L’huile de palme, histoire et marché.
L’or rouge en Afrique de l’Ouest
D'après : The Conversation - Pauline von Hellermann - 11 avr 2022
Un baril rempli d'huile de palme dans le comté de Nimba, au Liberia. Edwin Remsberg/GettyImages
. Depuis des milliers d'années, le palmier à huile, originaire d'Afrique de l'Ouest, entretient une relation intime avec l'homme. L'expansion très rapide des palmeraies dans toute l'Afrique occidentale et centrale, depuis la période de sécheresse d’il y a 2 500 ans environ, a favorisé la migration humaine et le développement de l'agriculture ; à leur tour, les hommes ont favorisé la propagation des palmiers à huile en dispersant leurs graines et en pratiquant la culture sur brûlis.
Des preuves archéologiques montrent que les fruits du palmier et leur huile faisaient déjà partie intégrante de l'alimentation des Africains de l'Ouest il y a 5 000 ans.
. Les femmes et les enfants ramassaient les fruits tombés sur le sol, tandis que les hommes récoltaient les grappes de fruits en grimpant au sommet des palmiers. Ces fruits étaient ensuite transformés en huile de palme par les femmes, selon un long processus à forte intensité de main-d’œuvre qui consistait à faire bouillir et à filtrer les fruits frais avec de l'eau de façon répétitive. Des méthodes similaires sont encore largement utilisées dans toute l'Afrique de l'Ouest.
Les jeunes hommes s’occupaient de la récolte des grappes de fruits frais – un travail dangereux. Pour le traitement de l’huile de palme, une autre méthode, beaucoup moins exigeante en main-d'œuvre, a été mise au point. Il fallait attendre que les fruits frais fermentent, avant d’être piétinés dans de grandes fosses creusées dans le sol, ou parfois dans de vieilles pirogues. L'huile ainsi obtenue était cependant beaucoup plus sale et indigeste ; mais elle était surtout moins chère, et cette nouvelle technique a permis d'en produire à plus grande échelle qu'auparavant.
Le transport de l'huile de palme représentait beaucoup de travail : il fallait transporter les calebasses remplies d'huile le long des chemins forestiers jusqu'à la rivière la plus proche et transiter sur des pirogues. Cela constituait une source de revenus en espèces pour les jeunes hommes, mais ce sont généralement les hommes plus âgés et déjà plus riches, et en particulier les chefs, qui tiraient le plus grand profit de « l'or rouge », grâce au travail de leurs épouses et de leurs esclaves et au contrôle du commerce.
Des femmes préparent de l'huile de palme en Côte d'Ivoire. SIA KAMBOU/AFP via Getty Images
. Alors que l'huile de palme rouge pure était extraite du mésocarpe externe charnu du fruit du palmier, les femmes, souvent aidées par des enfants, cassaient également les graines de cet arbre pour fabriquer de l'huile palmiste brune et claire.
L'huile de palme était, et demeure, un ingrédient clé de la cuisine ouest-africaine, comme le plat simple composé d'igname bouillie, d'huile de palme et de sel gemme (Kanwa), et de soupe Banga.
Dans toute l'Afrique de l'Ouest, l'huile de palme était utilisée pour la fabrication du savon; aujourd'hui, le savon noir yoruba Dudu-Osun est une marque déposée au Nigeria. Au royaume du Bénin, l'huile de palme était utilisée pour les lampadaires et comme matériau de construction pour les murs du palais du roi. Elle a, par ailleurs, trouvé sa place dans des centaines de rites et de produits médicinaux différents, notamment sous forme de pommade pour la peau et comme antidote aux poisons. En outre, la sève des palmiers à huile était récupérée pour la production de vin de palme, et les feuilles de palmiers fournissaient du matériau pour les toits en chaume et les balais.
