Histoire de l’énergie et politique énergétique française.

Source : https://www.planete-energies.com/fr/medias/sagas-des-energies/l-histoire-de-l-energie-en-france. – 20 avr 2015 (modifié et augmenté par l’auteur après 1978)

.           Avec près de 68 millions d'habitants (01 jan 2022) représentant 0,85 % de la population planétaire, la France consomme de l'ordre de 2,5 % de l'approvisionnement énergétique mondial et importe près de la moitié de ses besoins énergétiques. Les conflits du XXe siècle ont profondément souligné sa fragilité. Les deux guerres mondiales furent marquées par un rôle décisif de l'État dans la gestion de l'énergie, avec de grandes nationalisations au lendemain de la Libération. Le premier choc pétrolier de 1973 a conduit le pays à se lancer dans un grand programme électronucléaire afin d'assurer son indépendance énergétique. Mais les moyens financiers et humains mobilisés dans ces programmes se sont faits au détriment du développement des énergies renouvelables, à l'exception de l'énergie hydraulique développée très tôt.

Si les années 2000 ont été caractérisées par un retrait progressif de l'État dans les entreprises énergétiques, il conserve un rôle politique fort dans la maîtrise des prix de l'énergie, devenue un enjeu social, et dans l'avenir de la filière nucléaire. En 2020, l’énergie nucléaire représentait 67% de la production d’électricité (10,1% dans le monde) et 37 % de l’énergie primaire en France, plaçant le pays au premier rang mondial de l’utilisation de l’atome.

Moyen Âge : l’eau, le vent, le bois

.            Jusqu'au Moyen Âge, la force musculaire de l'homme et de l'animal constitue la source principale de l'énergie. Plus tard, les monastères jouent un rôle important dans l'utilisation de l'énergie hydraulique : un moulin à eau vaut alors le travail de cent hommes. Au XIIe siècle, les Croisés revenus du Proche-Orient introduisent le moulin à vent dans les pays côtiers d'Europe (l'Italie, la France, puis l'Espagne et le Portugal). Cette technologie bon marché sert à moudre du grain et du blé, et sera essentielle dans le développement des récoltes à grande échelle. Mais l'énergie de base reste le bois, facile à transporter et principalement utilisé pour le chauffage.

XVIIIe siècle : les prémices de la révolution industrielle

 .            Tandis qu’une grave pénurie de bois en Europe a déjà lancé l’Angleterre dans sa révolution industrielle par une utilisation du couple charbon/vapeur, la France en est toujours à la prospection.

Le XVIIIe siècle sera marqué par la découverte des premières mines de charbon dans le nord de la France et la Lorraine et du tout premier gisement de pétrole : Pechelbronn, en Alsace.

1827 : les débuts du chemin de fer

.            Le premier chemin de fer français est inauguré entre Saint-Étienne et Andrézieux pour transporter la houille entre la mine et le port d'embarquement sur la Loire. Pourtant, en ce début du XIXe siècle, les industriels traditionalistes sont encore réticents à utiliser le charbon comme combustible.

1850-1900 : l’essor de la production charbonnière

.            Il faut attendre les effets combinés d’un développement rapide des chemins de fer et de la navigation à vapeur et de la découverte de nouvelles mines dans le Pas-de-Calais et en Lorraine, pour donner au charbon une véritable impulsion. La production passe de 12 millions de tonnes (Mt) pour une consommation de 18 Mt en 1865 à une production de 40 Mt pour une consommation de 63 Mt en 1913.

1881 : un hommage à l’électricité

.            Le Palais de l'Industrie de Paris accueille la première exposition internationale d'électricité. Le public peut y admirer des innovations telles que la dynamo, l'ampoule électrique, le tramway électrique. L'électricité s'installe progressivement dans le paysage français, d'abord pour des usages de communication (télégraphe électrique), puis pour l'éclairage et les moteurs.

