De (très) grands et petits nombres

Nomenclature

.            Jusqu'au billion (1 000 milliards), les grands nombres sont généralement nommés selon deux systèmes :

L'échelle latine courte employée aux USA, et de plus en plus en Grande-Bretagne. Elle était également employée en France au XVIIIe siècle.

L'échelle latine longue employée en Europe continentale, comme en France (ou elle est la seule légale) ou en Belgique.

Pourtant en raison de l'hégémonie commerciale américaine sur le monde, l'échelle courte devient de plus en plus employée au détriment de l'échelle longue.

Les noms des grands nombres (supérieurs au trillion) ne sont pratiquement jamais utilisés, du moins dans un contexte de communication normale. De nombreux systèmes ont été proposés pour nommer de très grands nombres [Archimède (-288,-212), Nicolas Choquet (~1450-1488), Knuth (1938- ), Rowlett], mais aucun ne semble avoir eu d'utilité pratique.

.            D’autant plus que les mathématiciens et physiciens préfèrent utiliser la notation scientifique et parler par exemple de « 10 puissance 51 » car cela est sans ambigüité.

.            L'échelle courte donne les noms million, billion, trillion, quadrillion, quintillion, … n-illion, etc ... aux valeurs 106, 109, 1012, 1015, 1018, … 103n+3, etc... C'est-à-dire que chaque valeur est la valeur précédente multipliée par un facteur 1000.

Ex. 47 000 000 000 000 000 = quarante-sept quadrillions.

.            L'échelle longue donne les noms million, billion, trillion, quadrillion, quintillion, n-illion, etc ... aux valeurs 106, 1012, 1018, 1024, 1030, 106n, etc ... C'est-à-dire que chaque valeur est la valeur précédente multipliée par un facteur 1 000 000.

.            La valeur 109 s'appelle toujours milliard dans l'échelle longue, mais rien n'interdit de dire mille millions. Les valeurs intermédiaires 1015, 1021, 1027, 106n+3, etc ... peuvent être exprimées de deux manières, soit on dit mille billions, mille trillions, mille quadrillions, mille n-illions, etc ... soit en copiant sur milliard : billiard, trilliard, quadrilliard, n-illiard, mais ces noms sont à éviter, et il est préférable de n'utiliser que les mots en -illion à l'exception de milliard.

Ex. 47 000 000 000 000 000 = 47 billiards, ou préférablement 47 000 billions.

L'échelle longue ne permet pas vraiment de nommer de manière pratique des puissances de dix supérieures à 1063, ce qui n'est guère gênant en réalité.

Usage des (très) grands et petits nombres

.            Quelques grands nombres ont réellement un sens pour l'homme, et sont d'un usage relativement courant jusqu'au trillion. Au-delà, les noms de grands nombres n'ont plus guère qu'une existence artificielle, dans les définitions mathématiques, et il n'y pas d'occurrence de ces mots dans le langage courant.

Dans l'usage courant, ces grands nombres sont exprimés avec la notation scientifique. Avec cette notation, qui existe depuis les années 1800, les grands nombres sont exprimés par un 10 et un nombre en exposant. On dira par exemple : « L'émission en rayons X de cette radio-galaxie est de 1,3 x 1045 erg ». Le nombre 1045 se lit simplement « 10 puissance 45 » : c'est facile à lire, facile à comprendre, et beaucoup plus parlant que « septilliard » ou « quattuordécillion » (qui présente de plus l'inconvénient de signifier deux choses différentes, suivant que la convention utilisée est l'échelle longue ou courte).

Quand c'est une quantité physique qui doit être désignée, dans le très grand, comme dans le très petit, ce sont les préfixes du système international qui sont préférentiellement utilisés. Il est plus facile de comprendre une «femtoseconde» que «un billiardième » de seconde, dont le sens dépend aussi de l'échelle longue ou courte.

Le Système International (SI), basé sur le système métrique décimal (à base 10), définit 7 unités principales indépendantes du point de vue de leurs dimensions, avec leurs multiples et sous-multiples :

Longueur (m), masse (kg), temps (s), courant électrique (A), température (K), quantité de matière (mol) intensité lumineuse (cd)

Une image : « atto » est donc le préfixe de notation scientifique qui représente 10-18, c’est-à-dire un point décimal suivi de 17 zéros et d’un 1. Un éclair de lumière d’une durée d’une attoseconde, soit 0,000000000000000001 d’une seconde, est donc une impulsion lumineuse extrêmement brève. Il y a approximativement autant d’attosecondes dans une seconde qu’il y a de secondes depuis la naissance de l'univers, il y a 13,82 milliards d'années.

Ce n'est donc pas pour leur utilité pratique que les grands nombres sont nommés, mais ils ont de tous temps fasciné ceux qui, perturbés par la notion de l’infini, se sont penchés sur eux en essayant d'appréhender ce que « grand nombre » pouvait bien signifier.

Quelques grands nombres

Myriade

.            10 000 fut considéré dans la Grèce antique comme un très grand nombre, « indéfini ». Il a donné le mot myriade. Le grec moderne utilise couramment ce numéral. Un million en langue grecque se dit même εκατομμύριο (ekatommyrio), cent myriades.

Beaucoup de cultures asiatiques comptent traditionnellement en myriades. Par exemple, les Chinois utilisent le caractère 萬 (ou 万 en chinois simplifié) pour signifier « dix mille » depuis des millénaires. Les Coréens ainsi que les Japonais ont aussi emprunté ce caractère dans leurs langues.

Le milliard : un petit nombre ?

.             1.000.000.000, c’est approximativement le nombre de secondes qu’il y a dans 32 ans. Il est inenvisageable pour un être humain de compter jusqu’à 1 milliard. Comme il faut plus de 1 ou davantage de secondes pour prononcer la plupart des nombres au-delà de 1.000, une vie ne suffira pas !