Le boum du début du 19ème siècle
. À l'exception des plantations « royales » de palmiers à huile, établies au 18ème siècle pour la production de vin de palme dans le royaume du Dahomey (le Bénin depuis le 30 novembre 1975), tous les palmiers à huile d'Afrique de l'Ouest poussaient dans des bosquets sauvages ou semi-sauvages. Dans l'arrière-pays des Oil Rivers et dans de nombreuses autres régions, on pouvait trouver une abondance de palmiers à huile sauvages à exploiter. Quelques autres palmiers étaient plantés. Les Krobos dans le sud-est du Ghana, où quelques palmiers à huile poussaient naturellement, avaient commencé à pratiquer une culture intensive pour répondre à la demande européenne. Et les producteurs ouest-africains ont répondu avec succès à la demande accrue d'huile de palme européenne en modifiant et en développant les méthodes de production existantes à petite échelle.
Au Dahomey également, de nouvelles plantations ont été créées. Certaines régions du sud-est du Nigeria se sont tellement concentrées sur la production d'huile de palme qu'elles sont devenues totalement dépendantes des importations d'ignames en provenance du nord. Toutefois, il n'y a pas eu de transformation radicale et à grande échelle de la gestion des terres, de la propriété ou de l'écologie.
. L'huile de palme est connue en Europe depuis le 15ème siècle. Ce sont les marchands d'esclaves de Liverpool et de Bristol qui, au début du 19ème siècle, ont commencé à en importer à plus grande échelle. Ils connaissaient ses multiples usages en Afrique de l'Ouest et l'achetaient déjà régulièrement pour nourrir les esclaves déportés vers les Amériques.
Cette huile était utilisée comme lubrifiant industriel, dans la production de fer blanc, dans l'éclairage public et comme matière grasse semi-solide pour la fabrication de bougies et de savon. Dans les années 1820, les progrès de la chimie ont industrialisé à grande échelle la production du savon.
. Avec l’abolition de la traite des esclaves vers les Amériques en 1807, les négociants britanniques d'Afrique de l'Ouest se sont tournés vers les marchés européens et les ressources naturelles, telle l'huile de palme, comme matières premières. À cette époque, les principaux aliments, riches en matières grasses et en lipides en Europe étaient d'origine animale –comme le saindoux ou l'huile de poisson (baleines)– des produits pour lesquels il pouvait être difficile d'assurer un approvisionnement régulier. Ainsi, le marché de l'huile de palme constitua un débouché tout trouvé. Des quantités toujours plus importantes d'huile de palme – passant de 157 tonnes métriques par an à la fin des années 1790 à 32.480 tonnes au début des années 1850 – ont été introduites au Royaume-Uni par de petits négociants ouest africains.
Des hommes de l'éthnie Igbo de la région des Oil Rivers, dans l'actuel Nigeria, apportent des calebasses pleines d'huile de palme pour les vendre à un acheteur européen, vers 1900. Image © Jonathan Adagogo Green / The Trustees of the British Museum, CC BY NC SA
L'essor des courtiers en huile de palme
. Ce négoce n'était fait pas pour les coeurs sensibles. Une fois par an, les négociants passaient jusqu'à 6 semaines à naviguer sur de petites goélettes vers l'une des nombreuses stations commerciales de la côte ouest-africaine. Il y avait plusieurs douzaines de stations commerciales dans la région des Oil Rivers, dans l’actuel delta du Niger, centre du commerce de l'huile de palme en Afrique occidentale.
Les commerçants européens vivaient et commerçaient uniquement sur des voiliers abandonnés. C'était en partie pour échapper aux maladies indigènes mortelles, comme la malaria et la fièvre jaune, mais aussi parce que les autorités locales les empêchaient de construire sur la terre ferme. Le commerce intérieur était fatalement contrôlé par des courtiers locaux et des chefs de village.
Les commerçants européens donnaient à ces courtiers des marchandises européennes, telles que des ustensiles de cuisine, du sel et des tissus. Ensuite, ils attendaient à bord de leurs navires le retour des courtiers qui pouvait parfois demander des mois. Pendant ce temps, les tonneliers des négociants européens assemblaient de grands fûts pour recueillir cette l'huile de palme.