Guerre de 1914-1918 : le pétrole, nerf de la guerre

.            Jusqu’au début du XXe siècle, la France s’accommode très bien de sa dépendance totale en pétrole à l’égard des pays étrangers. Mais la guerre de 14-18 demande l’utilisation massive de moyens de transport à moteur, développés à la fin du XIXe siècle, comme les camions automobiles, l’aviation et l’artillerie de campagne par tracteurs. La France n’ayant pas de pétrole, l’Angleterre pas assez, George Clemenceau est contraint de pousser un cri d’alarme à ses alliés américains en 1917 : « Le pétrole est aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain. » L’utilisation de l’énergie prend alors une dimension politique.

Après-guerre : l’arrivée de l’État dans la gestion de l’énergie

.            Quand bien même la France récupère au traité de San Remo de 1920 la part allemande des pétroles d'Irak, elle connait le début d’une grande préoccupation d’indépendance énergétique, traduite par l'arrivée de l’État dans la gestion de l’énergie, dominée jusque-là par les entrepreneurs. En 1924, est créée la Compagnie Française des Pétroles dont l’objectif premier est de constituer des stocks stratégiques. La loi du 30 mars 1928 est l’une des premières lois sur l’énergie en France. Elle donne un monopole à l’État pour décider de la quantité de pétrole importée en France, des raffineries qui le traitent, de la répartition des carburants sur le territoire national en fonction des besoins, et surtout, fixe ses prix par décret. Cette loi institue en réalité un régime de monopole délégué en disposant que toute entreprise désirant importer du pétrole brut devait bénéficier d'une autorisation préalable octroyée par décret pris en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État.

1939 : le nucléaire, enjeu de défense nationale

.            Le physicien et chimiste français, Frédéric Joliot-Curie, découvre le principe des réactions en chaîne et ses possibles applications dans l’armement. C’est le début d’une course scientifico-militaire en pleine période de guerre. Edouard Daladier, alors président du Conseil des Ministres et ministre de la Défense, décide de protéger ces découvertes sous le sceau secret-défense, mettant le scientifique et sa petite équipe sous l’autorité du ministère de l’Armement. En mai-juin 1940, l’Allemagne envahit la France. Joliot-Curie envoie ses collaborateurs juifs s’exiler en Angleterre avec documents et brevets sous le bras.

18 octobre 1945 : la création du CEA

.            Durant la Seconde Guerre mondiale, les scientifiques français expatriés à Montréal entendent parler du projet Manhattan, vaste programme de recherche mené par les États-Unis avec la participation du Royaume-Uni et du Canada pour produire la première bombe atomique. Au lendemain de la Libération, ils convainquent le général de Gaulle de créer le Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA). Son rôle est de conduire « les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale ».

8 avril 1946 : la naissance le même jour d’EDF et de GDF

.            La nationalisation d’entreprises de production, de transport et de distribution d’énergie électrique fait naître la société Electricité de France (EDF) dans un consensus politique rare. EDF devient la structure principale pour investir dans la reconstruction du pays, moteur du développement industriel. Commencé avant-guerre, le développement de l’hydroélectricité (construction de barrages et extension des lignes électriques) et des centrales thermiques au charbon est accéléré. Le même jour naît la société Gaz de France (GDF), spécialisée dans la distribution et l'exploitation du gaz naturel.

17 mai 1946 : la nationalisation de l’industrie charbonnière

.            La guerre et l'occupation allemande auront profondément ralenti le rythme de la production charbonnière en France. Les occupants exploitent les mines françaises sans le souci de leur entretien et finissent par inonder des puits et détruire une bonne partie des installations. Influencé par le programme du Conseil national de la Résistance, l’État nationalise l’industrie charbonnière et crée l’entreprise Charbonnages de France. Dans un pays à reconstruire et dont les infrastructures (train à vapeur, chauffage) sont encore largement dépendantes du charbon, l’État se lance dans une grande modernisation des installations minières, qu’il mécanise, soutenu par le Parti Communiste et le syndicat CGT.

1956 : les recherches secrètes sur l’arme nucléaire

.            Pierre Mendès France considère que la France doit avoir l’arme atomique, à l’instar de tous les autres pays membres de l’Onu. Il lance alors en catimini un programme de recherche sur la fabrication de la bombe atomique comme arme de dissuasion. C'est sur le site de Marcoule que furent construits, en secret, les premiers réacteurs nucléaires à usage militaire, qui produiront leur premier gramme de plutonium, le 21 juillet 1956. L’usage civil en découle et EDF construit en 1963 sa première centrale nucléaire à Chinon.

