La baleine, de l’Antiquité à ses substituts, le végétal et le pétrole !

            « Grand poisson », « monstre marin », « Léviathan », « souffleur », « baleine du diable », « cheval-baleine », « cochon-baleine », voici quelques noms attribués à la baleine, en fonction de l’époque et de la civilisation qu’elle croise. Marquant les mentalités tant par son apparence physique disproportionnée que par le monde marin auquel elle appartient, la baleine se retrouve dans de nombreuses histoires et légendes à commencer par la mythologie grecque.

Les premiers Inuits étaient déjà des baleiniers accomplis lorsqu'ils ont entrepris leur déplacement vers l'Arctique canadien il y a environ 1.000 ans. Comme les Inuits d'aujourd'hui, dans les régions où les baleines foisonnaient, la chasse à la baleine permettait une prospérité matérielle importante. Elle est devenue une activité complexe et sophistiquée ainsi que l'origine de croyances spirituelles comptant parmi les formes d'expression les plus marquantes de la culture inuite.

L’archipel norvégien du Svalbard a servi de base internationale pour la chasse à la baleine au XVIIe et XVIIIe siècle. Au retour d’un de ses voyages, l’explorateur anglais Henry Hudson (1565-1611) rapporte qu’il existe un grand nombre de baleines dans les régions nordiques. Cette prise de conscience suscite l’intérêt des Norvégiens, des Russes, des Hollandais et des Français qui se précipitent au Svalbard. Au vu du nombre de cercueils de marins découverts deux cents ans plus tard, il est probable que les chasses y étaient fréquentes.

L'huile de baleine a été la première des huiles animales à devenir très rentable. Extraite du lard de l'animal, son exploitation industrielle est l'une des causes de la régression des grands cétacés. Le moratoire décrété en 1986 par la Commission baleinière internationale sur le commerce des produits issus de la chasse (ou pêche) aux baleines a confirmé le glas de cette huile.

            Le 19 février est le jour consacré à la protection et la défense de l'ensemble des mammifères marins et plus particulièrement des baleines.

Une très vielle pratique

            La chasse aux cétacés est très ancienne. Si les représentations de baleines (whale) et autres cachalots (sperm whale) sont attestées dans les pays scandinaves, en Russie ou le long des rivages pacifiques du continent américain, les pétroglyphes coréens de Bangudae restent une exception. Souvent attribués au néolithique (-6000/-2200 avant notre ère), ils figurent notamment la baleine franche du Pacifique-Nord, la baleine à bosse, la baleine grise, le cachalot, associés à d’autres animaux. Sont aussi représentés harpons, filets et embarcations témoignant de cette chasse aux cétacés. L’habitat côtier néolithique de Hwangseong-Dong, près d’Ulsan (Corée du Sud), a quant à lui, livré des ossements de baleines harponnées vieux d’environ 4.700 ans.  Il semble que la pêche à la baleine n'apparaisse de façon organisée que vers le Xe siècle au Japon. Ces peuplades d’extrême-orient ont très tôt investi dans une chasse à la baleine périlleuse pour se nourrir, … mais pas seulement !

Les pétroglyphes de Bangudae (Corée du Sud) - Bangudae Museum

Les baleiniers basques

            Les harpons en os ou bois de rennes découverts dans la grotte de Lumentxa à Lekeitio (Pays Basque sud) révèlent la pratique de la pêche depuis des temps immémoriaux chez les Basques.

            On ne peut préciser l'époque exacte des premières chasses à la baleine. Cependant un document écrit daté de 670 parle de la vente de 40 pots d'huile de baleine au nord de la France par des basques venus du Labourd. Les armoiries et les sceaux des villes côtières (Biarritz, Guéthary, Hendaye, Fontarrabie, Getaria, Motriko, Bermeo...) nous montrent de frêles embarcations poursuivant le léviathan, harponné par un gaillard placé à la proue. Entre autres armoiries qui attestent à quel point la baleine a imprégné la société et la culture basque, le blason de la commune de Guéthary qui représente un guetteur sur un promontoire ainsi qu’une chaloupe de chasseurs en train d’harponner une baleine, rappelle fièrement cette tradition séculaire.

La chasse à la baleine sur le littoral basque est évoquée dans des documents datant de 1059, puis dans la charte octroyée aux Bayonnais en 1122 par le duc Richard d’Aquitaine, c’est-à-dire trois décennies avant le second mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II d'Angleterre. La chasse à la baleine n’est donc pas un apport britannique. Les techniques de chasse à la baleine pratiquées dans le Golfe de Gascogne étaient dès le IX° siècle d’origine scandinave. Les termes employés, les techniques, le recours au harpon seraient, un héritage nordique. Les guetteurs postés sur la côte dans les huttes et les tours (les atalaiak) signalaient l'approche des baleines aux pêcheurs des ports de la région qui les pistaient avec leurs légères embarcations à rames. La première barque, de type pinaza, qui harponne, ramène la prise à son port, où règne une intense animation autour des fours, près des dépeceurs, coupeurs de lard, tonneliers et autres spécialistes.

            A partir du 14e siècle, la raréfaction des cétacés dans le golfe de Gascogne entraîna les équipages basques, baleiniers reconnus, vers les Asturies, la Gallice et le cap Finistère. Ces campagnes difficiles qui duraient 3 à 4 mois aguerrirent les basques à la pêche lointaine. L'emploi de la boussole (apparue au XII° siècle dans la navigation portugaise) va permettre aux pêcheurs d’aller chasser progressivement vers les eaux du Grand Nord, aux Terres Neuves, au Labrador, au Groenland, au Spitzberg, aidés par la poursuite de la baleine connue sous le nom de "baleine des Basques" qui remontait l’été vers les mers du nord après avoir mis bas l’hiver au large des côtes basques. Au tout début du XV° siècle, on signale des pêcheurs basques au Groenland. Ils y développeront en même temps la pêche à la morue.

