Avant, le Qatar était comme un grand village.

Les Echos - Florence Renard-Gourdon - 29 mai 2015 / Ouest-France - Patrick Angevin – 31 mar 2022

Le Qatar vivait essentiellement de la pêche et de l’industrie perlière (une vue de la ville portuaire d’al-Khor en 1950)

Protectorat britannique

.            Au début des années 1900, le Qatar est gouverné par la famille Al-Thani. Un an après avoir reconnu le Cheik Abdulah bin Jassin Al Thani comme dirigeant du Qatar, le pouvoir britannique signe en novembre 1916 un traité de protectorat avec les Qataris, identique à ceux que l’empire colonial a négocié avec les autres pays du golfe Persique. Les Britanniques offrent ainsi leur protection au Qatar. En échange de quoi, les Qataris renoncent à céder des territoires ou à entamer des négociations sans le consentement des Britanniques. Le Qatar vit alors essentiellement de l’industrie perlière et de la pêche. La population, très pauvre, souffre de malnutrition, et connaît une période particulièrement difficile dans les années 1920 quand le commerce de la perle s’effondre.

Producteur pétrolier

.            En 1939, du pétrole est découvert à Dukhan, à l’ouest du Qatar. Mais l’exploitation ne commence qu’en 1949 en raison de la seconde guerre mondiale. En 1951, le Qatar produit 46.500 baril de pétrole par jour (env. 2.500.000 t/an) et augmente ainsi ses revenus à 4,2 millions de dollars. Avec cet argent, le Qatar amorce son processus de modernisation. Les années 50 voient naître la première école, un hôpital, une centrale électrique, une usine de dessalement et les premiers téléphones. Dans les années 60, les recettes pétrolières continuent d’augmenter et la famille Al-Thani renforce son emprise sur le gouvernement central. Tous ses membres se voient accorder des privilèges exorbitants.

L’indépendance

.            Le Qatar obtient son indépendance en 1971, conséquence du retrait de la Grande-Bretagne de toutes ses obligations militaires à l’est du Canal de Suez. Le 22 Février 1972, Khalifa ben Hamad profite que son père, l’émir Ahmad bin Ali, soit parti chasser les faucons en Iran pour le destituer. Il coupe alors les dépenses de la famille royale et augmente les investissements dans les programmes sociaux, le logement, la santé, l’éducation et les retraites.

La grande aventure du gaz

.            Entre-temps, en 1971, Shell découvre sur la côte du Qatar le gisement offshore North Dome, le plus grand gisement de gaz naturel au monde. La production pétrolière étant encore à des sommets à l’époque, le gisement n’est pas exploré immédiatement.

Dans les années 80, la crise pétrolière fait plonger l’économie qatarie. En 1995, un coup d’Etat destitue l’émir Khalifa bin Hamad et c’est le Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani qui prend le pouvoir. L’une de ses premières mesures consiste à accélérer le développement du gisement North Dome. En décembre 1996, le Qatar fait sa première livraison de gaz liquéfié.

Au cours des 15 années qui vont suivre, 14 usines de gaz liquéfié sont construites en partenariat avec des compagnies pétrolières occidentales. La péninsule diversifie de plus en plus ses clients. Le PIB du Qatar grimpe en flèche porté par la stabilité de sa production pétrolière et sa forte production de gaz naturel.

En à peine 50 ans, le Qatar est passé d’un pays pauvre de pêcheurs à un géant du pétrole dont le PIB par habitant est le plus élevé du monde.

Le pouvoir de l’argent

.            Pour éviter une trop grande dépendance au secteur, le Qatar prend des mesures pour diversifier son économie. En 1998, le Qatar construit Education City, une zone proche de sa capitale, Doha, pour l’établissement de campus de plusieurs universités américaines, mais aussi quelques organisations locales d’éducation et de recherche.

Parallèlement, le Qatar crée en 2003 son fonds souverain le Qatar Investment Authority (QIA) pour recycler ses revenus du pétrole et du gaz. Le fonds procède à de gros investissements dans Barclays Bank, Credit Suisse, Harrods, Porsche, Volkswagen, et le PSG. QIA devient aussi l’un des plus importants propriétaires de biens immobiliers à Londres.

Mais le Qatar ne se contente pas de déployer sa politique d’acquisitions à l’international. Le pays mobilise aussi toutes ses forces pour séduire les investisseurs étrangers et tenter de faire concurrence aux autres plates-formes financières du Golfe comme Dubaï en créant en 2005 la Qatar Financial Center Authority (QFCA). Basée à Doha, cette entité se concentre sur la promotion des activités de gestion d’actifs, de réassurance et de captives d’assurance dans la région.

    La corniche de Doha, normalement calme, devrait être davantage animée au moment du Mondial de football.

