V1, V2, V3, ..., les premières fusées

Les "Constructions spéciales"

Le secret de la fusée à ergols liquides

Paperclip : Le pacte de l'Amérique avec le diable

Les missiles hypersoniques

V1, V2, V3, ..., les premières fusées

Des chercheurs et des pionniers amateurs

            Le roman de Jules Verne, De la Terre à la Lune (1865), a fait renaître le rêve du voyage interplanétaire. À la fin du XIXe siècle et dans le premier quart du XXe, des théoriciens, isolés et sans moyens financiers, fondent une nouvelle science.

En 1912, l’ingénieur et inventeur en aéronautique Robert Esnault-Pelterie présente à la Société française de physique une conférence intitulée « Considération sur les résultats d’un allègement indéfini des moteurs ». Pour apparaître crédible devant ses pairs, le conférencier a pris soin d’éviter les terminologies « voyage dans l’espace » ou « navigation interplanétaire ». En effet, jusqu’alors l’idée de naviguer dans l’espace relevait souvent de la littérature, tel un Jules Verne, tel un Henri de Graffigny, etc. Si à ce moment-là Esnault-Pelterie jette en France les bases mathématiques de la recherche sur les moyens de se déplacer dans l’espace, son intervention n’a cependant pas l’écho escompté…

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les études sur les fusées prennent leur essor, surtout en ce qui concerne les engins à propulsion à liquides. Ces derniers apparaissent alors comme les seuls à pouvoir un jour envoyer des vaisseaux dans l’espace. Bien qu’il y ait eu avant 1914 quelques chercheurs qui s’étaient penchés sur l’application des liquides dans les fusées (dont le Russe Tsiolkovski, le Français Esnault-Pelterie (*), l’Américain Goddard et l’Austro-Hongrois Oberth), il a en réalité fallu attendre les années 20-30 pour assister à une réelle avancée, avec les premières expérimentations effectuées notamment par Robert Goddard aux Etats-Unis, Friedrich Sänder et Johannes Winkler en Allemagne, Friedrich Tsander et Sergueï Korolev en Russie soviétique, et d’autres encore.

(*)        Robert Esnault-Pelterie était membre du Comité pour la promotion des voyages dans l’espace : « En 1927, à la première réunion du Comité, nous avions la chance d'avoir parmi nous le président de l'Académie Goncourt qui s'appelait J.-H. Rosny aîné. Robert Esnault-Pelterie avait proposé pour cette science nouvelle, qu'il fallait bien tout de même baptiser, le nom de sidération par parallèle avec l'aviation. Mais nous avons trouvé le titre un peu ridicule et, après avoir proposé le mot cosmonautique, J.-H. Rosny aîné a proposé le mot astronautique qui a été adopté à l'unanimité et qui, on peut le dire, a fait le tour du monde. Dans le monde entier, aujourd'hui, cette recherche, cette science nouvelle, s'appelle l'astronautique. » (André Louis-Hirsch)

En Allemagne, les fusées deviennent une véritable « mode ». On assiste même le dimanche au décollage d’engins certes encore bien modestes. Précisons que le traité de Versailles avait oublié d’interdire aux Allemands de développer ce type d’engins, d’où le foisonnement des études qui finissent par intéresser les militaires.

            C’est au cours des quelques années de prospérité de la République de Weimar, à la fin des années 1920, que les amateurs passionnés par les fusées et les vols spatiaux sont les plus nombreux et les plus actifs. Plusieurs fondent l’"Association pour la navigation Spatiale", le 05 juillet 1927 dans une taverne, puis éditent une revue - Die Rakete ('La Fusée'). En 1930, l’Association achetera un terrain près de Berlin, juste à côté de l'aéroport Flughafen Berlin Tegel, pour procéder aux expérimentations de leurs fusées. Au cours des trois années suivantes, ils expérimenteront des machines de plus en plus puissantes. En s’appuyant sur les nouveaux produits et matériaux nés de la seconde Révolution industrielle (l’aluminium, l’oxygène liquide, etc.), ils s’efforcent de passer à la pratique en testant de petits moteurs-fusées.

Parmi ces passionnés, une figure se distingue rapidement, celle de Wernher von Braun (né le 23 mars 1912), jeune étudiant très doué en mathématiques et en physique. Au sein de cette amicale, il se lie d’amitié avec l’ingénieur Arthur Rudolph (qui, comme lui, rejoindra les États-Unis à la fin de la guerre 1939-1945 pour y travailler sur les missions spatiales). En 1932, à 20 ans, il parvient à faire voler une fusée pendant plusieurs dizaines de secondes avec un mélange d’oxygène liquide et d’alcool. La première série Mirak, peu réussie, sera remplacée par la série améliorée de missiles Repulsor, dont les plus gros exemplaires avaient une portée de 1 km. Ils confirment ainsi la possibilité théorique de se déplacer dans l’espace grâce à des fusées à réaction.

Cherchant des fonds, l’Association présente ses travaux à Walter Dornberger, capitaine de l'armée allemande. Celui-ci est intéressé par les fusées de l'Association, et propose l'aide de l'armée à condition que les résultats lui soient réservés. Le rapprochement ne se fait finalement pas. Mais, l'arrivée du parti nazi au pouvoir (début 1933) signe la fin de l'Association en interdisant les expérimentations sur les fusées aux civils. Et ces groupes d’amateurs, qui ne disposent ni du soutien des universités, ni de celui des grands groupes industriels, seront vite balayés par la crise économique.

Célèbre groupe allemand d’expérimentateurs de fusées dans les années 1930. À droite, Hermann Oberth, Klaus Riedel et le jeune von Braun. © NASA

Kummersdorf-Gut

            Depuis 1929, l’armée allemande, et notamment les artilleurs, s’intéresse à l'utilisation de la propulsion par fusée à des fins militaires, perçue comme un moyen de contourner les interdictions du traité de Versailles dans l'usage de l'artillerie à long portée.

            Le colonel et ingénieur Walter Dornberger, en 1930, rejoint la division balistique du Bureau de l'Armement de Berlin à Kummersdorf-Gut dans la forêt de Brandeburg à une cinquantaine de km au sud de la capitale. Les militaires profitent alors des difficultés des sociétés locales d’amateurs de fusées pour récupérer leurs membres les plus compétents ; c’est ainsi qu’avec quelques autres, le jeune aristocrate prussien Wernher Magnus Maximilian Freiherr von Braun, fils d’un homme politique de droite, signe son premier « CDD » de 4 mois avec l’armée allemande le 27 novembre 1932. Convaincu que l’avenir de l’Homme est dans l’espace, le jeune Wernher est alors prêt à tout pour financer ses recherches. Dès 1935, l’armée allemande soutiendra ses travaux à hauteur de 11 millions de marks. En 1937, il adhèrera au parti nazi, et en 1943, pour sa troisième promotion, il obtiendra le grade honorifique de Sturmbannführer (l’équivalent de commandant) au sein de la SS.

En compagnie de son nouveau supérieur, Dornberger, et avec des moyens initialement réduits, von Braun conçoit des moteurs à carburant liquide développant des poussées jamais observées. Ils y développèrent des fusées de type A1, A2 et A3 à propergol liquide, d’une teneur élevée en alcool éthylique à 75 %, et à oxygène liquide. Von Braun mit au point une fusée ainsi propulsée, qui fut testée avec succès.

            L’arrivée au pouvoir des nazis, en 1933, entraîne le passage au secret des recherches sur les fusées. Les travaux commencèrent sur l'Aggregate 1 (A1), qui devait être un missile complet, mais le développement passa ensuite à l'A2. Ils utilisèrent une soufflerie pour déterminer la stabilité des configurations de vol de zéro à des vitesses supersoniques. En décembre 1934, les deux premiers A2 furent lancés avec succès depuis l'île de Borkum, au nord-est dans la mer du Nord.

Tout au long de l'année 1936, von Braun et son équipe de Kummersdorf s'attaquèrent au problème de l'intégration de leurs fusées à propergol liquide dans des aéronefs. L'avionneur Ernst Heinkel leur apporta un appui enthousiaste, en leur donnant trois avions pour leurs essais et Erich Warsitz, reconnu comme le meilleur pilote d'essai d'Allemagne.

Le terrain était désormais trop petit pour permettre l'épreuve des nouveaux moteurs et les essais en vol, si bien que le groupe de recherche, à présent soutenu officiellement par la Luftwaffe, déménagea pour Neuhardenberg (un vaste terrain situé à 70 kilomètres à l’est de Berlin, prévu comme aérodrome de réserve en cas de guerre). Un moteur-fusée fut installé dans la queue d'un Heinkel He 112, avec 90 secondes de carburant, et le 03 juin 1937, Erich Warsitz parvint à décoller à bord de ce He112 grâce aux seules fusées. Malgré un atterrissage sur le ventre et l'incendie du fuselage, ce vol suffit à convaincre les autorités qu'un appareil pouvait voler avec un propulseur à réaction arrière.

Une fusée A3 sur le banc d'essai IV à Kummersdorf le 29 novembre 1937 avec le nez attaché et la queue toujours découverte. La fusée préassemblée a roulé verticalement jusqu'au site d'essai sur une piste spécialement posée (comme à Cap Canaveral aujourd’hui). Archives des vols spatiaux du Deutsches Museum

Hitler, pour la troisième fois depuis décembre 1942, visita Kummersdorf en mars 1939 pour assister à des essais de tir des moteurs-fusées de poussée de 650 et 2.200 livres, et a vu des éléments de l'A3 et de l'A5. S’informant du temps nécessaire au développement de l'A4, il parut sceptique quant au potentiel de la fusée.

Kummersdorf servira ensuite à tester les véhicules blindés pris à l'ennemi et à la recherche nucléaire. Pendant peu de temps, car abandonné depuis 1945, il est toujours interdit au public.

