Le canal des Pharaons
Son histoire ancienne
Les pharaons avaient leur canal qui a disparu au fil des siècles. Peu de sources subsistent, mais dès l'Egypte antique, vers 1850 av. J.-C., selon Aristote, le pharaon Sésostris III aurait ainsi fait creuser un canal permettant de relier la mer Rouge au Nil, et donc à la Méditerranée pour commercer avec le pays de Pount, « le pays du dieu ». A la localisation encore incertaine, des confins de l’Érythrée et du Soudan au nord de la Somalie, ce premier projet donna naissance, à l’occasion, à une voie d’irrigation. Régulièrement ensablé, le canal sera restauré à plusieurs reprises par différents pharaons, en particulier, un millénaire plus tard, par Néchao II. Il connaîtra ensuite une alternance de périodes d’entretien et d’abandon jusqu’à son arrêt définitif au VIIIème siècle av J.-C.
Durant l’occupation perse et le règne de Darius Ier, de -521 à -486, il est recreusé. Puis Ptolémée II Philadelphe, roi d’Egypte de -283 à -246, va l’élargir et permettre aux eaux du Nil et de la mer Rouge de se rejoindre.
Plus tard, appelé "fleuve de Trajan", il fut très utilisé par les Romains dans le commerce maritime avec le monde arabe, les Indes et la Chine. A la chute de l’Empire romain, le canal est délaissé, ensablé et presque détruit. Il sera restauré en 639 par le gouverneur d’Égypte Amr ibn al-As, qui s’en sert pour ravitailler les villes saintes de La Mecque et de Médine et permettre aux Arabes de conquérir l'Égypte. Au VIII° siècle, pour isoler Médine qui, se révolte contre Abou Djafar al-Mansûr, calife abbasside de 754 à 755, fondateur de Bagdad, celui-ci ordonne de faire combler le canal, qui disparaît sous des tonnes de sable.
Huit cents ans plus tard, le sultan ottoman Murad III (1546-1595) envisagea de lancer un chantier de reconstruction, mais y renonça faute de moyens.
Lorsque, entre 1789 et 1801, lors de sa campagne d'Egypte, Napoléon Bonaparte envisage de percer à son tour l'isthme de Suez, il charge Le Père, l'un de ses ingénieurs, de vérifier l'existence de ces anciennes voies d'eau et d’étudier un canal équipé d’écluses entre Péluse et Suez. En effet, on pense alors que le niveau de la mer Rouge est supérieur de dix mètres à celui de la Méditerranée. Trait d'union entre l'Occident et l'Orient, la perspective de ce canal devient un enjeu stratégique convoité.
Sa construction
Au XIXème siècle, les Britanniques aménagent un itinéraire terrestre entre Suez et Le Caire pour raccorder les lignes maritimes de Méditerranée et de l’océan Indien. Cette Overland Route est pourvue d’un service de diligences.
En France, le courant saint-simonien, pour qui le progrès technique est facteur de progrès humain, donc favorable au développement industriel, voit dans un canal à Suez un moyen de réunir l’Orient et l’Occident. Prosper Enfantin, dit « le Père Enfantin », l’un des principaux chefs de file du mouvement saint-simonien crée en 1846 une Société d’études du canal de Suez. Le français Ferdinand de Lesseps nommé vice-consul en 1832, puis consul général à Alexandrie, en 1835, reprend ces projets à son profit. Lesseps se prend de passion pour le creusement de ce qu’on appelait alors le « Canal des deux mers », qui fait l’objet de plusieurs variantes. Ce fils de diplomate se liera lié d’amitié avec Méhémet-Ali, alors vice-roi d’Egypte, province ottomane indépendante, au point que ce dernier lui confie l’éducation d’un de ses fils, Saïd.
Le français Ferdinand de Lesseps est nommé vice-consul en 1832, puis consul général à Alexandrie, en 1835, Dès cette époque, adepte des idées du philosophe Saint-Simon (1760-1825) pour qui le progrès technique est facteur de progrès humain, Lesseps se prend de passion pour le creusement de ce qu’on appelait alors le « Canal des deux mers », qui fait l’objet de plusieurs projets. Ce fils de diplomate s’est lié d’amitié avec Méhémet-Ali, alors vice-roi d’Egypte, province ottomane indépendante, au point que ce dernier lui confie l’éducation d’un de ses fils, Saïd.