.            On ne peut comprendre le Qatar si on n’a pas à l’esprit combien ce pays a radicalement changé en si peu de temps. Il y a peu d’équivalents dans le monde​. Début des années 1960, c’était comme un grand village. Dans les années 1970, il y avait un seul marchand de glaces, au grand hôtel … L’exploitation des immenses gisements de gaz a transformé ce coin de désert en ville-monde​. Trois cent mille Qataris, parmi les plus riches de la planète, vivent au milieu de plus de deux millions d’étrangers, sans qui le pays ne fonctionnerait pas.

.            Le contraste est saisissant avec la Skyline ​du Doha de 2022, cet alignement de dizaines de gratte-ciel délirants qui poussent à un rythme effréné dans le quartier d’affaires, face aux eaux du Golfe. Sans qu’on sache si les millions de mètres carrés de bureaux sont utilisés … La Coupe du monde de football 2022 symbolise l’ambivalence du Qatar.

.            Le décollage a commencé dans les années 1990. Il a transformé en superpuissance énergétique un coin de désert qui aurait dû rester le parent pauvre des monarchies du Golfe pour avoir refusé d’intégrer, en 1971, la Fédération des Émirats arabes unis.

En trente ans, la population est passée de 370.000 à 2,9 millions (!), dont plus de 90 % d’étrangers : une grande majorité de travailleurs venus d’Asie, mais aussi des magistrats ou des toubibs arabes, des ingénieurs ou des enseignants occidentaux… Doha est devenue une ville-monde.

Le ridicule côtoie l’excellence

.            Le miracle a un nom : gaz naturel ; le Qatar est assis sur un océan de gaz, les troisièmes réserves au monde. Premier exportateur mondial, le pays dispose de revenus colossaux qui permettent tout ou presque à l’émir Tamim al-Thani, 41 ans, au pouvoir depuis 2013.

Les stades de foot de la Coupe du monde 2022, climatisés bien sûr, des autoroutes urbaines à huit voies, trois lignes de métro, des centres commerciaux XXL, mais aussi des villes nouvelles, des hôpitaux derniers cris et des antennes locales d’universités renommées (Cornell, Georgetown, HEC) … Le ridicule, comme les quelque 40 restaurants quasi vides du Mall of Qatar ​près du stade d’Al-Rayyan, côtoie l’excellence, à l’image de l’hôpital Sidra et de ses chercheurs au top niveau international.

Avec l’argent, il y a toujours une solution. De mai à octobre, on dépasse en journée les 35 °C, auxquels il faut en ajouter 10 de ressenti à cause d’une humidité affolante ? Une climatisation de la taille d’un Palais des sports refroidit l’ensemble du quartier d’affaires ! Fâchée contre son petit voisin, l’Arabie saoudite lui impose en 2017 un blocus et vide les rayons alimentaires des supermarchés ? Des vaches arrivent par avion pour produire du lait et du yaourt dans des fermes industrielles en plein désert. Il y en a plus de 40.000 aujourd’hui….

Éducation, santé, eau, électricité, terrain à bâtir… Tout est gratuit pour les quelque 300.000 Qataris. De quoi fabriquer une société d’assistés ? « L’éducation reste une priorité absolue dans les familles, tempère madame Hessa al-Jaber, membre du conseil consultatif, ex-ministre de la communication. C’est aussi valable pour les filles. 60 % d’entre elles font des études universitaires. »

Un islam à la fois apolitique et ultraconservateur

.            Une bonne partie de la jeunesse qatarie passe plusieurs années à l’étranger, parle l’anglais couramment, est accrochée comme ailleurs à son smartphone. Plus que le désœuvrement, c’est ce qui paradoxalement inquiète les plus anciens. Il faut conserver notre culture et que nos jeunes parlent bien l’arabe​, insistent de concert quatre vieux ​Qataris rencontrés dans un majlis ​du souk, ces salons traditionnels qui servent de point de ralliement aux clans.

Des anciens à l’intérieur du Majlis el-Mana, dans le vieux souk de Doha.

Dans le même registre, Amal bataille pour que son grand ado de fils accepte de porter la thob​, la robe blanche traditionnelle, aux réunions familiales et pas le jean polo. Comme s’il fallait un juste milieu, à l’image de l’émir Tamim, en costume à Paris mais en thob à Doha.

.            Ouverte sur le monde, grâce à sa richesse, la société qatarie reste en revanche très refermée, affiche un islam à la fois apolitique et ultraconservateur. En dehors des relations professionnelles, il est extrêmement difficile d’avoir des relations suivies avec des Qataris​, raconte un pilote d’avion français expatrié.

Quant aux centaines de milliers de milliers de petites mains ​venues d’Asie bâtir le miracle qatari, « il a fallu la Coupe du monde et les polémiques sur leurs conditions de travail pour que les choses commencent à bouger, reconnaît un jeune Qatari, à contre-courant de ses congénères qui refusent le plus souvent d’aborder la question. En fait avant, ils n’existaient pas. »

Ras Laffan.  Le port et ses usines de liquéfaction de gaz naturel.