Peenemünde

            Le développement des études, poussées par la stratégie nazie, nécessitait le déploiement de moyens adaptés pour lesquels la banlieue de Berlin ne convenait plus. Aussi dès août 1936, suivant une proposition de von Braun, commencèrent, sur l’île d’Üsedom (Baltique), les travaux d’un gigantesque centre de recherches ultramoderne : Peenemünde, qui offrait de grands espaces et une meilleure confidentialité, d’autant que les 550 habitants seront progressivement expropriés. Le banc d'essai VI de Pennemünde sera une réplique exacte du grand banc d'essai de Kummersdorf. Sur la petite île de Griefswalder Oie, à 12 km au NE de Peenemünde (où von Braun aimera se rendre en voilier), on procédera au lancement des fusées.

Dornberger et la plupart de son personnel quittent Kummersdorf et s'installent à Peenemünde. Les premiers ateliers sont opérationnels au printemps 1937. Les pas de tir et bancs d’essais seront terminés à l’été 1940.  La production d’hydrogène liquide (la plus grande d’Europe) sera opérationnelle fin 1942. La production en série commencera début 1943.

Avec le soutien total du ministère de l’Armement, Wernher von Braun développe le premier missile balistique : le V2. En 1939, il prend la direction technique de Peenemünde, déjà le plus vaste complexe d’armement au monde.

            La Luftwaffe (l’armée de l’Air) y développe des avions à réaction et, à partir de 1942, la bombe volante Fi 103 (V1). La Heer (armée de Terre) se consacre à la mise au point d’une grande fusée stratégique, la A4 (V2) la première fusée extra-atmosphérique de l'Histoire.

Le 03 octobre 1942, une nouvelle version de la fusée A4, dernière-née des équipes de von Braun et Dornberger après de très nombreuses modifications techniques, est lancée depuis Peenemünde et atteint près de 85 kilomètres d'altitude, une zone considérée alors comme le début du cosmos. Des centaines d'essais seront encore effectués avant qu'une version soit jugée suffisamment fiable pour être utilisée à des fins militaires. L'A4 (Aggregat 4) sera à ce moment-là renommée V2 par la propagande nazie (V pour 'vergeltungswaffe' ou 'arme de représailles'). Alors que le cours de la guerre est en train de s’inverser, la fusée A4 (V2) devient aux yeux des dirigeants nazis une « arme miracle ». La fabrication en série est lancée.

Mais si la fusée est au point, l’arme l’est moins. Aussi la Luftwaffe continuera-telle à développer la V1, beaucoup plus simple et beaucoup moins coûteuse à fabriquer que la V2.

Dessin en coupe de la fusée A4 (V2) développée pendant la Seconde Guerre mondiale par le Dr Wernher von Braun et son équipe au centre de recherches de Peenemünde, en Allemagne. © NASA

Un V2, quatre secondes après le décollage, Peenemünde, été 1943

            De surcroit, le projet apparaît comme pilote dans le lien entre la SS et l’industrie. Il est décidé d’employer une main-d’œuvre concentrationnaire, et le 17 juin 1943, un premier Kommando de 200 travailleurs forcés (pour moitié allemands et soviétiques) est arrivé au complexe, suivi le 11 juillet par un second de 400 personnes (majoritairement des français), en provenance de Buchenwald où ils étaient arrivés le 25 juin par le premier convoi parti de Compiègne vers ce Konzentrationslager. Ces commandos seront administrativement rattachés au KZ de Ravensbrück, le camp de concentration pour femmes. À son apogée, le centre réunira plusieurs milliers d'ingénieurs et de techniciens, dont un certain nombre issus de partenariats avec des sociétés industrielles germaniques.

Simultanément, une série de camps annexes est affectée à la production d’éléments pour les fusées du Grand Reich qui sont assemblées à l’usine de Peenemünde, tels que Wiener-Neustadt avec des détenus de Mauthausen ou Friedrichshafen avec ceux de Dachau.

            Les services de renseignement britanniques ont mis longtemps à comprendre la nature de la menace des armes nouvelles développées au centre de recherches de Peenemünde avec sa position géographique avantageuse. Mais en 1943 la résistance polonaise informa les services de renseignements Alliés de l’existence du complexe, et un plan de destruction commença à prendre forme. Une mission de reconnaissance aérienne est organisée ; les Anglais identifient une fusée sur une photo aérienne. Ainsi le 18 Août 1943, les bombardiers de la RAF attaquent massivement le centre de recherche (opération Hydra), causant la mort d’environ 800 personnes, dont de nombreux travailleurs forcés (prisonniers de guerre) utilisés pour la construction de l'aérodrome. La RAF perdra 40 bombardiers sur les 598 engagés.

            Parmi les personnes au sol à Peenemünde se trouvaient Wernher von Braun, Walter Dornberger, Hanna Reitsch ainsi que Walter Thiel, un des hommes clés du projet V2, spécialiste de la mise au point des moteurs-fusées à combustible liquide, qui trouva la mort dans le bombardement. Certaines bombes sont larguées trop au sud, laissant plusieurs bâtiments intacts, tandis que de nombreuses bombes frappent les baraquements de Trassenheide abritant la main-d'œuvre concentrationnaire, tuant entre 500 et 600 prisonniers.

L'existence et l'emplacement du programme auraient pu être également obtenues à partir des conversations secrètement enregistrées d'un officier allemand, Wilhelm Ritter von Thoma, prisonnier de guerre britannique. Cependant, von Thoma n'est pas mentionné dans les dossiers déclassifiés et l'histoire pourrait avoir été fabriquée afin de protéger les membres de la résistance belge et luxembourgeoise. L'histoire officielle du MI6 par le professeur Keith Jeffery cite plusieurs sources, notamment une information provenant de travailleurs forcés enrôlés pour travailler à Peenemünde.

Le « petit amiral » Canaris (responsable de l'Abwehr, le service de renseignement de l'armée allemande, loyal à l'Allemagne tout en rejetant le nazisme) avait pris contact dès 1941 avec les Américains, en la personne du chef du bureau de l’Office of Strategic Services de Berne (Suisse), Allen Dulles, dont le témoignage déclassifié par la CIA (dont il fut le directeur de 1953 à 1961) en 1983, affirme que Canaris le renseignait sur les essais de missiles guidés sur le site de Peenemünde.

Le centre de recherche de Peenemünde en 1943. Royal Air Force reconnaissance photograph of V-2 rockets at Peenemünde Test Stands I and VII

            Les plans nazis pour la production en série des V2 sont bouleversés. Hitler décide, dès lors, de transférer la recherche en Autriche, les essais en Pologne occupée et la production de ses armes secrètes dans des sites protégés des bombardements.

Le dernier missile expérimental y sera néanmoins tiré le 20 février 1945. Devant l'avance des forces alliées et plus particulièrement celles de l'armée soviétique, le régime nazi décidera d'évacuer (ce sera chose faite le 07 mars) et de dynamiter le centre de recherche. Peu avant la capitulation sans condition de l'armée allemande, Wernher von Braun organise sa fuite vers l'ouest et le 02 mai 1945 négocie son départ vers les États-Unis (opération Paperclip). Des 500 membres de son équipe, les Soviétiques ne saisiront que Helmut Gröttrup, responsable du système de guidage des missiles. Le 05 mai 1945, le site sera occupé par les troupes soviétiques.

            Les programmes d’armes nouvelles développés par l’Allemagne nazie dans son centre de recherches de Peenemünde, sont révélateurs de la guerre totale que fut le second conflit mondial. L’un des plus vieux rêves de l’humanité, voler dans l’espace, vire au cauchemar, avec la réalisation d’engins d’un haut niveau technologique, fabriqués par une main-d’œuvre concentrationnaire et déployés contre des populations civiles dans le cadre d’une campagne militaire à caractère terroriste.

Le redéploiement du dispositif allemand

            Simultanément, en France, comme le grand bunker de tir prévu pour les fusées, à Éperlecques, a été sévèrement endommagé lors du premier bombardement du 27 août 1943 (27 campagnes de bombardement s’y succéderont durant un an), un nouveau site de tir est mis en place : La Coupole, située près de Saint-Omer. Engagés très rapidement, les travaux se concentrent d’abord sur la construction d’un gigantesque dôme de béton armé qui doit ensuite protéger le site souterrain.

            Depuis que l'Allemagne est menacée, en particulier après la bataille de Stalingrad (début 1943), le ministère de l'armement et la SS collaborent étroitement afin de mobiliser toute la main-d'œuvre disponible pour la guerre totale. L’attaque contre Peenemünde vient ajouter à la panique chez les dirigeants nazis, et les amène à prendre une série de décisions importantes dans les derniers jours d’août 1943. Les détenus des camps de concentration et les travailleurs forcés doivent être employés dans l'industrie de l'armement. L’intervention de la SS dans le programme de fusées gagne alors en ampleur : c’est elle qui contrôlera les installations d’essais, elle qui assurera la mise en place de la production et fournira la main-d’œuvre concentrationnaire nécessaire.

            Suite au bombardement de Peenemünde, les fonctions, jusqu’alors regroupées géographiquement, sont dispersées : les essais ont désormais lieu à Blizna, en Pologne occupée et l’usine d’assemblage des fusées va être transférée dans un site souterrain secret, sous une colline du Harz, le Kohnstein situé en Thuringe, près de Nordhausen, à 80 km au nord de Buchenwald, un grand camp de concentration qui pourvoira à la main d’œuvre. Ainsi, au cœur du Reich débute un autre chantier secret, Mittelwerk, afin de poursuivre la production en série destinée au futur bombardement de l'Angleterre.

Mittelwerk – Dora

            Pour éviter les bombardements, Hitler a donc décidé "d'enterrer" ses usines de production. On profitera d’une galerie, utilisée depuis 1936 par la Wehrmacht comme dépôt d'huile et de lubrifiant et confiée à une nouvelle société, Mittelwerk ("Usine du centre"), Le projet mis en route par Albert Speer, architecte du IIIème Reich sera majoritairement alimenté par les détenus du camp de concentration de Buchenwald distant d'environ 80 kilomètres.