Le Googol (ou Gogol)

.            En 1938, Edward Kasner, très connu en cosmologie, cherche un mot pour représenter un nombre très grand, tel que un 1 suivi de 100 zéros. C'est en marchant dans New Jersey Palisades avec ses neveux, Edwin et Milton Sirotta, qu'il leur demande s'ils ont une idée pour nommer un tel nombre. Milton, alors âgé de huit ans, suggère alors un mot enfantin, « googol ».

10100 = 10 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000

Le mathématicien, cherchait en fait un nombre immensément grand pour donner une idée de l’infini. Il était sûr que ce nombre n'était pas infini, et tout aussi certain qu'il n'avait pas de nom propre. Il suggéra le terme « Googol » dans une publication de 1940, Mathematics and the Imagination.

.            Le gogol est approximativement égal à la factorielle de 70, soit 70! (= 1 x 2 x 3 … x 69 x 70, la factorielle d'un entier naturel n étant le produit des nombres entiers strictement positifs inférieurs ou égaux à cet entier). Ses facteurs premiers sont seulement 2 et 5.

Il faut au minimum 334 bits pour représenter ce nombre. En effet :

2333 = 17 498 005 798 264 095 394 980 017 816 940 970 922 825 355 447 145 699 491 406 164 851 279 623 993 595 007 385 788 105 416 184 430 592

est la première puissance de 2 supérieure au googol.

Le gogol n'est pas utilisé scientifiquement, il sert surtout à l'enseignement des mathématiques. Kasner l'a créé afin d'illustrer la différence entre un nombre aussi grand et l'infini.

Gogol, ce nombre entre le très grand et l’infini, accessoirement, a aussi inspiré Sergey Brin et Larry Page, les fondateurs d’un célèbre moteur de recherche. “Par ce jeu de mots, la société Google entend refléter sa mission : organiser l'immense volume d'informations disponibles sur le web”, pouvait-on lire sur une ancienne page de présentation de l’entreprise américaine et Googleplex est le nom du QG de Google à Mountain View en Californie.

Une machine prétend représenter Gogol, un nombre plus grand que les atomes dans l’Univers visible

Daniel de Bruin, a présenté le 01 mars 2020 une machine symbolisant cette valeur.

À chaque roue, la vitesse de rotation est divisée par 10 et l’opération est répétée 100 fois. © Daniel de Bruin

Pour représenter gogol, Daniel de Bruin, un designer néerlandais, a construit une machine qui se compose de dizaines et dizaines d’engrenages. À chaque roue, la vitesse de rotation est divisée par 10 et l’opération est répétée 100 fois. Autrement dit, pour que le dernier rouage fasse un tour, le premier devra tourner “gogol fois”. “Vous aurez besoin de plus d’énergie que n’en possède tout l’univers pour faire cela”, estime l’inventeur.

.            Un gogol est donc énorme, bien supérieur au nombre d'atomes dans notre Univers visible (1080 et des poussières !), puisqu’il faudrait autant d’univers qu’il y a de grains de riz sur l’échiquier de Sissa pour obtenir un nombre équivalent de particules élémentaires.

En supposant qu’on écrive sans interruption 3 chiffres par seconde, il nous faudrait environ 100 quindécillions d’années pour retranscrire intégralement ce nombre, soit 100 milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards d’années !!! Même si l’espérance de vie est en augmentation, il ne faut pas rêver ! En fait, aucune quantité physique ne peut atteindre ce nombre, autrement dit : il ne sert à rien !

D'autant plus qu'aujourd'hui les grands nombres se notent en écriture scientifique à l'aide de puissances de 10 qui suffisent amplement aux scientifiques !

.            Pourtant Kasner s’est aussi amusé à inventer le gogolplex, beaucoup, et de loin, plus grand qu'un gogol, mais qui reste pourtant fini, ce que l'inventeur du terme fit rapidement remarquer. Au départ, la définition proposée était un 1, suivi d'autant de 0 qu'on pourrait en écrire sans tomber de fatigue. C'est certainement ce qui risquerait d'arriver si quelqu'un essayait d'écrire un gogolplex. Mais comme deux personnes différentes seraient fatiguées au bout d'un temps différent, la définition serait aléatoire et n'aurait pas de sens. Pour cette raison, il fit finalement de son gogolplex un nombre spécifique, mais avec tellement de zéros derrière son « 1 » que le nombre de zéros est lui-même un gogol : soit 1010^100.

En supposant qu’on écrive sans interruption 3 chiffres par seconde, il nous faudrait environ 100 quindécillions (100 x 1090) d’années pour retranscrire intégralement ce nombre, soit 100 milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards d’années !!! Avec le gogolplex, on sort carrément du cadre. Au propre et au figuré. L’astrophysicien Carl Sagan (1934-1996) estimait avec humour et beaucoup de sérieux qu’écrire un tel nombre se heurterait à une impossibilité majeure, l’univers physique connu n’est pas assez grand pour le contenir.

Et effectivement, aucune quantité physique ne peut atteindre ce nombre, autrement dit : il ne sert à rien ! D'autant plus qu'aujourd'hui les grands nombres se notent en écriture scientifique à l'aide de puissances de 10 qui suffisent amplement aux scientifiques !

.            Par la suite, John Conway (1937- ) et Richard Guy (1916-2020)  ont suggéré comme extension qu'un N-plex corresponde par convention à 10N. Avec ce système, un gogol-plex vaut bien 10gogol, et un gogolplex-plex vaut 10gogolplex.

D'autres auteurs ont proposé les formes gogolduplex, gogoltriplex, etc., pour désigner respectivement 10gogolplex, 10gogolduplex, et ainsi de suite.

La fable de Sissa.

