D’après : Human Progress / Contrepoints - Chelsea Follett – 05 fév 2023
. Le Japon, sorti exsangue de la Seconde Guerre mondiale, s’est rapidement reconstruit et s’est réinventé en tant que leader mondial de l’industrie et de la technologie, synonyme de technologie de pointe pendant plusieurs décennies.
. La région du Grand Tokyo est actuellement la zone métropolitaine la plus peuplée du monde, avec plus de 37 millions de résidents. Située dans la baie de Tokyo, la métropole a commencé comme un humble village de pêcheurs. Appelée à l’origine Edo ou estuaire, la région a connu sa première grande notoriété lorsqu’elle a été désignée comme siège du shôgunat Tokugawa en 1603. Au XVIIIe siècle, cette localité autrefois obscure était devenue l’une des villes les plus peuplées du monde, avec une population de plus d’un million d’habitants.
. Le Japon a bénéficié d’une longue paix connue sous le nom de Pax Tokugawa, qui a permis à ses habitants de consacrer leurs ressources au développement économique plutôt qu’à la défense militaire. C’était particulièrement bienvenu car le pays souvent dû être reconstruit après des catastrophes. Il était vulnérable aux incendies en raison de son architecture essentiellement en bois, ainsi qu’aux tremblements de terre – une conséquence de la situation du pays le long de la « ceinture de feu », la zone la plus exposée aux tremblements de terre sur la Terre.
Lorsque le shôgunat Tokugawa a pris fin en 1868, la nouvelle cour impériale s’est installée à Edo et a rebaptisé la ville Tokyo ou capitale orientale (Pour un japonais son pays est orienté est-ouest et non nord-sud !), en référence à l’ancienne capitale, Kyoto, située à près de 450 km au sud-ouest de Tokyo. En tant que siège du nouveau régime, Tokyo a été à l’avant-garde de la restauration Meiji (1868-1912), une période de l’histoire japonaise caractérisée par une modernisation rapide. En quelques décennies seulement, le pays a aboli les privilèges féodaux et industrialisé son économie, devenant un État moderne doté de routes pavées, de vois ferrées, de téléphones, … Au cours de l’ère Taisho qui a suivi (1912-1926), Tokyo a continué à s’étendre, tandis que le Japon s’urbanisait et se modernisait toujours plus.
. En 1923, une catastrophe a frappé Tokyo. Le grand tremblement de terre de Kanto, d’une magnitude de 7,9 sur l’échelle de Richter, a provoqué un tourbillon de feu et incendié le centre de la ville. Plus de 140.000 personnes ont péri dans cette catastrophe et environ 300.000 maisons ont été détruites. À l’époque, il s’agissait de la pire tragédie que la ville ait jamais connue. Mais un peu plus de deux décennies plus tard, la catastrophe a été supplantée par les ravages bien pires causés par la Seconde Guerre mondiale.
Le Japon a été l’un des pays les plus dévastés par cette guerre, perdant entre 1,8 et 2,8 millions de personnes ainsi qu’un quart de la richesse du pays. Le pays a été endommagé non seulement par les bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagasaki, mais aussi par une campagne extrêmement efficace et meurtrière de bombardements conventionnels sur certaines de ses plus grandes villes, dont Nagoya, Osaka, Kobe et Tokyo. L’opération Meetinghouse sur Tokyo (10 mars 1945), est considérée comme le bombardement le plus destructeur de la Seconde Guerre mondiale. Il a été plus meurtrier que les bombardements de Dresde ou de Hambourg et même que les attaques nucléaires sur Hiroshima ou Nagasaki.
Ce raid incendiaire aérien à basse altitude a coûté la vie à au moins 80 000 tokyoïtes. Il en a blessé plus de 30.000 dont beaucoup décéderont les jours suivants de leurs brûlures, et a réduit en cendres un quart de la ville laissant un million de personnes sans abri. Les températures ont atteint 1.800 degrés au sol dans certaines parties de Tokyo et les structures de la ville principalement en bois ont rapidement disparu dans les flammes. Et ce n’était là qu’un des multiples bombardements incendiaires subis par la ville pendant la guerre. En plus d’avoir été la cible de plusieurs bombardements des plus meurtriers de la Seconde Guerre mondiale, Tokyo a donc également été la cible de ce qui a probablement été le plus grand raid de bombardement de l’histoire, impliquant plus de 1.000 avions.
