Le canal de Panama

Le canal de Panama, entre deux océans

            Avec ses 77 kilomètres de long, le canal de Panama traverse l'isthme de Panama, en Amérique centrale, et relie l'océan Pacifique à l'océan Atlantique. Non seulement cet incroyable projet lie deux océans, mais il coupe physiquement en deux le continent américain.

            Dès 1524, le roi Charles Ier d'Espagne souhaite épargner à ses navires un trajet de 11.000 kilomètres contraints de contourner l'Amérique du Sud et d’affronter le Cap Horn. Il envisage donc de relier les deux océans en traçant une voie maritime à travers le passage le plus étroit d'Amérique centrale.

            En 1534, Charles Quint reprend l’idée : un canal à Panama faciliterait le voyage des navires allant au Pérou et en Équateur.

            En 1698, le royaume d'Écosse se lança dans le projet Darién (Note) destiné à créer une voie commerciale terrestre, mais il fut abandonné en 1700 en raison des conditions inhospitalières.

Pour assurer un trafic de plus en plus intense vers la Californie, en particulier lors de la ruée vers l'or de 1849, un chemin de fer inter-océanique, long de 77 km, avait été mis en service au Panama le 27 janvier 1855, après cinq années de travaux qui coûtèrent la vie de 5.000 à 10.000 personnes. Ce fut le premier chemin de fer transcontinental (avant celui des Etats-Unis inauguré en 1869), mais cependant sans présenter les avantages d’une ligne maritime de bout en bout.

            Au XIXe siècle, c'est Ferdinand de Lesseps, auréolé du succès du canal de Suez, qui tente en 1882 de s'attaquer à ce défi : persuadé de la réussite de son entreprise et malgré des fonds insuffisants, il souhaite construire un canal au niveau de la mer, sans écluse. Mais la roche volcanique, trop dure, les ouvriers du chantier frappés par la malaria et la fièvre jaune, un tremblement de terre, les crues fréquentes du Rio Chagres, l’opposition géo-stratégique des Etats-Unis vont conduire l'ingénieur français à envisager de changer le schéma de construction pour adopter un système avec 10 écluses, un concept de Gustave Eiffel, qui, à sa demande, avait accepté de reprendre le projet. Mais il est déjà trop tard. D'autant que pour compenser les difficultés de financement de sa compagnie, Ferdinand de Lesseps a lancé une souscription publique qui, sur fond de corruption, ruine des milliers d'épargnants français ; de nombreux parlementaires, les fameux « chéquards » dont Clemenceau lui-même, furent éclaboussés et Gustave Eiffel sera emprisonné. Lorsque le scandale de Panama éclate, le projet de construction du canal est abandonné. Le gouvernement français et les actionnaires de la Compagnie nouvelle autorisent la vente bradée des actions aux Etats-Unis.

Un plan du Canal de Panama réalisé à la fin du XIXe siècle par William Mackenzie.• Crédits : Print collector - Getty

            Après l’abandon d’une variante d’un canal au Nicaragua, ce sont finalement les Etats-Unis qui reprendront le chantier. Le 3 novembre 1903, le président Theodore Roosevelt affirme de cette façon son soutien à l'indépendance du Panama, alors encore province colombienne. Le 18 novembre 1903, à New York, est signé le traité Hay-Bunau-Varilla, faisant du Panamá un protectorat. Les États-Unis reçoivent une frange de 10 milles de large des deux côtés du canal, pour sa construction et son exploitation à perpétuité. La souveraineté dans la zone du canal leur revient, le Panamá étant « exclu de l’exercice de tels droits souverains, pouvoir ou autorité ». Il leur est également concédé un droit d’ingérence permanent dans les affaires intérieures panaméennes, et la possibilité d’intervenir militairement en cas d’atteinte à l’ordre public. Cette clause prend force de loi lorsqu’on l’inclut dans la Constitution, rédigée avec la participation du consul américain William I. Buchanan, et promulguée le 20 février 1904.

            Cette fois, le projet se fonde sur une étude réalisée en 1879 par l’ingénieur français Adolphe Godin de Lépinay qui avait été rejetée par Ferdinand de Lesseps. Le canal est pensé à 26 mètres au-dessus du niveau de la mer, grâce à un système composé de trois écluses alimentées par le lac artificiel Gatùn, créé grâce à un barrage sur le fleuve Rio Chagres.