.            Une légende des Indes (datant de 1256, par Ibn Khallikan) raconte que le roi Belkib promit une récompense à qui lui proposerait une distraction inédite. Ravi de la présentation par le sage Sissa du jeu d’échecs que celui-ci vient d’inventer, le souverain l’interrogea sur ce qu’il souhaitait en échange. Sissa demanda au roi de poser un grain de riz sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite en doublant le nombre de grains à chaque case, et déclara qu’il se contenterait des grains déposés sur la 64ᵉ et dernière case du jeu.

Le roi agréa cette récompense sans se douter que des siècles ne suffiraient pas à son royaume pour produire la quantité de riz demandée, un peu plus de 9,2 milliards de milliards de grains, ce qui équivaut à plus de 4,5 siècles de la production mondiale de riz actuelle ! A raison d’environ 25.000 grains par kilogramme, cela fait environ 231 milliards de tonnes, soit à peu près 257 milliards m3 (densité 0.9 kg/dm3) ; elle n’aurait pas tenu sur une case d’échiquier puisque, en amassant les grains sur la surface de la ville de Paris, la couche mesurerait 2,45 mètres de haut.

.           Le calcul en additionnant :

T 64 =   1 + 2 + 4 + ⋯ + 9.223.372.036.854.775.808   =   18.446.744.073.709.551.615

Heureusement il y a des méthodes mathématiques beaucoup plus simples :

T 64 = 20 + 21 + 22 + ⋯ + 263  =  264  - 1

.           Le nombre de grains sur la première moitié de l'échiquier (32 cases) est important,

T 32 = 1 + 2 + 4 + 8 + ... + 2.147.483.648  =  4.294.967.295 =  (232 - 1) grains.

En supposant que la masse d'un grain de riz est de 40 mg (25.000 grains / kg), le riz sur la première moitié de l’échiquier a un poids total d’environ 172 tonnes.

.           La quantité sur la seconde moitié de l'échiquier est de

232 + 233 + 234 + ... + 263  =  264 - 232 grains.

Ce nombre est donc égal au carré [264 = (232)2] du nombre de grains sur la première moitié de l'échiquier, plus une fois ce nombre de grains sur la première moitié de l'échiquier. Il est précisément  4.294 967.295 (= 232) fois plus important que celui de la première moitié de l’échiquier.

.           La première case de la deuxième moitié de l’échiquier contient à elle seule plus de grains que la totalité de la première moitié.

.           Sur la seule 64ème case de l'échiquier (celle qui intéresse notre Sissa), il y aurait 263 = 9.223.372.036.854.775.808 grains, soit plus de 2,1 milliards de fois le nombre de grains de la première moitié de l'échiquier.

.           Sur l'ensemble de l'échiquier, il y aurait 264 - 1 = 18.446.744.073.709.551.615 grains, pesant environ 462 milliards de tonnes métriques. Cela représente environ 890 fois la production mondiale de riz en 2019 (520 millions tonnes).

.            Cet exercice peut être utilisé pour démontrer la vitesse de croissance des séquences exponentielles, ainsi que pour introduire les exposants, la puissance zéro, la notation capital-sigma et les séries géométriques. La formule a été utilisée pour expliquer les intérêts composés : "Préféreriez-vous avoir un million d’euros immédiatement ou la somme d'un centime doublée chaque jour pendant un mois ? » Au bout de 30 jours, on aurait : 5 368 709,12 euros

« Les exponentielles ne peuvent pas durer éternellement, car elles engloutissent tout.

« La croissance exponentielle ne peut jamais durer très longtemps dans un espace fini avec des ressources limitées ».

Quelques grandeurs

.            Le nombre de grains de sable qui seraient nécessaires pour remplir l’univers est de 1090.

Le plus petit volume connu de l’univers, le volume de Planck, est un petit cube de 10-35 m de côté côté (la longueur de Planck, le « quanta », une valeur au-dessous de laquelle, selon la théorie quantique, on ne peut plus subdiviser l’espace). Il en faudrait 10183 pour remplir l’univers observable.

Si on pouvait imaginer un univers dont la dimension serait de 1 gogolplex, vous trouveriez un jour quelqu’un strictement identique à vous, par le jeu du nombre fatalement maximum de combinaisons d’états quantiques 1070, donc aussi fatalement inférieur à un gogolplex. En réalité la taille de l’univers observable est de (1026)3 m.

En chiffres « ronds », notre Univers observable contiendrait donc 1080 atomes. En ordre de grandeur, c’est aussi le nombre total d'atomes dans tout l'univers, y compris sa partie invisible. Le nombre de 0 derrière le 1 du gogol est ainsi supérieur au nombre d’atomes dans l’univers d’un facteur 1020.

Les nombres premiers

.            Le 7 décembre 2018, un record a été battu, celui du plus grand nombre premier connu, 282 589 933 − 1, qui comporte près de 25 millions de chiffres en écriture décimale (un nombre premier n’admet que deux diviseurs : 1 et lui-même). On doit cette performance au Great Internet Mersenne Prime Search (GIMPS), le réseau mondial d'unités centrales atteignant une capacité de 450 000 milliards de calculs par seconde, le plus long projet de "supercalculateur de base" fonctionnant en continu de l'histoire d'Internet. Grâce à l’algorithmique de Lucas, 39 jours de calcul ont suffi à l’ordinateur de l’université américaine pour vérifier la primalité du nouveau recordman du monde.

Le nombre de Shannon

.            Le nombre de Shannon, soit 10120, est une estimation de la complexité du jeu d'échecs, c'est-à-dire du nombre de parties différentes, (au sens échiquéen), possibles. Ce nombre est à distinguer du nombre, beaucoup plus élevé, de parties légales qu'autorisent les règles du jeu.

Il a été initialement calculé par Claude Shannon (1916-2001), le père de la théorie de l'information qui popularisa l'utilisation du mot bit comme mesure élémentaire de l'information numérique. D'après lui, 40 coups sont joués en moyenne dans une partie, et, à chaque demi-coup, un joueur a le choix entre, toujours en moyenne, 30 mouvements possibles (ce nombre se situant en fait entre 1, pour les coups forcés, et 218, dans la position qui laisse le plus de liberté de mouvement). Il y aurait donc (30×30)40 soit environ 10120 (un 1 suivi de 120 zéros) parties d'échecs possibles.