. Les bombardements ont réduit de moitié l’activité économique de Tokyo. Dans l’ensemble, la production industrielle du Japon a été réduite à un dixième de son niveau d’avant-guerre. Les bâtiments industriels et commerciaux ainsi que les machines ont particulièrement souffert de la guerre.
Ces destructions ont provoqué les vastes pénuries alimentaires et énergétiques de l’après-guerre, et les dommages subis par les infrastructures ont rendu les transports presque impossibles dans certaines régions. Associée à la démobilisation brutale des 7,6 millions de soldats du pays, d’environ 4 millions de civils engagés dans des travaux liés à la guerre et de 1,5 million de rapatriés des territoires occupés par le Japon pendant la guerre, la dévastation a contribué à un chômage déjà massif. Avec plus de 13 millions de personnes sans emploi dans l’ensemble du pays, une inflation galopante et une dévaluation de la monnaie, l’économie de Tokyo s’est arrêtée net.
. Malgré cette sombre situation, le Japon d’après-guerre disposait de quelques avantages qui favorisèrent une reprise rapide. Avant la guerre, le pays était déjà une grande puissance. La capitale avait conservé la mémoire institutionnelle de ce qu’était un centre industriel et disposait encore d’une main-d’œuvre instruite et qualifiée. L’administration américaine d’occupation était également très motivée pour aider au redressement économique car les États-Unis souhaitaient voir le pays se démilitariser et se démocratiser rapidement.
Les États-Unis ont contraint le Japon à renoncer à son droit à une armée et ont assumé le coût de la défense du pays, permettant ainsi au Japon d’allouer toutes ses ressources à des activités civiles telles que l’investissement industriel et commercial. De nombreux dirigeants japonais, comme le Premier ministre Shigeru Yoshida (1878-1967), ont pleinement soutenu la démilitarisation ; il est parfois appelé le père de l’économie japonaise moderne. Même après la création d’une force de défense nationale au Japon en 1954, les dépenses militaires sont restées faibles voire ont diminué en part de PIB au fil des ans. Certains économistes estiment que l’économie japonaise aurait été réduite de 30 % en 1976 si le pays n’avait pas été libéré du fardeau des dépenses militaires par les Etats-Unis.
La croissance économique du Japon
. Après la défaite, les Alliés obligèrent le pays à dissoudre les zaibatsu, ces conglomérats capitalistes (tels Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo, Marubeni, Nissan, Toshiba, …). Grâce à leurs liens avec le gouvernement impérial (bénéficiant notamment de taux d’imposition réduits et d’injections de liquidités), les zaibatsu avaient réussi à maintenir un quasi-monopole sur de vastes pans de l’économie et à écraser leurs concurrents. Certains comme Mitsubishi et Nissan avaient été notamment impliqués dans la fabrication de l'armement et des appareils militaires, de même que dans les usines implantées dans les colonies comme le Mandchoukouo où elles eurent recours à des travailleurs forcés.
Lors de l'occupation du Japon, entre 1945 et 1947, les Américains voulurent les démanteler, du fait de leur rôle actif dans la Seconde Guerre mondiale. Le Japon a rapidement accepté et adopté plusieurs réformes économiques. En réalité, les zaibatsu ne disparurent pas, mais adoptèrent une autre structure que l'on nomme maintenant keiretsu (il suffit de voir que toutes ces marques perdurent). La « refonte » des zaibatsu a permis à de nouvelles entreprises de se former et d’entrer en concurrence dans une économie plus ouverte. Dans le même temps, le Japon a adopté des réformes agraires qui ont transformé l’agriculture du pays qui fonctionnait jusque là selon des méthodes et des principes féodaux inefficaces.
. Au début de la guerre froide, à la fin des années 1940, les États-Unis voyaient dans le Japon un allié capitaliste solide dans la région. À cette fin, en 1949, le banquier et conseiller présidentiel américain Joseph Dodge (1890-1964) a aidé le Japon à équilibrer son budget, à maîtriser l’inflation et à supprimer les subventions gouvernementales généralisées qui soutenaient des pratiques inefficaces. Les politiques de Dodge, désormais connues sous le nom de « ligne Dodge », ont réduit le niveau d’intervention de l’État dans l’économie japonaise, rendant cette dernière beaucoup plus dynamique. Peu après l’entrée en vigueur de ces politiques, la guerre de Corée (1950-1953) a éclaté et les États-Unis ont acheté une grande partie de leurs fournitures de guerre au Japon géographiquement proche. La libéralisation économique combinée à l’augmentation soudaine de la demande manufacturière, a accéléré la reprise du Japon, et en particulier de Tokyo.