1957 : l’exploitation du gaz français

.            Après la découverte d’un gisement à Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques par la Société Nationale des Pétroles d'Aquitaine (l'ancêtre de la société Elf Aquitaine), la France commence à exploiter son gaz naturel en 1957.

1960 : le Plan Jeanneney et le déclin du charbon

.            La relance du charbon d’après-guerre sera de courte durée. La part du charbon dans les besoins énergétiques diminue de près de 50 % avec la montée en puissance du pétrole bon marché qui s'installe dans les consommations. Le pays se lance dans de grands achats de gaz auprès des Pays-Bas, de la Norvège, de l’URSS et de l’Algérie. Jean-Marcel Jeanneney, alors ministre de l'Industrie, présente un plan d'assainissement visant à limiter la production charbonnière. L’État commence à fermer les sites déficitaires, aboutissant aux grandes grèves des mineurs et à des manifestations dans les rues de Paris en mars-avril 1963.

1965 - 1969 : le difficile débat du nucléaire civil

.            La France a vécu une série de traumatismes liés à sa dépendance pétrolière à l’égard des pays étrangers : l’embargo pétrolier qui a suivi le conflit du canal de Suez en 1956, et l’indépendance de l’Algérie – qui détient une grande réserve de pétrole dans le Sahara, en 1962. Ces coups durs la poussent progressivement vers l’énergie nucléaire, au point que les années 1965-1969 sont marquées par un grand débat public, âpre, voire violent, visant à choisir la future filière nucléaire française. Finalement, le pays abandonne sa filière à eau bouillante et adopte le modèle américain des réacteurs à eau pressurisée de Westinghouse, la filière la plus répandue dans le monde actuellement.

1969 : les recherches sur les énergies renouvelables

.            Toujours dans le but d’assurer son indépendance énergétique, la France mise sur la recherche d’énergies renouvelables. À la fin des années 70, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a déjà fait d’énormes progrès dans l’énergie solaire, la chimie des fours solaires et le photovoltaïque, au point d’avoir acquis une certaine avance sur ses voisins européens. Le four solaire d’Odeillo (Font-Romeu, Pyrénées Orientales) est mis en service en 1969. Sa puissance thermique est d'un mégawatt, et il concentre, avec son immense parabole (54m de haut et 48 de large, composée de 63 héliostats –miroirs-) près de 10.000 fois la puissance du soleil pour atteindre jusqu'à 3 300 °C. Mais les bons rendements se font toujours attendre.

1973 : le premier choc pétrolier

.            Un choc pétrolier, conséquence d’une pénurie de pétrole réelle, provoquée ou spéculative, se traduit par un déficit soudain de l'offre par rapport à la demande et donc par un renchérissement brutal du prix du pétrole qui provoque d'importantes perturbations économiques globales. En pleine guerre du Kippour, les 16 et 17 octobre 1973, les pays arabes membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), qui ont déjà commencé à récupérer la maîtrise de leurs ressources par une vague de nationalisations, annoncent un embargo sur les livraisons de pétrole contre les États « qui soutiennent Israël » et le quadruplement du prix du baril (159 l). Ce premier choc pétrolier finit de convaincre de la nécessité d’investir au profit d’une indépendance énergétique. Le monde affrontera ensuite deux autres chocs pétroliers, en 1979-1981 (révolution iranienne et guerre Irak-Iran suite à une agression irakienne) et en 2008 (spéculations intenses). De leur côté, les compagnies pétrolières investissent dans la recherche de gisements dans des endroits plus sûrs politiquement. Le pétrole français verra une éclaircie avec la découverte, par les groupes pétroliers français (Elf et Total) de gisements en mer du Nord, en Indonésie ou encore en Argentine.

