La superposition énergétique

            Au cours du XX° siècle, quand le poids total des matières utilisées par l’économie a été multiplié par 12, l’éventail des matières premières s’est non seulement élargi (on atteint le chiffre de 70), mais chacune a été consommée en quantité croissante, à l’exception de 7 d’entre elles : l’amiante, le mercure, le béryllium, le tellurium, le thallium, la laine de mouton et l’huile de baleine. Il en est de même des énergies primaires. Jamais obsolètes, elles s’additionnent sans se substituer l’une à l’autre (élargissement des marchés, effet rebond, réorientation des usages, …).

Le BOIS est toujours présent

Le bois de feu

            Est-il nécessaire de préciser que l’humanité, jusqu’à « hier » à l’échelle du temps, a cuit sa nourriture et s’est chauffée avec du bois. Période révolue ? En partie.

Début du XXI° siècle, 560 millions de foyers dans les pays en développement dépendent de la biomasse traditionnelle (bois de feu, charbon de bois ou fumier) pour la cuisson. Cela correspond à un total de 2,7 milliards de personnes, soit 40 % de la population mondiale. Plus de la moitié de ces personnes vivent en Inde, en Chine et en Indonésie ; même si la proportion la plus élevée de personnes dépendant des services traditionnels de la biomasse se trouve en Afrique subsaharienne (ASS).

            Environ 1.100 Mtep (Millions de tonnes équivalent pétrole), soit 12% de la consommation mondiale totale d'énergie, provient de la biomasse, une quantité comparable à celle de l'énergie électrique ou gazière consommée. La cuisson et le chauffage représentent les trois quarts de la consommation totale d'énergie de la biomasse, plus de 20 fois la part des biocarburants liquides. La plupart des scenarii affirment qu’au moins jusqu’en 2030, l’utilisation traditionnelle de la biomasse restera plus importante en terme de consommation d’énergie que l’utilisation « moderne » de la biomasse.

Dans les années 1970, les projections montraient que les besoins futurs en bois de feu seraient bien plus importants que la repousse annuelle des forêts, ce qui a alimenté l’idée largement acceptée selon laquelle la collecte de bois de feu serait une des causes majeures de la déforestation. On craignait qu’au début du XX° siècle ces 2,7 milliards de personnes souffrent d’une pénurie de bois de feu provoquant une « autre crise énergétique » avec d'importantes conséquences socio-économiques pour les personnes les plus pauvres. La communauté internationale a répondu par un développement massif de programmes : augmentation de la quantité de bois de feu avec la création de parcelles boisées contrôlées par les gouvernements ; amélioration de la cuisson avec l’introduction de poêles et fours améliorés ; incitation à l’usage de combustibles liquides tels que le gaz de pétrole liquéfié (GPL) et le kérosène, …

La forte dépendance à l’égard de la biomasse traditionnelle pour l’énergie est reflétée par le fait que 80 % du bois récolté dans les pays en développement (90 % du bois récolté en Afrique) sont utilisés pour le feu. Cependant, les estimations de la consommation mondiale de bois de feu varient considérablement selon les études : 1,85 milliards de m3 (Gm3) pour la FAO en 1992, sensiblement moins que d’autres estimations précédentes à 2,9 ou 3,8 Gm3, la consommation annuelle de bois de feu ayant culminé dans les années 1990 avant de baisser lentement. (Principales source d’énergie des ménages en Afrique subsaharienne en 2000 : Bois de chauffage, fumier, résidus de récolte : 75% ; Charbon de bois : 15% ; Kérosène : 6% ; GPL : 3% ; Electricité : 1%)

            Dans les pays d’Asie, notamment la Chine et l’Inde, le bois de feu est la principale source de revenus pour 10% des ménages ruraux. Grâce à l'accessibilité de la ressource et à la facilité d’entrer sur le marché, le commerce du bois de feu est accessible à tous et fournit une activité rémunératrice essentielle aux populations urbaines marginalisées. La production et le commerce du bois de feu revêtent une importance vitale pour les économies locales et sert de filet de sécurité pour les personnes les plus pauvres. Certains scientifiques considèrent même le commerce du bois de feu comme un moteur important de la croissance économique. L’histoire est différente dans le cas du charbon de bois ; son commerce est principalement concentré autour des zones urbaines et est souvent organisé et contrôlé par des marchands.

