L’art de la calligraphie japonaise
https://universdujapon.com – 26 jan 2021
. L’art traditionnel de la calligraphie japonaise ou shodo « la voie de l’écriture » est plus qu’une simple écriture, une véritable philosophie au Japon. On ne peut être insensible devant la beauté de cet art japonais transmis de génération en génération. Il s’agit de tracer soigneusement des caractères élégants à l’encre de Chine avec un pinceau. C’est une discipline à la fois culturelle, décorative et spirituelle qui vise à obtenir l’harmonie entre le corps et l’esprit.
Shodo, la voie de l’écriture
Au Japon, l’art est considéré comme une véritable ascension spirituelle. Ainsi, tout comme l’Ikebana, la voie des fleurs, ou les arts martiaux, le shodo est une façon d’améliorer sa concentration, de se connecter avec soi-même et d’affûter son esprit, tout en recherchant le parfait équilibre.
En japonais, Sho signifie « écrire » et dô « la voie ». Les calligraphes au Japon sont appelés shodoka ou shoka. La voie de l’écriture nécessite un long apprentissage et beaucoup de pratique pour devenir un grand maître.
La pression du trait, la justesse du tracé, des lignes, des courbes et des points sont les détails qui font de cette discipline une véritable œuvre d’art. La posture, la tenue du pinceau et les mouvements sont particulièrement codifiés. Le geste se veut précis et parfaitement maîtrisé.
D’autre part, les idéogrammes véhiculent une énergie vitale nommée « Ki ». Plus qu’un moyen de communiquer ou de décorer son intérieur, la calligraphie japonaise est un art sacré au Pays du Soleil Levant.
Les origines de la calligraphie au Japon
Si les idéogrammes de la langue chinoise sont apparus il y a environ 3.000 ans, l’histoire de la calligraphie japonaise n’a commencé que vers le 6e siècle avec l’arrivée du bouddhisme et du confucianisme.
L’archipel ne disposant pas de système d’écriture natif, les caractères chinois (sinogrammes) étaient repris pour former les kanji (idéogrammes de la langue japonaise). Vers le 7e siècle, les moines étaient envoyés en Chine pour s’imprégner des pratiques religieuses locales dont faisait partie la calligraphie chinoise. Ainsi, petit à petit, l’art de la calligraphie s’est importé au Japon donnant vie aux textes bouddhistes, à la poésie et à la littérature. Il s’inspirait principalement des œuvres chinoises et du style kaisho.
A cette époque, trois calligraphes se distinguent et constituent le célèbre groupe Sanpitsu (les 3 pinceaux) : l’empereur Saga, le fondateur de l’école bouddhiste Shingon nommé Kukai et Tachibana no Hayanari.
Ce n’est qu’à la fin du 9e siècle que cet art japonais commence à prendre son envol. Basé sur l’esthétisme nippon, le Pays du Soleil Levant crée son propre style de calligraphie.
Estampes de Chobunsai Eishi (1756-1829) issues de la série "Six beautés des maisons vertes comparées aux six poètes immortels" (1794-1795)
La langue japonaise écrite se développe avec l’introduction des alphabets syllabiques nippons ou kanas. Les hiragana sont employés en tant que morphèmes grammaticaux et pour certains mots japonais, alors que les katakana retranscrivent des termes étrangers. Ces caractères sont très utilisés par les femmes de la Cour impériale à l’ère Heian (794-1185) avant d’être adoptés plus tard par les hommes.
Parmi les grandes dames qui développèrent la littérature japonaise, on peut citer les célèbres autrices Sei Shonagon et Murasaki Shikibu. A noter qu’autour du 10e siècle, la calligraphie est réservée à l’aristocratie japonaise. Elle est étudiée par les lettrés de la Cour et les samouraïs.
A l’époque de Kamakura (1185–1333), les moines bouddhistes zen prodiguent une forte influence au Japon. Ils inventent le style bokuseki (« trace d'encre ») en s’inspirant des dynasties Song et Yuan qui régnaient en Chine. Il s’agit d’une forme d’art qui représente l’état d’esprit du calligraphe au moment de son œuvre sous la pratique de la méditation zazen. (de za signifie « assis » et zen « méditation », désigne à la fois la pratique de la méditation du bouddhisme zen et la posture assise qui l'accompagne).
Plus tard, la calligraphie japonaise n’est plus réservée uniquement à la noblesse et s’étend aux commerçants. Elle s’impose comme décor lors de la cérémonie du thé pour inviter l’esprit à la méditation. La voie de la belle écriture est également inculquée aux geisha au même titre que les danses traditionnelles, la littérature, la poésie ou la composition florale.
Les différentes catégories de la calligraphie japonaise
Les premiers pictogrammes utilisés en calligraphie sont les caractères chinois (kanji au Japon). Ils servaient à écrire les textes sacrés du bouddhisme qui inspirent toujours les calligraphes d’aujourd’hui.
▪ Le daijisho
Ce genre consiste à représenter un ou deux kanji mis en valeur graphiquement en modulant les traits, les gestes et la pression du pinceau.
▪ Les kanas
Ces syllabaires japonais sont des kanji simplifiés, utilisés pour leur phonétique. Ils servent principalement à l’écriture de poèmes ou de haikhu (forme de poésie très concise, en 17 temps (onji), et 3 vers (5-7-5), permettant de noter les émotions, le moment qui passe et qui émerveille ou qui étonne).