Les estimations récentes donnent 10123 parties possibles, sachant que le nombre de positions légales possibles est estimé entre 1043 et 1050. Il convient enfin de préciser que ces nombres correspondent à des parties "raisonnables" : il est possible en fait, compte tenu de la règle des cinquante coups, de jouer des parties légales (mais complètement absurdes) de près de 6.000 coups, et on voit aisément que cela implique un nombre de parties bien supérieur à 106000.

L'ordre de grandeur du nombre de Shannon correspond à la capacité mémoire de l'univers calculée par Seth Lloyd (voir infra).

Nombre d’Asankhyeya

.            Un nombre plus modeste mais au joli nom d'Asankhyeya –incalculable en sanscrit- (1 suivi de 140 zéros = 10140) a des origines bouddhiques et fut supposé (au moins jusqu'au  6° siècle av JC) être le plus grand.

Le jeu de go

.            Inventé en Chine il y a environ 3000 ans, il est arrivé en Europe il y a seulement un siècle. Deux joueurs tentent de se partager un plateau de 19 lignes sur 19 en créant des territoires qu’ils délimitent grâce à des frontières formées de pierres noires et blanches. Le nombre de combinaisons à explorer est immense, estimé très approximativement à 10600 (1 suivi de 600 zéros), contre 10120 environ aux échecs (nombre de Shannon), malgré des règles plus simples. Ceci est principalement dû au fait que le plateau de go est bien plus étendu, que la plupart des coups sont légaux et souvent plausibles, et également au fait que la capture des pions rend possible de rejouer dans les espaces ainsi libérés ; cette dernière possibilité permet d'ailleurs de construire des parties légales (mais tout aussi absurdes que celles mentionnées pour les échecs) inimaginablement plus longues (il n'est pas difficile de construire des parties de plus de 10100 coups).

Le Rubik’s Cube

.            Le Rubik's Cube original (3×3×3) a 8 coins et 12 bords. Il y a 8 ! (40 320) façons de disposer les cubes d'angle. Chaque coin a trois orientations possibles, bien que seulement sept (sur huit) puissent être orientés indépendamment ; l'orientation du huitième coin (final) dépend des sept précédents, ce qui donne 37 (2.187) possibilités. Il y a 12 ! / 2 (239 .500.800) façons de disposer les bords qui doivent être dans une permutation régulière exactement au moment où les coins le sont. Onze bords peuvent être inversés indépendamment, l'inversion du douzième dépendant des précédents, ce qui donne 211 (2.048) possibilités.

8 ! × 37 × (12 ! / 2) × 211 = 43.252.003.274.489.856.000

Ce qui est approximativement 43 quintillions de combinaisons (43 milliards de milliards), en se limitant aux permutations qui peuvent être atteintes uniquement en tournant les côtés du cube. Pour mettre les choses en perspective, si l'on disposait d'un Rubik's Cube de taille standard pour chaque permutation, on pourrait couvrir la surface de la Terre 275 fois, ou les empiler dans une tour de 261 années-lumière de haut.

Les dés

.            Alors que 7 est la somme la plus probable quand on jette deux dés, le 23 mai 2009, dans un casino d'Atlantic City dans le New Jersey (Etats-Unis) on a assisté au record de 154 lancers sans la somme 7. La probabilité d'une telle suite de coups est de (5/6)154, ce qui vaut moins de 1 sur 1.000 milliards.

Le jeu de cartes

.            Dans un jeu de cartes, il y a 52 ! = 52x51x50… 4x3x2x1 ordres possibles des cartes : il y a 52 choix pour la première carte du paquet, puis il reste 51 choix pour la deuxième, puis 50 pour la troisième, etc. Ce nombre est environ 2x1050 (un 2 suivi de 50 zéros) fois le nombre de secondes écoulées depuis le début de l’univers… Ainsi, si vous mélangez suffisamment bien votre jeu de cartes, il est extrêmement vraisemblable que l’ordre précis que vous avez obtenu apparaisse pour la première fois dans l’histoire de l’univers !

La notation de Steinhaus

.            La folie des grands nombres n'en est qu'à ses prémices. En 1963, un mathématicien polonais, Władysław Hugo Dionizy Steinhaus, invente une notation en cascade :

n dans un triangle = nn ; n dans un carré = n dans n triangles ;  n dans un cercle = n dans n carrés ; n dans un pentagone = n dans n cercles. Cela donne par exemple :

Pour imaginer les nombres gigantesques que la notation de Steinhaus permet de construire, il suffit d'essayer de comprendre le nombre 2 dans le cercle !

On voit qu'il n'est pas raisonnable de tenter de retrouver une écriture décimale de ce nombre. C'est pourtant l'un des plus petits de cette famille. Imaginez ce que représente par exemple un 100 dans un cercle !

La notation des puissances itérées de Knuth

.            En 1976, Donald Knudt l'informaticien américain inventeur du langage TeX, a imaginé une notation pour désigner les opérations de combinaisons successives de puissances.

Par exemple

5 ↑ 1 = 51 = 5

5 ↑ 2 = 52 = 25

5 ↑ 3 = 53 = 125

5 ↑ 4 = 54 = 15 625

3 ↑ 1 = 31 = 3

3 ↑ 2 = 32 = 9

3 ↑ 3 = 33 = 27

3 ↑ 4 = 34 = 81

Etc.