Au moins 9 avant-postes de pêche furent établis au Labrador et à Terre-Neuve, et le plus grand établissement était à Red Bay avec environ 900 personnes. Les relations entre les islandais et les baleiniers basques ne furent pas toujours pacifiques. Il y eut un épisode sanglant vers 1615-1616, quand environ 50 marins basques furent assassinés pour des raisons obscures.

Dès le XVIe siècle, devant la raréfaction de plus en plus manifeste des proies sur leurs côtes, les basques partent systématiquement en haute mer. Cette époque marque l'apogée de la chasse à la baleine chez les basques. Très vite, ils ne reviennent plus sur le rivage, mais dépècent l’animal au large, tandis que la graisse, fondue à bord, est stockée dans des tonneaux. Les campagnes durent alors de 6 à 8 mois avant de fuir les hivers nordiques et de rentrer au pays, avec les barils pleins d’huile.

            Le bateau baleinier basque moyen pouvait transporter 1.250 tonneaux d'huile extraite du lard de 25 baleines. Ces « barricas » étaient entreposées dans la cale. Les baleiniers transportaient des douves et des fonds de tonneaux ainsi que des branches de saule ou d'aulne destinées aux cerceaux des tonneaux. Artisans privilégiés, les tonneliers assemblaient les tonneaux, fabriquaient et réparaient les autres contenants.

Les bateau baleiniers (naos) mettent environ un mois pour rejoindre les côtes des Terres Neuves (première mention de cette destination en 1512). La campagne étant longue, les navires partent chargés en approvisionnement, armements, matériels de pêche et de transformation, barils, briques et tuiles pour construire les fours, sans oublier le cidre et la coutellerie servant pour les échanges dans le commerce et les relations avec les tribus autochtones (Micmacs, Algonquins, Montagnais ...).

A cette époque, la capture des baleines reposait encore sur des chaloupes, lancées depuis des navires à voile, mues par des rameurs qui projetaient leurs harpons à la main pour les épuiser. Le chasse se concentrait sur une poignée d’espèces comme la baleine franche, le béluga et le narval, qui nagent lentement et flottent après leur mort, ce qui permettait à la chaloupe de tirer la carcasse vers la rive pour y faire fondre le gras. On estime que 300.000 cachalots ont été tués dans le monde (Atlantique et Pacifique) entre 1712 et 1899, avec cette technologie rudimentaire.

En 1525 à Pasajes (port voisin de Saint-Sébastien), 41 naos arment pour la campagne à Terre-Neuve avec 1.475 hommes d'équipage et 295 chaloupes. Avec une moyenne d'environ 8 à 10 baleines tuées par campagne et par baleinier, ceux-ci chargés de barils pleins d'huile rentrent au pays avant que l'hiver rigoureux de ces contrées ne les paralyse. Sur place, durant l'hiver, les indiens entretiennent les chaloupes des basques jusqu'à la prochaine saison. Vers 1560, la flotte de pêche basque (nord et sud) pour Terre-Neuve atteint son maximum avec environ 80 bateaux et plusieurs milliers de marins.

Plus proche, la rareté dans le golfe de Biscaye exacerbe la concurrence. Une embarcation d'Hendaye, pour avoir tiré une baleine sur le sable d'Ondarraitz sans passer à Fontarrabie, y est brûlée le 16 février 1607. Les embarcations de Fontarrabie disputeront des baleines à celles d'Hendaye en 1618 et 1619. On peut dater de cette époque un accord disposant entre autres que si les Hendayais ont le pouvoir de harponner la baleine, le privilège de l'achever et de la fondre, moyennant prélèvement, revient à Fontarrabie !

            A l’orée du XVII° siècle, les basques déplacent les zones de pêche dans la baie du Saint-Laurent et surtout vers le Spitzberg (Groenland) ; expéditions facilitées avec l’invention d’un procédé pour fondre la graisse à bord des navires par le capitaine Martin Sopite de Ciboure. Pendant ce temps, les anglais et les hollandais, à l’image de leur flotte commerciale, développent la pêche de la baleine dont ils mesurent tout l'intérêt.

Ceux-ci en vinrent donc naturellement à concurrencer les basques dans les mers du nord et de l’ouest, au point de casser leur monopole, voire, maîtrisant mal la technique, à faire appel au savoir-faire et à l'instruction des marins basques. Ainsi, des « professionnels » basques de la baleine, des harponneurs, des dépeceurs, des maîtres de chaloupe, des coupeurs de lard furent recrutés par des compagnies anglaises, hollandaises et anglo-russes. Aujourd’hui on parlerait d’un « transfert de technologie », certes subi, mais réel !

            Le traité de Paris (10 fév 1763) qui met fin à la guerre de Sept Ans signera le déclin de la grande pêche basque. Suite à la défaite française face à l'Angleterre, les basques ne peuvent plus pêcher qu'au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. L’activité baleinière basque va disparaître

Les baleiniers nord-américains

            Au XVIIIème siècle, les Américains maîtrisaient l’art de tuer les géants. Introduite au Québec vers 1804 par les loyalistes établis dans la baie de Gaspé après la Révolution américaine (1775-1783), la chasse à la baleine jouera un rôle de premier plan dans l'économie régionale et même à l'échelle canadienne pendant près d'un siècle.

Gaspé et Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, sont les deux seuls ports du pays, en 1846, à disposer d'une flotte complète d'une douzaine de goélettes baleinières. De vieilles affaires de familles, originaires de New Bedford au Massachusetts et Nantucket. Une petite île américaine située à une vingtaine de kilomètres au sud de la presqu'île du cap Cod, dont 9 colons anglais avec les amérindiens, ont fait à partir de 1659 le principal port de pêche à la baleine de la côte Est. Dans les années 1770, la flotte baleinière nantuckoise comptait 150 bateaux. Parmi ceux-ci, les 25 de l’armateur William Rotch qui avait pris la tête de la croisade pour la neutralité dans le conflit anglo-américain.