En 1854, Saïd Pacha devient gouverneur de l'Egypte. De grande culture occidentale, il appelle l’entrepreneur Ferdinand de Lesseps. Le 7 novembre de cette même année, celui-ci débarque à Alexandrie et présente un mémoire sur le canal de Suez qu’il fait traduire en arabe. C’est alors tout naturellement que Said, par un accord verbal de concession le 30 novembre 1854, donne à « son ami Ferdinand de Lesseps » le pouvoir de constituer une compagnie « pour le percement de l’isthme de Suez et l’exploitation pendant 99 ans d’un canal entre les deux mers ».
Mais Lesseps n’est pas au bout de ses peines. Quatre ans vont s’écouler avant le premier coup de pioche ! Deux alliés font en effet tout pour faire capoter le projet : les empires ottoman et britannique. Le sultan Abdul-Medjid a d’abord toutes les raisons d’être vexé : son vassal, le vice-roi d’Egypte, a autorisé le creusement du canal sans son accord express. Le Turc conteste donc la valeur de son édit (ou firman). La Grande-Bretagne, qui a jusqu'ici privilégié le développement d'un réseau ferré, agit, elle, en sous-main pour empêcher la présence de la France dans cette région stratégique sur la route des Indes. S’ajoute l’inconnue financière : Lesseps n’a pas un sou et doit faire appel à l’épargne universelle.
Diagramme du Canal de Suez dessiné en 1869.• Crédits : "Appleton's Journal of Popular Literature, Science, and Art"
Ferdinand de Lesseps crée donc la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, dont l’Égypte détient 44 % des parts. Les 400.000 actions mises sur le marché en novembre 1858 au prix de 500 francs trouvent preneur en quelques jours parmi les petits porteurs français qui en achètent la moitié, le reste revenant en partie à des actionnaires britanniques. La Compagnie est créée le 15 décembre 1858.
En 1959, elle deviendra la Banque de Suez après la nationalisation du Canal, puis, en 1975, la Banque Indosuez issue de la fusion de la Banque de l’Indochine (créée en 1875) et de la Banque de Suez et de l’Union des Mines, avant d’entrer dans le groupe Crédit Agricole en 1996.
Des études de nivellement ont révélé que la différence de niveau entre les deux mers est en réalité négligeable ; le premier coup de pioche est donné 25 avril 1859 dans la ville de "Péluse" (actuellement Tell el-Farama, à Port-Saïd). Il faut recourir à la corvée pour réunir plusieurs milliers de terrassiers qui doivent dégager la vase du lac Menzaleh. Dès le mois de juin, encouragé par les Britanniques qui prennent prétexte de la corvée pour s’opposer au canal, le sultan ottoman Abdul-Medjid ordonne la suspension des travaux. L’arbitrage de Napoléon III amène la suppression de la corvée en échange d’une indemnité pour la Compagnie qui devra recruter des ouvriers étrangers et s’équiper en dragues à vapeur pour déblayer le tracé du canal.
Le dragage des sols reprend près du lac Menzaleh, au milieu d’une terre aride où doivent s’élever sur la côte méditerranéenne Port-Saïd, ainsi nommé en l’honneur du vice-roi d’Egypte et, à mi-parcours entre les deux mers, Ismaïlia, sur le lac Timsah.. Flatté, Saïd aide son suzerain en fournissant 10.000 hommes … de corvée, auxquels s’ajoutent des travailleurs libres recrutés dans les villages, payés 40 centimes le mètre cube déblayé.
Au total, 25 000 ouvriers fellahs arrachés à leurs terres peinent journellement sur les flancs du futur canal. Soumis à la « corvée », les travailleurs souffrent sous le coup des fortes chaleurs et des épidémies, pour creuser en plein désert ce trait d’union entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.
Les ouvriers creusant à l’aide d’outils rudimentaires la terre argileuse sur le chantier du canal, qui a commencé en 1859 pour s’achever en 1869. La vie de milliers d’hommes a été sacrifiée à ce projet.
