La fabrique des élites aux États-Unis
Les grandes universités américaines, à la fois très prestigieuses et en crise profonde comme l’illustre la démission forcée de la présidente de Harvard, sont intimement liées à l'identité et aux valeurs des États-Unis depuis leur fondation.
Hall d’Harvard à Cambridge, aux États-Unis. Sergi Reboredo. All rights reserved 2024 / Bridgeman Images
Entre les grandes universités américaines qui forment les élites du pays et une partie importante de leurs concitoyens, la défiance atteint un niveau inédit. La présidente de Harvard -accusée de complaisance envers une campagne antisémite sur son campus après les attentats du Hamas du 07 octobre 2023, et de surcroît soupçonnée de plagiat- a été contrainte de démissionner. L'affaire est grave car l’histoire de ces lieux où étudient les futures élites de la superpuissance mondiale, c'est l'histoire même de l'Amérique depuis le XVIIe siècle.
La première université du pays, Harvard, est fondée en 1636, seize ans à peine après l'arrivée du Mayflower dans la baie de Plymouth. L'éducation est une priorité des puritains qui créent la colonie du Massachusetts. Ces protestants dissidents, en rupture avec l'anglicanisme officiel, entendent former un clergé et des élites civiles instruits selon leur doctrine. Le site choisi pour l'université est, à l'époque, à une distance conséquente de Boston, en vertu d'un choix pédagogique qui va marquer l'histoire de l'enseignement supérieur aux États-Unis : il faut isoler les étudiants dans un lieu à l'écart des bruits et des tentations du monde, afin de les faire vivre et travailler en communauté. Ainsi naît peu à peu le premier campus de l'histoire américaine, installé aux abords d'un cours d'eau. Les fondateurs de l'université rebaptisent le hameau Cambridge, car ils s'inspirent de l'illustre exemple anglais. Le gouvernement des colons, la Massachusetts General Court, confie d'ailleurs la présidence de l'institution naissante à un puritain diplômé de Cambridge, Henry Dunster.
Un jeune pasteur emporté par la tuberculose à 30 ans en 1638, John Harvard, lègue la moitié de ses biens et les 329 livres de sa bibliothèque à l'université, qui adopte son nom en signe de reconnaissance, afin de perpétuer le souvenir de son bienfaiteur. La philanthropie, décisive pour le développement des universités américaines, apparaît ainsi dès l'origine. Les autorités de la colonie sont représentées au conseil du collège, en contrepartie du soutien financier apporté à cette institution privée.
Yale, pour sa part, situé dans la colonie du Connecticut, au sud du Massachusetts, est fondé en 1701 avec le soutien d'anciens de Harvard qui jugent que celle-ci s'éloigne de ses idéaux religieux. Après une période d'hésitation, la nouvelle université se fixe à New Haven et adopte bientôt le nom de son premier directeur, un Bostonien. Dans les années 1760, ce temple de la tradition puritaine s'ouvre aux étudiants anglicans, au grand scandale des traditionalistes.
Les sensibilités diverses au sein de chaque église réformée et les rivalités entre les différentes branches du protestantisme se traduisent ainsi dans la concurrence entre universités de la Nouvelle Angleterre : Princeton (fondée en 1746 dans le New Jersey) est l'œuvre des Presbytériens, Brown (créé en 1764 dans le Rhode Island) des Baptistes. Les premières universités sont presque toutes fondées par des ministres du culte.
La situation est différente en Virginie, extrémité sud des colonies anglaises d'Amérique à l'époque. C'est là que les premiers colons européens se sont installés de façon permanente dès 1607. Il s'agit d'une colonie fondée, non par des particuliers avec une autorisation royale comme en Nouvelle-Angleterre, mais par la Couronne britannique et administrée par Londres. La population, plus disséminée, est anglicane. Les élites locales de Virginie, dont le lien avec la mère patrie est longtemps resté plus étroit, envoient leurs enfants faire leurs études supérieures en Angleterre.
Façade de l’Université de Princeton, dans le New Jersey, États-Unis / Bridgeman Images
Néanmoins, une université publique, le collège de William et Mary, est finalement fondée par charte royale en 1693 à Williamsburg, capitale de la colonie. Le modèle anglais est dupliqué : les professeurs doivent être de religion anglicane. Le président de l'université, représentant de l'évêque de Londres, est le chef de l'Église anglicane en Virginie. Le gouvernement de Londres, pour marquer sa sollicitude envers cette université, lui attribue le produit d'une taxe sur le tabac, ressource majeure de l'économie de la colonie. En Nouvelle-Angleterre, d'autres autorités publiques affecteront aux premiers collèges le produit de loteries.
À l’époque, les cours sont souvent en latin, langue de l'Église, du droit et de la médecine. Au XVIIIe siècle, les humanistes forment le socle de l'enseignement mais la place des sciences (mathématique, astronomie) augmente. Des examens d'entrée sont parfois institués pour vérifier le niveau des candidats. L'étude du français se développe (sauf à Yale, bastion de la tradition et attaché au grec).
Bâtis pour la plupart, à l'origine, à la campagne ou dans des villes petites ou moyennes qu'elles influencent fortement (d'où leur nom de college towns), ces établissements constituent des lieux privilégiés, isolés et protégés, au charme quelque peu aristocratique. La plupart des universités du pays adopteront, plus tard, les traits qui inspirent ce sentiment : bâtiments de style tudor ou géorgien, vastes pelouses et arbres, place centrale de la résidence du président.
