Le pain, son histoire …

D’après : The Conversation / Futura Sciences - Bruno Parmentier – 14 jan 2022 / Chambres d’Agriculture / France culture - 17 jan 2022 / The Conversation - Sophie Reboud & Corinne Tanguy - 03 mars 2022 / Herodote.net - Isabelle Grégor – 31 aoû 2022

.            Le prix libre du pain n'a que 30 ans. Les cours du blé s’envolent à la bourse de Chicago (Chicago Wheat). Le prix de la baguette augmente légèrement ! Forte émotion chez les Français. Et pourtant il y a très peu de blé dans la baguette ; on n'en mange plus beaucoup non plus et … elle n'est réellement pas chère !

.            Pléthore d’expressions ! Être dans le pétrin ; mettre la main à la pâte ; comme un coq en pâte ; être une bonne pâte ; s'en payer une belle tranche ; ne laisser que des miettes ; ne pas en perdre une miette ; un vieux croûton ; avoir du pain sur la planche ; bon comme du bon pain ; une planche à pain ; ça ne mange pas de pain ; être au pain sec et à l’eau ; manger un pain trempé de larmes ; un gagne-pain ; se vendre comme des petits pains ; gagner son pain à la sueur de son front ; manger son pain blanc ; ne pas manger de ce pain-là ; ôter le pain de la bouche ; pour une bouchée de pain ; avoir un copain ; …

.           Le pain a pratiquement toujours été la clé de voûte d’un « contrat social des subsistances » entre le pouvoir et le peuple, qui se soumettait au souverain en échange d’une protection contre la famine, sinon la faim. Le pain a revêtu une dimension sacrée. On ne le gâchait pas, on le bénissait avant de le couper et on partait en procession lors des rogations, les trois jours qui précédent l’Ascension, pour obtenir de bonnes récoltes. Le Christ n’a-t-il pas vu le jour à Bethléem, la « cité du pain » ?

.            Long comme un jour sans pain... Si son absence est devenue synonyme de torture, c'est bien parce que le pain a pris une place considérable dans nos vies. Produit sophistiqué mais d'usage courant, il a longtemps été un aliment de première nécessité pour le peuple et un enjeu incontournable pour le pouvoir, avant de devenir un élément de l'identité française.

C'est peu de dire que chacun s'est toujours efforcé d'avoir un « gagne-pain » ! Car même au XXe siècle, on a fort mal mangé pendant la première guerre mondiale, et, après la seconde guerre mondiale, le pain a continué à être rationné jusqu'en novembre 1949, quatre ans après la victoire ! Il a fallu attendre les années 1950 pour qu'au lieu d'aller travailler « pour gagner son pain à la sueur de leur front » les ouvriers aillent à l'usine pour « gagner leur bifteck », puis pour « mettre du beurre dans les épinards ».

Aliment emblématique de la culture française, un fait social « total » empreint de dimensions identitaires et symboliques, le pain est aussi un miroir de l’évolution de nos modes de vie. Sa consommation globale est cependant très nettement en baisse depuis un siècle, puisqu’elle est passée de 900 grammes par jour en moyenne en 1900 à une centaine de grammes aujourd’hui. Et en même temps, les Français privilégient encore aujourd’hui les établissements artisanaux pour acheter leur pain, avec des produits jugés plus qualitatifs.

Le blé

.            Le blé est déterminant pour nourrir la planète. C’est un produit peu cher, qui se produit et se transporte facilement. Il est consommé plusieurs fois par jour, sous différentes formes, par 4 milliards de personnes. Il couvre 20 % des calories consommées dans le monde.

.            Les paysans de l'antiquité sélectionnaient les meilleures graines, puis les ressemaient, en particulier l'engrain, la première céréale domestiquée par l'homme, vers -8000 au Proche-Orient, et l'amidonnier. L'amidonnier donnera le blé dur et, croisé avec une autre graminée sauvage, l'aegilops, il donnera une nouvelle céréale le triticum qui devient le blé tendre et que l'on nommera plus tard l'épeautre. Ces variétés poussaient sans doute sous les Pharaons et la Bible évoque le rôle de Joseph comme conseiller du Pharaon pour gérer les récoltes de blé, entre les années d'abondance et celles de disette. Grecs et Romains croiseront leurs blés. Ces croisements et les recherches se développeront au cours du moyen-âge.