3 ↑↑ 1 = 31 = 3

3 ↑↑ 2 = 3 ↑ 3 = 33 = 27

3 ↑↑ 3 = 3 ↑ 3 ↑ 3 = (3)^33 = 327 = 7 625 597 484 987

3 ↑↑ 4 = 3 ↑ 3 ↑ 3 ↑ 3 = (3)^327) = 57 625 597 484 987

Ce terme 3 ↑↑ 4 = [(33)^3]^3  est de la forme 12580 … 39387 et a 3 638 334 640 025 chiffres.

3 ↑↑↑ 3 = 3 ↑↑ 3 ↑↑ 3 = 3 ↑↑ 327 = 3 ↑↑ 7 625 597 484 987

Etc.

5 ↑↑ 1 = 51 = 5

5 ↑↑ 2 = 5 ↑ 5 = 55 = 125

5 ↑↑ 3 = 5 ↑ 5 ↑ 5 = (5)^55 = 5125 = 2.35099*1087

5 ↑↑ 4 = 5 ↑ 5 ↑ 5 ↑ 5 = (5)^5125) = 52.35099*10^87

Le nombre de Graham

.            Du nom du mathématicien Ronald Graham (1935- ), c’est un entier naturel connu pour avoir été longtemps le plus grand entier apparaissant dans une démonstration mathématique. Il est beaucoup trop grand pour être écrit avec la notation scientifique et nécessite une notation permettant d'écrire de très grands nombres (notation des puissances itérées de Knuth). Toutefois, il est possible d'obtenir ses derniers chiffres sans trop de difficulté. Ainsi ses dix derniers chiffres sont ... 2464195387.

Le nombre de Graham est le 65e terme de la suite :

u0 = 4,

u1 = 3 ↑↑↑↑ 3  = 3 → 3→ u0,

u2 =  3 ↑↑ ⋯ ↑↑ 3 = 3 → 3 → u1,

u3 = 3 ↑↑↑ ⋯ ↑↑↑ 3 = 3 → 3 → u2, ...

où chaque terme est le nombre de flèches du terme suivant, en utilisant la notation des flèches (puissances itérées, une tétration) de Knuth :

Les nombres inaccessibles

.            Ils ne peuvent être décrits tellement ils sont grands et au-delà d’un horizon à partir duquel on ne peut plus accéder à ces nombres. C’est en fait la majorité des nombres (mystères de l’infini !).

« L’hypothèse des grands nombres » (Dirac)

.            Dans les années 1930, le prix Nobel anglais Paul Dirac (1902-1984) a développé la théorie appelée ‘hypothèse des grands nombres’ utilisés en science, fondée sur la surprenante similitude de trois nombres :

le rapport entre la force électromagnétique et gravitationnelle à l’intérieur d’un atome d’hydrogène, (1039)

l’âge de l’univers, divisé par le temps qu’il faut à la lumière pour traverser un atome d’hydrogène, (1039 aussi)

la racine carrée du nombre de particules dans l’univers, (1039 = 1078^0.5)

Sans trop comprendre le rapport entre ces trois valeurs, son calcul a déterminé 1078 comme prétendant au plus grand nombre ayant une signification scientifique. Le nombre d’atomes dans l’univers est lui estimé à 1080

Quel est le plus grand nombre possible ?

.            L’infini de toute évidence ! Mais l’infini n’est pas un nombre, mais un concept.

Cependant, dans les années 1870, le mathématicien russe Georg Cantor a révélé l’existence de nombreux infinis différents, dont certains sont … plus grands que les autres ! Le plus ‘petit’ est celui que l’on obtient en comptant indéfiniment : 0, 1, 2, 3, … Il s’agit d’Aleph-zéro (aleph étant la première lettre de l’alphabet hébreu), le premier de ce que Cantor appelait les nombres transfinis. Ces nombres ont des propriétés à priori étranges. Par exemple, additionner ou multiplier n fois Aleph-zéro donne simplement … Aleph-zéro.

Cantor a également montré qu’il existait d’autres infinis encore plus grands, par exemple Aleph-un, un nombre si grand qu’on ne pourra jamais l’atteindre. Pour le mathématicien, il y a une infinité de nombres infinis, chacun supérieur au précédent, jusqu’à ce que l’on arrive au plus grand de tous, ‘l’infini absolu’ et représenté par la lettre oméga. Ce nombre est si grand qu’il est indescriptible.

Tous les SARS-CoV-2 du monde

The Conversation - Christian Yates - 11 février 2021

.            A-t-on une idée du volume total de coronavirus SARS-CoV-2 existant sur notre planète ? Par où commencer ?

.            La première chose à faire est de calculer le nombre de particules de SARS-CoV-2 présentes sur la planète. Pour ce faire, il faut déterminer combien de personnes sont infectées (on supposera que les êtres humains constituent le réservoir viral le plus significatif, même s’il s’agit d’une approximation puisque le virus est aussi présent chez certains animaux).

Selon les statistiques du site Our World in Data, chaque jour 500.000 personnes sont testées positives pour la Covid-19. Cependant, on sait que de nombreux individus sont asymptomatiques, ou ne se font pas tester – parce qu’ils ne le souhaitent pas, ou parce que le dépistage à large échelle n’existe pas dans leur pays.

En s’appuyant sur des modélisations statistiques et épidémiologiques, l’Institut pour les données et évaluations de santé (Institute for Health Metrics and Evaluations, un institut de statistique sur la santé publique, basé à Seattle aux États-Unis et dépendant de l’université de Washington) a estimé que le nombre réel de personnes infectées chaque jour se situe plutôt aux alentours de 3 millions.

.            La quantité de virus que chaque personne contaminée porte en elle (sa « charge virale ») dépend du temps qui s’est écoulé depuis le moment où elle a été infectée. On considère que la charge virale augmente progressivement pour atteindre un pic six jours après l’infection en moyenne, puis diminue régulièrement.