Lorsque les insurgents (Américains du Nord qui prirent parti contre l'Angleterre) tirent les premiers coups de fusil de la révolution américaine, à Lexington le 19 avril 1775, une dizaine d'universités sont déjà en activité dans ces États-Unis en gestation. L'université tient alors du cloître et du club et une promotion de Harvard ne comprend qu'une soixantaine d'élèves. Ces établissements, presque tous privés et concentrés pour la plupart en Nouvelle-Angleterre, n'accueillent en effet qu'une élite très étroite : environ 3.000 étudiants au total cette année-là.
Mais, suivant l'esprit du temps, plusieurs des artisans de la révolution américaine s'intéressent vivement à l'éducation. Thomas Jefferson, ancien ambassadeur des insurgents auprès de la France de Louis XVI, meurt en 1826, Or, le texte qu'il avait rédigé pour son épitaphe est : "Ci-gît Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d'Indépendance de l'Amérique, du Statut de la Virginie pour la liberté religieuse et père de l'Université de Virginie". Il a préféré faire figurer, parmi les actes les plus glorieux de sa vie, sa qualité de fondateur d'université à Charlottesville plutôt que son titre d'ancien président des États-Unis.
L'indépendance du pays une fois acquise (traité de Paris, signé le 3 septembre 1783), le développement de l'enseignement supérieur suit la poussée des Américains vers l'ouest, l'augmentation de la population, la multiplication des États. Chacun se dote peu à peu d'une université publique (State University), d'abord destinée aux résidents de l'État, dont les frais de scolarité sont moins élevés. Comtés et villes sont libres de créer des universités publiques, mais pas l'État fédéral, car l'enseignement supérieur n'entre pas dans ses attributions, sauf pour assumer ses compétences en matière militaire. L'US Military Academy, alias West Point, fondé dans l'État de New York dès 1802, relève ainsi de l'autorité du président des États-Unis. Au fil de l'histoire, le Congrès a certes autorisé l'exécutif à créer quelques autres institutions pour répondre à des besoins particuliers (les autorités fédérales gèrent ainsi trois universités réservées aux Indiens), mais ces cas sont exceptionnels.
Dès 1819, un arrêt de la Cour suprême apporte au contraire aux donateurs et aux fondateurs d'universités privées une sécurité juridique précieuse. L'affaire concerne Darmouth College, fondé en 1769 dans le New Hampshire par Eleazar Wheelock, un révérend aux idées philanthropiques. Son fils, John Wheelock, qui lui a succédé comme président du college et se heurte à l'opposition du Conseil de l'établissement, demande à l'État du New Hampshire de prendre le contrôle de Darmouth, ce qui est fait par une loi. Le Conseil porte alors le litige devant les tribunaux et gagne devant la Cour suprême des États-Unis.
La plaidoirie d'un ancien élève, Daniel Webster, l'a rendu célèbre: « Notre État sera-t-il autorisé à prendre ce qui ne lui appartient pas, pour le détourner de son but originel et en faire ce qu'il lui plaira qu'il fasse? », déclare l'avocat. Non, répond la Cour suprême. Certes, lors de la fondation du college, l'État du New Hampshire lui avait accordé une Charte. Mais, par cette Charte, l'autorité publique se borne à authentifier la volonté du donateur et à lui donner sa garantie. Cette Charte est un contrat or, argumente la Cour suprême, la Constitution prescrit qu'un État « ne pourra voter aucune loi portant atteinte aux obligations assumées par contrat ».
Le college, corporation privée, a donc une Charte fondatrice qui ne peut être modifiée par le législateur. Il faut respecter les vœux du fondateur, qui a confié son droit de propriété sur des biens à un Conseil (Board of Trustees) en échange de l'engagement de celui-ci à utiliser les fonds conformément à la volonté du donateur. Juridiquement, une telle université est une « corporate charity », personne morale de droit privé à but non lucratif. La « corporation charitable », aux États-Unis, est l'arme par excellence de la société civile, « le pivot de résistance du pouvoir privé au pouvoir public » et, ainsi, « un élément essentiel de la vie américaine » (Carole Masseys-Bertonèche, Philanthropie et grandes universités privées américaines : pouvoir et réseaux d'influence).
Grâce à cet arrêt de la Cour suprême, la voie est donc libre aux États-Unis, dès ce début du XIXe siècle, pour un prodigieux développement de l'initiative privée en matière d'enseignement supérieur.
Au fil des décennies, les nouveaux besoins du pays entraînent l'apparition de disciplines scientifiques inédites à l'université : géologie, botanique, techniques agricoles. À la veille de la guerre de Sécession (1861-1865), le nombre de collèges est évalué à 250, dont 21 universités publiques. Mais beaucoup sont plutôt des écoles secondaires qui proposent une ou deux ans d'études supérieures. De l'indépendance des États-Unis à l'élection de Lincoln en 1860, 900 autres collèges, souvent de dimensions très modestes, auraient ouvert puis fermé leurs portes (pour manque de fonds, étudiants en nombre insuffisant, aléas politiques), à l'image d'une entreprise privée soumise aux aléas du marché.
Pendant la guerre de Sécession, en 1862, est adoptée une loi cruciale pour l'enseignement, la loi Morrill (qui porte le nom de son promoteur, représentant du Vermont au Congrès). Afin de mettre en valeur le Middle West, l'État fédéral, possesseur d'une grande partie du foncier, met à la disposition de chaque État fédéré autant de fois 15.000 hectares de terre que cet État a de parlementaires au Congrès en vue de constituer des collèges consacrés à enseigner l'agriculture et la mécanique aux classes populaires. Dans ces établissements, qu'on appelle les « Land Grant Colleges », naît un lien étroit entre l'agriculture et l'université, facteur de modernisation. Puis, au fil des décennies, à l'enseignement technique s'ajoutent parfois les premiers éléments des humanités.