Au XVI° siècle, sous l'impulsion d'Olivier de Serres (1539-1619) la culture du blé va s'améliorer par le labour et l'apport de fumier qui vont rendre les sols plus riches et les rendements plus élevés. Celui-ci est également l'inventeur de l'assolement triennal qui permet l'alternance entre plantes sarclées et semailles de blé C'est l'époque du regroupement des parcelles en grandes propriétés, spécialisant certaines régions pour la culture céréalière, telles la Beauce et la Brie, ainsi que la Flandre et la Haute Auvergne (la Limagne). A cette époque, la culture d'un épeautre barbu rouge (le rousset) domine. On retrouve aussi la culture de plusieurs céréales en mélange (ex. blé et orge).

Vers 1850, les semences devenues autochtones sont remplacées par des blés, dits aquitains, venant de l'Est de l'Europe (Crimée et Ukraine) alors que le Nord de la France adopte plutôt des blés anglais. Le plus connu des blés aquitains était appelé blé Noé du nom du Marquis de Noé qui le diffusa en Beauce et en Brie. C'est le moment où Louis de Vilmorin (1816-1860) réalise ses premiers travaux généalogiques sur le blé afin d'obtenir des lignées pures (variétés qui se conservent d'une génération à l'autre). Il obtient une première variété le dattel, croisement de deux variétés de blé anglais, (Chiddam et Prince Albert). Les variétés Vilmorin resteront une référence jusqu'au milieu du XXe siècle.

A la fin de la guerre 1939-1945, on réalise de nouveaux géniteurs pour obtenir des variétés plus résistantes au froid et aux maladies, grâce aux recherches conduites par des chercheurs comme, Emile Schribaux et Charles Crépin. Un autre chercheur, Jacques de Vilmorin, (petit fils de Louis) avait déjà fait, bien avant la guerre, des recherches sur la qualité boulangère des blés. A partir de 1960, les obtenteurs utilisent des variétés de toutes origines et notamment en provenance d'Asie pour sélectionner des gênes intéressants, comme ceux pour les blés à paille courte.

.            Depuis les années 1960, les rendements à l'hectare ont plus que triplé pour les blés tendres, comme pour les blés durs, grâce aux sélections qui en permanences font évoluer les variétés. Couramment de nos jours, les rendements sont d'environ 75 quintaux à l'hectare pour les blés tendres ou durs.

Début du XXI° siècle, la production annuelle est passée de 600 millions à 800 millions de tonnes, et, en même temps, il y a eu un doublement du commerce (200 millions de tonnes désormais par an, en 2022). Une année sur deux, la consommation dépasse la production. Pendant cette période, la Russie et l’Ukraine sont les seuls pays à avoir augmenté leur production de blé, qui est de bonne qualité et très compétitive. Le marché mondial s’est donc naturellement polarisé autour de la mer Noire. Du moins jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022. Depuis l’exportation des céréales ukrainiennes est sujette aux accords entre belligérants.

.            Les superficies mondiales de blé couvrent 220 millions d’hectares, soit 1/8 de toutes les terres cultivées à comparer aux 165 millions pour le riz. Cela n’équivaut qu’à 4 fois la superficie de la France. Les surfaces emblavées n’ont pas augmenté depuis 50 ans. Ce sont les rendements qui ont progressé.

Globalement, huit pays font 80 % des exportations mondiales de blé, dont le commerce transite à 80 % par la mer. La Chine est le premier producteur mondial et le troisième importateur. On estime que près des deux tiers des stocks mondiaux de céréales sont en Chine. Sans elle, la planète ne dispose que d’un mois et demi de stock pour le blé.

Le commerce mondial du blé (2020)

Le pain, une longue histoire sociale et politique

.            Le pain fait partie de la nourriture de base de l’homme depuis que ce dernier a compris l’intérêt de la culture et de la sédentarisation. La domestication d’espèces végétales à intérêt alimentaire, dont font partie les céréales panifiables, marque une double rupture démographique importante : la densification et la sédentarisation. Le pain est le symbole de ces évolutions majeures.