Une flotte pas comparable à celle de la voisine américaine qui compte alors 635 navires baleiniers traquant les cétacés sur les mers du monde. Ceux-ci étaient de dimensions importantes afin de résister aux mers agitées, et équipés de tout les matériels, comme le fusil à fusée utilisé dans le golfe Saint-Laurent à partir de 1855, nécessaires à la récolte de cette graisse, que seules les baleines pouvaient fournir. Aux usages multiples, l’huile de baleine était un produit de luxe qui convenait bien, car sa flamme éclairait mieux que les bougies à la graisse de bétail, et polluait moins que les feux de bois. Grâce à son commerce, dans les années 1820-1830’s, les États-Unis étaient devenus le leader mondial de la chasse à la baleine.

En 1833, les Américains dominaient la chasse à la baleine. L’industrie américaine à elle seule employait 70.000 hommes et quelque 1.200 navires. Elle rapportait également de gros profits aux pacifiques quakers qui en dominaient l’industrie (déjà à l’époque, d’autres communautés religieuses « éthiques » évitaient le coton fabriqué par les esclaves et les lampes à huile parce qu’elles brûlaient de la graisse de baleine).

Les chasseurs canadiens doivent affronter la concurrence des baleiniers américains et une fois les ressources en baleines franches épuisées, les pêcheurs de Nantucket se sont tournés vers les cachalots, proies plus faciles à attraper.

Mais dix ans plus tard, les baleiniers à vapeur de la Nouvelle-Écosse portent le coup fatal aux goélettes baleinières de bois des quakers nantuckois. Le capitaine Joseph Tripp entreprend, en 1893, sur l'Admiration, sa petite goélette baleinière de bois jaugeant 45 tonneaux, sa dernière expédition ; c’est l'ultime chasse des baleiniers de Gaspé dans le golfe du Saint-Laurent et le détroit de Belle-Isle. Après avoir atteint son pic de croissance, l'activité baleinière nord-américaine commencera à baisser inexorablement au rythme de la disparition des cétacés.

Les baleiniers quakers de Nantucket à Dunkerque en 1786.

            L’île de Nantucket (Massachusetts) était avec New Bedford, le fief absolu des baleiniers américains depuis la fin du XVIIe siècle. A la suite du traité de Versailles (03 sep 1783) qui mit fin à la guerre d’Indépendance américaine, les Anglais s’en prirent à la flottille et aux équipages de ces baleiniers quakers qui, par respect de leur engagement de non violence, payèrent leur neutralité et se retrouvèrent pratiquement ruinés.

            Avec ce pillage illégal, en peu de temps le chiffre d’affaires de la pêche s’effondra. Les baleiniers du Nantucket étaient exsangues. Ces quakers furent condamnés à chercher d’autres lieux de pêche que ceux qu’ils pratiquaient depuis plus de 150 ans.

Le 26 septembre 1786, la France signa un traité de réciprocité commerciale avec l’Angleterre. Les édiles de Dunkerque réalisèrent rapidement que pour ce qui concerne la pêche à la baleine, ils avaient un sérieux handicap face à Milford Haven où les Anglais entretenaient une flottille de 30 navires baleiniers. A l’invitation du roi Louis XVI, une colonie de 500 quakers nantuckois s’établit avec femmes et enfants à Dunkerque en 1786. Le trésor royal était même allé jusqu’à subventionner les frais de voyage de ces baleiniers, à hauteur de 6.000 livres tournois !

Parmi ceux-ci, l’armateur William Rotch et son fils (et leur 25 bateaux), avec quelques partenaires capitaines armateurs comme lui, transférèrent leurs activités à Dunkerque, où l’industrie baleinière dunkerquoise, en moins de trois ans, reprit force et vigueur. En 1792, les baleiniers américains avaient mis en ligne jusqu’à 36 navires. L’expérience professionnelle des nantuckois dépassait de loin celle des Français. Bientôt ils prirent le pas sur les Français, tant quant aux résultats des campagnes sur les côtes du Brésil que dans la commercialisation des huiles, allant jusqu’à mettre en danger les armateurs baleiniers locaux.

Les relations avec les Américains commencèrent à se dégrader en 1789. Les mauvais coups et les mesures malveillantes se multiplièrent et les nantuckois sentirent le vent de l’opinion dunkerquoise se retourner contre eux. Les Anglais ne furent pas étrangers à ce revirement ! William Rotch qui fit plusieurs allers et retours entre l’Amérique et la France, revint à Paris pour une entrevue avec La Fayette, le comte de La Luzerne, secrétaire d’État à la Marine et Thomas Jefferson, entrevue qui ne se passa pas bien, Jefferson étant persuadé que Rotch cherchait à saper les intérêts américains au profit des nantuckois et de leur situation de quasi monopole à Dunkerque.

Survint la Révolution dont les excès choquèrent la conscience des quakers. En 1790 ils demandèrent à repasser sous pavillon américain. Ils avaient jusqu’alors armé 52 navires qui avaient rapporté 50.000 barils d’huile de baleine et 500.000 livres de fanons au cours de campagnes qui les avaient amenés en Islande, au Groenland, dans l’océan Indien et au large du Chili.

En 1791 il y eut encore 13 départs en campagne, l’année suivante 3 et en 1793 seuls 2 baleiniers nantuckois partirent. Rotch, estimant sa mission terminée et craignant une nouvelle guerre contre l’Angleterre et la saisie de ses navires, repartit pour les Etats-Unis le 19 janvier 1793. Certains quakers restèrent à Dunkerque et y firent souche.

La chasse à la baleine au Spitzberg (Groenland)

            On estime que chaque été, 1.000 à 2.000 baleines y étaient tuées, par une ou deux centaines d’autochtones essentiellement pour la graisse que l’on pouvait tirer de ces mammifères. Une baleine permettait de remplir 70 à 140 barils, d’une capacité unitaire d’environ 160 litres d’huile. Un bateau entièrement chargé d’huile était donc une manne pour qui voulait se lancer dans un commerce juteux ! C’est principalement pour saisir une telle opportunité que les basques avaient gagné ces régions reculées de l’île du Spitzberg.