Au cours de ce même XIXe siècle, l'enseignement supérieur s'ouvre aux jeunes femmes. Certains collèges leur sont ouverts dès les années 1830. Dans le Middle West puis l'Ouest, plus neuf et marqué par l'esprit pionnier, la mixité devient vite la règle au sein des universités, de même que, à la fin du XIXe siècle, dans le Sud.
En Nouvelle-Angleterre, en revanche, existe dans la seconde moitié du XIXe siècle une forte opposition, non à l'enseignement supérieur des jeunes femmes, mais à la mixité. Des institutions qui leur sont réservées voient alors le jour, destinées aux jeunes filles de bonne famille, à l'image de Radcliffe College, « petite sœur » de Harvard. On les surnomme bientôt « les sept sœurs »: Barnard (associé à Columbia, à New-York), BrynMawr (dans l'agglomération de Philadelphie), Mount Holyhoke, Wellesley, Vassar (au nord de l'État de New York) et Smith College.
En 1875, en effet, une riche héritière de la Nouvelle-Angleterre, Sophia Smith, fonde un collège qui va porter son nom à Northampton, à 150 kilomètres de Boston. Le legs stipule l'objectif de la donatrice : « Établir une institution d'enseignement supérieur réservée aux jeunes femmes, ayant pour objectif de leur procurer un moyen d'éducation identique à ceux qui sont offerts aujourd'hui aux hommes ». Répondant à une interrogation courante à l'époque, Sophia Smith précise : « Mon but n'est pas de rendre ces jeunes femmes moins féminines, mais de développer autant qu'il est possible leurs capacités en tant que femmes et de leur procurer les moyens d'accéder à la vie active, au bonheur et à la considération ».
L'héritière entend que « ses » étudiantes puissent ainsi accéder aux professions réservées aux hommes jusqu'alors. Fait significatif, le grand écrivain Henry James, à la même époque, consacre un roman au féminisme américain. Or il situe l'intrigue dans les milieux aisés de la Nouvelle-Angleterre et appelle son livre Les Bostoniennes (1886). Parmi les premières femmes avocats, médecins ou professeurs d'université figurent nombre d'anciennes du Smith College.
C'est aussi le cas de nombreuses personnalités, de la romancière Margaret Mitchell, auteur de Autant en emporte le vent à Nancy Reagan et Barbara Bush. Conformément au vœu de sa fondatrice, l'établissement demeure, aujourd'hui encore, réservé aux femmes. Le souci de la séparation n'était pas, aux États-Unis, l'apanage des hommes.
Margaret Mitchell, 1937. CSU Archives/Everett Collection / Bridgeman Images
La question du coût est omniprésente dans l'esprit public américain et son examen jugé naturel. Le souci d'amortir le coût de la recherche par les droits d'inscription des étudiants non chercheurs est une des causes majeures du modèle qui se développe outre-Atlantique à la fin du XIXe siècle : un collège traditionnel associé à un institut de recherche. Grâce à cette innovation, les jeunes diplômés dans les disciplines scientifiques n'auront plus à se rendre en Angleterre ou en Allemagne pour approfondir leurs études comme ils le faisaient jusqu'alors. À cette époque cependant, la plupart des apports scientifiques et des innovations technologiques viennent encore d'Europe (turbine à vapeur, radioactivité, découverte de l'électron), et au premier chef des plus grandes puissances industrielles d'alors (Royaume-Uni, Allemagne, France). Plus pour longtemps.
Des universités qui seront de premier plan prennent forme en quelques années grâce aux donations gigantesques consenties par les nouveaux géants de l'économie américaine, en rupture avec les vieilles élites de la Nouvelle-Angleterre. En 1868, le financier Ezra Cornell ouvre, dans l'État de New-York, la Cornell University. Jugeant les grandes universités de la Côte Est trop élitistes, Cornell veut être le père d'une institution où « n'importe qui peut étudier n'importe quoi ». En 1875 l'homme d'affaires John Hopkins finance la création de la Johns Hopkins University à Baltimore grâce au don de 7 millions de dollars en actions des chemins de fer et de terres de même valeur. Un autre géant du rail, Leland Stanford, suit son exemple. En 1891, il ouvre la célèbre Stanford University au sud de San Francisco, en mémoire de son enfant unique emporté, adolescent, par la fièvre typhoïde. Son premier président, David Starr Jordan, affiche sa philosophie : « le college a cessé d'être un cloître » destiné à l'enseignement des humanités « pour devenir un atelier » consacré aux sciences appliquées.
Dans le même esprit, Andrew Carnegie finance pour 27 millions de dollars le Carnegie Institute qui ouvre à Pitsburg en 1905. Le plus illustre de ces magnats, John D. Rockfeller, est le principal financeur de l'University of Chicago, fondée en 1892. Lui choisit de rester en retrait, refusant qu'elle porte son nom. Son premier président, William Rainey Harper, en fera un pôle d'excellence pour la recherche. Avec le temps, la querelle des Anciens et des Modernes s'apaisera et certaines de ces nouvelles universités accueilleront d'excellents enseignements dans les disciplines littéraires.