            Deux tunnels s'étendaient sur une longueur de 1.800 m, larges d’une dizaine de mètres (suffisamment pour recevoir une double voie ferrée) et hauts de 6 à 7 m. S’y ajoutent 46 tunnels transverses parallèles, longs de 150 m, de largeur et hauteur comparables. L'ensemble d’une longueur totale d'environ 12 km s’étend sur une aire d’environ 10 km2.

            Il s’agissait d’élargir et d’aménager ce vaste réseau de tunnels désaffectés dans le gyspe du Kohnstein, pour en faire une usine d’assemblage ultramoderne où seront assemblés des V2, ou plus exactement des fusées A4 surnommées Vergeltungswaffe 2 (Arrme de représaille numéro 2)

            Cet aménagement est confié à un premier Kommando de 100 internés de Buchenwald, baptisé Dora, qui arrive sur les lieux le 28 août 1943. Les travaux s’effectuent dans un contexte d’urgence, d’improvisations, de violence, sans grands moyens matériels. Les détenus vivent jours et nuits sous terre dans les conditions les plus déplorables. La mortalité est considérable. 2.882 cadavres –dont 25% de Français- sont expédiés au cours de cette période vers le crématoire de Buchenwald et 3.000 détenus malades sont évacués vers Maïdanek et Bergen-Belsen.

Au fur et à mesure que les Alliés manifestaient leur supériorité aérienne sur l’Allemagne et que le bombardement des grandes villes industrielles allemandes s’intensifieront, les Allemands transféreront une part de plus en plus importante de leur production qui viendra s’ajouter à celle des V2 sur ce site près de Nordhausen ; d’abord le nouveau chasseur à réaction He 162, puis la roquette V1 au début de Janvier 1945.

            Pour le SS Hans Kammler (chargé par Himmler de la création du site (**)), la production grandissante de tous ces matériels dans l’usine Mittelwerk nécessite une extension qui aboutira au lancement d’une multitude de nouveaux chantiers périphériques. C’est alors que le 01 novembre 1944, le camp de " Dora " obtiendra, sous le nom " Dora-Mittelbau ", le statut d’un camp de concentration autonome ; il devient le 13e et dernier-né des grands camps de concentration du Reich. « Camp souche », il contrôle les camps annexes d’Ellrich et d’Harzungen et tout un ensemble d’une trentaine de camps extérieurs et Kommandos de travail disséminés dans toute la région.

(**)       Auparavant, faisant suite à la mise en œuvre de la Shoah, Kammler avait délaissé les projets de construction traditionnels pour mettre en place l’architecture du génocide. Plus précisément, il avait supervisé la transformation d’Auschwitz-Birkenau en un camp de la mort.

            Désormais, il ne s’agit plus d’aménager le site, mais de fournir de la main d’œuvre « productive ». Les prisonniers du réseau de camps de Dora-Mittelbau extraient des pierres, travaillent sur des projets de construction ainsi que sur des projets en rapport avec le développement et la production d'armement, dans des usines de munitions et d'ammoniac. En fait, seul un dixième environ des prisonniers était effectivement employé à l’usine d’assemblage souterraine, dans un environnement, de technologie et de spécialistes allemands, bien meilleur.

            De très grandes sociétés industrielles (AEG; Siemens, Volkswagen, IG Farben entre autres) soutiennent activement le production de guerre allemande à Mittelwerk.

            Von Braun visitera l’usine de production en série de Mirrelwerk pour s’enquérir des problèmes techniques qui affectent la production. A ce moment-là, son souci , avec ses équipes de Peennemünde et de Blizna est de simplifier das Gerät (l’engin) et de comprendre pourquoi autant de missiles se désagrègent lors de la rentrée dans la basse atmosphère.

            Les fusées qui sortent de la chaine de montage sont opérationnelles depuis juin 1944 et vont pouvoir alimenter la campagne engagée contre Londres à partir de septembre.

            Le 8 septembre 1944, l'État-major teste cette arme expérimentale. Le premier V2 est lancé … sur Paris, faisant 6 morts. Il s’agit du premier missile balistique de l’histoire, capable de parcourir des centaines de kilomètres et de frapper une ville d’un pays voisin. Les V2 lancés depuis des rampes de lancement mobiles (voire de plate-formes tractées par des sous-marins) font plusieurs milliers de morts en Angleterre et aux Pays bas.

Entre septembre 1944 et février 1945, en plus des V1, (les premières atteignnent Londres le 13 juin 1944) 2.800 V2 seront lancés, dont la moitié environ atteindront leur cible : 1.050 tombent sur l’Angleterre, tuant 2.750 personnes et blessant 6.500 autres, détruisant 400.000 maisons, en endommageant plus de 4.000.000. 1 million de personnes vulnérables seront déplacées entre juillet et septembre 1944. Heureusement pour les Alliés, les V2 n’étaient pas prêtes en octobre 1944, soit quatre mois après le débarquement. Le système nazi donnait la priorité à un trop grand nombre de projets disparates simultanément, ce qui faisait que relativement peu d’entre elles pouvaient décoller.

Black-out total de l’information : les explosions sont attribuées à des fuites de gaz ! (Plus de 2 millions de personnes avaient été évacuées lors du Blitz sur le Royaume-Uni, du 07 sep a 21 mai 1941). La Belgique connaît le même sort. Tous pays confondus, Anvers sera proportionnellement la ville la plus visée par les lancements de V2. En octobre 1944, Londres reçoit 25 V2 par jour et Anvers 10, avec le tir du 16 décembre 1944 qui tuera 567 personnes dans le cinéma Rex, le tir le plus meurtrier de la Seconde Guerre mondiale à impliquer un seul projectile.

          Ce "Vergeltungswaffe", qui signifie “arme de représailles”, n’est pas une arme de destruction tactique ciblant des objectifs militaires. C’est une arme de terreur psychologique des populations civiles qui fera 8.000 victimes au nord de l’Europe.

Entrée sous la colline d’un des deux tunnels de Mittelwerk.

www.jean-maridor.org

www.jean-maridor.org

            Durant les 6-8 mois de la phase initiale d’aménagement des tunnels souterrains, jusqu'au printemps 1944, les prisonniers furent détenus essentiellement sous terre, privés d'air frais et de lumière du jour, enfermés dans des tunnels à la structure instable. Les couchettes, la plupart dénuées de matelas, étaient installées dans les tunnels transversaux (question de place et d’efficacité). Travaillant en deux équipes, 12 heures par jour, dans un contexte de violence permanente encadrée par des prisonniers de droit-commun allemands, en permanence fatigués, mail nourris, ils devaient supporter brimades, injures, coups, odeurs nauséabondes (l’urgence n’avait pas autorisé la construction de sanitaires ni de ventilation), les poux, les risque des dynamitages (sans protection auriculaire). Ils étaient en piteux état, sales, le corps meurtri, souvent blessés, Et tellement maigres. Faibles au point de se mettre à quatre ou cinq pour soulever la moindre pièce.

On pouvait certes se venger en sabotant (saboteur surpris ou présumé, signifiait la mort -plus de 200 furent pendus en public-) -ce qui nécessita plus tard de prélever pour vérification, une fusée sur quatre-. Ils couchaient sur des paillasses humides à plusieurs niveaux dans les tunnels, sans eau courante, ni potable (pourtant la seule autorisée à être bue) dans l’humidité, la pénombre.

Ceux qui étaient trop faibles ou trop malades pour travailler étaient envoyés à Auschwitz-Birkenau ou à Mauthausen où ils étaient éliminés. La mortalité, estimée à près de 6.000 hommes, y fut fatalement plus élevée en proportion que dans la plupart des autres camps de concentration.

            Le rythme de production s’intensifiant, la place souterraine vint à manquer et il fut décidé au printemps 1944, de libérer les espaces souterrains dédiés aux prisonniers. A partir d’avril 1944, les détenus du Kommando Dora sont donc logés dans un camp « neuf » de baraques construites en surface à 1 km au sud de l’entrée de l’usine Mittelwerk. A partir de l'automne 1944, une fois la pleine production des missiles lancée, au moins 12.000 prisonniers seront en permanence détenus dans ce camp de Dora-Mittelbau.

Dora-Mittelbau était entouré d'une clôture électrifiée en fils barbelés. La prison se trouvait dans la partie sud du camp. Les cadavres partent deux fois par semaine par camions vers le crématoire de Buchenwald, jusqu’à ce que l’on construise le four crématoire en septembre 1944 au nord du camp.

Ici, l’alimentation et les conditions d’hygiène « s’améliorent » pour ces « ouvriers » forcés et la violence recule … quand elle se déplace vers les nouveaux camps aménagés autour de Dora (Notamment Ellrich et Harzungen) et les chantiers extérieurs. Au début de 1945, les arrivées massives et dramatiques de déportés évacués de l’Est (Gross Rosen et Auschwitz) accompagneront un regain de la violence illustré par la multiplication des pendaisons collectives.

Ordonnée depuis Berlin, la mise en exécution du « programme Dora » allait contribuer à accélérer le départ des convois depuis Compiègne, mais pas que, car une partie des convois d’évacuation des camps de l’Est aboutit à Buchenwald. L’effectif du camp de concentration de Dora, le « Kommando Dora », qui dépassait sur le site d’assemblage les 10.000 hommes à la fin de l’année 1943, s’élèvera à 26.000 en novembre 1944 et à près de 40.000 en mars 1945, dont environ 3.000 techniciens allemands, les autres personnes étant la main d’œuvre esclave.