. Le Japon a dès lors commencé à connaître une croissance économique d’une rapidité époustouflante. Tokyo, en particulier, s’est rapidement réindustrialisée et a fait office de plaque tournante du commerce, avec les importations et les exportations du pays en augmentation spectaculaire. L’archipel pourtant dispose de relativement peu de ressources naturelles, mais l’importation de grandes quantités de matières premières pour fabriquer des produits finis, lui a permis d’impressionnantes économies d’échelle pour multiplier la production manufacturière et s’assurer de substantiels bénéfices. Ces bénéfices furent ensuite réinvestis dans l’amélioration des équipements et dans la recherche technologique, ce qui entraina la production et les résultats dans un cercle vertueux.
. Outre l’achat pur et simple de produits japonais, le gouvernement américain a supprimé les barrières commerciales sur les marchandises japonaises et, dans l’ensemble, a résisté aux appels à l’instauration de mesures protectionnistes anti-japonaises, garantissant ainsi aux entrepreneurs japonais la liberté de vendre leurs produits aux États-Unis et ailleurs. Au cours de la période qui a suivi la guerre de Corée, les banques des États-Unis et d’ailleurs ont investi massivement dans l’économie japonaise avec l’espérance de rendements élevés.
Elles ont été récompensées lorsque le « miracle économique » du Japon s’est matérialisé et a prospéré. Entre 1958 et 1960, les exportations japonaises vers les États-Unis ont augmenté de 150 %. En 1968, moins de 22 ans après la Seconde Guerre mondiale, le Japon se targuait d’être la deuxième économie mondiale. Tokyo a rapidement été le berceau et le siège de grandes entreprises mondiales, produisant des voitures (Honda, Toyota, Nissan, Subaru et Mitsubishi), des appareils photo (Canon, Nikon et Fujifilm), des montres (Casio, Citizen et Seiko) et d’autres produits électroniques (Panasonic, Nintendo, Toshiba, Sony et Yamaha).
. Le succès entrepreneurial du Japon est en partie dû à l’innovation, servie par une grande discipline, le sens du devoir et l’abnégation de sa population. Toyota, par exemple, a devancé les constructeurs automobiles américains en créant un nouveau système de production qui utilise l’automatisation stratégique et la « fabrication juste à temps », laquelle consiste à programmer chaque étape du processus de fabrication de manière à éliminer le besoin de stocks intermédiaires. C‘est depuis devenu la norme mondiale dans tout une série d’industries.
Déjà depuis les années 1970, le Japon était également réputé pour sa robotique de pointe. Le développement de l’expertise en matière de robotique industrielle était une extension naturelle des prouesses manufacturières, mais les entreprises et les chercheurs japonais ont depuis étendu leurs activités à de nombreux autres domaines de la robotique. Le pays a multiplié les innovations allant des grooms et des agents d’accueil des aéroports robotisés aux bébés phoques robotisés amicaux qui aident les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
. Ce pays dévasté par la guerre a réussi à se transformer en l’espace de quelques décennies en l’un des principaux centres technologiques du monde. Grâce à l’ingéniosité et à la détermination de ses habitants, certes combinées à des conditions de paix très favorables, de liberté économique, le Japon fut un « miracle économique ».
Demain ?
. Cela est pourtant moins vrai au XXI° siècle Le Japon a connu dans les années 1990’s sa plus grave (la seule !) récession économique depuis la seconde guerre mondiale, un nouveau séisme causé par l'éclatement de la bulle immobilière spéculative, aggravé par la déficience du système financier japonais. Et ceci, malgré 11 plans de relance intervenus en sept ans. Il faut y ajouter la catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima (11 mars 2011), conséquence d’un terrible tsunami qui fit 20.000 victimes, et un fort déclin de sa natalité (1,34 enfants par femme en 2020).
Baisse de la population (128 millions au pic de 2008, contre probablement 100 millions en 2050), augmentation du nombre de personnes âgées (22% de > 65 ans en 2008, contre 38% probables en 2050), chute de l’autosuffisance alimentaire (80 % en 1961, contre 40% en 2010), explosion de la dette publique (250 % du PIB en 2022 [60% en 1990 et 140% en 2000], supportée, il est vrai, par les japonais eux-mêmes) : beaucoup de raisons pour lesquelles l’avenir du Japon en tant que société durable pourrait bien être compromis.