Reste que, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les plus vénérables universités de la Nouvelle-Angleterre, confrontées à cette concurrence et ces critiques, réagissent en ordre dispersé. Le président de Harvard de 1869 à 1909, Charles William Eliot, décide des réformes drastiques pour s'adapter à l'Amérique industrielle et financière qui tient désormais le haut du pavé et à l'entrée de la démocratie américaine dans l'ère des masses. Il commence par supprimer, en 1871, l'obligation, pour les étudiants, d'assister aux offices religieux. Puis Eliot accorde aux étudiants une large latitude pour choisir des cours, mesurés en unités de valeur, parmi des disciplines différentes. Les études de commerce sont élevées à la même dignité que les humanités classiques qui tenaient jusqu'alors le haut du pavé. Les écoles spécialisées ouvrent leurs portes, comme la Harvard business school en 1908. Eliot augmente les bourses pour les élèves pauvres. Il admet quelques étudiants noirs.
Les détracteurs de ces réformes pédagogiques dénoncent le règne du client-roi et une université ravalée au rang de station-service sans boussole. Eliot et ses partisans rétorquent que servir la société nouvelle peut seul convaincre celle-ci de financer la recherche fondamentale et l'étude du grec. Dans ce pays qu'on dit hostile au pouvoir personnel et attaché aux contrepouvoirs, des présidents emblématiques, comme Eliot, ont ainsi régné pendant 20, 30 voire 40 ans et marqué de leur empreinte l'université qu'ils dirigeaient.
Yale et Princeton, pour leur part, demeurent à l'époque, attachés à une philosophie de l'enseignement plus traditionnelle et à leur empreinte chrétienne. Non sans mal. En 1912, un professeur de littérature française alors fameux, Gustave Lanson, convié à enseigner pendant un trimestre dans les universités de la Nouvelle-Angleterre, raconte : « A Yale, tous les matins, à neuf heures, un service obligatoire, ’’undenominational’’ [qui ne se réfère pas à un culte protestant en particulier, NDLR], rassemble tous les étudiants ; quelques prières et psaumes, une courte allocution morale ; c'est l'affaire de dix à quinze minutes. De là chacun s'en va à ses cours. ». Mais, poursuit-il, « même avec la large ouverture du service ’’undenominational’’, l'obligation est difficile à maintenir. Elle a disparu de beaucoup d'universités ».
Au début du XXe siècle, alors que les États-Unis apparaissent sur la scène mondiale (guerre victorieuse contre l'Espagne en 1898, médiation du président Roosevelt dans le conflit russo-japonais en 1905), l'enseignement supérieur américain s'affirme. Le président démocrate Woodrow Wilson, artisan de l'entrée en guerre des États-Unis aux côtés des Alliés en 1917 et apôtre de la SDN, est un professeur de droit à Princeton et a présidé l'université.
Dès les années Vingt, le système universitaire américain a acquis les traits qu'on lui connaît. Chaque université possède son campus, mot latin qui signifie à l'origine « champ » et désigne l'endroit où s'élèvent les bâtiments : amphithéâtres et salles de cours, maisons des étudiants (dormitories), théâtre, église, gymnase. Voilà un siècle déjà, les Français qui visitaient le campus d'une université américaine, non pas même de la Ivy League (terme qui désigne les sept plus prestigieuses universités de la Côte Est et Cornell) mais simplement de rang moyen, étaient unanimes : tout leur semblait étonnamment grand, et les équipements collectifs de premier ordre.
Sur le campus, les étudiants vivent dans une ambiance de communauté. Les professeurs se doivent d'être présents et disponibles, car le corps enseignant est censé agir in loco parentis, à la place des parents, auprès d'élèves qui sont internes, loin de la puissance paternelle. Les professeurs français qui se rendent pour la première fois dans une université américaine, dans l'entre-deux-guerres, sont médusés de voir le président de l'université et sa femme recevoir les étudiants, par groupe, dans leur maison.
Les mêmes sont surpris de voir de très bons étudiants avancés assumer tôt des fonctions d'enseignement ou de tuteur. Ils découvrent le poids des confréries étudiantes (fraternities, sororities) accessibles sur cooptation. À Berkeley (Californie), le président, Benjamin Wheeler, qui règne de 1899 à 1919, multiplie les cérémonies initiatiques pour les étudiants, crée un Student Governement, chargé d'organiser la vie sociale sur le campus, et institue, pour récompenser ceux qui acceptent des postes à responsabilité, un Ordre honorifique imité de la chevalerie, Order of the Golden Bear (l'ours, «Bear» en anglais, est le symbole de la Californie).
La place du sport était déjà, voilà un siècle, un sujet d'étonnement pour le visiteur français. Dans l'esprit du temps, le sport remplissait une fonction morale. Il s'agissait d'en faire « des hommes, des vrais », aptes aux luttes de la vie. Le développement des sports collectifs dès la fin du XIXe, surtout du football américain, a aussi répondu au goût des anciens élèves, et même de tous les Américains, pour le spectacle des matchs entre les équipes universitaires. Au fil du temps, aux quatre coins de ce pays-continent, des dizaines de campus se sont dotés d'un stade pouvant accueillir plus de 50.000 spectateurs. Les matchs des rencontres les plus fameuses étaient retransmis à la radio (et aujourd'hui à la télévision). Certaines universités ont une équipe de football américain mieux « cotée » que leur formation académique, d'autres réussissent à allier les deux, comme l'université du Michigan à Ann Arbor. L'entraîneur peut être mieux payé qu'un professeur, comme l'a découvert avec étonnement l'historien belge Henri Pirenne, qui l’a raconté lors d'une conférence donnée, en 1923, à son retour du nouveau monde.