A la mort de Saïd en 1863, le nouveau vice-roi Ismaïl Pacha, plus enclin que son prédécesseur à obéir aux Turcs, exige la rétrocession des terrains concédés par son prédécesseur. Deux ans de procès et de négociations s’ensuivent, aggravés par les manoeuvres dilatoires du Foreign Office. En avril 1865, un compromis est en vue : la Compagnie de Suez rendra les terrains et ne fera plus appel à la corvée, moyennant une indemnité et la conservation de 10.000 hectares pour l’exploitation du canal maritime. Las ! En juin de la même année, le chantier doit faire face à une épidémie de choléra qui décime 200 personnes, dont un des fils de Lesseps.
Pour couronner le tout, le manque d’argent oblige le Français à se lancer dans une tournée de conférences épuisantes pour convaincre des actionnaires désormais frileux. Car si la compagnie génère un modeste revenu en faisant transiter des petits navires par le canal qui sert à alimenter le chantier en eau douce, les gains sont loin de couvrir les dépenses colossales. Les catastrophes se sont enchaînées. La dernière en date : la présence d’un banc rocheux qui réduit la profondeur au kilomètre 93 et interdit la traversée aux gros tonnages. L’info s’ébruite : de 600 francs, l’action de la compagnie s’effondre à 300 !
Malgré tout, le canal, d'une longueur de 175 km, 52 mètres de large et 14 mètres de profondeur est achevé en 1869, dix ans après le début des travaux. Près de 1,5 million d'égyptiens, mettant en œuvre de nouvelles méthodes de terrassement, de percement, de remblaiement, d'élargissement …, ont participé à ce chantier, dont la propriété est partagée entre l'Egypte et la France.
Le rêve pluri-centenaire de relier la Méditerranée à l’Asie par la mer Rouge sans contourner l’Afrique est enfin réalisé. Le voyage de Londres à Bombay prend 40 jours par Suez au lieu de 4 mois en contournant l’Afrique. A l’entrée du canal, Auguste Bartholdi propose un phare : L’Egypte éclairant l’Orient. Le projet n’est pas retenu mais Bartholdi réutilisera l’esquisse pour une autre statue monumentale : la statue de la Liberté à New York. Le canal bouleverse les voies maritimes, mais aussi, constatation plus tardive, la zoologie : les poissons lessepsiens passent d’une mer à l’autre par le canal.
Du 17 au 20 novembre 1869, le canal de Suez est inauguré en grande pompe sur fond de rivalités entre les Britanniques et les Français. A Ismaïlia, la ville-champignon qui a poussé à l’entrée du canal (tout comme Port-Saïd sur la Méditerranée, ainsi nommée en l'honneur du khédiv, et Suez sur la mer Rouge), on fait un triomphe au « Français Lesseps ». Les festivités sont présidées par l’impératrice Eugénie. Elle vogue sur le navire l’Aigle qu’accompagnent une cinquantaine de yachts bourrés de têtes couronnées : l’émir Abl el-Khader, l’empereur d’Autriche François-Joseph, le prince et la princesse des Pays- Bas … Un bal avec 5.000 personnes a été organisé, accompagné d’un dîner préparé par 500 cuisiniers venus d’Europe. Furieuse, la Grande-Bretagne a boudé les cérémonies en ne s’y faisant représenter par aucun membre de sa dynastie.
Pour l’occasion, le khédive égyptien, Ismaïl Pacha a commandé l’opéra Aïda à Giuseppe Verdi. Il a été représenté pour la première fois, le 24 décembre 1871, au nouvel opéra du Caire, construit pour l'occasion. Verdi estimant que le public ne serait pas populaire (pas d’Égyptiens) et allait être constitué par une sorte d'aristocratie à l'allure mondaine n’y participa pas ! Le théâtre avait été inauguré le 1er novembre 1869, par une représentation de Rigoletto.
La cérémonie d’ouverture du canal de Suez, le 17 novembre 1869, à Port-Saïd, en Égypte.