. De nombreux courtiers africains étaient eux-mêmes d'anciens esclavagistes. La traite des esclaves dans le delta du Niger n'a pas pris fin aussitôt l'abolition en Angleterre le 26 juillet 1833. L'abolition fut en effet progressive dans toutes les colonies britanniques ; le processus d'émancipation était prévu se terminer le 1er août 1840, moyennant de confortables indemnités pour les planteurs. Aussi la traite a-t-elle été pratiquée, de manière très rentable, pour soutenir le commerce de l’huile jusque dans les années 1840. Courtiers et négociants européens ont « naturellement » utilisé les moyens, toujours efficaces, des esclavagistes.
La richesse et le pouvoir pouvaient être acquis grâce au courtage, car les structures de pouvoir locales étaient profondément liées au commerce de l'huile de palme. Un courtier particulièrement puissant à cette époque fut William Dappa Pepple, le amanyanabo (roi) de Bonny (dans l'actuel sud-est du Nigeria) de 1837 à 1854.
Prise de contrôle coloniale
. À la fin du 19ème siècle, les chimistes ont découvert que l'hydrogénation pouvait être utilisée pour transformer les huiles végétales en margarine. Celle-ci a joué un rôle de plus en plus important dans l'apport de graisses dans l'alimentation de la classe ouvrière urbaine croissante d’Europe. Alors que le volume des importations d'huile de palme d'Afrique de l'Ouest vers le Royaume-Uni s'est stabilisé entre les années 1850 et 1890, la production à grande échelle de ce nouveau produit comestible a relancé la demande d'huile de palme au début du 20ème siècle.
Dans les années 1930, l'Afrique occidentale britannique (les actuels Nigeria, Ghana, Sierra Leone et Gambie) exportait environ 500 000 tonnes de produits du palmier par an. Ces produits ont continué à jouer un rôle majeur dans les économies rurales d'Afrique de l'Ouest, mais ils ont échappé progressivement au contrôle local sous l'administration coloniale ; la richesse et le pouvoir potentiels que l’huile de palme avait procuré à la population locale avaient disparu.
De plus, alors que les puissances coloniales continuaient d'étendre leur influence ailleurs dans les tropiques, une évolution qui allait changer la donne s’annonçait lentement : l'essor de la plantation de palmiers à huile. En quelques décennies, des étendues de forêts d'Asie du Sud-Est ont été défrichées, créant une voie rapide vers des plantations de monoculture à l'échelle industrielle, mettant ainsi fin à la position de l'Afrique de l'Ouest en tant que plaque tournante mondiale de la production d'huile de palme.
. Alors même que cette culture est originaire du continent africain, les pays du bassin du Congo ont importé plus de 470.000 tonnes d’huile de palme en 2017. A titre d’exemple, le Gabon a entrepris de réduire sa dépendance économique vis-à-vis du pétrole, ressource qui représente encore une large part de son PIB (plus de 20%). En plus de répondre à une ambition de diversification économique, le développement de la culture du palmier à huile vient de nouveau répondre à une vraie demande du marché local. Le Gabon ambitionne de porter sa production d'huile de palme à 425 000 tonnes en 2025 (contre 3.200 en 2013 !)
Le marché
. On retrouve l’huile de palme dans un nombre important de produits du quotidien. Largement utilisée par le passé dans des produits alimentaires, l’huile de palme et ses dérivés sont de plus en plus utilisés pour les bio-carburants. L’alimentation, de la margarine au chocolat, en passant par les pizzas, les pains et les huiles de cuisson, pèse plus des deux tiers (68%) ; les applications industrielles (industrie et produits de consommation tels que les savons, les détergents, les cosmétiques et les agents de nettoyage) : 27% ; la bioénergie : 5% (41% en Allemagne).
L'évolution du marché de l'huile de palme est moins celle du produit que celle de la demande croissante d'huiles végétales. C’est en effet l’huile végétale la plus produite, consommée et vendue au monde. Entre 1990 et 2020, la production d’huile de palme a été multipliée par 6 pour atteindre plus de 73 millions de tonnes, et par 35 au cours des 50 dernières années (2 millions de tonnes en 1970).