Le Français habitué à la sécheresse et à l'anonymat des universités de son pays était aussi frappé, voilà un siècle, par l'importance des rituels sur les campus. Les discours des présidents, dans les grandes occasions, font vibrer la fierté collective de l’auditoire, sans toujours éviter l’autosatisfaction. Lors de la remise des diplômes, les étudiants sont en tenue d'apparat, toge et toque. On arbore volontiers drapeau, mascotte, trophées. Et, dans ce pays jeune, à la faveur de leur cadre architectural, les universités de la Côte Est, malgré leur modernisme, paraissent encore reliées au XVIIIe siècle. Pour un Français des années Vingt convaincu d'arriver dans un pays sans passé, c'était troublant.
"Enter to grown in wisdom" (Entrer pour grandir en sagesse) est la maxime qui figure sur le portail d'entrée de l'Université de Harvard ©Getty - Brooks Kraft LLC/Corbis
Deux interprétations de la culture et de la sociabilité des universités américaines sont possibles. Sévère, Alain Touraine juge que, à partir de 1900, il s'agit « de transformer les nouveaux riches en élite sociale, de donner à l'argent la noblesse et la patine d'une civilisation. Ceux qui construisirent les plus éclatantes fortunes pouvaient mépriser le monde traditionnel des collèges. Une fois enrichis, ils reprennent la tradition des evergètes du monde gréco-romain ou des monarques européens faisant appel aux ordres religieux et se soucient de consolider l'ordre social qu'ils ont contribué à créer, en dépassant les préoccupations mercantiles pour construire les séminaires de la nouvelle classe dirigeante » (Université et société aux États-Unis, Seuil, 1974).
Ainsi s'expliquerait, pour l'auteur, « l'importance des symboles dans la vie universitaire, la création d'un rituel, de cérémonies, de costumes, la multiplication des inscriptions en latin ou en vieil anglais. L'installation d'un nouveau président, les cérémonies de commencement [d'une année universitaire] et les rites de passage et de la remise des diplômes (graduation), tout indique la volonté d'imposer à tous, à l'élite du monde universitaire et au peuple lointain, les grandeurs d'un ordre culturel et social ».
Le philosophe Pierre Manent, qui a enseigné lui aussi aux États-Unis, défend une interprétation plus bienveillante. « Il y a une grande générosité de l'Amérique, argumente le penseur. Les Américains mettent leur fierté et leur gloire dans leurs universités. C'est une affaire d'honneur, encore plus que de profit. On dit souvent, et ce n'est pas faux, que les universités, sur les campus, sont des isolats étrangers à la vie américaine. Mais il faut ajouter qu'elles représentent en même temps l'accomplissement ultime du cursus honorum américain. Quand un Américain est devenu riche, il signifie ou couronne souvent cette réussite en fondant une chaire ou en fondant un institut de recherche dans une université. »
Et Pierre Manent d'ajouter : « On n'a d'ailleurs pas besoin d'être riche pour cela. Les anciens élèves, les alumni, ont à cœur d'aider financièrement leur alma mater. J'emploie à dessein les termes latins qui font partie du langage usuel américain pour souligner que l'Université américaine a gardé un attachement aux études classiques beaucoup plus répandu et plus vif que ce n'est le cas en Europe. Beaucoup d'universités ont des programmes d'études des « grands livres », c'est-à-dire des « classiques », d'Homère à Proust, et les colleges of liberal arts sont des universités où l'on enseigne pendant quatre ans les mathématiques, la philosophie, les langues anciennes, la littérature, l'histoire » (Le regard politique, entretiens de Pierre Manent avec Bénédicte Delorme-Montini, Flammarion, 2010).
C'est donc armé de cette identité très forte que l'enseignement supérieur américain a fait face à l'essor spectaculaire des effectifs étudiants au XXe siècle. En 1900, on comptait 237.000 étudiants sur les campus, plus d'un million en 1930, plus de 2,5 millions en 1950, près de 8 millions en 1970, 14 millions en 1992 et 20 millions aujourd'hui (Civilisation des États-Unis, Marie-Christine Pauwels, Hachette Supérieur, 2017). La diversification des origines des étudiants s'accentue après guerre : l'arrivée sur les bancs des universités d'anciens combattants démobilisés dont l'État fédéral paye les études supérieures, le baby-boom, l'essor des classes moyennes, le nombre croissant des étudiants de condition modeste, de femmes et d'étudiants appartenant aux minorités ethniques conjuguent leurs effets.
Dès le début des Trente Glorieuses, on distingue les collèges privés (junior college) et publics (community college, qui ont la particularité d'être non sélectifs et longtemps quasi-gratuits, donc massivement choisis par des élèves issus de milieux défavorisés). Ces deux types de collèges accueillent aujourd'hui 40% des étudiants du supérieur pour un cursus de deux ans, poursuivi le cas échéant dans une université plus prestigieuse.
Il n'y a pas, aux États-Unis, d'établissements secondaires publics d'une qualité comparable au lycée français d'antan. L'université américaine supplée ce manque avec le junior college et le community college, qu'on peut comparer à une terminale. Les étudiants de ce cursus ont souvent 17 ans.