            Un commerce si lucratif, qu’au début du XVIIe siècle, les pays se sont lancés dans une compétition féroce pour obtenir une part de cette richesse arctique. Des combats éclatent rapidement un peu partout au Spitzberg, entraînant des problèmes politiques avec des revendications sur l’archipel. On cherche aussi à recruter pour hiverner et protéger les établissements baleiniers abandonnés en hiver.

            Les baleines franches avaient la préférence des baleiniers. Cette baleine du Groenland, aussi appelée la ‘bonne’ baleine, avec ses 100 tonnes de viande, riche en graisse, et ses 700 fanons était en effet facile à chasser : elle nage lentement et grâce à sa quantité conséquente de graisse ne coule pas une fois blessée ou morte, facilitant son remorquage. Chassée à un rythme effréné, dès 1660, à peine 50 ans après le début de la ruée vers l’huile de baleine, presque toutes les baleines franches vivant dans les eaux du Spitzberg avaient été tuées.1697 reste une année phare dans les annales des baleiniers hollandais : 1.255 baleines y furent tuées par 129 bateaux.

            Avec la disparition de la baleine franche, la station hollandaise de Smeerenburg a été rapidement abandonnée. La chasse, responsable de la quasi-extinction des baleines franches dans les fjords, s’est alors déplacée plus au large, entre le Spitzberg et le Groenland, encore pendant plusieurs dizaines d’années. De plus en plus, on s’est affranchi des stations à terre pour se munir de bateaux-usines. Les baleines furent alors directement dépecées en mer, leur graisse transformée en huile directement mise en barils à bord des navires.

            Autour de 1800, la chasse à la baleine, jusque là pratiquée de manière très intensive, diminue significativement faute d’animaux. On estime que 50.000 baleines ont été tuées pendant les XVIIe et XVIIIe siècle. On ne compte plus que 300 baleines au Groenland en 1880 contre 22.000 au début du XVIIe siècle, avant la ruée vers les cétacés. Les Norvégiens ont poursuivi la chasse à la baleine jusqu’en 1908.

Un cachalot dans le port de Leith (près d’Edimbourg) en 1913

Le Havre, premier port baleinier français (1817-1868)

            Au début du XIX° siècle, face à la raréfaction baleinière, les pays pratiquant la baleinerie développent de nouvelles stratégies, notamment ce que l'on a appelé la « pêche du Sud » : il s'agit d'une pêche au long cours dans l'Atlantique Sud avec des navires jaugeant quelques centaines de tonneaux sur lesquels sont installés des fours pour faire fondre la graisse qui est ensuite stockée dans des barils. En Amérique du Nord, l'île de Nantucket (Massachusetts), peuplée par les quakers, s'impose comme le principal centre de cette activité.

En France, dans les années 1780, l'État royal veut faire renaître la pêche baleinière avec pour objectif de limiter les importations d'huiles et de fanons, concurrencer les Anglais et … former des marins aguerris, véritable réservoir pour la « Royale » qui a besoin d'hommes d'expérience habitués aux rudes conditions de vie des baleiniers. Ainsi, à partir de 1784, l’État encourage cette activité en faisant venir des marins étrangers, notamment des harponneurs américains et en avançant des fonds.

Les navires baleiniers sont en majorité commandés par des capitaines originaires de Nantucket dont sont issus également la plupart des armateurs. Durant la période s'étalant de 1784 à 1803, deux ports en France s'imposent dans l'armement des baleiniers : Le Havre et Dunkerque. La période 1784-1792 est marquée par une croissance continue des expéditions : de une en 1784 à plus d'une trentaine en 1792. Cet élan est stoppé par la déclaration de guerre contre l'Angleterre en 1792 (1ère coalition) dont la conséquence est la disparition des armements baleiniers des ports français. En 1802, après la signature de la paix d'Amiens, sous la pression des anciens armateurs nantuckois, est à nouveau instaurée une politique de subventions en faveur de l'activité baleinière, à hauteur de 50 francs par tonneau de jauge. Cette prime entraîne l'armement en France de 19 navires, Le Havre devenant alors le premier port de la chasse française avec baleiniers, dont les départs vont se dérouler en 1802 et 1803. Puis, le blocus de 1806 et les guerres napoléoniennes arrête à nouveau cette activité.

Il faut désormais attendre les débuts de la Restauration pour voir renaître la baleinerie française, notamment au Havre, avec le rétablissement dès 1816 des primes pour encourager la reprise de l'activité baleinière, considérée comme un « auxiliaire puissant pour le développement de la marine de commerce et l'éducation du personnel maritime. » Une ordonnance de 1819, introduit des nouveautés, notamment des systèmes de primes favorisant l'emploi prioritaire de navires et de marins français, traduisant de ce fait la volonté gouvernementale de développer, en France, les secteurs de la construction navale et des équipements qui lui sont afférents. Il s'agit également de développer la formation des marins baleiniers nationaux, tous mobilisables en temps de guerre par le système de l'inscription maritime. Ainsi, pendant la période de 1826 à 1830, Le Havre est confirmé comme le port maritime principal des baleiniers français, avec ses 60 navires qui, chaque année, sortaient de ses bassins.