 

 La clôture électrifiée du camp de Dora, avril 1945 © La Coupole

60.000 hommes de 21 nationalités connaîtront l’enfer de Dora pendant ses 20 mois d’existence ; dont 9.000 déportés de France enregistrés entre 1943 et 1945. Parmi ces détenus figurent aussi 1.100 italiens, dont la moitié était des soldats ; ils avaient été faits prisonniers par les nazis après l'armistice que l'Italie avait signé avec les Alliés. Considérés comme des traîtres par les SS, ils étaient traités d'une manière particulièrement cruelle. Quelque 500 d'entre eux ont péri à Dora. Mittelwerk fut un site de production et d’extermination où les victimes n’eurent même pas droit à une mort rapide

            La machine de guerre la plus secrète nazie exploite et tourne à plein, mais la situation humaine se dégrade. Ordre d’Himmler : personne ne doit sortir vivant de Dora ! Pour “purger” le camp et ses annexes, un véritable mouroir est mis en place dans une caserne désaffectée située à la périphérie de Nordhausen, la Boelcke Kaserne.. Les 20.000 morts de Dora incarnent aujourd’hui une page peu connue et parmi les plus sombres de l’histoire de la conquête spatiale.

Vue générale du camp de Dora peu après son évacuation. Le « Revier » (quartier des malades) est visible dans le bois (Avril 1945) © La Coupole

La fin du camp de Dora

            Déjà, dès mars 1945, la production fut interrompue en raison de difficultés d’approvisionnement. Mittelwerk devait sortir 900 V2 par mois, un chiffre qui ne fut jamais atteint. Dans les semaines qui précèdent la libération, les SS nerveux redoublent de violence et assassinent plusieurs centaines de détenus.

La fabrication des V2 s’arrête le 31 mars 1945. Dès les bombardements par la RAF du 03 au 05 avril 1945, les nazis commencèrent à évacuer en quelques jours, la plupart des prisonniers de Dora-Mittelbau vers Bergen-Belsen et Ravensbruck. Des milliers d'entre eux perdirent la vie pendant les marches de la mort qui se déroulèrent dans des conditions épouvantables.

           Les troupes de la 3e Division blindée US découvrent le camp de Dora le 11 avril. Une surprise de taille : émergeant de vastes souterrains putrides et encombrés de cadavres, des milliers de spectres émaciés, hagards, redécouvrent l'air libre et la lumière. Ce sont les travailleurs forcés qui, jusqu'au dernier moment, ont assemblé fers aux pieds les redoutables fusées V2. L’usine est intacte et moins de 500 déportés (plusieurs milliers sont morts dans les bombardements des Alliés -qui ont cru à des abris de SS-) sont encore présents à côté des 1.200 cadavres et mourants " inaptes au travail " de la Boelcke Kaserne de Nordhausen.

Jusqu’à juin 1945, les Américains évacuèrent vers les USA une centaine de fusées A4 terminées, leurs pièces détachées ainsi qu’un grand nombre de documents. Les Soviétiques, qui prendront la place des Américains en juillet 1945, réussirent à assembler une fusée A4. Partie de la zone d’occupation soviétique, à l’été 1948 ceux-ci tenteront de détruire l’installation toute entière, mais une erreur dans les calculs fit que seuls les accès furent endommagés.

            Ces deux nations s’approprient un grand nombre d’ingénieurs qui seront chargés plus tard de mener à bien les programmes spatiaux de ces deux pays.

Les français "récupèrent" également quelques ingénieurs pour leur propre programme spatial. Très vite, le lien entre Dora et les premiers scientifiques nazis extradés aux USA sera clairement établi. Pour le couvrir, une véritable chape de plomb est imposée sur l’histoire de Dora. Une volonté politique qui contribuera à l’effacer largement de la mémoire collective.

           Selon les estimations, à la fin de la guerre environ 6.000 fusées V2 avaient été produites par l’usine de Mittelwerk. Les fusées V-2 étaient massives. D’une longueur de 14,02 mètres, elles atteignaient une altitude de 88 km. D’une vitesse supersonique, elles pouvaient parcourir jusqu’à environ 480 km.

             Alors que certains se rendront aux Soviétiques en s’échappant en sous-marin, la plupart des techniciens et scientifiques, dont Werner von Braun, se réfugieront dans le sud, en Bavière et en Autriche. Walter Dornberger sera d’abord emprisonné deux années en Grande-Bretagne, puis rejoindra les États-Unis où il travaillera pour le complexe militaro-industriel américain. Wernher von Braun, arrêté le 21 mars 1945, sera transféré aux États-Unis dans le cadre de l'opération Paperclip, à Fort Bliss (Texas) puis terminera en 1958 enrôlé à la NASA. Outre ses compétences techniques et organisationnelles très admirées, Wernher von Braun avait le sens du devoir et le « courage » de se mettre au service des objectifs de guerre nationaux-socialistes. Il a toujours été clair pour lui que les nouvelles fusées atterriraient à Londres plutôt que sur la Lune.

Sources : https://lacoupole-france.com // www.jean-maridor.org / https://asso-buchenwald-dora.com / https://www.anecdotes-spatiales.com/ https://air-cosmos.com / wikipedia

Les "Constructions spéciales"

            Les nazis pensaient que le développement de nouvelles armes (V1, V2…) allait leur apporter la victoire. Le Pas-de-Calais fut une terre privilégiée d’installation des sites de lancement en raison de sa position face à l’Angleterre

En 1943, l’Organisation Todt, chargée des grands travaux de l’État nazi, reçoit l’ordre d’édifier, en France, des « constructions spéciales » (Sonderbauten), c’est-à-dire des installations protégées pour le déploiement des nouvelles armes secrètes allemandes, les armes V (Vergelstungwaffen ou Armes de représailles), destinées selon les nazis à inverser le cours de la guerre. 9 énormes chantiers sont entrepris, 5 dans le Pas-de-Calais et 4 dans le Cotentin.

Les bombardements alliés retarderont la mise en œuvre de ces sites sans toutefois les détruire. Aucune de ces « constructions spéciales » n’a pu devenir opérationnelle. Matraquées pendant des mois par les bombardiers alliés, elles ont été abandonnées à l’été 1944, à quelques semaines de leur entrée théorique en fonctionnement. Malgré l’importance des tonnages de bombes déversés (5.000 tonnes à Siracourt, 4.000 à Mimoyecques, plus de 3.000 à Éperlecques et à La Coupole), les structures de béton massives de ces installations (les murs de protection ont une épaisseur de 5 mètres) sont restées intactes et sont toujours visibles aujourd’hui.

            Les cinq « constructions spéciales » du Pas-de-Calais sont destinées aux 3 systèmes d’armes secrètes et nouvelles :

  • V1 : la bombe volante. - Le blockhaus de Siracourt, le blockhaus de Lottinghem
  • V2 : la fusée A4. - Le blockhaus d’Éperlecques, La Coupole d’Helfaut-Wizernes
  • V3 : le canon à charges multiples. - Les installations souterraines de Mimoyecques

V1 : la bombe volante

Une bombe volante V1 après le décollage depuis la rampe de lancement © Deutsches Museum

            Bien que le FGZ 76 ou V1 n’est pas encore au point en juin 1943, l’Organisation Todt commence les travaux pour des bases de lancement. Elles sont de deux types : 96 sites non protégés, « en forme de ski » vus du ciel, et 4 grands bunkers dénommés « Wasserwerke » : deux dans la Pas de Calais à Siracourt et Lottinghem et deux dans le Cotentin à Tamerville et Couville.

  • Le blockhaus de Siracourt

Édifié à 5 km de Saint-Pol-sur-Ternoise, en plein cœur d’un village agricole, ce bunker était destiné au stockage et au lancement des bombes volantes V1. L’édifice, d’une longueur de 219 mètres, comprend un ouvrage principal de 178 mètres sur 36 mètres de large auquel s’ajoutent des constructions sur les côtés comme des voies d’accès protégées de 16 et 17 mètres. L’ensemble est bien visible dans le paysage, mais tous les accès à ces volumes ont été condamnés. Son poids est estimé à 55.000 tonnes de béton armé. La rampe aurait dû se situer latéralement, sur le côté ouest du bunker face à l’Angleterre. La technique de construction est comme à La Coupole, celle dite de « l’Erdchalung », c’est-à-dire le coffrage en terre. Pour éviter les bombardements, on coule d’abord la plateforme sommitale pour ensuite abriter les installations en dessous.

De fait, même si le projet ne peut être mené à bien, les 13 bombardements de janvier à juin 1944 n’atteindront pas le site mais les 5.000 tonnes de bombes détruiront complètement le village.

  • Le blockhaus de Lottinghem

La construction de ce blockhaus présentait les mêmes caractéristiques, mais il a été rapidement abandonné après d’intenses bombardements alliés.

V2 : la fusée A4

  • Le blockhaus d’Éperlecques

Le blockhaus dans la forêt d’Éperlecques à 10 km de Saint-Omer (Pas-de-Calais), est souvent cité comme l’un des plus imposants bunkers de France. Sa technique classique, édifier d’abord les murs avant de couler la plateforme sommitale, le rendait pourtant sensible aux bombardements. Le site, nommé Kraftwerk Nord West, devait servir de base de lancement pour les fusées A4 (V2) dirigées vers Londres, devait pouvoir tirer jusqu’à 36 missiles par jour, et abriter une gare fortifiée, ainsi qu’une zone de stockage pour plus de 100 missiles. Toutefois, le projet ne fut jamais mené à terme, en raison des bombardements alliés (notamment dans le cadre de l’opération Crossbow). Le chantier, démarré en mars 1943, fut très endommagé par un bombardement américain, le 27 août 1943. Il fut abandonné au profit d’un nouveau site de tir construit sous terre : La Coupole.

Puis un nouveau bunker fut construit sur le même site, dès novembre avec des déportés et prisonniers, pour abriter une usine d’oxygène liquide afin d’alimenter le nouveau bunker de tir de La Coupole. L’énorme masse de béton que l’on visite aujourd’hui à Éperlecques est donc la carapace de protection d’une usine d’oxygène liquide, témoin de la mégalomanie technologique du régime nazi.