Existe aussi le 4-year college, aussi appelé liberal-arts college, qui prépare en quatre ans au Bachelor's degree, équivalent de la licence en France. La dominante (major) coexiste pendant quatre ans avec l'acquisition d'une culture générale. Les étudiants qui n'ont pas l'équivalent américain de la licence sont des undergraduates. Ils deviennent ensuite des graduates, qui préparent le Master's Degree en un ou deux ans.
Au sens strict, les universités américaines, elles, sont des établissements beaucoup plus grands que les collèges, et peuvent atteindre 50.000 ou 60.000 étudiants. Elles comprennent des collèges de premier cycle (niveau undergraduate) et des spécialisations équivalentes à un master (niveau graduate). Les universités américaines comportent aussi des écoles, de niveau 2e ou 3e cycle, comme des Law Schools, et des instituts, souvent spécialisés dans les sciences et les technologies, comme le MIT, fondé en 1861. Les appellations sont flottantes car chaque établissement est libre de les fixer. La thèse, elle, est consacrée par le titre de docteur (PhD), réglementé depuis le début du XXe siècle.
Les universités, enfin, sont dirigées par un Conseil (appelé board of trustees dans le privé et board of regents dans le public), chargé de choisir le président de l'université, secondé par des vice-présidents. Les doyens (deans) dirigent les colleges et écoles au sein des universités.
À partir des années 60, les universités reflètent les tensions du pays. Berkeley devient le foyer le plus célèbre de la « contre-culture » et donne le ton à des sympathisants non seulement aux États-Unis, mais dans toutes les universités occidentales. Une partie des étudiants américains se révoltent, en 1968-1969, contre le risque d'être mobilisés et envoyés au Vietnam, ainsi que contre l'autorité en général. Or une autre spécificité américaine tient à la présence visible, quoique mesurée, des militaires sur certains campus. Depuis la guerre de Sécession, la loi fédérale oblige les universités bénéficiant de fonds fédéraux (c'est-à-dire presque toutes) à proposer des formations d'entraînement militaire pour les civils qui choisissent de devenir officiers de réserve. Toutes les grandes institutions publiques et privées ont ainsi des formations militaires. Aussi les heurts entre réservistes en uniforme et activistes se multiplient dans les collèges.
Les manifestants protestent également contre les injustices envers les Noirs américains, qui perdurent malgré les avancées comme la fin officielle de la ségrégation dans le Sud. Certains militants, parmi eux, vont plus loin et fustigent la culture occidentale elle-même, accusée d’être l’instrument de la domination des « hommes blancs ». Ils exigent la création de départements universitaires consacrés à l’histoire de chaque minorité des Etats-Unis, occultée jusqu’alors selon eux. Et les plus radicaux réclament aussi que ces départements soient confiés à des enseignants-chercheurs issus des minorités qui constitueront leur objet d’étude.
Martin Luther King est assassiné en avril 1968, portant la tension à son comble. Les affrontements sont très violents sur nombre de campus. À Cornell, certains étudiants noirs brandissent des fusils. Un des professeurs de philosophie politique, Allan Bloom, disciple de Leo Strauss, est scandalisé par ce qu'il juge être la veulerie des autorités universitaires face à des actes d'intimidation. C'est le point de départ lointain d'un livre qui le rendra célèbre aux États-Unis, The Closing of the American Mind (1987), interrogation anxieuse sur le déclin des humanités.
À tort ou à raison, en ces années des Radical Sixties, une partie des Américains et le parti républicain estiment eux aussi que les présidents des universités ont manqués à leurs devoirs. Depuis, la droite accuse la majorité des institutions d’enseignement supérieur d'intolérance envers les opinions conservatrices, voit la plupart des campus comme le bastion de l'ennemi, et investit l'univers des think tanks pour compenser ce grave handicap dans la mesure du possible.
La discrimination positive (affirmative action) à l'université fait l'objet de controverses passionnées. Le terme apparaît dans des executive orders de Kennedy puis de Johnson en 1965 dans le cadre de la législation sur les droits civiques. Il répond à la situation spécifique des Noirs américains. Avant la guerre de sécession, les diplômés noirs dans les universités des États du Nord se comptaient sur les doigts de la main, hormis dans de très rares institutions qui leur sont réservées comme celle fondée par un groupe de Quakers de Philadelphie en 1837, qui deviendra le Cheney State College. Après la proclamation d'émancipation (1863) et la défaite du Sud (1865), 19 autres sont fondés à l'initiative d'églises, dont Howard University, fondée en 1867 avec l'aide de l'État fédéral à Washington DC. Puis le Congrès, en 1890, adopte une loi prévoyant une aide fédérale aux Land Grant Colleges instituées à partir de 1862 (voir plus haut) mais impose aux États, pour en bénéficier, de les ouvrir aux étudiants noirs ou d'instituer des établissements supérieurs séparés qui leur soient réservés. Cette deuxième solution est choisie par les États du sud ségrégationnistes. S'ouvrent alors 16 Land Grant Colleges pour étudiants noirs.
Un demi-siècle plus tard, la Cour suprême conforte le droit des Noirs d'aller à l'université dans l'État où ils vivent (arrêt Lloyd Gaines, 1938) puis déclare la ségrégation inconstitutionnelle (arrêt Brown, 1954). Après la première loi sur les droits civiques, sous Eisenhower (Civil Rights Act de 1957), Kennedy envoie 300 agents fédéraux pour forcer le gouverneur du Mississipi à accepter l'accès d'un étudiant noir à son université d'État en 1962, malgré des émeutes qui font deux morts.
