Les Conteneurs

          A coté des marchandises en vrac (minerai de fer, charbon, céréales, …) et liquides (pétrole, GNL, produits chimiques, …), 35% du commerce maritime mondial de marchandises (en volume et 60% de la valeur commerciale) sont faits par conteneurs. De plus en plus, les marchandises sont donc « mises en boite », transportées dans des conteneurs, la grande révolution du transport maritime des dernières décennies.

Cette idée de génie, on la doit à l’américain Malcom McLean. Ancien routier, devenu entrepreneur, le fondateur de Sealand, l’entreprise pionnière des transports inter-modaux, qui, en 1956, fut le premier à imaginer, avec Roy Fruehauf, des remorques de camions détachables, donc directement transférables sur les navires. Le premier transport de marchandises empruntant ce vecteur remonte ainsi à 1957 aux États-Unis. Le premier porte-conteneurs circule en effet depuis le port de Newark dans le New Jersey vers celui de Miami en Floride. McLean reconstruisit le pétrolier Ideal X de la Pan-Atlantic Steamship, et se lança dans l’expédition par bateau des remorques de camions sans leur châssis entre New-York et Houston.

Pourtant, cela faisait plus de cent ans que des systèmes de conteneurs et des tentatives de standardisation existaient mais ce fut le système de Mc Lean et Fruehauf qui prit racine, ne serait-ce qu’en raison de son adoption par l’armée américaine afin de répondre aux nécessités logistiques de la guerre du Vietnam.

On trouve aujourd’hui une grande diversité de conteneurs. Ils peuvent être réfrigérés, sans toit et recouverts d’une bâche (les open-tops), ou encore avec seulement un plancher pour les marchandises volumineuses (les flat-racks).

Ce mode de transport présente des avantages évidents à savoir une réduction radicale du coût de transport des marchandises en permettant la concentration de dizaines de milliers de tonnes de biens sur un seul vaisseau. Aujourd’hui, à partir d’un certain volume, importer en France depuis la Chine n’est pas plus onéreux que depuis l’Espagne. Ainsi, les marchandises produites à bas coût en des lieux éloignés géographiquement des pays les plus riches deviennent, par la grâce du conteneur, compétitives sur les marchés éloignés et favorisent les délocalisations. La distance n’est apparemment plus un problème. En 2022, 21 % des biens importés dans l’Union européenne provenaient de Chine.

L’importation de biens de consommation à bas prix présente également l’avantage de faire pression à la baisse sur le coût de la force de travail. Dès lors, à partir des années 1970, un processus de conteneurisation des grands ports marchands se développera touchant dans un premier temps les pays les plus développés avant de se répandre sur toute la planète.

La concurrence acharnée que se livrent les grandes plates-formes logistiques pour attirer les flux, fait que, le délai moyen d’immobilisation des marchandises doit tendre continuellement à la baisse pour jouer sur les coûts. Entre 2004 et 2021, il aurait diminué de plus de 60 %. Ainsi dans le terminal de Maasvlakte (Rotterdam), la circulation des conteneurs, du débarquement au transbordement, est complètement automatisée : des grues aux drones roulants pilotés depuis leurs écrans par des « cyberdockers ».

            Aujourd'hui, le conteneur, dont trois groupes chinois fabriquent l'essentiel, règne en maître absolu sur le commerce mondial, stigmatisant la mondialisation. Les raisons de ce succès sont évidentes : la simplicité du système, une bonne garantie contre les risques de vols ou d'avaries et la standardisation mondiale dont il fait l'objet. Il a permis d'automatiser la quasi-totalité des opérations de transport. Multimodal, il permet de passer du navire au camion et au train en quelques minutes, avec ses dimensions standardisées qui permettent une manutention facilitée et une meilleure productivité ; c’est le mode de transport idéal pour le porte-à-porte.

            Le mode maritime présente l’énorme avantage de massifier le transport de conteneurs : 22.000 sur les plus gros navires contre environ 90 pour un train. Chaque conteneur pouvant contenir 4.000 boites de chaussures, ce sont 88 millions de paires de chaussures qui peuvent être transportées par un navire contre moins de 400.000 pour un train.

Le « high cube », de longueur 20 pieds (6,1 m), d’un volume de 33,2 m3 utiles (dimensions internes : longueur 5,900 m ; largeur 2,352 m ; hauteur de 2,393 ; 2.230 kg à vide avec une capacité de poids net de 28.250 kg) -TEU (twenty foot equivalent unit) ou EVP (équivalent vingt pieds)- s’est imposé au niveau international, de même que le « high cube » de 40 pieds (12,2 m) de 67,8 m3 utiles (dimensions internes : longueur 12,034 m ; largeur 2,352 m ; hauteur de 2,395 ; 3.720 kg à vide avec une capacité de poids net  de 55.540 kg). A l'intérieur des États-Unis on trouve aussi des conteneurs de 53 pieds (16,15 m ; 90 m3), dimension qu’autorise la longueur des châssis de remorque (contrairement à l'Europe).

En 2021, 24 millions d’unités sont en circulation dans le monde, et l’on (en particulier la Chine) manque de boites vides ! Presque 800 millions de manipulations de containers TEU (équivalent 20 pieds) sont effectuées dans les ports chaque année (chaque unité y est manipulée en moyenne 3,5 fois), soit autant de charges de 20 à 30 t à soulever et déposer. Des opérations réalisées au moyen de portiques de manutention et de grues mobiles.

            Les conteneurs sont empilés de manière plus ou moins savante (et satisfaisante !) sur les porte-conteneurs. Ceux du dessous sont directement accrochés au navire et solidarisés entre eux par des barres de fer disposées en diagonale ; ceux du dessus, sur 15 à 20 niveaux, sont encastrés les uns dans les autres verticalement mais pas attachés horizontalement. Le tout en veillant, du moins théoriquement, à une répartition judicieuse des poids pour positionner au mieux le centre de gravité.