  • La Coupole

C’est dans le site d’une carrière de craie installée à flanc de coteau de la vallée de l’Aa à 5 km au sud-ouest de Saint-Omer que l’Organisation Todt va faire construire le nouveau bunker. La technique de « l’Erdchalung », c’est-à-dire le coffrage en terre, est mise en œuvre. Le sommet de la colline est façonné pour accueillir un dôme de béton armé, une demi sphère de 71 m de diamètre et 5,5 m d’épaisseur pesant 55.000 tonnes.

Dessous devait prendre place une salle de préparation des fusées avant leur lancement. Celles-ci devaient arriver en train du camp de concentration-usine de Dora en Allemagne, entrer dans la galerie principale, être déchargées sur le quai avant d’être stockées dans un réseau de galeries sous la colline. Face aux retards dus aux bombardements de janvier à juin 1944 puis avec le Débarquement, les Allemands abandonnent le site à l’été 1944.

V3 : les installations souterraines de Mimoyecques

            Le V3 est un canon de nouvelle génération destiné à envoyer des obus à longue distance. Un site lourd et souterrain fut édifié près du cap Blanc-Nez pour bombarder Londres. Les soucis de mise au point et les attaques aériennes alliées empêchèrent le site de fonctionner.

Plaques de sortie des obus à Mimoyecques (image de synthèse)

  • Un nouveau canon

Appelé « Hochdruckpumpe » ou « pompe à haute pression », le V3 est un long canon de 127 mètres de long à multiples charges imaginé par l’ingénieur allemand August Cönders. Au passage de l’obus, l’explosion régulière d’une charge de poudre devait accélérer l’obus dans le canon afin d’atteindre à la sortie la vitesse de 1.500 mètres/seconde pour une portée maximale de 165 km.

La forteresse de Mimoyecques, située à quelques kilomètres du cap Gris-Nez, au lieu-dit de « Mimoyecques » à Landrethun-le-Nord, est l’un des édifices les plus impressionnants imaginés par Hitler (120.000 m³ de béton y ont été coulés). Cette base secrète, devait servir à l’installation du canon souterrain géant V3. Elle devait accueillir 5 batteries de 5 canons chacune. Comme toutes les armes V, le V3 était prévu pour bombarder l’Angleterre, et plus particulièrement Londres.

Sa mise en chantier est décidée alors même que le canon n’est pas encore au point. Le site fut aussi frappé à de multiples reprises au premier semestre 1944 par les Anglais et les Américains. L’attaque menée par la Royal Air Force, le 6 juillet 1944, avec des bombes géantes Tallboy, mit un terme à une grave menace pour les Londoniens.

Sources : https://lacoupole-france.com /

Le secret de la fusée à ergols liquides

Wernher von Braun / 1932 -jun 04

            Le XX° siècle a permis à l’humanité de réaliser l’un de ses désirs les plus chers : voler. Mais le progrès pousse à aller plus haut, pour s'affranchir de l'air et pouvoir voler sur de longues distances, à de grandes vitesses et en toute sécurité, et ce quelles que soient les conditions météorologiques.

            Pendant quelque temps, le développement technique du vol à haute altitude a stagné. On s'est rendu compte que l'on ne pouvait pas aller au-delà d'une certaine altitude avec la technologie actuelle, et que toute tentative de dépasser les records en cours, impliquait toujours des coûts non compatibles avec une utilisation courante.

Parce que tous les avions dont nous disposons jusqu'à présent sont tributaires d'une la densité variable de d'air, il nous faut complètement abandonner les systèmes de propulsion actuels, pour espérer atteindre des altitudes plus élevées. Nous avons besoin d’une propulsion qui puisse s'affranchir de la présence d'air.

            La seule façon de pouvoir voler à de très hautes altitudes, voire dans le vide, nécessite l’utilisation du moteur-fusée. Tout le monde connaît la fusée de feu d'artifice. Un tube en carton, bourré de poudre, auquel on met le feu, qui vise le ciel avec une longue gerbe de flammes. Partant de là, l'industrie moderne des fusées à poudre a développé des fusées hautes performances extrêmement fiables. Elles sont largement utilisées pour le sauvetage en mer, éclairer, prendre des photos, empêcher la formation de grêle, …

Mais là encore, les performances sont limitées. Toutes les tentatives ont échoué en raison de l'explosivité de la poudre et de sa densité énergétique insuffisante. Et notamment en raison de l’impossibilité d'arrêter la combustion du dispositif incendiaire après la mise à feu, ou encore d’en faire varier la puissance même dans de petites limites.

            La fusée n'a pu gagner en importance qu'au moment où il fut possible de construire des fusées à propergol liquide. Les carburants comme l'essence ou l'alcool ont seulement une densité énergétique beaucoup plus élevée que les meilleures poudres sans fumée, mais permettent également de créer des fusées totalement exemptes du risque d’explosion.

Parce que l'oxygène fait partie de la combustion, ce dernier doit être embarqué et donc stocké à l'état liquide dans des réservoirs indépendants, pour n'entre en contact avec le carburant lui-même, qu'au moment de la combustion.

Dans les poudres sans fumée, dont l’utilisation pose déjà des difficultés particulières, l'oxygène est présent dans le composant, de sorte qu’à chaque poussée puissante la pression peut provoquer un confinement chimique potentiellement explosif.

De surcroît, la fusée à combustibles liquides présente un avantage particulièrement important : la poussée du moteur peut être régulée. Dans la mesure où un liquide n'a besoin de passer qu'à travers une vanne, son débit puisse être aisément contrôlé à volonté.

Il s’agit là d'une condition préalable indispensable, pour que ces engins puissent pratiquement être exploités de manière rationnelle.

            Une fusée à ergols liquides est basiquement une machine simple. Il y a les réservoirs dans lesquels le carburant et l’oxygène sont est stockés, les tuyaux d'alimentation, les vannes de régulation, et le moteur-fusée.

Clarifions sommairement le fonctionnement du moteur-fusée. Nous connaissons tous l'effet de recul qui se produit lors du tir avec un fusil. Il est provoqué par l’explosion de la poudre qui repousse le fusil avec la même force opposée à celle qui expulse le projectile dans la direction opposée.

En principe, un moteur-fusée n'est rien de plus qu'un fusil capable de tirer des milliards de minuscules sphères chaque seconde, à savoir les molécules d'un flux de gaz sortant d’une buse. Chaque molécule éjectée crée un petit recul, dès sa sortie, et donc chaque seconde des milliards de petits reculs s’additionnent.

Si le processus est maintenu, il résulte de toutes ces petites « secousses », une force agissant en continu capable de créer le mouvement de la fusée. C’est une mesure de la performance de n'importe quel moteur de fusée. La poussée (recul) croît d’une part, avec le nombre de molécules éjectées, et d'autre part avec la vitesse de sortie.

Afin de donner à un gaz la vitesse la plus élevée possible, il faut le réchauffer. « L'effet de cheminée » bien connu se produit alors, qui fait « tirer » une cheminée, et dont la cause n'est rien d’autre que l'énergie chaude du gaz convertie en énergie cinétique, c'est-à-dire en flux, sur le long chemin à travers le conduit de la cheminée.

            Bien entendu, les différences de température dans le moteur-fusée sont bien plus élevées que dans une cheminée conventionnelle, elles atteignent jusqu'à 2.000°. Et en lieu et place d’u « conduit » cylindrique courant, le moteur-fusée est équipé d’une tuyère. Le moteur d'une fusée est donc un moteur sans pièces rotatives. Il se compose simplement d'une chambre de combustion et d’une tuyère qui y est raccordée. En raison de cette simplicité, ses pertes sont également extrêmement faibles et donc son rendement très bon.

Dans les moteur-fusée modernes qui utilisent par exemple l'essence et l'oxygène liquide, on a déjà réussi à atteindre des vitesses d'éjection atteignant 2.200 m/s. Les performances de ces dispositifs sont en conséquence élevées. On a récemment testé avec succès un moteur-fusée, qui a délivré une poussée continue de presque 100 kg pour une consommation de carburant de seulement 500 g par seconde ; cela correspond à une puissance continue indexée de 2.660 chevaux ! L'ensemble du moteur avait une masse de 1,5 kg.

La mise au point de tels moteur-fusées présente naturellement des difficultés considérables. D’une part, les matériaux doivent pouvoir résister à des températures allant de + 2.500° à -183° qui est celle de l'oxygène liquide. Les vannes des conduites d'oxygène, toujours soumises au risque de gel, présentent des difficultés de conception particulières.

En pratique, chaque nouveau moteur est d'abord testé, ses performances sont enregistrées par des instruments de mesure. Ensuite, le moteur est soumis à l'épreuve de vérité : un essai statique au cours duquel il est sollicité bien au-delà de ces capacités nominales. Ce n'est que lorsque ce test est également passé avec succès que le moteur peut être utilisé dans une fusée.

Déjà aujourd’hui, les fusées à ergols liquides peuvent facilement atteindre des altitudes de 4.000 m. En fin de vol, la fusée revient sur Terre suspendue à un parachute, déployé au sommet de la trajectoire. La fusée peut ainsi être à nouveau récupérée pour être relancée.

            Il serait également possible sans difficultés particulières, de construire des fusées pour atteindre des altitudes de 50 ou 100 km. Jusqu'à présent, tous ces projets ont échoué en raison de la cruciale question du coût. Mais on peut espérer que cette difficulté puisse être bientôt également surmontée.

Que des fusées soient capables d’atteindre de très hautes altitudes serait d'un immense intérêt pour la science. On pourrait non seulement facilement explorer les couches supérieures de l'atmosphère, mais on pourrait également prendre des photographies de la surface de la Terre, ce qui pourrait permettre de découvrir des interactions météorologiques complètement nouvelles.