James Meredith, étudiant noir américain, arrive à l'université du Mississippi le 1er octobre 1962 à Oxford, sous la protection des forces fédérales, devenant ainsi le premier étudiant noir de cette université. - / AFP
C'est en raison de ce passé spécifique que l'idée d'une discrimination positive fait son chemin, puis devient une politique fédérale à l'initiative, paradoxalement, du président républicain Richard Nixon, à la Maison-Blanche de 1969 à 1974. C'est là qu'intervient un fait crucial : sous la pression d'associations militantes, dans le contexte des Radical Sixties, l'idée d'une réparation des torts du passé élaborée pour les seuls Noirs américains, est étendue à toutes les minorités, sauf aux Juifs, qui se trouvent perçus pour la première fois de l'histoire de l'Amérique comme des privilégiés. En outre, les associations féministes, très puissantes aux États-Unis, obtiennent des pouvoirs publics que les femmes soient aussi considérées comme une minorité.
Les universités sont sommées d’augmenter la proportion d'étudiants et de professeurs des différentes minorités reconnues (dont les femmes) sous peine de la suspension des aides fédérales si les résultats ne sont pas jugés satisfaisants. Depuis lors, la part des différents groupes ethniques parmi les étudiants et les professeurs du supérieur au regard de leur importance respective dans le pays est scrutée à la loupe et commentée. Les États-Unis, en effet, estiment naturel d'appréhender les individus en termes ethniques. En 2017, près de 60% des Américains asiatiques poursuivaient leurs études jusqu'au Bachelor's Degree (ils sont fortement surreprésentés, et par conséquent souvent hostiles à la discrimination positive), plus de 40% des Blancs, 22% des Noirs (soit une surreprésentation sensible) et 15% des Hispaniques.
La discrimination positive (affirmative action) repose sur l'idée que l'appartenance à un groupe défavorisé doit être compensée par des avantages spécifiques dans un but de rattrapage collectif. Cette théorie et les politiques publiques qui en découlent suscitent de vives polémiques et une forte opposition dans une partie de la société civile américaine depuis un demi-siècle. Elles constituent en effet une rupture avec le modèle méritocratique dont l'Amérique se faisait gloire.
Pour ses adversaires, en outre, la discrimination positive, qui favorise l'idée de quotas, serait l'envers d'un épisode peu glorieux de l'histoire des grandes universités américaines : les quotas implicites d'étudiants juifs qu'avaient fixés certaines universités de la Ivy League dans les années Vingt, en particulier Harvard, pour limiter leur nombre alors en augmentation et jugé désormais trop élevé. L'argument a été avancé devant la Cour suprême, et les neuf juges, dorénavant en majorité conservateurs, ont décidé, dans un arrêt rendu en juillet 2023, que pratiquer la discrimination positive pour les admissions à l'université n'était pas conforme à la Constitution. Le milieu universitaire, cependant, demeure largement acquis à cette cause. Plusieurs présidents d'université ont critiqué l'arrêt de la Cour suprême et affiché leur intention de le contourner.
L'autre grand sujet de controverse est le prix des études supérieures pour les étudiants. Il augmente depuis plusieurs décennies et s'élèverait à 12.000 dollars par an en moyenne pour un collège public de 2 ans, et à 45.000 dollars par an en moyenne pour un collège privé de 4 ans, outre le coût de la vie sur un campus (la quasi-totalité des services sont facturés). Les bourses sur critères sociaux (grants) ou sur la valeur intellectuelle de l'étudiant (scholarships, fellowships) sont cependant légion et attribuées, dans chaque institution, par un donateur, d'anciens élèves, une communauté religieuse ou une entreprise. Depuis les années 80, par ailleurs, le traumatisme de la guerre du Vietnam une fois surmonté, le nombre des cadets sur les campus a augmenté de façon spectaculaire car l'armée accorde des bourses d'études et une petite solde.
Ceux qui n'obtiennent pas une bourse, ou si celle-ci ne suffit pas, souscrivent des prêts étudiants. Or, l'endettement étudiant atteint, depuis les années 2000, un niveau record. Avoir 35.000 dollars à rembourser en 20 ans est devenu courant, ce qui a été un des moteurs du vote protestataire de cette jeunesse en faveur de Bernie Sanders, qui avait fait du sujet un de ses chevaux de bataille lors des primaires démocrates en 2016. Depuis son élection, le président Biden a pris des initiatives sur cette question.
Outre ces frais de scolarités très élevés, les universités privées complètent leurs ressources grâce aux fonds de dotation (endowment funds) provenant à 80% de leurs anciens élèves, qui conservent avec elle un lien fort, et à 20% de Fondations philanthropiques (la Fondation Ford, la plus richement dotée au début des années 50, disposait alors de 500 millions de dollars). Les Fondations, qui reçoivent et gèrent des fonds pour des objectifs précisés dans leurs statuts, disposent d’avantages fiscaux sous forme d'exonération d'impôts (comme la Sorbonne sous l’Ancien régime) et les particuliers de déduction d’impôts pour leurs dons. Certaines universités ont pu aussi prêter de l’argent en contrepartie de gages, à l’image d’une banque.
Surtout, les industries comme les agences fédérales font appel aux laboratoires universitaires et financent des recherches sous contrat. Ils obtiennent ainsi l'accès permanent à des universitaires de haut niveau. Des universitaires contribuent aussi aux organismes de recherche sous contrat comme la Rand Corporation. À partir de 1980, en contrepartie de la diminution de la contribution financière de Washington, la loi fédérale a donné aux universités la propriété des patentes découlant des recherches financées par des bourses fédérales. Ces institutions ont ainsi créé des services chargés de trouver des applications commerciales à leurs innovations.