Selon l’historien espagnol Benigno Cacérès, toute l’histoire de l’humanité serait comme « rythmée par la production des céréales panifiables : des révoltes, des guerres, des conquêtes se sont déclenchées à cause du pain. Objet de pouvoir, il sera vite réglementé : son poids, son prix, ses ingrédients et bien sûr l’organisation de la profession de boulanger. Mais avant le boulanger, il y a le meunier et les paysans : c’est toute une architecture sociale qui repose sur la protection et la commercialisation du pain ».

.            Pour obtenir du pain, il faut trois composants dont l’action est complémentaire et indissociable : l’amidon qui fournit les sucres ; le gluten qui assure la cohésion de l’ensemble ; et enfin la levure qui produit la levée et l’allègement de la pâte. Cette association se fait à partir de trois ingrédients : la farine (issue de céréales panifiables – blé tendre (froment), épeautre ou seigle), l’eau, et en général, le sel, ajouté pour ses propriétés gustatives.

Une gravure de boulangers en train de faire du pain, en 1875, en France.• Crédits : Getty

De la cueillette à la culture

            Les recherches récentes sur les restes d’un foyer sur le site Shubayqa 1 en Jordanie montrent que du pain avait été produit il y a 14.400 ans, quatre millénaires avant le début de l’agriculture. Si l’exploitation des céréales n’est pas courante à cette époque, il semble que la préparation et la consommation de produits semblables au pain (aliments à base de racines par exemple) précédent bien d’au moins 4.000 ans l’émergence de l’agriculture.

Sur le célèbre site néolithique de Çatalhöyük en Turquie, une miche de pain, étonnamment conservée a été découverte au fond d'un ancien four. De forme ronde, de la taille d'une main et d'aspect spongieux, orge, blé et pois broyés y sont présents. Cette pâte fermentée n'a pas été cuite. Sa datation révèle qu’elle aurait été façonnée il y a 8.600 ans, ce qui en fait le plus vieux pain connu et retrouvé à ce jour !

Cependant, les repas à base de céréales, comme le pain, ne deviennent des aliments de base que lorsque, semble-t-il, s’établit l’agriculture fondée sur la culture des céréales, d’abord dans le « Croissant fertile », en Mésopotamie au Moyen-Orient, puis dans d’autres régions dont l’Europe. C’est au cours de cette période appelée « Révolution néolithique », il y a de cela 100.000 à 5.000 ans, que l’homme commence à gérer la production de son environnement et qu’il passe de chasseur/cueilleur à cultivateur.

.            La première série d’innovations en lien avec le pain concerne donc d’abord ce passage de la cueillette vers la culture : l’innovation est autant sociétale – puisqu’il s’agit de passer d’un mode de vie itinérant en fonction des stocks de nourriture à un mode de vie sédentaire autour d’une culture – que technique (domestiquer des variétés, préparer le sol, semer, récolter, et conserver les grains). Avant le pain, et donc le blé, des graminées sauvages ont été remarquées par les peuples nomades en quête d'éléments à stocker. Consommant d’abord des grains crus, ils en firent ensuite une farine tamisée à la main qu’ils consommèrent d’abord en bouillies, une préparation « très simple, facile et prompte » mais donnant un mets « peu appétissant, qui empâte et affadit l’estomac. » Puis ils confectionnèrent des galettes en les chauffant … A moins que les galettes aient précédé les bouillies ? En effet la galette dominait avant l’arrivée de la poterie, vers -6400. Et la bouillie aurait ensuite pris le dessus sur la galette avec la généralisation de la poterie qui facilite grandement la cuisson des céréales en milieu humide.

Pour réaliser une galette, il faut une pâte faite de farine et d’eau cuite à la chaleur directe, donc des céréales, de l’intérêt pour ces céréales, une meule pour réaliser la farine, de l’eau et la technique de cuisson sur pierre chauffée. Tout ceci était disponible depuis environ -17000 au Proche-Orient, avant même le développement de l’agriculture.

La plus ancienne galette confirmée par l’archéologique ne date que du IXe millénaire avant notre ère (site de Jerf el Ahmar) et n’est pas à base de céréales, mais bien à base d’une graine d’une brassicacée proche de la moutarde. Néanmoins, on peut affirmer que les populations du Moyen Euphrate du IXe millénaire avant notre ère maîtrisaient les techniques nécessaires à la fabrication de galettes, à savoir la mouture, le pétrissage et la cuisson sur des pierres chauffées.