Par contre, la décroissance réelle du nombre de cétacés dans l'Atlantique Sud, puis dans l'Océan Indien et le Pacifique, rend les possibilités de prises de plus en plus aléatoires et augmente les durées des expéditions. Aussi, cette activité va-t-elle rapidement disparaître des ports baleiniers français, dès les années 1830 : le dernier armement à Dieppe a lieu en 1836, le port de Dunkerque arme ses deux derniers navires en 1837, à peine une dizaine d'armements à Nantes dans les années 1840. Des 60 navires du Havre, seulement 35 resteront en 1836, montés par 1.165 hommes. Peu à peu ce chiffre décroîtra dans les années qui suivirent : de 21 en 1841, à 13 en 1847, 5 en 1857 et 3 en 1862, avant de cesser définitivement en 1868 avec le désarmement du baleinier franco-américain, Le Winslow, armé par le fils de Jérémiah Winslow, un quaker originaire de Nantucket, naturalisé français, qui avait armé les premiers baleiniers havrais en 1817.

Les baleiniers Kergueleniens

Le 2 janvier 1893, la France prenait officiellement possession des îles Kerguelen, découvertes en 1772 par le navigateur breton qui leur avait donné son nom. Les frères Bossière, des aventuriers, fils d’un armateur baleinier havrais, achètent l’ancien navire baleinier Gustave.  Ils obtiennent dès le 31 juillet 1893, du gouvernement français, la concession exclusive des îles Kerguelen pour 50 ans, avec la mission de coloniser cette "Terre de la Désolation". Ils espéraient des résultats sérieux de la pêche de la baleine et des éléphants de mer qui devenaient déjà à l’époque de plus en plus rares. Ils signent avec une société norvégienne une convention pour installer aux Kerguelen une station baleinière. Bien vite ce sont les norvégiens qui vont prendre le dessus et en assurer l’exploitation, ainsi que celle du charbon pour produire de la vapeur pour fondre dans des autoclaves le lard des mammifères marins. Les frères Bossière se réorienteront vers l’élevage ; c’en est fini, pour eux, de l’exploitation des cétacés.

Comment l’industrie du pétrole a sauvé les baleines

            Au début de l’époque industrielle, les baleines étaient considérées comme une ressource naturelle importante, exploitée depuis des décennies. En effet, l’huile extraite des baleines, surtout celle provenant du Grand cachalot, pour lequel le processus d’extraction de l’huile s’effectuait par les narines, était recherchée pour le chauffage, l’éclairage, ou la peinture.

L’huile de baleine fut l’or blanc de cette époque, une aubaine économique considérable. Elle était le combustible privilégié, tant les besoins de l’éclairage dans le monde augmentaient, notamment pour assurer un minimum de sécurité nocturne dans les villes, avec l’effet d’accélérer dangereusement la chasse de ce mammifère marin.

De plus, ce type d’éclairage était de qualité, qui permit, entre autres, aux copistes monastiques de doubler, voire tripler leur journée de travail.  Cela entraîna la production d’une bien plus grande quantité de manuscrits qui « inondèrent » l’Europe et répandant la connaissance et la parole chrétienne. D’aucuns affirment que l’huile de baleine a permis une première révolution culturelle, … avant celle de l’imprimerie quelques siècles plus tard. Que des effets bénéfiques !

Qui plus est, la chair est une nourriture précieuse, basique par exemple pour les inuits. La langue, tendre et délicieuse, est toutefois réservée aux menus des personnalités !

            La demande globale pour la graisse de baleine continuant à augmenter, même les chasseurs qui s’étaient enrichis depuis des siècles n’étaient plus capables de la satisfaire. En 1850, la chasse aux baleines avait eu un effet tellement dévastateur sur leur population que les chasseurs ont dû abandonner l’océan Atlantique et se déplacer vers les océans Pacifique et Indien, rendant ainsi le produit encore plus rare et cher.

Les consommateurs devinrent de moins en moins disposés à payer le prix exorbitant de l’huile de baleine. En 1850, ils avaient en réalité le choix entre :

  • le camphène : 50 cents par gallon (1 US gallon = 3,78 litres)
  • l’huile de charbon : 50 cents (calaminé, odeur désagréable, mauvaise qualité ; prédécesseur du kérosène)
  • l’huile de saindoux  : 90 cents (mauvaise qualité, odeur désagréable)
  • l’huile de baleine : entre 1,30 et 2,50 dollars par gallon

Mais un produit alternatif comme le camphène (de même que l’huile de charbon), une combinaison d’alcool, térébenthine et d’huile de camphre, de moindre qualité et très inflammable, qui brûle en dégageant une odeur sucrée, est potentiellement dangereux, surtout dans des zones d’habitat généralement construit en bois, en Amérique, là où la demande est la plus forte. Les ménages se trouvèrent littéralement à court de lumière.

L'huile de baleine n'était plus accessible qu'aux riches ; les bougies de suif avaient une odeur désagréable et les becs de gaz n'existaient que dans les maisons et appartements modernes des zones urbaines. La révolution industrielle entraîna la recherche de combustibles bon marché et meilleurs ; les bouleversements sociaux de cette jeune ère technique créèrent le besoin d'un combustible peu onéreux et de bonne qualité pour les lampes. Une forte demande d'une huile nouvelle, l’huile de roche (pétrole brut), apparut et, vers le milieu du XIXe siècle, de nombreux scientifiques mirent au point des procédés permettant d'en faire un usage commercial. Et puis ce pétrole n’avait pas une mauvaise image. Les Iroquois ne l’utilisaient-ils pas comme insectifuge, pommade, et tonique depuis des siècles.

            Abraham Pineo Gesner, un médecin et géologue canadien, en 1846, vit sa recherche sur les minéraux aboutir à la création d’un liquide composé de charbon, de bitume, et de schiste bitumineux, qu’il nomma kérosène. En comparaison d’autres produits sur le marché, cette huile de charbon n’avait pas une odeur désagréable et était beaucoup moins salissante ; et surtout, avec sa commercialisation dès 1850 par sa Kerosene Gaslight Company, puis la vente de son entreprise à Standard Oil, sa production de masse en a réduit les prix.

En 1851, l’américain Samuel Martin Kier a commencé à vendre de l'huile lampante aux mineurs locaux, sous le nom de Carbon Oil, du kérosène. Il l'a distillée à partir de pétrole brut par un procédé de sa propre invention et a également inventé une nouvelle lampe pour la brûler. Les historiens l'ont surnommé le grand-père de l'industrie pétrolière américaine. Un nouveau produit concurrent à l’huile animale apparaissait.