            En revanche, la consommation de bois pour la production de charbon de bois augmente rapidement et on a anticipé un doublement entre 2000 et 2030, ce qui conduirait à une augmentation totale du bois de feu de 25%, en ligne avec l’évolution du nombre de foyers dépendant du bois de feu pour la cuisine. Plusieurs raisons expliquent ces variations, sujettes à caution. D’abord, le bois de feu est consommé en dehors du système de marché et n’entre pas dans les statistiques officielles du commerce du bois. Puis, on estime que les deux tiers du bois de feu sont le fait d'arbres non forestiers, un ratio qui augmente avec la diminution du couvert forestier. Dans la région du Sahel, par exemple, pour 90 % de la population le bois de feu provient d'arbres hors forêt ; dans le reste de l'ASS, les arbres non forestiers représentent la moitié de la consommation traditionnelle de bois de feu.

Enfin, naturellement, à mesure que leurs revenus augmentent, les consommateurs gravissent les échelons de l’« échelle énergétique », un concept postulé par Hosier et Dowd [1987]. Le fumier se situe au niveau le plus bas de l'échelle énergétique, suivi par les cultures, les résidus, le bois de chauffage, le charbon de bois, le kérosène, le GPL (butane) et enfin électricité.

Le charbon de bois est ainsi préféré au bois de feu par la plupart des ménages dans les pays les plus avancés. Le charbon de bois est disponible partout, toute l’année ; il est relativement propre et sûr et peut être stocké facilement et pendant longtemps, car il n'est pas endommagé par la pluie ou l'humidité. Par ailleurs, le charbon de bois peut être acheté sur le marché local en petites quantités et peut être brûlé dans des poêles bon marché. Il présente, en outre, l'avantage considérable d'être produit localement, sans dépendance des facteurs externes incertains.

En augmentant la production et la disponibilité du bois, le pétrole a permis d’accroître ses usages énergétiques. Depuis 1960, la quantité de bois de feu a doublé pour atteindre 2 milliard de m3. Les mégalopoles de plus de 10 millions d’habitants, paradoxalement, dépendent du bois pour leur énergie : Lagos, Kinshasa, … Avec sa densité énergétique égale à deux fois celle du bois et son transport facile, la consommation africaine de charbon de bois à été multipliée par 7 depuis 1960 !

            Les scientifiques ne sont pas d’accord sur la question de savoir si ce changement est souhaitable ou non. La récolte du bois est souvent à la base de conflits fonciers. Elle peut provoquer une dégradation des forêts et des pertes de biodiversité. De plus, cette production augmente les risques d’incendies de forêt. Et puis, la durabilité du charbon de bois suscite des inquiétudes. Il est obtenu par chauffage du bois brut en l’absence d’oxygène (à l’étouffé) afin d'éviter la combustion, pour libérer le bois de ses composants volatils, ce qui donne un combustible léger avec un pouvoir calorifique plus élevé. Malgré le fait que les poêles à charbon sont plus efficaces que les poêles à bois, il faut beaucoup de bois (le double) pour produire le charbon de bois.

Tous les poêles, et en particulier les traditionnels à bois avec leur combustion très incomplète, ont un faible rendement thermique, et émettent une grande quantité de substances toxiques : particules en suspension, monoxyde de carbone, oxydes d'azote, méthane, et autres composés organiques. La pollution de l'air intérieur des habitations due à la combustion incomplète de la biomasse traditionnelle provoquerait la mort de 1,45 millions de personnes chaque année, principalement des femmes et des enfants, qui portent le lourd fardeau du bois de feu.

            L’augmentation des consommations électrique et pétrolière n’a pas empêché celle du charbon de bois. La croissance de la population et la subsistance de toute une frange de producteurs, artisans, livreurs, … ont fatalement développé l’intérêt du bois.

            Et dans les pays développés ? L’usage de la biomasse et la « mode » des granules (pellets) va dans le même sens.

            Le bassin du lac Kivu, dans la République démocratique du Congo (RDC) à la frontière du Rwanda et de l’Ouganda, est une vaste région forestière qui constitue le deuxième « poumon vert » de la planète après celui de l’Amazonie. Deux régions qui souffrent d’une grave déforestation.