En réalité, ces empilements ne sont pas organisés en fonction de leur seule stabilité. D’autres contraintes existent. Ainsi, les containers censés débarquer aux premières escales d’un voyage seront souvent (naturellement) placés de manière à être facilement atteignables, même si leur poids devrait idéalement les imposer ailleurs. Quant à leur poids, justement, encore faudrait-il qu’il soit connu ! Nombre de caissons ont un poids réel supérieur à leur poids officiel. Résultat : des piles penchent, pèsent sur d’autres, qui s’appuient à leur tour sur leurs voisines à la façon d’un immense jeu de dominos. Et des boîtes finissent à la mer.

Le port de Qingdao, dans la province du Shandong (Chine)

Les conteneurs perdus en mer, une plaie

           En douze ans, de 2008 à 2019, le WSC (World Shipping Council) estime que, sur ces quelque 226 millions de boîtes expédiées chaque année, en moyenne, 1.380 sont perdues. Obtenir une évaluation précise du nombre de conteneurs perdus en mer reste spéculatif. Selon que l’on est assureur, société de classification, courtier, armateur ou défenseur de la nature, les estimations échappent à tout entendement, oscillant entre 1.000 et 100.000 par an !

Ils deviennent alors des ofnis (objets flottants non-identifiés), difficiles à détecter au radar et potentiellement dangereux. Soit ils coulent directement, soit ils restent trois à quatre mois en flottaison. Sur les routes maritimes qu’empruntent les bateaux, il y a un risque certain de collision, voire de sur-accident. Leur présence dans l’eau est aussi un important facteur de pollution.

Spectaculaire, le phénomène des conteneurs qui passent annuellement par dessus bord est pourtant qualifié de « marginal » par le WSC : en moyenne 1.382 conteneurs perdus annuellement … pour 226 millions acheminés chaque année par les 6.000 porte-conteneurs qui naviguent sur les grandes lignes maritimes. Ce chiffre, basé sur des informations déclaratives des armateurs, (d'autres sources indépendantes avancent des chiffres bien plus élevés pouvant aller jusqu'à 10.000 par an) n’est certainement qu’une estimation biaisée car tous les conteneurs mal arrimés tombés à l’eau ne sont pas forcément déclarés par les bords et les armateurs.

           Le One Apusa, un porte-conteneurs sous pavillon japonais de 14.000 EVP, a connu la perte récente la plus importante avec 1.816 boîtes (dont au moins 64 serait des conteneurs de marchandises dangereuses) perdues dans le Pacifique au large d'Hawaii le 30 novembre 2020 en raison de ce qu’ils ont dit être de la haute mer. Sur les 22 baies sur le pont, seulement six semblaient avoir survécu intactes. Avec 20 rangées par baie et des hauteurs de pile de 6 à 8 niveaux, on estime qu’environ 2.250 conteneurs furent potentiellement touchés soit environ 4.500 EVP.

Le "One Apus" a perdu 1.816 conteneurs lors de son naufrage au large de Hawaii © Connor Helm

Parmi les autres pertes les plus spectaculaires on peut relever celles du Rena en 2011 dans une baie touristique de Nouvelle-Zélande (900 conteneurs perdus) ; du Mol Comfort en 2013 (4.293 conteneurs perdus dans l'océan Indien) ; du Svendborg Maersk (517 conteneurs) en février 2014 au large de la Bretagne ; de l’El Faro en 2015 au large des Bahamas (517 conteneurs mais surtout 33 marins morts) ; du MSC Zoe (342) début 2019 en mer du Nord ; du Maersk Essen (750) le 16 janvier 2021, 430 miles au nord-est de Honolulu; du Maersk Eindhoven en février 2021 qui en a vu passer par-dessus bord quelque 260 boites, alors qu’il quittait le port chinois de Xiamen pour Los Angeles.

            Si le nombre de conteneurs perdus en mer reste infime au sens du WSC, il n'a pourtant jamais été aussi élevé que depuis quelques années. Aussi le CEDRE (Centre de documentation de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux) estime-t-il les pertes totales à 15.000 conteneurs par an, contestant ainsi les statistiques du WSC, tout comme plusieurs ONG. D’autant que au-delà des chiffres officiels, il y a toutes les autres boîtes qui ne sont pas déclarées. Celles-ci tombent au fond de l'eau et on n'en parle plus : "pas vu, pas pris".

En effet, c'est souvent au moment du déchargement qu'on se rend compte qu'il manque des boîtes. En général, les navires sont tellement grands qu'on ne voit pas (ou que l’équipage ne veut pas voir) que les boîtes partent à l'eau. Là où les choses deviennent plus inquiétantes, c'est que sur les 226 millions transportés, 6 millions de conteneurs contiennent des matières dangereuses dont, au bas mot, un quart mal déclarées ! Les armateurs se joignent aux les ONG pour dénoncer les mauvaises déclarations du contenu des boîtes. Les services américains les estiment trompeuses dans 15 à 20 % des cas, qu'il s'agisse du poids, du contenu, ou des deux.

Sans doute cette problématique restera-t-elle difficile à résoudre alors que le commerce mondial repart en flèche. Mais il faudra tôt ou tard imposer un meilleur remplissage du conteneur avec de bonnes fixations, optimiser son positionnement sur le navire en fonction de son poids et de la nature du chargement, éviter les zones de tempêtes, quitte à rallonger le parcours, …  et aussi garantir le repos et les détentes du personnel naviguant : l’assureur Allianz Global Corporate & Speciality (Agcs) estime que l'erreur humaine est à l'origine des trois quarts des accidents maritimes