C'est ainsi que fut amorcée la recherche de plus importantes sources d'approvisionnement en pétrole brut. On savait que les puits creusés pour l'eau et le sel présentent parfois des infiltrations de pétrole. L'idée de forages pétroliers fit donc naturellement son chemin. Les premiers puits furent forés en Allemagne, en 1857. Mais l'initiative qui eut le plus grand retentissement fut celle d'Edwin L. Drake, le 27 août 1859, quand il effectua à Tltusville (Pennsylvanie) des forages pour trouver la « nappe mère », source des affleurements de pétrole.

            L’histoire montre que les nouvelles formes d’énergie se substituent « naturellement » aux plus anciennes, parce qu’elles sont plus efficaces de par leur densité énergétique bien plus forte. Ainsi, le boom pétrolier qui, à partir de 1859, déversa du kérosène sur le marché nord-américain, a réduit très fortement la demande d’huile de baleine utilisée à l’époque pour l’éclairage, alors qu’elle devenait de plus en plus rare et chère.

Son usage devait rapidement prendre fin, face aux produits de substitution pétroliers. La chasse aux baleines était devenue inutile : les baleines sont sauvées de l’extinction par l’industrie pétrolière.

Importations américaines d’huile de baleine et cachalot

Vraiment ?

            Sans les combustibles fossiles, les 75 espèces de baleines auraient-elles été chassées pour leur huile jusqu’à l’extinction ? En réalité, contre toute évidence, le pétrole pourrait bien avoir contribué à une importante relance de l’agonisante industrie baleinière. La plupart des massacres de baleines n’ont-ils pas eu lieu au XXe siècle et en grande partie après la Seconde Guerre mondiale, grâce … aux combustibles fossiles et à d’autres innovations. Le pétrole aurait-il en réalité permis de tuer plus de baleines, et plus efficacement que jamais auparavant ?

La guerre civile américaine (guerre de Sécession 1861-1865) avait réquisitionné la plupart des navires baleiniers américains pour des objectifs militaires, alors les Norvégiens ont comblé le vide. Et avec eux, la chasse à la baleine industrielle moderne est apparue exploitant la crise de l’industrie baleinière américaine.

            Les espèces « flottantes » de cétacés sont déjà en déclin dans ces années 1860, mais le potentiel des autres baleines reste inexploité et l’industrie va y contribuer. Deux innovations s’avèrent cruciales. La première est l’adoption de navires au charbon (puis plus tard au diesel) qui ouvriront de nouvelles zones de chasse plus lointaines, notamment l’Antarctique, une formidable réserve. Ils permettent de traquer les baleines bleues et les rorquals communs, des espèces qui se déplacent plus rapidement et comptent parmi les plus grands mammifères sur Terre. La seconde innovation est celle du canon lanceur de harpon, mis au point en 1870 par un chasseur de phoques norvégien, Foyn Svend, qui permet de harponner sans avoir à mettre à l’eau de fragiles chaloupes. On adopte aussi des compresseurs d’air, à carburant fossile, qui permettent de gonfler les carcasses pour les empêcher de couler. Puis les navires-usines, peuvent travailler les baleines sur site, en mer, grâce aux congélateurs (pour la viande) et en traitant l’huile de baleine pour qu’elle ne devienne pas rance. En 1920, un seul navire-usine pouvait prendre plus de baleines en une saison que la flotte baleinière américaine de 1846 qui comptait plus de 700 voiliers ! Ce sera désormais la norme.

Au XXe siècle, le massacre s’est accéléré pour atteindre près de 3 millions d’animaux, même si les prix de l’huile de baleine avaient chuté depuis que le kérosène inondait le marché de l’éclairage domestique. Entre 1900 et 1962, les méthodes industrielles ont tué autant de cachalots qu’au cours des XVIIIe et XIXe siècles réunis. Cet « exploit » a ensuite été répété entre 1962 et 1972.

Baleinier soviétique (1954)

            Mais à quoi sert cette exploitation, puisque l’huile de baleine n’est plus en demande … depuis que l’huile n’éclaire plus ?

Certes, on l’utilisait encore un peu pour l’éclairage urbain. Mais aussi pour confectionner des aliments et farines animales, des savons, des bases pour les parfums, des produits pharmaceutiques et des peintures, pour graisser les machines, pour imperméabiliser les bois des maisons, ou encore pour tanner le cuir et calfater les navires. Les frères Lever possédaient même leur propre entreprise de chasse à la baleine pour faciliter leur approvisionnement en graisse de baleine pour fabriquer du savon. Le squelette était utilisé pour fabriquer des clôtures, des charpentes, des sièges ... Les fanons des baleines servaient à la confection des armatures de corsets, d’arceaux pour l’industrie de la mode, de parapluies et d’ombrelles, d’éventails, de manches de couteaux, de fourchettes et cuillères, … pourquoi pas de fouets, etc. Petit clin d’œil à l’histoire, les structures utilisées pour rigidifier un soutien-gorge portent toujours le nom de ‘baleine’, (de l’anglais baleen qui signifie fanon) ! Très agréable pour sa grande flexibilité, cette matière a aussi l’avantage d’être facile à travailler et résistante à l’eau, … le plastique de l’époque ! Autant d’usages « modernes » et huppés qui soutenaient la demande de fanons.

Tandis que les militaires découvraient que, transformée en nitroglycérine, l’huile de baleine permettait aussi la fabrication d’explosifs au moment où une Première guerre mondiale se dessinait

            La chasse à la baleine, malgré les substituts à l’huile pour l’éclairage, s’accentuait fortement, car au-delà de tous les produits désormais « classiques », les scientifiques ont pu répondre à de nouvelles demandes des consommateurs d’une société frappée par la guerre, assurant ainsi de nouveaux débouchés pour les baleiniers.