La France n’a nullement à rougir, tout au contraire, des formations d’excellence qu’elle propose depuis des siècles, des professeurs qui les font vivre, des étudiants qui s’y forment. Ils soutiennent la comparaison avec leurs homologues américains les plus illustres. La culture française, en outre, a très longtemps joui d’un grand prestige dans les milieux universitaires outre-Atlantique. Et le système américain a aussi les défauts de ses qualités. La discipline de fer d’une bonne classe prépa littéraire ou scientifique française n’est pas envisageable aux Etats-Unis. En Amérique, les étudiants sont considérés comme des clients. Ils voient dans leurs professeurs des prestataires de services et les évaluent à la fin de chaque semestre. Certains enseignants, par conséquent, surtout les plus jeunes qui ont leur carrière devant eux et une légitimité professionnelle à bâtir, peuvent être tentés de ne pas mécontenter leurs élèves par des remarques sévères -fussent-elles parfaitement justifiées et dans leur intérêt- et préférer les surnoter dans l’espoir d’avoir de bonnes évaluations en retour. La bienveillance affichée peut ainsi se muer en démagogie.
Reste que le dispositif qu’on a décrit -où les enseignants-chercheurs travaillent pour les agences fédérales, les Fondations d’entreprises et les think-tanks proches des milieux politiques, voire circulent entre eux- forme un écosystème qui contribue grandement à la puissance américaine. Dès la Seconde guerre mondiale, les scientifiques professeurs d'université ont contribué fortement au succès du "projet Manhattan" puis à la conquête de l'espace dans les années 50-60 et au rôle leader du pays dans les révolutions technologiques successives.
Ainsi s’explique le rôle central des universités dans la vie des États-Unis, et les passions que déchaîne le wokisme. Voilà plus de trente ans déjà, analysant dans la revue Le Débat (n°69, mars-avril 1992), le mouvement Politically Correct dont le wokisme est issu, l’historien François Furet, qui enseignait chaque année à l’université de Chicago, déclarait : « Un des grands historiens américains de l'histoire des Noirs, Eugene Genovese, marxiste au surplus, a écrit l'année dernière, dans un article de « New Republic », quelque chose avec quoi je me sens profondément d'accord : c'est qu'il y aurait plus d'avantages que d'inconvénients à avoir des départements d'histoire afro-américaine ou d'histoire des femmes, si ces départements n'étaient pas des enclaves dogmatiques, composées uniquement d'enseignants qui « pensent bien », c'est-à-dire qui ne pensent pas ».
Et François Furet de poursuivre : « Depuis la guerre, les grandes universités américaines sont, en tant qu’institutions, et globalement parlant, les meilleures du monde. Elles sont en danger sérieux de cesser de l’être, au moins pour tout ce qui n’est pas du domaine des « sciences dures », si elles ne réagissent pas vite contre la politisation qui les envahit peu à peu, facilitée par le recrutement préférentiel d’enseignants issus de « minorités » sur des critères plus idéologiques qu’intellectuels ».
Le Figaro- Guillaume Perrault – 13 jan 2024
The Ivy League
Les origines de l’"Ivy League"
Au début des années 1800, plusieurs établissements d'enseignement supérieur du nord-est des Etats-Unis ont formé des conférences athlétiques, connues sous le nom de "Ancient Eight", pour favoriser une compétition amicale entre les écoles et promouvoir la condition physique des étudiants. La conférence sportive du même nom, fondée en 1954, organise les compétitions et représente les huit écoles membres au sein de la National Collegiate Athletic Association (NCAA) le plus haut niveau du sport universitaire aux États-Unis.
Au fil du temps, ces écoles de l'Ancient Eight se sont fait connaître pour leur engagement en faveur de l'excellence académique et sont devenues les institutions de prédilection de l'élite intellectuelle du pays. L’Ivy League, dont le terme n'est apparu que dans les années 1930, regroupe 8 universités privées du Nord-Est des Etats-Unis. Elles sont parmi les universités les plus anciennes et les plus prestigieuses du pays, fondées par les Britanniques avant l'indépendance, à l’exception de Cornell fondée en 1865.
Le terme "Ivy League" est devenu synonyme d'enseignement de haut niveau et de quête du savoir. Il a des connotations d'excellence universitaire, de grande sélectivité des admissions ainsi que d'élitisme social. Comme ces institutions continuent à former les futurs dirigeants de divers domaines, leur héritage perdurera très certainement.
Le lien avec le lierre (ivy) peut être attribué à la longue tradition qui consiste à orner leurs bâtiments de lierre pour symboliser leur ancienneté, la connaissance, la sagesse et le prestige.
Harvard University
Yale University
Columbia University
Les présidents américains dans l’Ivy League
16 des 46 présidents des Etats-Unis sont diplômés d'une université de l'Ivy League. 8 sont diplômés de Harvard, 5 de Yale, 3 de Columbia, 3 de Princeton et 2 de Penn. John Adams a été le premier président à obtenir un diplôme universitaire, à Harvard en 1755.
12 présidents ont obtenu leur diplôme de premier cycle dans l'Ivy League. 4 d'entre eux l’ont obtenu ailleurs : Woodrow Wilson au Davidson College, Barack Obama à l'Occidental College, Donald Trump à l'université Fordham et John F. Kennedy qui est ensuite passé par Princeton et Harvard.