Au Kivu, chaque minute, un hectare de forêt disparaît, notamment du fait de la fabrication de charbon de bois, le fameux makala en langue swahili, ou, de meilleure qualité, le munzenze qui provient du parc des Virunga. Des milliers d’arbres sont ainsi coupés et livrés aux flammes dans des fours en terre éparpillés dans la nature d’où s’échappent des panaches blancs. Dans les pays très pauvres, comme la RDC, où 90% de la population, passée de 15 à 100 millions d’habitants en 60 ans, n’a pas accès à l’électricité, le makala, qui constitue plus de 90 % de l’énergie primaire résidentielle, est la seule façon de cuire la nourriture ou d’avoir de l’eau chaude. Les gens préfèrent le charbon de bois pour cuisiner car il est plus léger, brûle plus proprement, et n’est pas infesté d’insectes, comme le bois. Et le charbon de bois n’est pas accaparant : vous pouvez mettre un pot de haricots sur un feu de charbon et vaquer à d’autres occupations. Contrairement au feu de bois, vous n’avez pas à souffler constamment pour attiser les flammes. C’est un combustible simple, modulable, bon marché.

Cette transformation peut, en outre rapporter beaucoup d’argent. Un bon four peut produire 500 kilos de makala. Valeur marchande : 2.000 euros. Une somme colossale au Congo. Aussi dans certaines régions, et notamment au Nord-Kivu dans le parc des Virunga, la déforestation prend des proportions industrielles sous la houlette essentiellement de trafiquants, ou plutôt de milices armées, dont le commerce illégal du makala est estimé à près de 40 millions d’euros par an. Au Congo, ce sont un demi-million d’hectares de forêt qui partent en fumée chaque année, soit l’équivalent de près de la moitié de la région Île-de-France.

            Près d’un milliard de personnes en Afrique, des femmes en particulier, ont leurs journées et la santé grevées par l’utilisation de ce système de cuissons rudimentaires alimentées au bois, au fumier animal ou par des résidus agricoles, le plus souvent sur trois pierres sur lesquelles est posée une marmite à l’intérieur de la maison. Situation à l’origine du décès prématuré de quelque 500 000 femmes et enfants sur le continent africain chaque année, du fait de maladies respiratoires liées à l’inhalation de particules toxiques, soit presque autant que le nombre de victimes du paludisme (environ 600 000 chaque année).

            Les combustibles ligneux représentent environ 40 % des approvisionnements mondiaux actuels en énergies renouvelables, autant que l’énergie solaire, l’hydroélectricité, et l’éolien combinés.

D’après : Shellenberger Michael, Apocalypse zéro & Guy Lagache, Le cri de la forêt.

Le bois énergétique

            Depuis 1900, l’apport énergétique du bois est progressivement devenu faible. Interprétation tout simplement relative ! Car le nombre d’arbres exploités n’a cessé d’augmenter, pour la fourniture de bois de feu, mais surtout pour le développement des nouvelles technologies de la révolution industrielle, tout autant que pour la production des énergies … concurrentes.

Et ceci malgré que, dès la fin du XVII° siècle, le « charbon de terre », cette « forêt souterraine » cadeau de la Providence fut appelée à (devait !) remplacer le bois. Certes les mines de charbon se développèrent grandement et rapidement, … mais nécessitèrent de confectionner des millions d’étais.

            Au début du XX° siècle, les mines britanniques engloutissaient entre 3,0 et 4,5 millions de m3 d’étais chaque année, leurs stocks ont précédé les terrils sur les carreaux des mines. Certes, bois d’oeuvre dont il représentait le tiers, indirectement il ne servait qu’à produire … de l’énergie. En ajoutant les 3,6 millions de m3 que les Anglais brûlaient annuellement, on excédait de loin la consommation préindustrielle. Et comme le bois d’œuvre requiert 4 fois plus de surface que le bois de feu, l’Angleterre utilisait en réalité 6 à 7 fois plus de surface forestière qu’un siècle auparavant. (On retrouve aujourd’hui cette situation, avec l’avantage des palmeraies, dont les palmiers ont un rendement de 4,0 tonnes d’huile/hectare contre 0,8 pour le colza, 0,7 pour le tournesol, ou encore 0,4 pour l’arachide et le soja).

La Grande-Bretagne en était réduite à importer 96% de son bois d’œuvre, son premier poste d’importation en volume, dépassant ses importations de pétrole, voire ses exportations de charbon, pour moitié des Landes françaises. Un accord de troc « poteaux contre charbon » (2 tonnes de bois contre 3 tonnes de charbon) sera signé entre la France et l’Angleterre en 1934.