Après plus de dix années supplémentaires de travaux, le 15 août 1914, le canal est ouvert. Plus encore que les avancées technologiques, ce sont les progrès en matière sanitaire qui ont permis d'achever sa construction : le drainage des marais et la fumigation des habitations ont permis de faire reculer les cas de malaria et de fièvre jaune qui affectaient terriblement les ouvriers, même si la construction en tant que telle du canal coûta la vie à plus de 5.600 travailleurs durant la période 1881-1889, une source américaine en 1912 estimant qu'il y a eu en réalité plus de 22.000 décès.

            Une fois achevé, le canal devient un enjeu politique conséquent entre Panama et les Etats-Unis. Au cours des années 50, les Etats-Unis ne reversent que 2 millions de dollars sur les 50 millions que leur rapporte annuellement le transit maritime. Après de nombreuses négociations, et la répression d’une émeute le 09 janvier 1964, qui fit 27 morts, le général Omar Torrijos réussit à renégocier en 1977 l’accord sur la zone du canal (traités Torrijos-Carter). Le canal est finalement rétrocédé au Panama le 31 décembre 1999 ; en contrepartie, les navires battant pavillon américain ont la priorité sur les autres bateaux.

Rendus nécessaires par la taille de plus en plus imposante des navires, des travaux réalisés entre entre 2007 et 2016 ont permis d'élargir le canal grâce à de nouvelles écluses. Un chantier toujours en cours devrait permettre de porter la capacité maximale de celui-ci à 510 millions de tonnes par an en 2025.

Le canal de Panama a besoin d’importantes quantités d’eau douce. Contrairement au canal de Suez qui utilise de l’eau de mer, il est alimenté par le lac Gatun et le lac Alhajuela en complément. Chaque passage de navire nécessite 200 à 250.000 m3 d’eau douce, à raison d’une quarantaine par jour en temps normal. Par grande sécheresse, comme en 2013, la pluie est insuffisante pour recharger les stocks. Des armateurs sont alors contraints de faire passer une partie de leurs cargaisons par le rail pour diminuer le tirant d'eau des navires.

            Sa construction a été l'un des projets d’ingénierie les plus difficiles jamais entrepris. Son influence sur le commerce maritime a été considérable, puisque les navires n’ont plus à faire route par le cap Horn et le passage de Drake, à la pointe australe de l’Amérique du Sud. Un navire allant de New York à San Francisco par le canal parcourt 9.500 kilomètres, moins de la moitié des 22.500 kilomètres du voyage par le cap Horn.

L'USS Missouri dans les écluses de Miraflores, canal de Panama, le 13 octobre 1945, alors qu'il est en route du Pacifique vers New York City pour participer aux célébrations du Navy Day.

            Plus d’un navire sur vingt de la flotte commerciale mondiale emprunte le canal, et environ 40% des conteneurs états-uniens. Les deux tiers du fret qui transite entre les ports de Colon (Atlantique) et Panama (Pacifique) proviennent ou sont à destination des États-Unis. Durant l’année fiscale octobre 2020 / septembre 2021, l’Autorité du canal a comptabilisé 516 millions de tonnes ayant traversé l’isthme à bord de 13.342 navires, soit 36 par jour, ce qui représente le record de trafic pour Panama et environ 3,5 % du commerce maritime mondial. Une progression du tonnage qui s’explique surtout par le fait que la taille des bateaux a considérablement grossi.

La route maritime auparavant limitée aux Panamax, transportant « seulement » 5 000 conteneurs, autorise, depuis 2019, avec sa voie d’eau élargie et ses nouvelles écluses, les plus gros porte-conteneurs, de la classe Post-Panamax (14.000 conteneurs sur un navire) l’empruntent. Ces monstres des mers peuvent mesurer jusqu’à 366 mètres de long et 46 mètres de large et porter le volume du trafic à hauteur de 6% du commerce maritime mondial.