Son histoire moderne
L’Égypte, surendettée, fait banqueroute en 1875. Les Britanniques qui disposent d’une série de bases sur la route des Indes : Gibraltar, Malte, Chypre, Aden, … rachètent en 1875 la part du khédive dans la Compagnie du canal (44 % des actions), au prix d’aubaine de 4 millions de livres, soit dix fois moins que leur valeur réelle ! Par cet incroyable tour de passe-passe orchestré par le Premier ministre Disraeli, le canal de Suez, financé en partie par les actionnaires français et dont l’Etat britannique a tout fait pour entraver le percement … devient sa propriété à vil prix ! Puis ils interviendront militairement en 1882, prenant le contrôle du canal et des finances de l’Egypte, la dette du khédive ayant pris des proportions colossales. Pour tenter de clarifier la situation, la convention de Constantinople affirmera le 29 octobre 1888 la neutralité du canal, déclaré "libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon". Enjeu stratégique, le canal sera menacé par une attaque ottomane en 1915.
La zone du canal représente un territoire à part en Egypte par sa forte présence étrangère. Beaucoup d’innovations technologiques ou culturelles ont leur première occurrence égyptienne dans la région du canal : le premier syndicat d’Egypte avait été fondé dans l’isthme en 1893. Le trafic du canal augmente, nécessitant des agrandissements. Le fret évolue et s’oriente vers le transport des hydrocarbures du Golfe par pétrolier. Une raffinerie Shell est ouverte à Suez en 1919. La même année, une grande grève agite les ouvriers du canal ; les Egyptiens commencent à en réclamer le contrôle.
Le roi Fouad Ier meurt en 1936 et Farouk lui succède le 28 avril. Alarmé par l’invasion de l'Éthiopie par l'Italie fasciste le 05 mai 1936, il accepte de signer le traité anglo-égyptien le 26 août 1936. L’Egypte qui depuis 1922 était un royaume avec une autonomie limitée accède ainsi à une quasi-indépendance. Il fut ainsi établi que les Britanniques, qui avaient stoppé à El Alamein une offensive allemande en direction du canal et qui disposaient de bases militaires dans la zone, évacuerait toutes les troupes britanniques présentes sur le sol égyptien, en juin 1956, à l'exception des 10.000 hommes nécessaires à la protection du canal de Suez et de ses rives, quand bien même il était administré par une compagnie française.
Après l’indépendance de l’Egypte, le 18 juin 1953, le deuxième président de la république égyptienne Gamal Abdel Nasser, nationalise, le 26 juillet 1956, le canal symbole de la fierté nationale retrouvée. Le Royaume-Uni, la France et Israël s'estiment floués : nombre de leurs ressortissants étaient actionnaires de ce canal. Trois mois plus tard, les trois nations lancent conjointement une opération militaire baptisée "Opération mousquetaire", officiellement pour s’interposer entre Egyptiens et Israéliens qui ont envahi le Sinaï, dans l'espoir de récupérer le Canal de Suez. Mais, sans le soutien, voire l’opposition, des États-Unis, de l’URSS et de l’ONU, elle se solde par un échec. Un accord est signé à Genève en 1958 pour régler la question : l’Egypte garde le canal tandis que les avoirs de la Compagnie hors d’Egypte forment la Compagnie financière de Suez.
En juillet 1956, l’Égypte fête le général Nasser, qui vient d’annoncer la nationalisation du canal et la mise sous séquestre des biens de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez fondée par Ferdinand de Lesseps.
Une dizaine d’années plus tard, après que l’Égypte eut décrété le blocus des navires israéliens dans le détroit de Tiran, Israël menacé par une coalition d’Etats arabes, frappe en premier. Le canal, fermé, devient une frontière fortifiée : la ligne Bar Lev. C’est la guerre des Six-Jours (05 / 10 juin 1967), au terme de laquelle l’armée israélienne occupe, dans le Sinaï, sa rive orientale. L’armée égyptienne tentera la reconquête, avant de rebrousser chemin, lors de la guerre du Kippour (06 / 24 oct. 1973). Mais, sous la pression internationale, les Israéliens contraints de négocier vont se retirer peu à peu du Sinaï. Le canal est libre pour la navigation !