Le port de Cardiff (Pays de Galles)

Au XIX° siècle, la consommation française d’étais a été multipliée par 50. Dans les années 1930, la Belgique utilisait la moitié de sa production annuelle de bois d’œuvre pour étayer ses mines ; elle en importait 800.000 m3 par an.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la dépendance des mines européennes au bois est totale. En URSS, le canal Lénine, entre le Don et la Volga, inauguré en 1952, est présenté comme l’artère vitale unissant le charbon du Donbass ukrainien aux forêts de la Russie centrale. A tel point que dans les années 1960, la consommation de bois pour les étais y atteindra son pic avec 24 millions de tonnes, soit 8% de la production forestière soviétique.

En Chine le manque de bois sera un obstacle à l’extraction charbonnière ; les mines engloutissent 18% du bois du pays dans les années 1950.

            Fin des années 1930, la consommation mondiale du bois (1,2 milliard de tonnes), bien plus lourde que les 270 millions de tonnes de pétrole, faisait craindre la raréfaction du bois. Seul le charbon était consommé en plus grande quantité (1,3 milliard de tonnes), avec des réserves de houille qui avaient été estimées à 6.000 années de consommation (base 1913). En 1950, avant la généralisation des arceaux métalliques, il fallait compter entre 1,5 et 4.0 m3 de bois pour produire 100 tonnes de charbon, selon les pays et les types de mines.

            Sans bois, il n’y aurait pas eu de charbon, ni donc de vapeur, d’acier, de trains, … et donc la consommation de bois s’envole avec celle du charbon ! Jusqu’en 1914, aux Etats-Unis, l’industrie du bois est le secteur, après le chemin de fer, qui utilise le plus de vapeur motrice … produite par combustion du bois.

Les chemins de fer, jusqu’à la fin du XIX° siècle ont consommé davantage de bois que de charbon. Les traverses en bois étaient remplacées tous les 5 ans ; la France à la fin du XIX° siècle en consommait 1,5 millions par an et les Etats-Unis, 120 millions, soit 20 millions de m3 –près de 8 fois plus que le fer, et 10% de leur bois d’œuvre-. Les premiers ouvrages d’art étaient en bois, et les gares et les quais, et les wagons, … Dans les années 1950, le Brésil brûlait encore dans ses locomotives 12 millions de m3 de bois, 10 fois le volume du charbon, 20 fois celui du pétrole ; les compagnies ferroviaires finançaient les plantations d’eucalyptus.

            La sidérurgie produisait fonte et acier avec du bois, puis du charbon de bois, jusqu’à ce que la houille prenne le relais dans les années 1930. Fin XX° siècle, la sidérurgie brésilienne utilisait annuellement encore 30 millions de m3 de charbon de bois, 30 fois plus que la sidérurgie américaine 100 ans auparavant et 100 fois plus que la française 140 ans plus tôt.

           La carbonisation permettait d’extraire des produits chimiques et de produire des plastiques (rayonne, cellophane, bakélite, …)

            Parce qu’il contient peu d’impuretés, certains raffineurs de silicium (Norvège, Brésil, Chine, …) utilisent aujourd’hui le charbon de bois de préférence au coke. Solaire et silicium vont recourir au bois encore demain.

            Le bois demeure une source de chaleur essentielle pour le tiers le plus pauvre de la population mondiale, 2,7 milliards de personnes. Et les Etats-Unis en brûlent 2 fois plus qu’en 1960 et l’Europe 3 fois plus qu’au début du XX° siècle.

Le bois d’œuvre

            De 1830 à 1930, l’Angleterre, championne du charbon, multiplie sa consommation de bois d’œuvre par 6 (3 rapportée au nombre d’habitants) ; fin XIX° siècle, avec 12 millions de m3 par an (2 fois la production française de bois d’œuvre) elle est la première importatrice au monde. L’Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis, la France (3 millions tonnes, 1/3 de sa consommation) importent également du bois d’œuvre. Pour les chemins de fer, les mines, les grandes artères pavées de bois comme le sont 20% de la voierie parisienne en 1900, les maisons qui sont aux trois cinquièmes faites de bois aux Etats-Unis, …

En 1900, alors que l’on craint une pénurie de bois, davantage l’épuisement des forêts que celui des mines, aux Etats-Unis, le bois est le troisième fret ferroviaire derrière le charbon et les produits agricoles. En URSS, il tient la première place qu‘il ne laissera au charbon qu’en 1930. Pas étonnants que les capitalistes barons du bois et rois du rail soient les mêmes (Weyerhaeuser, Shay, …)

Puis, dans les pays riches, la consommation du bois va rester stable durant la première moitié du XX° siècle. Par contre, en Russie, elle augmentera fortement dans les années 1950, son transport étant alors facilité par le pétrole.

