Les passages maritimes,
Géopolitique, stratégie, commerce, influence
. Un détroit est un passage maritime exigu entre deux terres faisant communiquer deux mers. Il a une configuration identique à celle du canal mais s'en distingue car il est naturel, alors que le canal est artificiel. C'est, au même titre que l'isthme ou le canal, un axe à la fois stratégique et structurant des échanges maritimes mondiaux. Cet espace particulier et complexe de l'interface maritime et terrestre est devenu un enjeu majeur au XXe siècle avec la volonté des États riverains de se projeter de plus en plus loin vers le large et d'étatiser les espaces maritimes.
. Qu’il s’agisse du détroit d’Ormuz, de Malacca, ou encore des canaux de Suez ou Panama, les passages maritimes constituent des zones stratégiques de première importance, qui ont un impact considérable sur les relations internationales.
Unir deux mers, deux océans, relève d'un projet prométhéen, qui renvoie l'Homme à son éternelle volonté de dompter la nature. Car déplacer l'eau, la faire sortir de son lit naturel, est un enjeu de survie : on retrouve les premières traces de canaux dès le Néolithique. L'humanité commencera par aménager les berges, détourner les cours d'eaux, avant de s'attaquer à des projets de plus en plus pharaoniques, parmi lesquels les barrages mais également les canaux, ou rivières artificielles.
La concentration du trafic maritime international dans les détroits, véritable "portes océanes" se renforce avec la "maritimisation" de l'économie mondiale. Le trafic maritime mondial augmente fortement avec la mondialisation des échanges. La forte croissance des échanges des biens manufacturés se traduit fatalement par l'essor du transport de conteneurs. Points de passage obligés, les détroits concentrent ces flux toujours croissants et constituent des maillons sensibles des routes maritimes.
Le transport maritime,
fleuron de la mondialisation.
. Cap sur les mers et océans à bord d'un navire-cargo, ces monstres des mers qui sillonnent le globe avec à bord des marchandises de toutes sortes : des vêtements aux fruits et légumes, des produits réfrigérés ou congelés, en passant par le matériel informatique, … jusqu'aux déchets ! Emblèmes de la mondialisation, ils ont mis le "monde en boîtes" et rapproché les continents. Le navire-cargo est le fleuron incontournable de la vitalité économique des multinationales, le vecteur indispensable des échanges de toutes sortes.
« Qui tient la mer tient le commerce du monde, qui tient le commerce tient la richesse, qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même. » disait l’explorateur et navigateur anglais Walter Raleigh (mort en 1618) dans son Histoire du monde, le récit inachevé de ses voyages.
. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en 1950, alors que le plan Marshall était déjà effectif, on transportait un peu plus de 500 millions de tonnes de marchandises par voie maritime. Aujourd’hui, plus de 10 milliards de tonnes transitent chaque année par la mer ! On parle beaucoup de « l’économie dématérialisée », mais jamais l’économie internationale n’a autant reposé sur des flux physiques et des biens matériels. Et c’est le transport maritime qui permet ces flux considérables : 80 à 90 % en volume du transport de marchandises à l’échelle internationale se fait par la voie maritime.
. Le transport maritime est l’un des reflets de la mondialisation, un formidable thermomètre des fluctuations économiques et fatalement aussi le reflet des déséquilibres territoriaux et économiques que ces systèmes engendrent. La régulation et le contrôle des flux de navires est plus que jamais un enjeu stratégique majeur, aussi bien commercial que sécuritaire.
Les données satellites, actualisées en temps réel, permettent de suivre 120.000 cargos et pétroliers, tout comme l’activité des 1.378 principaux ports des cinq continents, sans compter les 13 goulots d’étranglement (choke points), tels les canaux de Suez et de Panama. De quoi couvrir 99 % du commerce maritime mondial, dont les flux représentent 14.000 milliards de dollars par an.
Simulation du trafic maritime par le réseau de satellites exactEarth. Chacun des 130.000 navires emporte sa balise d'identification. Photo © ExactEarth
Carte des routes maritimes mondiales. On note l'importance du trafic passant par le canal de Suez et le canal de Panama. Les glaces et la politique de régulation de la Russie limitent actuellement fortement le trafic maritime dans l'océan Arctique. © B.S. Halpern (T. Hengl ; D. Groll), Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0
Le fait maritime, c’est l’immensité des océans en réalité réduite à une série de quelques caps, détroits, canaux qui forment des goulets d’étranglement, et donc des positions stratégiques. Or, ces quelques points sur la route du commerce mondial sont de plus en plus nombreux à poser des difficultés.
Le canal de Panama, affecté par la sécheresse, rationne ses droits de traversée, et ne laisse passer que les deux tiers du trafic habituel entre l’Atlantique et le Pacifique. Le reste passe par le cap Horn. Le conflit au Proche-Orient fait craindre une escalade régionale. Au point de dégénérer au niveau du détroit d’Ormuz, stratégique pour l’approvisionnement de l’Asie et de l’Europe en pétrole et en gaz. À l’Est, les tensions en mer de Chine dans l’Indo-Pacifique sont de plus en plus fortes. Chaque jour, Pékin y revendique une influence plus grande, au risque d’un incident majeur avec une autre puissance navale.
À l’échelle planétaire, le nombre de mers jugées peu sûres augmente : la liste du Joint War Committee, qui fait foi dans l’assurance maritime, a récemment été allongée avec la mer Noire et la mer d’Azov, puis les eaux du Guyana, et maintenant une part significative de la mer Rouge.
Il faut en effet noter que les attaques houthistes qui visent les navires au large des côtes du Yémen ayant des liens avec Israël (nov-déc 2023), témoignent également d’une contestation très contemporaine de l’ordre mondial, déstabilisante pour les acteurs traditionnels du commerce. Un acteur non étatique, doté de moyens militaires comparables à ceux d’un (petit) État, parvient ainsi, en s’appuyant sur une communication bien léchée déployée sur les réseaux sociaux, à déstabiliser les échanges internationaux et à semer l’inquiétude.