            Pour avoir du pain levé, il faut un grain riche en gluten, qui donne à la pâte la propriété élastique indispensable pour permettre la levée. Cette céréale, c’est, entre autres, le blé tendre, qui est apparu à la suite de quelques croisements, au cours du VIIIe millénaire avant notre ère au Proche-Orient. Mais aucun mode de cuisson approprié au pain levé n’existait à ce moment.

.            Ces premières évolutions se poursuivent avec une seconde série d’innovations technologiques déterminantes, qui conduit l’humanité à savoir extraire la farine et à la transformer en pain. Les techniques de transformation du blé permettent progressivement d’améliorer le produit. Les céréales sauvages, ancêtres du blé domestiqué (orge, millet et seigle d’abord, puis épeautre et blé) sont brisées, décortiquées, écrasées, moulues à la main, tamisées puis mélangées à de l’eau et cuites sur des braises ou des pierres chaudes. La place des céréales dans l’alimentation n’a de cesse d’augmenter. Cependant, la galette et le pain n’ont pas totalement évincé la bouillie. Ainsi la fromentée, bouillie de froment qui accompagne le gibier sur les tables de l’aristocratie médiévale, sera encore présente en France dans la première moitié du XVIe siècle.

L’Antiquité découvre et généralise le pain

.            Le plus ancien pain levé confirmé par l’archéologie date de -3700 et a été retrouvé en Suisse.

.            Historiquement, c’est au hasard qu’est le plus souvent attribué l’invention du pain par les Égyptiens : de la pâte sans levain (eau, lait et farine d’orge et de millet) aurait été oubliée au soleil, se serait « gâtée » (fermentée), mais aurait été cuite malgré tout. Mais cette histoire est beaucoup trop simplificatrice et relève en réalité d’un mythe.

.            Devenue grenier à blé grâce à ses inondations régulières, la région favorise le développement de cette nouvelle habitude culinaire au point que ses habitants sont surnommés les « mangeurs de pain » (Hécatée de Milet) ! D'ailleurs ne dit-on pas que le mot « pyramide » lui-même (« pâte cuite ») viendrait de la forme conique d'une galette offerte aux morts ?

Modèle de boulangerie et de brasserie, Provenance indéterminée (Égypte), Moyen Empire (2033-1710 av. J.-C.), © Musée Dobrée.

.            Ainsi les Egyptiens auraient découvert le pain avec levain et les effets « magiques » de la fermentation. Pour réaliser ce pain, ils prennent soin d’ajouter un morceau de pâte restant de la veille au mélange de grains moulus et d’eau. Ces « pâtes mères » sont d’ailleurs considérées comme des objets sacrés d’origine presque surnaturelle dans les maisons égyptiennes.

.            Les Hébreux l'adoptent lors de leur exil en Égypte avant de lui offrir une place centrale dans la Bible : il est la « manne » que Dieu leur envoie pendant l'Exode, et se doit d'être azyme, non levé, pendant les fêtes de la Pâque, en souvenir de leur fuite précipitée devant les troupes de Pharaon.

.            Ces savoir-faire sont ensuite transmis aux Grecs. Sa préparation y reste essentiellement une affaire de femmes, souvent des esclaves, qui peuvent en confectionner à la cuisine pas moins d'une trentaine de variétés, comme l'évoque l'ouvrage L’Art de faire le pain de Chrysippe de Thyane (Ier siècle). Ce tout premier traité montre que, déjà, on ne plaisante pas avec le pain ! Les autorités elles aussi l'ont bien compris et surveillent de près les arrivées de céréales que la Grèce, peu propice à la culture du blé, doit importer, notamment de la région du Pont (autour de la mer d'Azov). Au Pirée, des fonctionnaires sont là pour contrôler ces approvisionnements et éviter toute pénurie. Le peuple ne l'accepterait pas ! Le pain auquel sont associées des significations religieuses importantes, est désormais un enjeu politique et géopolitique à ne pas négliger.