La découverte, en 1905, de l’hydrogénation, combinée avec l’invention, en 1918, d’un procédé pour solidifier l’huile de baleine tout en éliminant mauvais goût et odeur, a permis d’utiliser l’huile animale pour la première fois comme margarine. Un nouvel usage qui sera toutefois éphémère, car au même moment, on a réussi à fabriquer de la margarine presque uniquement à partir d’huile de palme éliminant de fait le recours à l’huile de baleine. Le fruit du palmier cultivé depuis des millénaires en Afrique de l'Ouest puis introduit en Asie du Sud-Est au milieu du XIXème siècle. La margarine fut un best-seller pendant des années, jusqu’à ce que le beurre prenne sa place. Ainsi, entre 1938 et 1951, la part des huiles végétales transformées en margarine a quadruplé, alors que l’utilisation d’huile de baleine et de poisson était réduite d’autant.

Parallèlement, les techniques de conservation et de congélation ont fait imaginer aux chercheurs canadiens que la viande de baleine pourrait se vendre aussi bien que le bœuf. Certes, elle n’avait pas la réputation d’être excellente, mais présentait l’intérêt d’être bon marché. A une période où l’Eglise interdisait la consommation de viande pendant le carême, les paysans contournaient l’interdit en concoctant des plats à base de graisse de baleine et de lard.

Dans les années 1930, l’huile de baleine constituait une part si importante et traditionnelle de l’approvisionnement alimentaire du Royaume-Uni qu’entre 1932 et 1936, elle représentait 37 % des composants de la margarine, 21 % de ceux du saindoux et 13 % du savon … En 1938, le gouvernement britannique a classé l’huile de baleine, avec la viande et le sucre, parmi les produits essentiels à la « sécurité nationale ».

            Après la Seconde Guerre mondiale, le prix de l’huile de baleine a de nouveau augmenté en raison de la pénurie générale d’huiles alimentaires. Cela explique qu’un groupe de pays, dont les États-Unis, l’Argentine, l’Australie, l’URSS, le Danemark, la Suède, l’Italie et même l’Autriche, pays sans littoral, ont alors annoncé leur intention de chasser davantage de baleines au nom du progrès de l’humanité.

Alors que la pêche industrielle s’intensifiant faisait diminuer la taille et le nombre des baleines, la Commission baleinière internationale a essayé de maîtriser le carnage, mais n’a approuvé de moratoire sur la chasse à la baleine qu’en 1986, une convention qui reste … mal respectée. La Norvège et l'Islande ont refusé de se conformer à ce moratoire imposé par la Commission baleinière internationale. Le Japon l'a ironiquement signé (la culture japonaise et la recherche scientifique ont le dos large) et continuent de chasser les baleines pour leur viande malgré les protestations environnementales régulières.

            Certes les fossiles, énergie et chimie, ont considérablement accru les moyens techniques de production mis à la disposition des baleiniers : vitesse et autonomie des bateaux, outillage et machines, moyens de traitement des produits et conservation, leur mise sur le marché et leur exploitation de plus diverse et variée … Tout ceci amplifiant la demande et donc la destruction de ces mammifères.

La chasse à la baleine a culminé en 1962, 13 ans avant l’action très médiatisée de Greenpeace à Vancouver, puis a décliné spectaculairement pendant la décennie suivante. Il n’y a pas de preuve que la chasse à la baleine, en particulier américaine, ait décliné en raison d’une grave pénurie de baleines.

D’aucuns affirmeront que c’est l’énergie fossile source de l’électricité pour l’éclairage, les huiles végétales pour l’alimentation, et ces deux types de produits pour toutes les productions artificielles ou chimiques de base, qui ont sauvé les baleines. Plus qu’un traité international, mal respecté, c’est la mise à disposition de l’humanité de produits de substitution, avec une densité de puissance beaucoup plus élevée, portée par une prospérité et un niveau de vie en constante augmentation, qui a sauvé les baleines.

Et les requins ?

            Après avoir sillonné les océans pendant 400 millions d’années, survivant à cinq extinctions de masse, les requins forment aujourd’hui le groupe d’espèces marines le plus menacé au monde. On estime qu’au moins 80 millions de requins, dont 25 millions appartenant à une espèce protégée, comme le requin océanique ou le grand requin-marteau, ont été tués chaque année entre 2012 et 2019. Et 100 millions en 2023 !

Signe d’un intérêt accru pour la viande de ce poisson, 50 % des requins sont pêchés dans les eaux territoriales de quatre pays (Indonésie, Mauritanie, Brésil et Mexique). L’étude relève aussi que les bateaux ramènent au port des requins plus petits, y compris des juvéniles.

Le cartilage est recherché dans les pays asiatiques pour ses prétendues vertus médicinales. Pourtant l’interdiction du « finning », pratique cruelle consistant à couper les ailerons du requin sur le bateau avant de le relâcher, vivant, dans la mer, n’a pas réduit la mortalité dans les zones concernées. Pire, on constate un effet pervers de la mesure qui a favorisé la création d’un nouveau marché pour la chair, l’huile et le cartilage dans des populations qui n’en consommaient pas auparavant. Le Brésil et l’Italie seraient aujourd’hui les plus grands consommateurs de cette viande bon marché.

Histoire de l’éclairage public en France

On verra ci-après qu’en ce qui concerne la France, l’huile de baleine n’a pas été le moyen essentiel pour s’éclairer. Peut-être cela est-il dû au déclin « prématuré » de la chasse à la baleine par les pionniers que furent les basques.

            En 1258, on trouve la première trace d'une lutte contre l'insécurité nocturne à Paris avec la mise en place d'un projet d'éclairage public. Louis IX émet l'ordonnance « que chaque propriétaire ait à éclairer sa façade à l'aide d'un pot-à-feu sous peine, pour tout contrevenant, d'amende et de peine de prison. » Celle-ci sera ignorée par la population, par souci d'économies et par peur des éventuels incendies.