Cependant 14 navires de différentes nationalités sont pris au piège sur le Grand Lac Amer que traverse le canal. Une immobilité forcée qui a vu les bateaux se couvrir du sable apporté par le vent et vaudra à cette armada le surnom de "flotte jaune". Il faut le déminer et le réparer. De nouveau, les navires doivent contourner l’Afrique. En même temps, leur taille s’accroît considérablement pour rentabiliser le transport. Les travaux seront donc mis à profit pour l’élargir. Les ports sont réaménagés, et un oléoduc construit entre Suez et Alexandrie pour permettre aux pétroliers de traverser le canal à vide. La navigation est redevenue possible en 1975.
Carrefour stratégique, tant sur le plan militaire que politique et économique, le canal revient sur le devant de la scène en 2015, quand le président al-Sissi lance un chantier titanesque pour doubler sa capacité de navigation. Une nouvelle voie, longue de 72 kilomètres, large de 320 mètres et profonde de 24 mètres est créée. Grâce à elle, le temps de traversée passe de 24 à 12 heures.
Le porte-avions américain «USS Dwight D. Eisenhower » sur le canal de Suez, zone hautement stratégique sur le plan militaire.
Suez, un canal irremplaçable ?
A sa construction au milieu du XIXe siècle, le canal de Suez constitue un exploit technique et une hypothèse sur l’essor de la navigation à vapeur entre la Méditerranée et la mer Rouge. Le canal est en fait un pari d'envergure : il est avant tout pensé pour les navires à moteur alors que seulement 5 % des bateaux fonctionnent alors à la vapeur.
Aujourd'hui, sa longueur est de 162 km, entre Port Saïd (côté Méditerranée) et Suez (côté Mer Rouge) et 193 km en tenant compte des chenaux d'accès, sa largeur entre 280 et 345 mètres (navigable entre 150 et 260 m) et sa profondeur de 22,5 mètres (navigable de 14,5 à 23,5 m). Ce canal à niveau (sans écluse) relie donc la Méditerranée à l'isthme de Suez en passant par trois lacs naturels. La vitesse de transit est de 6 à 9 noeuds (11 à 16 km/h) et la durée de transit varie de 12 à 16 h, en tenant compte des temps de mouillage pour le croisement des convois.
La route entre l'Europe du Nord et l'Asie est ainsi raccourcie d'environ 4.300 milles (soit 7.000 km) en épargnant aux navires le contournement de l'Afrique au large du Cap de Bonne-Espérance. Ce gain se traduit par une réduction du temps de navigation sur la totalité de la route de l’ordre de 7 à 8 jours pour un porte-conteneur ou un pétrolier géant, dont la vitesse moyenne est de 25 noeuds (25 milles/h, 40 km/h).
Le canal est devenu une route maritime commerciale incontournable. : les trois quarts des marchandises échangées entre l’Europe et l’Asie l’empruntent et il concentre de 10% à 12% du commerce maritime international. Le tonnage transporté entre 1980 et 2017 a presque été multiplié par quatre, bien que le nombre de navires ait légèrement diminué. Selon les statistiques de navigation de l'Autorité du canal de Suez, 18.880 navires, d'un tonnage total de 1,2 milliard de tonnes, ont franchi le canal en 2019 (25.000 en 2022), dont 5.163 pétroliers (240 millions de tonnes), 750 navires GNL (85 millions de tonnes), 4.200 vraquiers (160 millions de tonnes), 1.499 transporteurs de marchandises diverses (17 millions de tonnes), 5.375 porte-conteneurs (635 millions de tonnes), 222 navires Ro-Ro (6,5 millions de tonnes), 881 transporteurs de voitures (56 millions de tonnes), 105 navires à passagers (5,5 millions de tonnes) et 685 autres navires divers (4,5 millions de tonnes). Ainsi, les porte-conteneurs (30% du volume mondial des conteneurs maritimes), les pétroliers et les vraquiers ont représenté la majeure partie des navires ayant franchi le canal de Suez en 2019. En mer Rouge, débouché du canal vers l’océan indien, circulent chaque année l’équivalent de 2.400 milliards de dollars de marchandises, ainsi que, chaque jour de 2023, 8,8 millions de barils de brut (450 millions de tonnes par an).
En moyenne, le ticket de transit par le canal de Suez est estimé à 420.000 euros, faisant tout de même économiser environ 200.000 euros par voyage, et l’Autorité du canal de Suez a rapporté en 2022 à l’Etat égyptien 7,5 milliards de dollars de recettes, la troisième source (20%) de revenus du pays. Un montant que l'Égypte espère voir bondir d’ici à 2023, grâce aux travaux d’agrandissement.