Mais cela ne justifierait pas seul le développement de la fusée à ergols liquides. Le développement d’un engin dans lequel vous investissez de l'argent doit également permettre d'en gagner. La fusée doit être lucrative. La fusée postale promet une rentabilité en permettant de franchir très rapidement des distances de plus en plus grandes.

            À une vitesse initiale d'environ 7.000 m/s par exemple, une fusée est capable de traverser l'océan Atlantique, de I’Europe à l’Amérique, en un grand arc, en 25 minutes. La fusée à ergols liquides peut atteindre cette vitesse si elle emporte suffisamment de carburant pour être capable de générer une poussée suffisamment longtemps ; tant qu'il y a de la poussée, la vitesse s'accroit.

Sur la base de l’expérience actuelle concernant la consommation de carburant des fusées à ergols liquides, on peut conclure qu’il sera probablement possible de mettre en place un service de fusées postales entre l'Europe et l'Amérique. Ainsi une lettre pourra être acheminée à un coût compris entre 20 et 30 pfennigs. Ainsi la mise au point d’une fusée postale à longue portée, destiné à une exploitation commerciale, est si intéressante, surtout en cette période de chômage de masse, que toutes les compétences devraient être rassemblées pour atteindre rapidement ce but.

Plus tard, il sera même certainement possible de piloter de telles fusées, de sorte qu’il deviendra possible de transporter des passagers à grande vitesse dans le monde entier. On pourra alors atteindre n'importe quel endroit, à partir de n’importe quel point de la surface de la Terre, en moins d'une heure.

Ce n'est que lorsque la fusée à longue portée sera devenue aussi sûre que le chemin de fer et l'avion le sont aujourd’hui, que l'on pourra envisager la fusée lunaire. A l’heure actuelle, on ne peut dire qu’une chose sur la question du voyage dans l'espace, c'est qu'il est théoriquement possible. Mais dans la pratique, il y a encore un long chemin à parcourir avant que cela ne se réalise enfin. On ne peut bien sûr encore rien prédire de ce qu'il adviendra.

Paperclip : Le pacte de l'Amérique avec le diable

            Avant même la fin de la Seconde guerre mondiale, les Américains ont traqué les savants du IIIe Reich pour les récupérer et distancer technologiquement l’URSS. Le programme Paperclip (en référence aux dossiers épinglés concernant les cas les plus sulfureux, originellement appelée « Opération Overcast ») a permis à 1.600 scientifiques allemands de rejoindre les États-Unis. Parmi eux, Wernher von Braun, le père du programme spatial américain.

Célébré en héros de son vivant, Wernher von Braun est le médaillon à double face de la vaste opération de récupération des scientifiques allemands au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Il est celui qui a mené à terme la mission Apollo 11 qui vit Neil Armstrong, Edwin Aldrin et Michael Collins se poser sur la Lune le 21 juillet 1969. Il est aussi l’ancien nazi récupéré au mépris de la justice internationale pour servir le programme spatial américain dans sa lutte effrénée contre l’URSS.

Grand, affable et charismatique, Wernher von Braun, « Rocket Man » (l’homme de la fusée), sera adulé des Américains et chouchouté des journalistes. L’homme sait plaire aux foules, il collabore même avec Walt Disney sur des films de vulgarisation pour expliquer l’aventure spatiale au grand public. Wernher von Braun est un opportuniste qui a su murmurer à l’oreille des présidents américains comme il avait murmuré à celles des dignitaires nazis. L’ancien officier de la SS devenu patron du centre de vol spatial américain a louvoyé pour parvenir à son rêve : envoyer un homme sur la Lune.

Avant de développer les fusées Saturn V qui emmenèrent Neil Armstrong et son équipage sur la Lune, Wernher von Braun a développé les missiles V2 pour le Troisième Reich.

L’opération paperclip

            Avant même que les Alliés ne posent le pied sur le sable des plages de Normandie le 06 juin 1944, l’armée américaine s’affairait à traquer les scientifiques allemands. Le sort de l’Allemagne semblait probablement quasi réglé ; les Américains se préparaient déjà à l’affrontement avec l’URSS.

            En arrivant aux abords de Völkenrode, en Basse-Saxe, le 13 avril 1945, les soldats de la première division d'infanterie américaine furent sidérés. Invisible du ciel, un complexe de 70 bâtiments intacts dévoilait des laboratoires ultramodernes. Nul chez les Alliés n'avait connaissance de l'Institut de recherche aéronautique Hermann Göring. Dépêché sur place quelques jours plus tard, un ingénieur des services de renseignements de l'Army Air Force, le colonel Donald Putt, comprit aussitôt la valeur de la découverte : dans leurs laboratoires, les Allemands testaient le passage du mur du son ! Putt avisa ses supérieurs : au lieu de se contenter d'envoyer aux États-Unis tout le matériel et la documentation saisis, pourquoi ne pas y associer des « experts allemands éminents » ?

Le programme Paperclip permettra à quelque 1.600 ingénieurs et chercheurs allemands de gagner les États-Unis. Sans être inquiétés par la justice et ce, bien que Roosevelt, mort la veille de la découverte de l'Institut Hermann-Göring, et son successeur, Truman, aient interdit toute entrée dans le pays de « nazis connus ou présumés ». Et puis, une note confidentielle du renseignement militaire va contourner la consigne : le programme Overcast (“Ciel couvert”) permettait d'accueillir des « cerveaux exceptionnels » dès lors qu'il s'agit d'« abréger la guerre contre le Japon ».Ce sont ces hommes qui permirent aux Américains de poser le pied sur la Lune. Les Allemands avaient une formidable avance. Sans doute les Américains seraient-ils arrivés à marcher sur la Lune, mais il aurait probablement fallu attendre dix années de plus.

Aussitôt l'entrée en guerre des États-Unis (le 08 décembre 1941, le lendemain du bombardement de Pearl Harbor par le Japon) un camp d'internement avait été créé à Fort Hunt, près d'Alexandria en Virginie, en 1942. Son but : interroger les prisonniers de guerre allemands (tels les officiers de U-Boot, officiers de l'Afrika Korps ou scientifiques) ayant des connaissances techniques et scientifiques ou des informations sur le complexe militaro-industriel allemand et ses systèmes d'armes perfectionnés. Près de 3.400 détenus sont ainsi passés par Fort Hunt, entre 1942 et 1946 ; 600 interrogateurs avaient pour mission de leur soutirer des informations, en particulier sur les avancées technologiques du Reich. Une partie de ceux-ci rejoindra la Joint Intelligence Objectives Agency chargée de l'opération Paperclip.

            En juillet 1945, dès avant le procès de Nuremberg (20 nov 45 – 01 oct 46) un mémorandum confidentiel de l'état-major américain recommandait que « ces esprits talentueux et rares, à la productivité intellectuelle hors du commun, soient placés à notre service », prédisant une « guerre totale » contre l'URSS d'ici à 1952, anticipant donc la future confrontation entre les deux grands vainqueurs de la guerre. Une dizaine de scientifiques, de toutes disciplines, jugés lors du procès des savants au sein des procès de Nuremberg, voient ainsi leurs peines atténuées, malgré leur évidente responsabilité dans certains crimes.

Des « rockets men » », à l'instar des « monuments men » pour les œuvres d'art, sont chargés d'aller récupérer, leurs matériels, plans, machines et formules encore enfouis dans leurs laboratoires en Allemagne, et de les expédier aux États-Unis. Ces précieux chargements décollent à bord d'avions-cargos pour l'Amérique, au nez et à la barbe des Russes, mais aussi des Anglais et des Français coiffés sur le poteau. L'un de ces rivaux battus, à la tête d'un commando de Sa Majesté, s'appelait Ian Fleming - le père de James Bond. Tous ces scientifiques en cavale se voient offrir le sésame attendu : un aller simple pour l'Amérique et la promesse de faire du passé table rase

En 1946, un groupe de 104 scientifiques allemands spécialisés dans les fusées, dont Wernher von Braun, Ludwig Roth et Arthur Rudolph, se réunissait à Fort Bliss, au Texas. Le groupe avait été subdivisé en deux sections : la plus petite à White Sands Proving Grounds pour les lancements d'essai et la plus grande à Fort Bliss pour la recherche. Beaucoup d'entre eux avaient travaillé au développement de la fusée V-2 à Peenemünde, en Allemagne, et étaient venus aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, travaillant ensuite sur diverses fusées, dont la fusée spatiale Explorer 1 et la fusée Saturn à la NASA.

Ce qui frappe dans les archives, c'est l'aplomb à peine croyable de ces hommes. Après avoir servi Hitler avec zèle, ils se rendent avec le sourire, certains d'être traités avec les égards dus à leur importance.

            Ainsi la France (et aussi Royaume-Uni et l’Union Soviétique) menèrent également des opérations similaires avec des moyens plus limités pour récupérer le savoir technologique de l'Allemagne. Par exemple, plusieurs installations d'essais aéronautiques furent démontées en Allemagne et reconstruites en France (dont, par exemple, la soufflerie S1MA de Modane, encore unique au monde). En Normandie à Vernon (Eure), au Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA) créé en 1946, une soixantaine de techniciens et ingénieurs allemands issus de la base militaire de Peenemünde, installés avec femmes et enfants dans une cité provisoire, le Buschdorf 5, travaillèrent à la mise au point des premiers moteurs à réaction de la chasse française (SNECMA Atar), du premier Airbus et des premières fusées françaises. De même, le premier hélicoptère construit dans l'usine devenue plus tard Eurocopter à Marignane, le SNCASE SE.3000, était une évolution d'un modèle récupéré en Allemagne, le Focke-Achgelis Fa 223 Drachen.

En politique internationale, les convictions des hommes d'État l'emportent rarement sur leurs responsabilités. La France en sait quelque chose : après avoir fait la chasse aux savants nazis, elle enrôla 6.500 anciens Waffen SS pour combattre le Vietminh communiste en Indochine avec la Légion étrangère.