▪ Le kindai shibunsho
Il s’agit d’un mixte de kanji et de kana créé pour faciliter la compréhension des anciens textes. Les poèmes modernes sont souvent écrits dans le style kindai shibunsho. On retrouve également cette forme de calligraphie pour retranscrire des textes étrangers.
▪ Le zen eisho
C’est la forme abstraite de la calligraphie apparue dans les années 50. L’artiste s’exprime librement et crée de véritables œuvres d’art sans se préoccuper des conventions habituelles.
▪ Le tenkoku
La gravure sur sceau qui servait à authentifier les documents autrefois est devenue un art à partir du 14e siècle. Ainsi, le tenkoku consiste à graver sur une pierre des pictogrammes chinois afin d’imprimer une empreinte de couleur rouge vermillon.
Les styles de calligraphies au Japon
D’autre part, la calligraphie japonaise connaît 5 principaux styles, tous issus de Chine. Les différentes formes d’écritures vont de pair avec le matériel de l’époque.
▪ Le tensho
Il est apparu sous la dynastie Qin avant l’invention du papier. Le grand sceau ou grand style sigillaire provient des écritures archaïques sur os, écailles ou bronze. Le petit sceau est la forme de l’écriture officielle de l’époque. Le stylet utilisé pour graver les caractères donne un aspect fin et régulier aux tracés.
▪ Le reisho
C’est une écriture inventée pour faciliter le travail des fonctionnaires de l’état et des scribes. On reconnaît ce style par son tracé légèrement ondulé (queue d’oiseau).
▪ Le shosho
C’est la forme d’écriture populaire. Les traits sont simplifiés, néanmoins, ce style cursif est considéré comme le plus compliqué à maîtriser en calligraphie. Il est employé dans l’art abstrait et le zen qui reflète l’énergie de l’auteur.
▪ Le gyosho
C’est une écriture semi-cursive née à la dynastie Han sous le pinceau de Liu De-Sheng avant d’être reprise par un grand calligraphe chinois (Wang Xizhi). Le gyosho est très utilisé pour l’écriture manuscrite. Dans ce style, le pinceau de l’artiste ne quitte pas le papier.
▪ Le kaisho
Il est apparu sous la dynastie Wei et Jin pour permettre une écriture particulièrement lisible répondant aux besoins du pouvoir de l’époque. Les signes sont détachés et ressemblent fortement aux caractères d’imprimerie afin de faciliter la lecture. C’est le style le plus favorable pour débuter la calligraphie.
Les outils nécessaires à la calligraphie japonaise
Le papier, le pinceau, le bâton d’encre ou l’encre liquide et la pierre à encre sont les des 4 trésors du lettré.
- Fude : Il s’agit du pinceau japonais composé d’un manche en bois de bambou et d’une brosse, dont la longueur ou la taille sont variables (pointe fine, poils longs, souples, rigides…)
- Sumi : L’encre de Chine est un mélange de suie issue de bois résineux brulés, d’huiles végétales et de colle. On la trouve sous forme liquide ou de bâtonnet (sumi) créé à la main à partir d’encre séchée. Il suffit de frotter le bâtonnet avec de l’eau pour obtenir une encre liquide de pigment noir ou parfois coloré selon le type de bois utilisé pour sa fabrication.
- Suzuri : La pierre à encre sert à frotter le bâtonnet pour la préparation de l’encre liquide. Elle est souvent en ardoise. C’est le contenant où l’on trempe le pinceau.
- Hanshi : Il s’agit des fines feuilles de papier conçues de manière artisanale au format 25x35. Contrairement à la Chine, il ne s’agit pas de papier de riz, mais de fibres de mûrier.
En plus de ces 4 outils de calligraphie, on prévoira un presse-papier et un sous-main.
La calligraphie et la philosophie zen
Le zen est une branche du bouddhisme qui utilise la méditation pour éveiller l’esprit et notamment la posture zazen. La calligraphie japonaise s’inspire de la philosophie zen puisqu’elle constitue un véritable lien entre le corps et l’esprit.
Tout d’abord, la maîtrise de la respiration est un élément essentiel pour obtenir un geste harmonieux. Le souffle est à l’origine de l’énergie ki qui s’exprime dans le coup de pinceau. Une respiration profonde va donner un tracé plus ample. Ensuite, la méditation zen permet de faire le vide dans son esprit pour que chaque calligraphie soit l’essence même du cœur et non de la pensée, tout en mettant de côté le désir de perfection.
Enfin, pour obtenir une véritable calligraphie zen, il faut respecter 4 principes fondamentaux :
▪ L’harmonie de la composition
L’harmonie et l’équilibre sont essentiels pour réaliser une œuvre de qualité. Ainsi, la maîtrise de l’espace et des règles de composition sont des bases en calligraphie japonaise.
▪ L’équilibre des forces
On va également rechercher à varier les épaisseurs des tracés. Les lignes courbes sont plus légères et fluides alors que les lignes droites sont plus marquées.
▪ Le reflet du moment présent
Une œuvre se réalise en une seule séance. Elle retranscrit l’énergie et l’émotion de l’artiste à l’instant t. Ici, il n’est pas question de reprendre plus tard une composition. Tout ce qui est commencé doit être achevé.
▪ La révélation du ki
C’est la force vitale qui rend la calligraphie si belle. Sans ki, les dessins n’ont pas d’âme. Avant de peindre les caractères, l’artiste doit se concentrer sur sa respiration et sur le moment présent. Puis, projeter l’énergie ressentie à travers son geste de pinceau.