            Le bois, matière première, a donné son essor à la papeterie à partir de la fin du XIX° siècle ; la production mondiale atteint 15 millions de tonnes en 1920, dont la moitié aux Etats-Unis. Le bois en est la matière première et le charbon la source d’énergie. Deux développements qui sont liés ; dans l’entre-deux-guerres, le papier deviendra, dans les pays riches, le troisième consommateur de bois et le cinquième de charbon.

            Et puis en 1838, on a fabriqué la créosote à partir de charbon, un produit … qui protège le bois, en particulier les traverses de chemin de fer. Désormais, au prix d’une pollution durable, le charbon participait de la conservation de la forêt.

Le CHARBON n’a pas remplacé le bois

            Les quantités de bois consommées augmentent donc sans cesse, même si relativement, il perd du « poids ». Et pourtant le charbon, son concurrent énergétique direct, loin de lui faire concurrence le maintient, car nécessaire à son propre développement.

            L’écrasante majorité (95%) du volume de charbon a été sorti de terre après 1900, et l’essentiel l’a été en dehors de l’Europe (86%)

La plus forte croissance de la production du charbon a eu lieu entre 1980 et 2010 (+300%). La Chine, exceptionnelle par sa taille, brûle chaque année 15 fois plus de charbon que l’Angleterre à son maximum historique et davantage que la France durant toute son histoire. Si la consommation a décuplé en Chine depuis 1980, dans le même temps, elle a été multipliée par 12 à Taîwan, par 11 au Vietnam, par 10 aux Philippines, par 8 en Inde, par 7 en Turquie, par 6 en Corée du sud, par 2 aux Etats-Unis, au Japon, et dans les pays du Golfe, et … par 50 en Indonésie. L’Afrique du Sud et la Pologne ont un mix électrique plus charbonné que la Chine. L’Europe, leader mondial des équipements miniers, en consomme encore 400 millions de tonnes par an, tandis que l’Allemagne est l’un des premiers producteurs de lignite, le combustible le plus pauvre et le plus polluant.

Si l’on intègre le charbon incorporé dans les importations, la Grande–Bretagne en consomme 90 millions de tonnes (en 2016) contre 9 millions officiellement brûlées selon les statistiques officielles et la France 70 millions (presque autant que son maximum des années 1960), contre 6 millions !

Avec les entreprises minières implantées en Suisse (Glencore, Trafigura, ...) 1 milliard de tonnes de charbon (40% du commerce mondial) contribuent à la prospérité de la Confédération helvétique.

            L’électricité, présentée comme une transition énergétique … accroît en réalité la consommation de charbon !

Le PETROLE n’a pas remplacé le charbon

            La dynamique matérielle du XX° siècle est le fruit de la symbiose charbon-pétrole. Les engins et machines sont fabriqués avec l’énergie du charbon, mus et entraînés par celle du pétrole, pour produire et extraire ... ces deux sources d’énergie ainsi que le bois, les métaux, les productions agricoles, … Le pétrole n’a fait peser aucun risque au charbon. Bien au contraire, un vrai cercle vertueux.

           Quand l’industrie automobile a explosé (la première Ford T est sortie des chaînes de fabrication –concept révolutionnaire- en 1908), il fallait 7 tonnes de charbon pour produire une voiture que l’on va s’empresser de faire rouler avec du pétrole. En Grande-Bretagne, entre 1918 et 1934, l’infrastructure pétrolière (raffineries, réservoirs, tankers, …) cumulée avec le parc automobile a nécessité 13 millions de tonnes d’acier, dont la fabrication a consommé 53 millions de tonnes de charbon. Le pays a consommé 21 millions de tonnes de pétrole pendant cette période. De là à déduire que 1 tonne de pétrole suscite la consommation de 2,5 tonnes de charbon ! Ce ratio est d’ailleurs supérieur aux Etats-Unis, car il leur faut du charbon pour une opération supplémentaire : le forage (2 millions de tonnes de tubes en acier par an à cette époque) et l’extraction du pétrole sur leur propre sol.