Parmi toutes les personnes qui sont infectées au moment où vous lisez ces lignes, celles qui ont été infectées hier contribuent légèrement au nombre global de virus, celles qui ont été infectées il y a deux jours y contribuent un peu plus, celles infectées voici trois jours, encore un peu plus, et ainsi de suite, jusqu’aux personnes qui ont été infectées voici 6 jours, en moyenne porteuses de la charge virale la plus importante. À 7, 8, 9 jours et au-delà, la contribution des personnes contaminées au nombre total de virus décline.

.            Reste à déterminer est le nombre de particules virales qu’hébergent les personnes infectées à un instant donné. Puisque nous savons comment varie la charge virale au cours du temps, il nous suffit de connaître approximativement le nombre de virus présents dans un individu lors du pic. Une étude, non encore revue par les pairs, a repris les données issues d’analyses menées chez des singes infectés pour déterminer le nombre de particules virales par gramme de divers tissus, et a extrapolé à partir de ces résultats les chiffres correspondant à l’être humain. D’après cette estimation approximative, les charges virales au moment du pic d’infection vont de 1 milliard à 100 milliards de particules.

.            Supposons une charge virale au moment du pic d’infection égale à 10 milliards, soit la moyenne géométrique de la fourchette. Si l’on additionne les contributions à la charge virale globale de chacune des 3 millions de personnes qui ont été infectées au cours de chacun des jours précédents (en supposant que le taux de 3 millions d’infections quotidiennes est à peu près constant), on constate qu’à tout moment, il y a environ 300 quadrillons (3 x 10¹⁷ ou trois cent millions de milliards) de particules virales dans le monde.

.            Ce nombre semble très grand. Et il l’est. Il correspond plus ou moins à un 3 millièmes du nombre de grains de sable présents sur notre planète. Cependant, les particules de SARS-CoV-2 sont extrêmement petites, ce qui a évidemment une importance majeure lorsqu’on calcule le volume total qu’elles représentent. Les estimations de leur diamètre varient de 80 à 120 nanomètres (un nanomètre – abrégé nm – correspond à un milliardième de mètre). Dans les calculs suivants, nous retiendrons la valeur moyenne de 100 nm. Pour avoir un ordre d’idée, le rayon du SARS-CoV-2 (50 nm, si l’on se base sur un diamètre de 100 nm) est environ 1.000 fois plus fin qu’un cheveu humain.

Les particules de SARS-CoV-2 sont sphériques. Pour calculer le volume de l’une d’entre elles, nous devons donc avoir recours à la formule bien connue (!) permettant de déterminer le volume d’une sphère :

             V = 4 π r3/3 (avec V, le volume de la sphère ; π, le nombre pi ; r, le rayon d’une particule)

Si l’on suppose qu’une particule de SARS-CoV-2 a un rayon de 50 nm, comme évoqué précédemment, le volume d’une particule virale est de 523.000 nm3.

.            En multipliant ce minuscule volume par le très grand nombre de particules que nous avons calculé plus haut,

(3 x 1017) x (523 x 103) = 1.569 x 1020 = 1,6 x 1023 nm3

et en convertissant le résultat en une unité de volume plus évocatrice, nous obtenons

            1,6 x 10-4 m3, soit : 1,6 10-1 l = 16 cl.

.            Dernier point à prendre en compte au moment où nous souhaitons rassembler toutes ces particules virales dans un même contenant : de par leur forme, elles ne s’emboîteront pas parfaitement, il restera du vide entre elles ; dans un empilement, une partie significative du volume occupé est du vide.

La meilleure façon de minimiser l’espace vide lorsqu’on cherche à agencer des sphères dans l’espace est de recourir à une configuration appelée « empilement compact », dans laquelle ledit espace vide occupe environ : 1- π / (3 x 21/2) = 26 % du volume total.

Le volume global occupé par nos particules de SARS-CoV-2 ainsi agencées augmente et atteint environ 16 cl / 0,74 = 22 cl., à peine une petite canette de bière !

.            De la même façon, on calcule que la totalité des particules de SARS-CoV-2 pourraient recouvrir l’équivalent de 15 terrains de tennis ou relier 100 fois la terre à la lune !

L’hôtel infini, voyage dans un paradoxe

.            Ouvrons un hôtel infini, un hôtel hypothétique avec une infinité dénombrable de chambres qui peuvent donc être listées sans omission ni répétition dans une suite indexée par les entiers. Dès lors on peut numéroter les chambres : chambre 1, chambre 2, et ce jusqu’à l’infini. Chaque chambre accueille un seul voyageur.

Quel serait l’avantage de cet hôtel novateur ?

.            Imaginons que chaque chambre de notre hôtel infini est déjà occupée, l’hôtel est complet ! Un nouveau voyageur se présente à l’accueil et souhaite obtenir une chambre. Mauvaise nouvelle ? Non ! Les propriétés de l’infini vont permettre de lui en trouver une. Le réceptionniste a une idée. Il frappe à la chambre 1 et demande à son occupant d’aller s’installer dans la chambre 2, ensuite il demande à l’occupant de la chambre 2 de s’installer dans la 3 et ainsi de suite. Chaque client déménage de la chambre N vers la chambre N+1 et, comme il y a un nombre infini de chambres, il y a une nouvelle chambre pour chaque client. Après ce long procédé, le réceptionniste indique au voyageur que la première chambre est à présent libre pour la nuit.

.            Cet hôtel remarquable permet également de loger les voyageurs de tout un bus alors que l’hôtel est déjà complet. Supposons qu’un bus contenant 20 nouveaux voyageurs arrive. Le réceptionniste utilise la même idée et demande cette fois à l’occupant de la chambre 1 de déménager vers la chambre 21, à l’occupant de la chambre 2 de déménager vers la 22 et ainsi de suite. Chaque client déménage de la chambre N vers la chambre N+20 et le problème est résolu : les 20 voyageurs du bus s’installent chacun dans une des 20 premières chambres qui sont à présent vides. Ce procédé fonctionne quel que soit le nombre fini de voyageurs qui se présentent.