. La production est principalement en Indonésie (57%) et Malaisie (27%), deux pays qui concentrent près de 85% de la production mondiale. Le reste est produit dans des pays tropicaux d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Comme celles destinées aux autres types d’huile, les surfaces plantées en palmiers ont connu des augmentations sensibles. Par exemple, en Malaisie, la surface des palmeraies est passée de 3,34 millions d’hectares en 2000 à 5,3 millions d’hectares en 2020. Les petits exploitants d’huile de palme, pour une fois, s’en tirent bien, puisque la part de surface plantées qu’ils cultivent est passée de 9,6% en 2000 à 14% en 2011.
Depuis 1980, la surface des terres que le monde utilise pour cultiver des palmiers a plus que quadruplé, passant de 4 millions à 19 millions d'hectares en 2018. L'Indonésie et la Malaisie représentent 63 % de l'utilisation mondiale des terres pour la palme. Ce chiffre est faible si l'on considère qu'il représente 84 % de cette production. Cela s'explique par le fait que les deux pays obtiennent des rendements élevés. 19 millions d'hectares, cela peut sembler beaucoup. Mais il faut considérer ce chiffre dans le contexte de l'ensemble des terres utilisées pour la culture des oléagineux. Le monde consacre plus de 300 millions d'hectares à la production d'oléagineux. L'huile de palme, en raison de ses forts rendements représente 6 % de cette utilisation des terres, ce qui est peu si l'on considère qu'elle produit 36 % de l'huile.
Les palmeraies sont très productives (les grappes de fruits peuvent être récoltées jusqu’à 3 fois par an) et fournissent une huile polyvalente. Selon le rapport Oil World 2015, les palmiers produisent une moyenne de 4,0 tonnes d’huile/hectare, bien plus que les 0,8 pour le colza, 0,7 pour le tournesol, ou encore 0,4 pour l’arachide et le soja. Elles se sont donc imposées comme un choix naturel pour répondre à la demande. Cette culture permet de créer des emplois, du petit producteur aux grosses industries, tout en contribuant aux économies locales et nationales. Elle constitue pour les populations rurales, une opportunité de sortir de l’extrême pauvreté.
. D’un point de vue environnemental, certes, les palmiers à huile, se développant le mieux dans des milieux chauds et humides, progressent au détriment des forêts tropicales. Mais remplacer les 73 millions de tonnes annuelles d’huile de palme, par des huiles plus traditionnelles, nécessiterait d’y consacrer 130 millions d’hectares supplémentaires de terres cultivées ou à déboiser, soit 43% de surfaces supplémentaires !
A titre de comparaison, selon le rapport 2020 de la FAO, dans le monde, environ 1,15 milliards d’hectares de forêt est principalement géré pour la production de bois et de produits forestiers non ligneux. En outre, 749 millions d’hectares sont destinés à des usages multiples, ce qui inclut souvent la production. Si un arbre cultivé est abattu au bout de 20 ans en moyenne, cela implique environ 95 millions ha abattus (et donc de forêt détruite) chaque année ; la FAO indique également une perte nette de couverts forestiers de 129 millions d’hectares au niveau mondial entre 1990 et 2015.
Il faut également souligner que, en temps que plante arborescente, le palmier à huile fixe et stocke plus de carbone (1,6 tonne par hectare et par an) que les autres plantes oléagineuses. Par ailleurs, il utilise moins d’engrais et de produits phytosanitaires : 0,4 kg de pesticides par hectare et par an contre 5,8 sur une culture de soja, ce qui correspond à 100 fois moins de pesticides appliqués pour la même quantité d’huile végétale produite.
. L’Indonésie a adopté en 2011 un moratoire contre la déforestation en vue du développement de nouvelles plantations de palmiers à huile. À l’époque, ce moratoire a été soutenu par de nombreux pays européens. Il fait désormais partie intégrante de la législation indonésienne.