En 1318, après un grand nombre de crimes commis aux abords du Châtelet, Philippe V ordonne qu’il fût administré « une chandelle de suif chaque nuit devant l’image de la benoiste Vierge Marie à côté de l’entrée de la porte du Chatelet pour l’obscurité de la nuit, laquelle est délitable à tous les malfaiteurs. » Puis durant les deux siècles suivants, on va retrouver la trace de plusieurs appels invitant les habitants à disposer sur le bord de leur fenêtre une chandelle (une bougie) pendant la nuit. Mais sans succès, jusqu’aux falots de Henri II en 1558.

            L'histoire de l'éclairage public prendra un virage déterminant sous le règne de Louis XIV. En 1662, l’abbé Laudati de Caraffa reçoit l'autorisation d’établir à Paris et dans toutes les autres villes du royaume un service payant de porteurs de flambeaux pour accompagner les passants qui le souhaitent.

En 1667, Nicolas de la Reynie, lieutenant général de police, ordonne la mise en place d'un éclairage des rues réalisé par des lanternes à bougies uniformisées, symboliquement marquées du blason du roi. Paris y gagna le titre de "ville lumière". La chandelle protégée par des petits carreaux assemblés au plomb et un capot, éclaire via une mèche charbonnée qu'il faut couper toutes les heures. Les lanternes étaient suspendues par des cordes fixées sur un mat à la hauteur du premier étage. Un inventaire réalisé à Paris quelques mois après l'ordonnance recense 2.736 lanternes installées dans 912 rues éclairées. En 1697, un édit est promulgué qui prescrit l'établissement de lanternes dans les principales villes du royaume. En 1729, on dénombre 5.772 lanternes dans Paris !

            A cette époque, on entreprend la construction de la tour des Baleines dans l’Île de Ré, commandée par Colbert, alors secrétaire d’État de la marine, et achevée en 1682 sous la supervision de Vauban. Le phare brûlait à l’origine de l’huile de poisson et de baleine dont le rendement en termes d’éclairage était faible et dont l’efficacité était réduite, la combustion de l’huile tendant à calciner les vitres de la lanterne.

En 1744, un ingénieur Français, Dominique-François Bourgeois met au point la lanterne à réverbère. Elle éclaire au moyen d'une mèche de coton encirée, plongée dans de l'huile de tripes que l'on fait brûler. La mèche est placée sous un réflecteur argenté qui réverbère la lumière en direction du sol.

À partir de 1771, Tourtille-Sangrain adaptera le principe des réverbères à plusieurs phares, en concevant un dispositif de plus grande taille. En 1782, Cordouan bénéficie de ce système. Sa lanterne fonctionne grâce à un mélange d’huile de colza, olive, navet et huile de graisse de baleine, un mélange qui ne gèle pas par grand froid. Pourtant, le feu se révèle peu satisfaisant. Les marins le distinguent beaucoup moins bien que les feux de charbon, surtout par temps couvert. Tourtille-Sangrain conçoit des réflecteurs plus grands, et revoit la composition du mélange d’huile, pour améliorer les performances du phare.

En 1759, avec la lanterne de Bourgeois de Châteaublanc on impose l'éclairage à l'huile et en 1782 on comptera 1.200 de ces réverbères à huile à Paris, suspendues au milieu des petites rues à des fils transversaux, ou, en cas d'espaces découverts (places, jardins...) à des potences ou fixées sur des consoles en fer. Les lanternes étaient allumées et surveillées pendant la nuit par des gagne-derniers (employés de la rue) qui se voyaient confiés 20 lanternes chacun. Très vite, ce système prend de l’ampleur : on compte 4.645 lanternes à Paris en 1817 et 5.035 en 1821. Il se répand hors de Paris, tout d'abord à Versailles puis dans plusieurs grandes villes de province ; Lyon qui installe ses premières en 1770 en aura 10.000 en 1900 (70.000 en 2015).

Un falotier en action à Paris au XIXème siècle ; l’un des métiers les plus emblématiques de la capitale.

Les lanternes éclairent avec des chandelles à huile de tripes, répandant une odeur nauséabonde. En 1788, l'huile de tripes en remplacée par de l'huile de baleine, ou de colza, moins coûteuse, moins nauséabonde et fournissant une flamme plus blanche. De nombreux problèmes subsistent néanmoins. Les écoulements d'huile brûlante provoquent de nombreux accidents, les lanternes répandent toujours une odeur peu agréable et sont de plus vulnérables à une extinction lors d'un coup de vent.

En 1791, le Français Philippe Lebon découvre le principe de l'éclairage par le gaz hydrogène carboné (méthane). Néanmoins, ce n'est qu'en 1820 que les premières lanternes à bec de gaz feront leur apparition à Londres. 4 lanternes au gaz ont été mises en service pour la première fois en France le 1er janvier 1829 pour éclairer la place du Carrousel, à Paris. Le 2 janvier 1829, douze appareils du même type seront posés rue de Rivoli.

En 1855, Haussmann organise la fusion des 6 sociétés gazières en concession unique à la Compagnie parisienne d'éclairage et de chauffage par le gaz. A partir de cette époque, l'éclairage au gaz s'étend et s'intensifie dans toutes les grandes agglomérations du pays. C'est l'entrée de la France dans l'ère industrielle.

Les innovations se succèderont jusqu'à l'arrivée de la lampe électrique à la fin du 19ème siècle.

Sources : https://charcot.etab.ac-lyon.fr › histoire_eclairage / Contrepoints - Bill Wirtz -15 fév 201
Andrew Nikiforuk dans la revue canadienne The Tyee. / https://energieetenvironnement.com/2018/03/25/
Histoire & Mesure :  “Productivity of French Whaling (1817-1868)” - Annik Foucrier and Jean Heffer / Jean-Marc Van Hille (Bruxelles 2014)