Note : Le projet Darién (Darien Scheme) est la plus connue des tentatives coloniales écossaises, visant à développer le commerce entre les deux océans, qui vit périr entre 1698 et 1700 la quasi-totalité des 2.500 Écossais s'étant installés dans l'isthme de Panama, là où les pirates se réunissaient chaque année pour gagner le Pacifique par les rivières avec les Indiens Kunas. L'argent englouti dans ce projet échafaudé depuis quinze ans par Sir William Paterson, négociant parlementaire whig, représentait un cinquième des revenus écossais et l'indemnisation des actionnaires fut négociée en échange du rattachement de l'Écosse et de l'Angleterre en 1707 et de la création de la Royal Bank of Scotland.

Comment fonctionne le canal de Panama. (cliquer ce lien ou l'image)

Le canal de Panama menacé par la sécheresse

            Présenté comme la huitième merveille du monde lors de son ouverture, en 1914, le canal de Panama dispose d’un système d’écluses gigantesques. Il s’agit d’élever les navires à 26 mètres au-dessus de la mer, contrairement au canal de Suez, qui a été creusé au niveau zéro. Les écluses nécessitent donc d’importantes quantités d’eau, 200 à 250.000 m3 à chaque passage de navire, parfois à raison d’une quarantaine par jour en temps normal. Mais contrairement au Canal de Suez qui utilise de l’eau de mer, le canal n’est pas alimenté par les océans ; il a besoin des volumes considérables d’eau douce du lac Gatun, l’immense réservoir artificiel, pour alimenter ses écluses. Cette singularité, saluée en son temps comme une prouesse technique, pourrait devenir son talon d’Achille.

            Le ballet nautique incessant a été gravement perturbé fin 2023, en raison de précipitations insuffisantes. L'Autorité du canal de Panama (ACP) a calculé qu’elle devait affronter un déficit quotidien de 3 hm3 (1 million de mètres cubes). Elle a donc, fin juillet, réduit le tirant d'eau à 44 pieds (13,4 mètres) et décrété une première limitation drastique du trafic, qui est alors passé à 32 bateaux quotidiens, puis à 29. Il sera progressivement réduit à 18 en février 2024. Ces restrictions, outre qu’elles contraignent des armateurs à faire passer une partie de leurs cargaisons par le rail, ont fait allonger les temps de transit de 6 jours et donc exploser les délais pour le passage des bateaux, avec une file d'attente qui a atteint jusqu'à 163 navires en août 2023.

Vue des écluses de Miraflores (à gauche) et des écluses de Cocoli (à droite) du canal de Panama

            En plus de la réduction du trafic, a été développée une stratégie d'économies d'eau au sein des écluses centenaires de Miraflores, côté Pacifique, en bordure de la capitale Panama City. On déplace l’eau d’un bassin à l’autre, de façon à permettre aux cargos, dans un sens ou dans l’autre, de rejoindre le niveau du lac Gatun. L'opération fait perdre 10 minutes, mais permet d'économiser 50% du précieux liquide.

            La pression sur le canal de Panama s'est aussi intensifiée lorsque les rebelles Houthis, en soutien à la population de Gaza, ont commencé à attaquer les bateaux transitant par Suez et la mer Rouge. Au pic de la crise, près de 200 navires attendaient pour traverser l’isthme américain. Certains ont payé le prix fort pour obtenir un des créneaux soumis aux enchères : l’une de ces ventes a atteint 4 millions de dollars, quelques-unes 2 millions.

            Les recettes du canal (2,5 milliards de dollars) représentent aujourd’hui 6% du PIB du petit pays d’Américaine centrale. Au-delà des besoins croissants de l'industrie maritime, l’ACP (Autorité du canal de Panama) fournit également de l'eau potable à 55% des 4,4 millions d'habitants, lesquels sont aussi les premiers consommateurs d'eau en Amérique latine.

            Une des solutions envisagées (en alternative à ce que serait un « canal ferroviaire sec ») est la construction d’un barrage supplémentaire, sur le fleuve Indio, situé à 15 km du lac Gatun. De quoi fournir de l’eau pour assurer entre 11 et 16 passages de cargos en plus chaque jour. Ce projet, étudié dès 2006, notamment pour assurer des besoins hydriques majeurs liés à l'inauguration des écluses géantes NeoPanamax en 2016, est estimé à 1,2 milliard de dollars.

Au-delà des pays d’Amérique centrale, l’activité portuaire du monde entier est touchée par ricochet. En France, par exemple, les ports de l’Atlantique et de la mer du Nord ont vu leurs flux sortants diminuer de près de 10 % en raison du stress hydrique dont souffre le Panama.