                       Comme son prédécesseur Franklin D. Roosevelt, le président Harry Truman ne voulait aucun nazi sur le territoire américain. Mais aux considérations morales du président sera rapidement préféré le pragmatisme de l’armée, prête à tout pour prendre l’avantage sur l’URSS.

L’opération Paperclip ne passe pas totalement inaperçue et en 1947, plusieurs intellectuels et chercheurs s’insurgent du recyclage de savants allemands dans les laboratoires et les usines américaines. Plusieurs oppositions se sont exprimées au nom du respect de la démocratie et de l'éthique, notamment du New York Times, de l'ancienne Première dame Eleanor Roosevelt, du scientifique Albert Einstein ou encore du docteur Léopold Alexander, un médecin juif d'origine autrichienne exilé aux États-Unis en 1933. Mais quand en 1947 le président Truman institue sa politique d’« endiguement » de l’URSS les critiques se taisent. L’anticommunisme prend le pas sur les considérations morales. Le président Harry Truman, lui-même, mis tardivement dans la confidence, décidera de ne médiatiser que les inventions des 58 savants nazis embauchés par l'US Air Force, « utiles » dans la vie quotidienne : la stérilisation des jus de fruits et du beurre, les collants féminins qui ne glissent plus, les thermomètres auriculaires, les combinaisons anti-G pour les pilotes de chasse, …. Un halo de secret entourera les contours de Paperclip, commodément plongé dans l'oubli par l'establishment politico-militaire. La société américaine ignorera l’essentiel de ce qu’elle elle doit à ces nazis, acceptés en son sein avec la bénédiction de l'US Army, jusqu'aux révélations dans les années 1970.

            À partir de 1945, on estime que 5.000 scientifiques et techniciens allemands ont été amenés aux États-Unis. Malgré la « souillure » attachée aux scientifiques nazis, faire venir aux États-Unis des experts en fusées comme Wernher von Braun était considéré comme vital dans le contexte de l’escalade des tensions avec l’Union soviétique. Les scientifiques allemands ont aidé les États-Unis à construire un missile balistique intercontinental (ICBM) et – finalement – à dépasser la Russie dans la course à la lune.

Wernher von Braun, the dark side of the moon

A l’approche de la fin de la guerre, dont l’issue ne lui fait plus de doute, Wernher von Braun, en janvier/mars 1945 a encore osé ordonner la réquisition de 1.800 déportés français supplémentaires à Buchenwald, afin d'intensifier la cadence de tir des V2. Certains documents montrent clairement qu’il a bel et bien signé des demandes d’envoi de travailleurs forcés supplémentaires.

Demande d’envoi de prisonniers supplémentaires pour l’usine de Mittelwerk, signé par von Braun.

            Et il comprend aussi que son avenir scientifique est compromis en Allemagne ; il prend soin de mettre à l'abri ses archives les plus sensibles, avant de prendre la poudre d'escampette vers un chalet d'altitude bavarois.

Elevé dans la haine du communisme, il décide de se tourner vers les Alliés. Malgré la vigilance de la SS qui se charge de prévenir toute défection chez les chercheurs du Reich, il parvient à s’échapper en se cachant dans des grottes avec une centaine de ses ingénieurs. Le 2 mai 1945, il se rend aux troupes alliées en ayant pris soin d’emporter avec lui la précieuse documentation scientifique, afin de négocier son passage à l’ennemi. Von Braun peut dormir sur ses deux oreilles. Il sait l'importance de ses inventions pour le camp des vainqueurs, dans le nouvel ordre mondial qui se dessine. Tout comme ces autres savants nazis, médecins, chirurgiens, neurologues, chimistes, biologistes, bactériologistes qui, au même moment, trient fiévreusement leur documents et … font disparaître comme ils le peuvent les traces d'expériences atroces, avant de se mettre à l'abri et de tenter de passer entre les gouttes dans un après-guerre encore flou. Ces hommes sont les apprentis sorciers d'un régime qui a mis la moitié du monde à feu et à sang et commis l'innommable.

Le Major général Walter Dornberger, commandant du site de Peenemünde ; le lieutenant-colonel Herbert Axter; le professeur Wernher von Braun, un bras dans le plâtre, inventeur des missiles V-2 et gradé de la SS; ainsi que Hans Lindenberg ; photo prise après leur reddition aux troupes de l'armée américaine. Allemagne, 1945 : ©Wikimediacommons

            Le 20 septembre 1945, dans le cadre du programme Paperclip qui récupère les savants allemands, le professeur Wernher Magnus Maximilian Freiherr von Braun pose ses valises en Amérique. Il est affecté à Fort Bliss (Texas), le site chargé du développement des missiles balistiques, avec la mission de poursuivre les travaux entrepris en Allemagne. En 1950, environ 1.000 personnes furent transférées de Fort Bliss à l'arsenal de Redstone pour former l'Ordnance Guided Missile Center (OGMC). Au cœur de cette mission se trouvait un groupe d'environ 200 scientifiques et ingénieurs allemands, dirigés par Wernher von Braun. Affectés au centre de Huntsville (Alabama), ils s'y installèrent et fondèrent des familles.

Quand Wernher von Braun et ses compatriotes intègrent la NASA, les scientifiques allemands se sont arrogés tous les postes de direction du centre de vol spatial Marshall au Redstone Arsenal, à Huntsville (Alabama). L’organigramme est quasiment identique à celui de Pennemünde: Wernher von Braun devient le premier directeur du centre de vol et Arthur Rudolph, un ami qu’il a côtoyé dans l’"Association pour la navigation Spatiale" à Berlin au début des années 1930, est son chef de production. Ceci finalement est sans surprise, car initialement, centre de développement de missiles sol-sol de l'Armée de Terre, le Redstone Arsenal, accueille alors pratiquement tous les ingénieurs et techniciens allemands spécialistes des fusées, exfiltrés par les Américains après la défaite du régime nazi et placés sous la direction de Wernher von Braun. Ceux-ci développeront les premiers missiles à courte et moyenne portée de l'Armée puis les premiers lanceurs américains.

Intégré dans l’armée de terre, Wernher von Braun souffre de la méfiance d’une partie des preneurs de décisions américains, qui rechignent à confier à un allemand le programme spatial naissant. Mais après l’échec cuisant du lancement du satellite TV-3 mené par la Navy, von Braun est chargé d’envoyer dans l’espace le premier satellite américain. Quatre mois après le lancement par les Soviétiques de Spoutnik 1, le 4 octobre 1957, le premier engin placé en orbite autour de la Terre qui marque le début de l'ère spatiale, les Américains s’installent dans l’espace le 31 janvier 1958 avec Explorer 1. C’est le début de la célébrité pour Wernher von Braun, qui rejoint la NASA à sa création, le 29 juillet 1958.            

Le « Rocket group », les savants passés du centre de recherche de Pennemünde en Allemagne à celui de Marshall, aux États-Unis. (L’officier au centre est le seul à ne pas avoir des origines allemandes).

            Dans les années 1960, La conquête spatiale devient une priorité américaine. « Dans les zones cruciales de notre monde à l’épreuve de la guerre froide, le premier dans l’espace est le premier partout. Le second dans l’espace est le second partout », écrira le vice-président Lyndon Johnson. Wernher von Braun et ses équipes sont plus que jamais essentiels aux États-Unis dont les services de renseignement cachent toujours le passé sulfureux. Une censure s’instaure dans la presse, de fausses informations sont divulguées, et les notes des entretiens destinés à vérifier le degré de nazisme des savants sont même biaisées. Arthur Rudolph, qui conçu la fusée Saturn V et « nazi à 100% », selon le rapport des services de renseignement, voit ainsi sa fiche gommée de toutes mentions embarrassantes.

Wernher von Braun et le président John F. Kennedy lors du lancement d’une fusée (Crédit : domaine public)

            Quand le 21 juillet 1969, le module lunaire Eagle alunit, les méfiances envers les scientifiques allemands s’envolent. Wernher von Braun est porté sur les épaules des habitants de Huntsville, où se trouve le centre de vol spatial Marshall. « Certains prétendent que peu importent les crimes que les Allemands ont pu commettre, puisqu’ils nous ont aidés à marcher sur la Lune. Et personne ne parle des esclaves morts qui les avaient aidés à fabriquer les V2, et dont les fantômes crient encore justice ».

            Les années 1960 passent et avec elles les rêves cosmiques des Américains. Plus préoccupés par la guerre du Vietnam et la récession, la Lune ne fait plus les grands titres de la presse. En 1970, Wernher von Braun quitte la NASA. Dès lors, c’est toute l’influence allemande sur le programme spatial américain qui s’étiole, et peu à peu, les savants de Paperclip sont poussés vers la sortie.

La fin de l’âge d’or spatial signa la fin de leur protection. En 1974, la représentante de l’État de New york, Elizabeth Holtzman lance des enquêtes sur le programme Paperclip, et le passé des savants allemands. Wernher von Braun ne sera pas inquiété. Certains de ses confrères, tout aussi voire beaucoup plus lourdement impliqués dans l’horreur nazie, devront pour leur part rendre des comptes. C’est notamment le cas pour Arthur Rudolph qui verra son passé exposé au grand jour en 1984. Déchu de la nationalité américaine, il devra quitter le pays et rendre ses médailles. Wernher von Braun lui, est toujours récipiendaire de la National Medal of Science.

            En mars 1947, il est autorisé à repartir en Allemagne pour se marier (ils auront trois enfants) avant de revenir accompagné de sa belle-famille. Le 15 avril 1955, il acquiert la nationalité américaine. Le 16 juin 1977, Wernher von Braun meurt des suites d'un cancer du pancréas à Alexandria (Virginie). Le premier vol de la navette spatiale Enterprise, prévu le jour même, est reporté au lendemain en considération de cet événement !