.            A présent, imaginons que c’est un bus infini, rempli d’un nombre infini dénombrable de voyageurs (voyageur 1, voyageur 2…) qui arrive à notre hôtel qui est complet. Comment loger cette infinité de nouveaux voyageurs !

Il faut pour cela libérer un nombre infini de chambres, par exemple toutes les chambres impaires. Notre standardiste demande donc au client de la chambre 1 de déménager vers la chambre 2, au client de la chambre 2 de déménager vers la 4, à celui de la chambre 3 de déménager vers la 6 et ainsi de suite. Cette fois, le client de la chambre N déménage vers la chambre 2N. Les chambres paires sont à présent toutes occupées, laissant toutes les chambres impaires libres pour accueillir les nouveaux voyageurs.

.            Il est possible de pousser l’expérience encore plus loin en imaginant qu’un nombre infini dénombrable de bus, chacun transportant un nombre infini dénombrable de voyageurs, arrivent à notre hôtel, toujours complet. Le réceptionniste peut à nouveau compter sur les mathématiques pour l’aider, en faisant appel à l’infinité des nombres premiers (les nombres premiers sont des nombres naturels qui ont exactement deux diviseurs : 1 et eux-mêmes. Par exemple : 2, 3, 5, …) Les clients de l’hôtel vont déménager vers les chambres dont les numéros sont les exposants de 2 (premier nombre premier). Par exemple, le client de la chambre 5 ira dans la chambre 25 (= 32). Le client de la chambre N déménage donc vers la chambre 2N. Passons ensuite au premier bus infini dont les clients seront envoyés vers les chambres numérotées par les exposants de 3 (deuxième nombre premier). Le voyageur du siège 5 du premier bus dormira dans la chambre 35 (= 243). Et ainsi de suite pour l’infinité de clients de l’infinité de bus ; le client N du 2e bus dormira dans la chambre 5N, le client N du 3e bus dormira dans la chambre 7N. Comme nous utilisons les exposants des nombres premiers, il n’y a pas de répétition des numéros de chambres et chaque client peut dormir tranquillement. Notons qu’il reste une infinité de chambres vides, celles qui ne sont pas des exposants de nombres premiers, par exemple la 6e chambre.

.            Malgré le travail logistique colossal que cet hôtel demande, ces expériences ne sont possibles que parce que nous travaillons avec l’infini et en particulier sa plus petite version, que l’on appelle « infini dénombrable », concept que nous avons utilisé tout le long en comptant les chambres, les bus, les clients…

Notre hôtel infini, souvent appelé Hôtel de Hilbert, est une expérience théorique pensée par le mathématicien David Hilbert (1862-1943) qui illustre le paradoxe éponyme décrivant les propriétés contre-intuitives des ensembles infinis.

Cette expérience de pensée illustre surtout les problèmes que nous avons à gérer l’infini, en nous forçant à abandonner nos habitudes de dénombrement dans les ensembles finis.

Petitesse temporelle

            En 1999, le chimiste égyptien Ahmed Zewail recevait le prix Nobel pour avoir mesuré la vitesse à laquelle les molécules changent de forme grâce à des flashs laser ultra-courts. Nous avions alors fait connaissance avec la femtoseconde qui vaut à 10-15 seconde (0,000 000 000 000 001 seconde).

En 2020, des physiciens de l’Université Goethe (Allemagne) ont étudié un processus encore plus court : le temps qu’il faut à un photon pour traverser une molécule d’hydrogène. Ce temps ? 247 zeptosecondes. Il s’agit de la période la plus courte qui a été mesurée avec succès à ce jour. Le précédent record datait de 2016 avec 850 zeptosecondes enregistrées. Aucune machine ne permet aujourd'hui de mesurer une durée plus petite.

La zeptoseconde vaut à 10-21 seconde (0,000 000 000 000 000 000 001 seconde, 1 billionième de milliardième de seconde). Il y a 2 fois plus de zeptosecondes dans une seconde, que de millièmes secondes depuis le big-bang, il y a 13,82 milliards d’années !!!

La “Bibliothèque de Babel”

              Les troublantes propriétés vertigineuses de la bibliothèque « univers » de Babel.

.            L’idée d’une bibliothèque infinie est imaginée pour la première fois par le mathématicien et écrivain allemand Kurd Lasswitz. Dans sa nouvelle La bibliothèque universelle, parue en 1904, il imagine une bibliothèque pouvant contenir toutes les œuvres possibles de l’humanité. Raisonnant en bon mathématicien, il sait que les combinaisons de tous les caractères de l’alphabet aboutissent à un nombre fini.

Jorge Luis Borges, écrivain argentin, s’en inspire et publie en 1941 une de ses plus célèbres nouvelles, La bibliothèque de Babel. C’est une bibliothèque « univers », c’est-à-dire qu’elle contient toutes les combinaisons de lettres possibles et est donc immensément grande. Sa taille constitue un défi à l’imagination humaine. L’immense majorité de ces pages renferment des suites incompréhensibles de caractères ne formant rien de précis dans aucune langue. On peut ainsi y trouver tous les textes possibles et imaginables, lisibles ou non ; pratiquement tous les écrits depuis la nuit des temps et aussi tout ce qui n’a pas encore été écrit mais qui le sera peut-être un jour, ou jamais.

La bibliothèque du vertige

.            Selon le narrateur, la bibliothèque est immense mais non infinie car le nombre de combinaisons possibles est lui-même fini ; il ajoute qu'il est absurde de supposer qu'elle s'arrête quelque part, et postule qu'elle pourrait être cyclique, en se répétant sans cesse, et donc infinie ; il conclut son récit par : « le désordre apparent, se répétant, constituerait un ordre, l'Ordre ».