Les nouvelles infrastructures permettent de franchir le canal en onze heures, des améliorations indispensables pour s’adapter à des bateaux de plus en plus imposants. Un chemin qui devient de plus en plus périlleux dont seuls les mille pilotes égyptiens de l’Autorité du canal, qui prennent les commandes de chaque bateau, savent éviter les pièges.
La mondialisation et la géopolitique à l’épreuve du canal
75 incidents de navigation, dont 25 échouements et 21 pannes de machine, ont été signalés dans le canal de Suez au cours de la dernière décennie. Plus d'un tiers (28) impliquent des porte-conteneurs.
L’Ever-Given, est un porte-conteneurs appartenant à la compagnie taiwanaise Evergreen Marine Corporation (EMC), immatriculé au Panama, avec un équipage enrôlé par une entreprise allemande. Ce navire de 220.000 tonnes, long de 400 mètres, construit en 2018 au Japon avec 11 autres, était chargé de 18.300 conteneurs, dont la valeur des marchandises transportées transportées (thé, meubles, ordinateurs, …. 130.000 moutons, …) était de 750 millions de dollars. Le 23 mars 2021, il a encastré sa proue dans la rive est du canal pendant une tempête de sable et s’est retrouvé en travers du canal, le bloquant pendant 10 jours et immobilisant 422 navires chargés de 26 millions de tonnes de marchandises. Le sauvetage nécessita le dragage de 30.000 m3 de sable, l’aide de 13 remorqueurs et une marée montante. Chaque jour d’immobilisation a entraîné (selon l’assureur !) des pertes de 6 à 10 milliards de dollars. L’Égypte de son côté aurait perdu entre 12 et 15 millions de dollars par jour de fermeture du canal. Cette mésaventure aura bouleversé pendant deux semaines le cours du commerce international.
Il a donc suffi d'un navire pour empêcher 12 % du commerce mondial avec des conséquences économiques dommageables importantes quand, paradoxalement, ces canaux creusés de main d'homme ont toujours eu vocation à faciliter le transport maritime. Le blocage du canal a fortement désorganisé les approvisionnements occidentaux, en particulier la livraison des composants électroniques dont les marchés sont à flux tendu et à sens unique d’est en ouest. Cette affaire de porte-conteneurs ensablé met en évidence l’un des risques de la mondialisation avec sa dépendance au commerce maritime mondial et des voies maritimes étroites que sont les canaux et certains détroits.
La maîtrise de la fiabilité de la chaîne risque de devoir être revue. Certains armateurs y pensent déjà. Deux des premiers opérateurs mondiaux de porte-conteneurs, le danois Maersk et l'allemand Hapag-Lloyd envisagent de reconsidérer pour les trajets Asie / Europe le contournement du continent africain pour éviter les risques du canal même si le trajet est rallongé de deux semaines.
Sur le plan géopolitique, l’attaque du Hamas en Israël le 07 octobre 2023, qui a déclenché la destruction de Gaza, a provoqué dans le détroit de Bab-el-Mandeb, issue obligée du canal de Suez, les attaques des milices houthistes du Yemen solidaires du Hamas.
Les conséquences de cette guérilla maritime cascadent à toute vitesse. Les plus grandes compagnies de porte-conteneurs, représentant 60 % de la capacité mondiale, ont décidé d’éviter la zone. Elles ont commencé par stopper les machines et par mettre à l’ancre leurs bateaux, puis elles ont décidé de dérouter la plupart, préférant la sécurité à la vitesse, donc le contournement de l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance plutôt que la traversée de la mer Rouge par le détroit de Bab el-Mandeb, devenu trop dangereux, et le canal de Suez. La situation pourrait affecter plus du quart de l’ensemble des porte-conteneurs en mer, ainsi bien sûr que le transport d’hydrocarbures, de pétrole et de gaz naturel liquéfié.
Ne pas oublier la route Arctique, un raccourci stratégique de 4.500 km, qui se dégage peu à peu, et va devenir des plus stratégiques.