Le pétrole assure la mobilité … à condition que le réseau routier suive. Au cours du XX° siècle, le kilométrage va passer de 4 à 7 millions de km aux Etats-Unis, de 500.000 à 800.000 km en France, de 283.000 à 350.000 km en Angleterre. Au début du siècle, ce réseau de piètre qualité permet un trafic saisonnier. Bien vite, il va falloir également rouler l’hiver avec des véhicules de plus en plus lourds et rapides. Il faut rectifier les tracés, élargir et surtout renforcer les routes. Granulats, liants hydrauliques, ciment, béton, goudron, tous produits directs ou indirects du charbon qui vont servir la cause du pétrole routier. En 1902, le britannique Edgar Purnell va breveter le tarmacadam, qui lie laitier et gravier par du goudron de pétrole. Les Etats-Unis préféreront le béton, plus cher mais plus résistant. Il est vrai que les routes y sont plus sujettes aux lourdes charges du fret routier (le dommage causé à la chaussée varie comme la puissance 4 de la charge à l’essieu), tandis que le nombre de camions va passer de 80.000 en 1914 à 3 millions en 1928.

Les Etats-Unis qui possèdent 77% du parc automobile mondial en 1920, produisent, en grande partie pour les routes, plus de la moitié du ciment mondial avec une énergie charbonnière, et aussi pétrolière car le camion-toupie et le camion à benne basculante sont apparus !

En somme les voitures roulent autant, sinon plus au charbon, qu’au pétrole.

Dans l’entre-deux-guerres les gouvernements par crainte de dépendance encouragent l’utilisation du benzol (de la benzine du goudron de houille, à base de benzène, obtenue par distillation du charbon et mélangée à de l’alcool –surplus viticoles-). Puis dans les année 1930, un consortium de 6 pays met au point un procédé d’hydrogénation du charbon qui produit un carburant de synthèse. Son coût 15 fois plus élevé (procédé à très hautes pression et température ; 4 tonnes de charbon pour 1.000 litres de pétrole synthétique) fait que seuls les Allemands l’utiliseront (et pour cause). Et aussi la compagnie pétrolière sud-africaine SASOL durant l’apartheid et encore aujourd’hui !

La Chine s’est également orientée vers le méthanol, le plus simple des alcools, produit à partir de pétrole.

A noter que l’usage croissant de la voiture électrique renforce la part du charbon au détriment du pétrole pour la mobilité mondiale.

            La symbiose charbon-pétrole s’est renforcée tout au long du XX° siècle. Là où un forage de 300 mètres était productif en 1900, Maersk, en 2008 au Qatar, a foré le puits le plus long du monde avec ses 12.300 m de longueur totale, dont une partie horizontale de 10.900 m, tandis que Sinopec, en Chine, établissait le record de profondeur d’un forage pétrolier à moins 8.588 m.

La longueur des pipelines est passée de 2.000 km en 1900 à 2 millions de km aujourd’hui, et leur diamètre d’une dizaine de pouces (25 cm) à 60 pouces (1,5 m ; ~1.000 tonnes/km). En 2010, la seule extraction du pétrole et du gaz aux Etats-Unis consommait autant d’acier (env. 7 millions de tonnes) que toute l’économie américaine à la fin du XIX° siècle., et parfois jusqu’à 10% de la consommation nationale d’acier, quasi à égalité avec l’industrie automobile.

On y ajoutera les 700 raffineries, les 3.500 supertankers, les dizaines de milliers de bacs de stockage répartis dans le monde.

N’oublions pas les engins qui brûlent ce pétrole, fabriqués en grande partie à base de charbon : 1,5 milliards d’automobiles, 100.000 navires commerciaux de plus de 100 tonnes, l’armement, …

            Au cours de XX° siècle, l’extraction du charbon est devenue de plus en plus dépendante du pétrole. Excavatrices, bulldozers, tombereaux et autres engins, alimentés au pétrole, sont à l’origine de l’essor des mines à ciel ouvert. On compte de 1,0 à 2,5 litres de gazole pour produire ainsi une tonne de charbon. Aux Etats-Unis, ce type de production, est passé de 1,2 million de tonnes en 1914 (avec une productivité de 13,0 t./mineur/jour contre 4,6 sous terre) à deux tiers de la production américaine depuis les années 1980. En France, 150 exploitations produisaient ainsi 750.000 tonnes en 1918 et la Découverte de Lassalle à Decazeville (Aveyron) en sera le fleuron, jusqu’à sa fermeture en 2001 (l’extraction de fond, commencée en 1892 avait cessé en 1965). A ciel ouvert, l’Allemagne extrayait 80 millions de tonnes de lignite en 1918, 250 millions en 1940 et 166 millions de tonnes en 2018 (premier producteur mondial). (A pouvoir calorifique identique, il faut 2,5 tonnes de lignite pour 1,0 tonne de charbon. On notera l'utilisation fréquente dans les statistiques allemandes de l'unité « tec » -tonne équivalent charbon, en allemand : SKE, Steinkohleeinheit- au lieu de la « tep » -tonne équivalent pétrole- utilisée dans les statistiques mondiales.)

