c’est l’une des ces histoires dont l’Amérique raffole d’un immigré pauvre, arrivé au sommet par son travail et son talent. Celle d’un enfant introverti, harcelé par ses camarades dans sa cour d’école de Pretoria, en Afrique du Sud où il est né. D’un surdoué, souffrant du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme, qui a créé un jeu vidéo à l’âge de 12 ans. Mais aussi un lecteur compulsif, notamment d’encyclopédies et de sagas de science-fiction telles que le cycle Fondation d’Isaac Asimov.

Il débarque jeune homme à Toronto au Canada, la patrie de sa mère, au début des années 1990 pour fuir un père « diabolique » et par la même occasion le service militaire. Il vit de petits boulots avant de devenir ingénieur, en passant par Wharton et Stanford. Geek de la première heure, il crée des start-up prometteuses telles que Zip2 ou encore un logiciel de paiement sur internet, qui deviendra PayPal, cédé à eBay en 2002. Fortune faite à 31 ans, il aurait pu se contenter de vivre au soleil, mais il n’a pas l’âme d’un rentier.

Il s’attaque aux industries nées au XIXe siècle, qui ont donné naissance à des marchés où la barrière technologique et financière est réputée infranchissable

Naturalisé américain en 2002, il s’attaque aux industries nées au XIXe siècle, qui ont donné naissance à des marchés où la barrière technologique et financière est réputée infranchissable. Elon Musk casse les codes: il ne parle pas produit et coûts d’entretien, mais usage et plaisir tout en misant sur un développement rapide, sur les nouvelles technologies, la maîtrise de la chaîne de production et des composants et l’intégration sur un seul site. Le tout dans de gros volumes à des prix cassés, avec une prise de risque maximale.

Son constat est plutôt basique et plein de bon sens. Utiliser une nouvelle fusée à chaque lancement ? Une hérésie économique à ses yeux. Personne n’imagine mettre à la casse un avion après l’avoir fait voler une fois entre Paris et New York ! D’où le développement des fusées réutilisables. La voiture électrique ? C’est bien. Mais pourquoi la voiture devrait-elle être disgracieuse, chère et limitée à une autonomie de quelques dizaines de kilomètres ? D’où le pari des Tesla sportives aux belles lignes, avant d’élargir la gamme. L’énergie ? Pourquoi tout baser sur le pétrole? Un jour, il n’y en aura plus! D’où Solar City qui, grâce à un ingénieux système de panneaux solaires, amène l’électricité jusque dans de petits villages perdus d’Australie. Prendre le train ? Trop long, trop ennuyeux ! D’où la mise en ligne, à la disposition de la communauté scientifico-entrepreneuriale, des plans de l’hyperloop, un train à sustentation magnétique roulant à 1.000 km/heure.

Aventure industrielle

En 2002, c’est donc le coup d’envoi de son aventure industrielle avec la création de SpaceX et, après plusieurs échecs, la mise au point de la fusée Falcon 9 qui réussit son premier vol en 2010, puis de la version réutilisable en 2014, de la capsule habitée Crew Dragon, qui redonne aux États-Unis leur autonomie dans les vols habités en 2020 et ouvre les portes du tourisme orbital. Viennent ensuite le lanceur lourd Starship, choisi par la Nasa pour retourner sur la Lune dans le cadre des missions Artemis, et la constellation géante Starlink pour connecter le monde entier à l’internet haut débit. L’émergence de SpaceX provoque une onde de choc dans une industrie dominée pendant des décennies par un duopole, formé par la fusée européenne Ariane et le lanceur russe Proton. Ce dernier a désormais quasiment disparu des pas de tir. Secouée, Ariane se relance aujourd’hui avec la nouvelle Ariane 6, qui vient de gagner le contrat du siècle avec Amazon pour participer au déploiement de la constellation Kuiper. Mais il aura fallu une douloureuse remise en cause et un changement de méthodes en Europe pour s’adapter et baisser les coûts.

Même montée en puissance dans l’automobile. Après avoir repris Tesla en 2003, congédié ses fondateurs et tout remis à plat, Elon Musk a propulsé cette voiture d’un genre nouveau en pole position. Comment? En optant pour un marketing inventé pour les iPhone et autres tablettes et en ouvrant des magasins ressemblant à des App Stores. Et, sur le plan industriel, en contrôlant tout: la fabrication des moteurs électriques et les packs de batteries dans des Gigafactories et l’assemblage dans des usines géantes très automatisées. La dernière en date a été inaugurée à Austin au Texas début avril 2022, quelques semaines après le premier site européen, installé à côté de Berlin en Allemagne. Comme SpaceX, Tesla n’a mis que quelques années à révolutionner un pan entier de l’industrie mondiale. La marque d’Elon Musk.