 Le Dr. Von Braun, directeur du centre de vol spatial de la NASA, mai 1964.

            Wernher von Braun s’est toujours défendu d’être un idéologue. Il soutient avoir rejoint le parti nazi par commodité, afin de continuer ses recherches. Il a pourtant travaillé en collaboration étroite avec l’usine Mittelwerk en Thuringe, où 20.000 détenus du camp de concentration de Dora moururent à la tâche. Von Braun, deviendra pourtant une source d'inspiration pour Hergé et son album de Tintin On a marché sur la Lune, mais aussi Stanley Kubrick et son film Docteur Folamour, où un savant germanique ne peut refréner des saluts nazis compulsifs

Le cas Kammler

            Le Dr Ing. Hans Friedrich Karl Franz Kammler, un ingénieur civil, administrateur et général allemand des SS ayant atteint le grade d'Obergruppenführer (un des plus hauts grades SS), supervisa la construction de nombreux camps de concentration, dont la transformation d’Auschwitz-Birkenau en un camp de la mort en 1942, avant de devenir, responsable du programme des missiles V2, Mirttewerk-Dora fin 1943. Les circonstances de sa mort restent nébuleuses et contradictoires.

Le 3 avril 1945 Kammler rendait visite à Hitler pour la dernière fois et manifestement il était optimiste. Puis, le 13 avril il aurait révélé à Albert Speer ses plans pour l’avenir : conscient que le Reich avait perdu la guerre, par crainte des communistes, sa volonté d'entrer en contact avec les Alliés et leur proposer les dernières technologies. Il se serait suicidé au cyanure, le soir du 09 mai 1945, dans la forêt autour de Prague au moment où les troupes de l’Armée Rouge prenaient la ville. Pendant des décennies, il a été supposé que Kammler s’était suicidé ou … avait été « suicidé » à la libération de Prague.

            Une thèse de l’Américain Dean Reuter veut que Hans Kammler aurait été « livré » aux Américains par son subordonné, Wernher von Braun, spécialiste des fusées allemandes, qui craignait que les secrets de Kammler ne tombent entre les mains des Soviétiques. Bien que von Braun disposait du savoir-faire scientifique, Kammler – en tant que supérieur direct de von Braun – en savait beaucoup plus sur le personnel, les fournitures et les documents mis à l’écart. D’autant plus que certains de ces documents étaient cachés dans la zone soviétique, qu’il aurait été dangereux de révéler aux Soviétiques. Kammler et les Américains auraient ainsi conclu un accord selon lequel il leur a donné l’équipe des fusées contre l’effacement de son passé et que « dans le cadre de ce marché, les Américains ont couvert sa mort et le monde a accepté qu’il soit mort » ! A l’issue d’'une rencontre entre Kammler et les autorités américaines d'occupation en novembre 1945, il lui aurait été permis de s'enfuir en Amérique du Sud par les réseaux d'exfiltration nazis.

            Cette thèse de la fuite contre échanges d'informations et de spécialistes n'est pas confirmée par l'ouverture des archives américaines, peut-être … « hautement expurgées ». Kammler n’aurait jamais été un candidat à la « réhabilitation » aux États-Unis. Au contraire, il aurait simplement donné aux forces américaines ce qu’elles voulaient moyennant quoi l’ancien général SS aurait été autorisé à fuir l’Allemagne en suivant une « ratline» (***) hors d’Europe, par laquelle des milliers de criminels de guerre nazis ont fui vers l’Argentine et d’autres pays d’Amérique du sud.

Il est également possible qu’il ait été utilisé comme un atout pour les services de renseignements en Europe, comme Klaus Barbie ou d’autres personnes ont utilisées et « éloignées ». Même le Mossad israélien ou le Centre Simon Wiesenthal n’ont pas recherché Kammler !

(***)      Les réseaux d’exfiltration nazis (ratlines) sont les filières empruntées par des nazis, des fascistes et des oustachis afin de fuir l'Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces filières conduisaient essentiellement vers des abris sûrs en Amérique latine, notamment en Argentine, au Brésil, au Paraguay et au Chili, mais également au Proche-Orient, principalement en Égypte et en Syrie. Les États-Unis et le Canada ont également pu figurer au nombre des destinations. Quelques bénéficiaires de ces réseaux tristement célèbres sont notamment Adolf Eichmann, Josef Mengele, Erich Priebke et Ante Pavelić.

Les réseaux d'exfiltration nazis demeurent, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, peu connus. En Suisse on parle de « rumeurs sur les tentatives de fuite des dirigeants nazis » et « de nombreux hydravions posés dans la région du lac de Constance ». En réalité, les gouvernements et des institutions internationales, voire l’Eglise, ont joué un rôle plus important que les organisations secrètes.

Sources : Le Figaro - Stanislas Poyet – 20 jul 2019 / Valeurs actuelles - Jean-Michel Demetz – 21 jul 2019 / Le Figaro - Maurin Picard – 25 mai 2014 / fr.timesofisrael.com - Matt Lebovic - 26 Jan 2022 / Dean Reuter, The Hidden Nazi : The Untold Story of America’s Deal with the Devil (2019) / Wikipedia

Pour une narration romanesque de ces dramatiques évènements, je vous recommande la lecture de "L'épouse allemande" de Kelly Rimmer  (Ed. Charleston - 2024)

Les missiles hypersoniques

Principales caractéristiques des armes hypersoniques

            Alliant une vitesse inédite – Mach 5 (plus de 6.000 km/h, soit 5 fois la vitesse du son), sachant que des recherches en cours visent à leur permettre d’atteindre des vitesses allant jusqu’à Mach 20 – à une manœuvrabilité exceptionnelle, ces armes sont particulièrement délicates à intercepter pour les défenses antimissiles existantes.

Les armes hypersoniques font l’objet de recherches depuis l’époque de la guerre froide. Cependant, à l’époque, les technologies liées à la résistance à la chaleur des matériaux, ainsi que des problèmes relatifs aux systèmes de guidage et de propulsion avaient empêché leur développement. Désormais, la majeure partie de ces défis technologiques ont été relevés. Les matériaux avancés capables de résister aux frottements à des vitesses hypersoniques, lesquels génèrent des températures extrêmes, commencent à être mis au point. Et le maintien de la précision à de telles vitesses, en raison des perturbations atmosphériques et des interférences électroniques, est également aujourd’hui de plus en plus maîtrisé.

Les armes hypersoniques sont de deux types : les planeurs hypersoniques (Hypersonic Glide Vehicles, ou HGV) et les missiles de croisière hypersoniques. Les HGV sont déployés sur des missiles balistiques et libérés dans la haute atmosphère avant de planer à des vitesses extrêmes vers leur cible. Les missiles de croisière hypersoniques, quant à eux, sont plus autonomes dans la mesure où ils possèdent leurs propres moteurs statoréacteurs à combustion supersonique (« scramjets ») qui leur permettent de maintenir des vitesses extrêmement rapides en vol horizontal, tout en étant capables d’adopter des trajectoires manœuvrantes permettant d’augmenter leur capacité de survie.

Une compétition acharnée entre puissances

            Les grandes puissances – les États-Unis, la Russie et la Chine – ou encore les puissances moyennes à haute capacité technologique comme la France se livrent une compétition intense pour développer et déployer ces armes. Chaque pays vise à minimiser des lacunes perçues dans sa posture de dissuasion et cherche à acquérir un avantage comparatif stratégique avec ses compétiteurs.

La Russie possède une certaine avance avec des systèmes comme l’Avangard, le Kinzhal ou encore le Zircon, pour ce dernier capable de transporter des ogives nucléaires, qu’elle a testés avec succès en 2018, renforçant son rôle de pionnier dans ce domaine. Pour autant, à ce jour, les résultats des systèmes russes n’ont pas encore été à la hauteur des espoirs de Moscou.

La Chine, quant à elle, développe le DF-ZF, un planeur hypersonique dont la tâche principale est de contourner les systèmes antimissiles des États-Unis, dans le but de redéfinir les équilibres stratégiques en Asie.

Les États-Unis, bien qu’encore en retard dans certains domaines de l’hyper-vélocité, investissent massivement dans des programmes comme le CPS (Conventional Prompt Strike) pour maintenir une parité stratégique avec leurs concurrents et préserver leur prééminence militaire.

La France n’est pas en reste et travaille activement sur le programme du planeur hypersonique « V-MaX » (véhicule manœuvrable expérimental), porté par l’agence de recherche de la Direction générale de l’armement (DGA). Ce projet vise à doter le pays de capacités hypersoniques pour garantir sa souveraineté stratégique. Avec un calendrier marquant une forte volonté politique, la France espère rendre l’arme opérationnelle d’ici à 2035.

Des caractéristiques techniques conférant de nombreux avantages stratégiques

            Le fait que ces armes volent à une vitesse de Mach 5 et non pas à Mach 2 ou Mach 3, comme les missiles des générations précédentes, réduit considérablement le temps de réaction des adversaires et donc leur capacité à prendre des contre-mesures efficaces.

À titre d’illustration, un missile hypersonique peut atteindre une cible située à 2.000 km de son point de départ en moins de 15 minutes. Une telle rapidité confère un avantage décisif, empêchant toute détection précoce et permettant de neutraliser des objectifs stratégiques (états-majors, porte-avions, bases aériennes, cibles industrielles ou de communication, cibles politiques, etc.) si rapidement qu’aucune riposte ne sera possible.

En outre, contrairement aux missiles balistiques, qui suivent une trajectoire parabolique, les armes hypersoniques ont la capacité de changer de direction en vol, ce qui rend leur interception normalement quasiment impossible. Cette maniabilité complique les prévisions des systèmes de détection traditionnels que sont les radars terrestres ou les satellites.

D’après : The Conversation - Laurent Vilaine - 17 fév 2025