Et puis grâce au pétrole, ce charbon est transporté sur des distances de plus en plus grandes ; après le pétrole (1,8 milliards de tonnes) c’est la deuxième marchandise du commerce maritime en poids (1,4 Gt), et souvent aussi un des premiers frets ferroviaires.

            Il n’est pas surprenant que l’union du charbon et du pétrole est aussi celle des capitaux. Les grandes sociétés pétrolières sont toutes devenues des sociétés énergétiques !

Le 18 avril 1951, 6 pays se retrouvent à Paris pour parapher le traité instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA). Les raisons sont à la fois économiques et politiques. Economiques, car ces deux matières sont à la base de l’énergie et de l’industrie, les deux secteurs indispensables au troisième, le pétrole. Le pétrole commençait à concurrencer directement le charbon, mais l‘industrie charbonnière était devenue moderne, mécanisée et capitalistique … et l’est toujours !

Le PETROLE n’a pas remplacé le bois

            Le bois a permis l’émergence du pétrole : derricks, réservoirs, tonneaux, bateaux, wagons, tout était en bois. Quand l'Américain Edwin L. Drake produisit pour la première fois du pétrole par forage, le 27 août 1859, à une profondeur d'une vingtaine de mètres, à Titusville, en Pennsylvanie, on peut imaginer que le prix du tonneau était supérieur à celui du pétrole qu’il contenait. Si l’acier se fera très progressivement une place dans l’industrie pétrolière, il n’en reste pas moins vrai que les 810.000 puits forés avant 1930 ont toujours utilisé du bois ; moyens de production, baraques pour le personnel, cités administratives et commerçantes, … vont faire exploser l’activité d’abattage, des scieries et des tonnelleries. Sans train, ni pipeline à l’époque, … le pétrolier Rockefeller sera le plus grand tonnelier de l’histoire ; à Cleveland dans les années 1880, 3.000 de ses ouvriers fabriquent 10.000 tonneaux par mois ; en 1903, sa société, la Standard Oil, ouvrira une deuxième usine en Caroline du Nord qui produira 700.000 tonneaux par an. Le commerce transatlantique du pétrole en utilisera 30 millions jusqu’à la fin du XIX° siècle. Le syndicat américain de la tonnellerie sera fondé en 1890 à … Titusville. A Bakou en URSS, où la production pétrolière s’est développée à partir de 1870 avec le concours de pionniers américains et des familles Nobel et Rothschild, on aura la même infrastructure à base de bois.

Spindletop Oil Field - Beaumont, Texas - Circa 1902. “La boite d’allumettes” ; bois et risque d’incendie.

Exploitation de pétrole en Azerbaïdjan vers 1900.

            La Deuxième Guerre mondiale a banalisé le transport de l’huile en jerricans métalliques. Pourtant le pétrole avait toujours besoin de bois. Ainsi le français Vallourec, leader dans les tubes en acier pour l’industrie pétrolière, devint « fatalement » l’un des plus grands producteurs de charbon de bois au monde. En 2000, la société fera l’acquisition de 230.000 hectares de forêts au Brésil ! Sa production atteindra 1,2 million de m3 de charbon de bois par an.

            Le développement du bois a donc accompagné celui du pétrole. Mais pas que ! La construction des bâtiments et des routes, depuis l’après-guerre, a amplifié la tendance. La consommation du béton à doublé dans le monde depuis 25 ans pour atteindre plus de 20 milliards de tonnes annuellement (40 fois la production de 1950). Ciment, briques, verre, bois, tout suit le même rythme et toutes les énergies deviennent indispensables : pétrole, gaz et bois.

On doit aussi considérer l’impact des emballages, qui en dépit du développement des plastiques nécessitent de plus en plus de bois, à l’exemple de la palettisation qui conjugue grandement les deux matériaux. L’emballage absorbe 200 millions de tonnes de papier soit la moitié de la production annuelle mondiale, et 8% du bois abattu.