Elle contient ainsi un nombre colossal de livres. Chaque livre qu’elle possède, est supposé (un cas parmi une multitude d’autres possibles) avoir 410 pages contenant 40 lignes de texte, elles-mêmes composées de 80 caractères chacune. Chacun de ces livres théoriques contient donc 1.312.000 caractères et utilise toutes les lettres de l’alphabet (26 lettres), plus l’espace, la virgule et le point, ce qui porte à 29 le nombre de signes différents utilisables.

La bibliothèque comporte donc 291.312.000 livres, ce qui donne un nombre composé de près de 2 millions de chiffres. Pour prendre la mesure d’un tel nombre, l’imprimer requerrait 500 pages A4, remplirait un roman de 1.100 pages en format de poche et, écrit en ligne droite, mesurerait environ 3,54 kilomètres de long.

La place que prendrait une telle bibliothèque donne le tournis. Si l’on imagine qu’un livre occupe un volume de 1.000 cm3, et si l’on part du postulat que l’univers observable est une sphère de 46 milliards d’années-lumière de rayon (ce qui est une grossière approximation), de rapides calculs indiquent que l’on peut stocker dans cet univers environ 8,4 × 1050 livres. Si elle existait, la bibliothèque imaginée par Borges remplirait non seulement l’univers tout entier, mais en nécessiterait beaucoup plus. Combien ? Environ 101.918.616, ce qui constitue un nombre à peu près aussi grand que celui mentionné plus haut. Vertigineux ?

On peut remarquer que ces nombres sont inimaginablement plus grands que le nombre d'atomes dans l'univers observable (environ 1080). Avec des nombres aussi grands, le matériel informatique n'est pas en mesure de stocker cette bibliothèque. En revanche, il est possible d'engendrer des pages à la demande du lecteur. Un site web (libraryofbabel.info) créé en 2015 par Jonathan Basile reproduit (presque) exactement le fonctionnement de la bibliothèque décrite par Jorge Luis Borges et s’y essaie.

Cette bibliothèque est une métaphore de l’univers. Mieux encore, elle est l’expression d’un nombre-univers, un nombre réel dans lequel on peut trouver n’importe quelle succession de chiffres de longueur finie. Le code de toute chose.

Le meilleur calcul de la somme d’information contenue dans l’univers depuis le Big Bang a été effectué par Seth Lloyd (1960- ), concepteur de l’ordinateur quantique et professeur au MIT : 10120 bits

Un nombre de 39 chiffres rendu insaississable !

La revue pédagogique / Année1885 / 7-2 / pp. 236-237 – A.Clerc

.            Nous trouvons dans une publication d'Alsace-Lorraine, à laquelle nous sommes heureux de faire un emprunt (car c'est le seul journal qui s'y publie encore en français, le Progrès religieux de Strasbourg), une application très ingénieuse des méthodes intuitives. Elle nous parait de nature à intéresser nos lecteurs, et bien propre à suggérer à tous ceux qui sont chargés de la difficile mission de l'enseignement quelques-uns de ces procédés qui frappent l'esprit, rendent la vérité manifeste ou plus sensible et la gravent plus profondément dans la mémoire.

.            Chacun sait qu'au-delà d'une certaine limite, la grandeur des nombres n'est plus saisissable pour notre entendement. Par exemple, nous ne nous faisons que difficilement, en général, une idée bien nette d'une somme de un milliard de francs, et nous renonçons à nous figurer, à voir par les yeux de l'esprit, une somme d'une valeur plus considérable. Pourtant, à l'aide de certaines considérations, de certains rapprochements de quantités bien connues, on peut tout au moins se rendre compte de l'importance de ces valeurs immenses qui semblent échapper à notre appréciation.

.            L'auteur de l'article, M. Leblois, amené par des considérations purement morales à rechercher la valeur qu'aurait acquise en 1884 l'infime capital de un sou placé à 5%, à intérêts composés, au commencement de l'ère chrétienne, trouve que cette valeur, en francs, est représentée par un nombre entier de treize tranches de trois chiffres.        

Ce nombre prodigieux, qui met au défi toutes nos forces intellectuelles, qui confond même notre imagination, est le suivant :

416.496.400.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000,

et il s'énonce : 416 undécillions 496 décillions 400 nonillons.

.            Par une voie indirecte, M. Leblois a pourtant raison de l'effrayant colosse. Empruntant des calculs faits par l'astronome Camille Flammarion (Revue d'Astronomie, 3e année, 1884, p. 312-313), il présente ainsi la question :

.            On connait exactement le poids du globe terrestre : il pèse 5.875 sextillions de kilogrammes. Supposons qu'il soit changé en un lingot d'or massif, ce lingot serait trois fois et demie plus lourd que la planète ; il pèserait 20.562 sextillions de kilogrammes. On connait aussi la valeur d'un kilogramme d'or pur. Si donc notre planète était un lingot d'or massif, ce lingot vaudrait 69.910.800.000 milliards de milliards de francs. En comparant cette somme à celle exprimée ci-dessus, on reconnait que pour atteindre cette dernière, il faudrait répéter la valeur du lingot 5.957.450.179 fois, c'est-à-dire près de six milliards de fois ; en d'autres termes, il faudrait près de six milliards de globes d'or de la dimension de la terre pour payer le capital produit par un sou en 1884 ans !

« En imaginant que chaque minute il tombe des cieux un lingot d'or de ce volume, on trouve qu'il en tomberait par jour 1.440 seulement, et par année 525.969. Pour constituer le nombre de près de six milliards de lingots pareils, en supposant toujours qu'il en tombe un par minute, il faudrait qu'il en tombât, sans interruption, jour et nuit, durant l'espace énorme de 11.326 années ! »

.            Il est donc bien vrai, comme le dit l'auteur au début de son article, que « tout l'or du monde ne suffirait pas aujourd'hui pour payer la somme énorme que la petite pièce d'un sou aurait produite ». A coup sûr, il était permis de penser qu'ici le vrai est loin d'être vraisemblable.