1978-2000 : le nucléaire, plutôt que les énergies renouvelables

.            Le second choc pétrolier a provoqué la multiplication du prix du pétrole brut par 2,7 en deux ans et demi. Après cette violente augmentation, le prix du pétrole repart à la baisse dès 1982. À la même époque, l’industrie électronucléaire se structure entre plusieurs acteurs, les réacteurs sont de vrais succès économiques et mobilisent tous les moyens financiers et humains.

Malgré cela, Superphénix (SPX) a été définitivement arrêté, sans aucun critère technique, pour satisfaire aux lobbies écologiste et anti-militariste, en 1997, … après avoir atteint un taux de disponibilité de 95 % en 1996 ! Ce prototype de réacteur à neutrons rapides, avait pourtant l’immense avantage de consommer le nouveau combustible nucléaire au plutonium fabriqué à partir des déchets nucléaires du combustible usé de la filière traditionnelle pressurisée.

Par conséquent, la France abandonne la recherche sur les énergies renouvelables, qui s’avèrent être coûteuses et non rentables. Cet arrêt marque le début d’un profond retard vis-à-vis de ses voisins européens, notamment l’Allemagne.

2000-2008 : face à la mondialisation

.            Dans un monde globalisé, c’est le temps des grandes fusions. Après avoir absorbé la société belge Fina, Total fusionne avec sa soeur française Elf. La fusion des industries électronucléaires Framatome et Cogema crée Areva. Surtout, le pays parachève sa filière nucléaire par la création de ses propres agences de sûreté nucléaire, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Années 2010’s : le déploiement des EnR

.            En 2014, avec son 5ème rapport (depuis 1988), le GIEC alarme plus que jamais sur le dérèglement climatique. Des politiques de transition énergétique sont décidées (plus ou moins concertées) dans l’ensemble des pays développés. En France, avec l’aide de subventions alimentées par des taxes supplémentaires sur le kWh traditionnel, les EnR (Energies renouvelables) se développent : photovoltaïque, éolien, … en plus des nouveaux « vecteurs énergétiques » et des économies d’énergie qui sont encouragés : voiture électrique, hydrogène, constructions BBC, … Mais le déploiement de ces nouvelles « ressources » énergétiques est lent, et de surcroit très marginal au niveau mondial, malgré les gigantesques investissements de la Chine ; ils sont loin de compenser ne serait-ce que la simple augmentation annuelle de la consommation mondiale d’énergie. Effet pervers, ces techniques nouvelles sont très consommatrices de métaux rares et de matières premières nobles, extraites dans des pays pauvres avec une main d’œuvre servile, et dont les processus industriels sont très polluants et objet d’un quasi-monopole chinois.

S’ajoute la mauvaise forme de la filière nucléaire française, pourtant la plus vertueuse écologiquement, dont les désinvestissements politique et idéologique, avec en conséquence la perte d’expérience et de main d’œuvre qualifiée et spécialisée, ont pénalisé pendant deux décennies le développement et la maintenance des installations et rendu problématique la construction des EPR nouvelle génération. La filière nucléaire française s’en sortira démantelée, et EDF fragilisée, ses revenus étant en outre pénalisés par la régulation ARENH qui l’oblige, entre autres, à vendre ses kWh nucléaires à un prix préférentiel, inférieur au prix du marché, à ses concurrents sur le marché français.

24 février 2022 : la guerre d’Ukraine

.            La Russie de Vladimir Poutine décide d'envahir l'Ukraine. Cette guerre et la flambée des prix de l’énergie et des matières premières en résultant, révèlent la grande dépendance des économies européennes au gaz et au pétrole russes. Les embargos obligent à aller à l’encontre des politiques volontaristes de transition énergétique : achat à tout va de gaz naturel liquéfié, en particulier au Qatar, de gaz de schiste américain, voire de pétrole vénézuélien ; réouverture de centrales au lignite en Allemagne ; prolongation des durées de vie de centrales nucléaires, …

Cette diminution (temporaire ?) de l’offre va très probablement conduire à modifier à terme le comportement des consommateurs. Elle pourrait aussi préfigurer, une fois l’offre redevenue « normale » ou sécurisée, une problématique analogue avec la demande croissante des milliards d’Africains et Indiens qui ne manquent pas d’aspirer au niveau de vie des pays développés.