            Le pétrole a besoin du bois et celui-ci lui rend bien. Comme pour le charbon, son exploitation hautement mécanisée, est grande consommatrice d’énergie thermique pétrolière. Et en encore faudrait-il considérer les amendements à base d’engrais de synthèse, qui entre autres, sont de plus en plus pratiqués pour améliorer le rendement des forêts.

Évolution globale de la consommation d'énergie primaire par source d'énergie dans le monde. Source : Our World in data, dossier sur l'énergie : https://ourworldindata.org/energy

La consommation énergétique a tout d’une loi naturelle !

            Après avoir fortement crû jusque vers 1985, le volume de bois consommé dans le monde semble s’être pour un temps stabilisé entre 3,2 et 3,4 milliards de m3 par an. Au niveau mondial, environ la moitié de ce volume est encore utilisé pour produire de l’énergie, et l’autre moitié pour du bois d’oeuvre ou d’industrie. Le bois d’énergie constitue 80 % de la consommation dans les pays en développement, ce qui est le cas d’une grande majorité de pays tropicaux. De plus, la consommation de bois de ces pays n’a cessé d’augmenter depuis les années 1960, passant de 1,2 à 2 milliards de m3 par an aujourd’hui, et ce en relation directe avec la croissance démographique dans ces pays. Au contraire, les pays développés dont la consommation fluctue peu en dessous de 1,5 milliard de m3 depuis les années 1980, ne consacrent que 20 % de ce volume à l’énergie.

            Les mines de charbon à ciel ouvert ont relancé la production charbonnière dans les années 1950. La production depuis 1860, totalise 350 milliards de tonnes (160 milliards tonnes équivalent pétrole –TEP-). Le pic de production pourrait se situer dans la fenêtre des années 2050 -2150 !

            Le pic de production pétrolière, prévu initialement dans les années 1970, mais constaté, en 2008 pour le pétrole conventionnel, est décalé probablement aux environs de 2030/2035, en raison du développement des sables bitumineux du Canada et de la mise en valeur du pétrole de schiste (pétrole de roche mère), notamment aux Etats-Unis. A ces sources « récentes », vient s’ajouter l’amélioration des procédés de récupération dans les gisements ainsi que la performance des moyens d’exploitation des très grandes profondeurs.

            Concernant l’énergie nucléaire, nul doute également que la 4e génération de réacteurs, qui repose sur le concept des neutrons dits « rapides » fonctionnant à plus haute température et dans des conditions qui leur permettent une optimisation de l’utilisation du combustible nucléaire, va prendre le relais des réacteurs actuels. On regrettera seulement, que la France longtemps pionnière de ces technologies, en ait abandonné le leadership aux Russes, Chinois et Indiens, après les abondons des prototypes Superphénix (1997) et Astrid (2019) ! Puis la fusion nucléaire, pour laquelle plusieurs procédés concurrents du Tokamak ITER (achèvement en 2035 ? –plus aucune date n’est publiée ! -) sont à l’étude, assurera un nouveau relais, au niveau industriel, probablement début du XXII° siècle. La 4e génération sera probablement une vraie transition dans cette filière nucléaire.

            Enfin, les énergies renouvelables ont un potentiel quantitatif énorme, en dépit de leur faible densité énergétique. A titre d’exemple, l’énergie nécessaire pour faire fonctionner un avion de ligne, les technologies actuelles de panneaux solaires fourniraient moins de 1 % de la densité énergétique requise, tandis que les batteries stockant la même quantité d’énergie que le kérosène pèseraient presque autant que 50 avions. En d’autres termes, les carburants n’ont pas de concurrents en termes de capacité de stockage et de puissance qu’ils peuvent fournir. Ce handicap des énergies renouvelables qui, en cas de démesure, heurte bien souvent le « bien-être » des consommateurs et aussi l’environnement naturel, pourrait constituer leur limite.

            Le problème énergétique, semble-t-il, serait historiquement plus une question d’abondance que d’épuisement. Chaque génération élargit son éventail énergétique : les nouvelles énergies, dès que l’on sait les maîtriser et exploiter, s’appuient sur les précédentes, sans les remplacer car elles leur sont indispensables. La notion de transition énergétique, forgée en 1967 par le savant atomiste Harrison Brown, n’est pas intuitive !

Principales sources :
Renewable and Sustainable Energy Reviews - Wouter H Maes & Bruno Verbist (Aug 2012)
Sans transition - Jean Baptiste Fressoz – Seuil (2024)