Bien vite, il existera plus de 70 variétés de pain et on utilise, pour faire lever la pâte, des levures issues du vin et conservées dans des amphores. Vers le début du Ve siècle av. J.-C., les Grecs inventent le moulin à trémie d’Olynthe, allégeant ainsi le travail des meuniers. Surtout, ils développent le métier de boulanger, qui bénéficie alors d’un grand prestige : chaque ville a un four public, un four préchauffé, s'ouvrant de face, qui va faire la fortune des boulangers.

Schéma de principe d'un moulin à trémie d'Olynthe. La meule mobile est déplacée à l'aide d'un levier articulé sur un pivot avec un mouvement de va-et-vient sur la meule dormante. 1 - Pivot 2 - Levier (manche) 3 - Meule courante 4 - Meule gisante (ou dormante) 5 - Support (table). / "Four à pain, Figurine de Tanagra, VIe siècle av. J.-C.

.            À l’époque de l’Empire romain, l’empereur doit garantir l’accès au pain pour la population, qui est devenu l’aliment de base d’une grande partie de celle-ci. Octave (-33), en s’appropriant les greniers à blé de l'Afrique du Nord et de l'Égypte de Cléopâtre, pays qui à lui seul représente 1/3 de l'approvisionnement, marque l'importance prise par le pain et y gagnera la paix sociale et sa couronne d'empereur : panem et circenses (du pain et des jeux !), la célèbre formule de Juvénal (65/128) critiquant les supposées priorités du peuple romain au temps de Néron (37/68).

Plusieurs innovations techniques et organisationnelles ont lieu durant cette période : les Romains reprennent le mode de fabrication grec à base de levure provenant du moût de vendange, et perfectionnent le pétrissage. Ils améliorent le système des moulins en 100 av. J.-C. en utilisant la force de l’eau : de grosses roues plongées dans le courant actionnent les meules et viennent remplacer les esclaves. Un collège de meuniers-boulangers ainsi que de grandes meuneries-boulangeries voient le jour dans la cité. À cette époque, la capitale romaine ne compte pas moins de 320 boulangeries tenues pour l'essentiel par des affranchis grecs qui ont apporté leur savoir-faire et l'ont partagé avec les Gaulois, devenus à leur tour des mitrons renommés.

Les boulangers forment alors une véritable caste. Fonctionnaires, ils sont indispensables pour assurer la distribution gratuite de pain prévue par l'État nourricier pour les milliers d'indigents que compte la ville.

Fresque représentant un morceau de pain et deux figues, provenant de Pompéi, Musée archéologique national de Naples.

Fresque de Pompéi représentant une distribution de pain, sans doute à des fins de propagande politique ©Marie-Lan Nguyen - Pain carbonisé retrouvé à Pompéi. Musée de Naples ©AlMare

Les plus riches mangent des pains de farine blanche, les pauvres un pain de farine et de son, les esclaves du pain d’orge. Le gradilis est un pain distribué aux gens pendant les jeux dans les amphithéâtres, pour honorer la promesse de distribuer le pain et le plaisir aux gens. Il arrive qu’il soit distribué gratuitement à la population pauvre de Rome pour éviter les émeutes.

.            C'est à partir de Bethléem, littéralement « la maison du pain », que cet aliment va acquérir une symbolique religieuse de premier plan. Déjà cité dans la Genèse pour évoquer la nourriture de subsistance (« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »), il réapparaît dans le Nouveau Testament (le « pain vivant ») comme moyen pour Dieu de se faire connaître en éloignant la faim : c'est le cas lors de la multiplication des petits pains, épisode qui permet également d'identifier Jésus au Messie.

.            Le pain est ainsi ici synonyme de partage, de communion, comme le rappelle l'étymologie de nos « copain » et « compagnon » (du latin cum panis, celui avec qui on partage le pain) : en donnant à autrui ne serait-ce qu'un quignon, on accepte de se priver afin de lui offrir la nourriture, la vie. C'est ainsi que pendant longtemps on a distribué aux plus pauvres « le pain des morts » après des obsèques. Notre « pain quotidien » sollicité dans le « Notre-Père » reste bien de nos jours un aliment à part.

Geste de fraternité traditionnel, rompre le pain devient lors de la Cène l'évocation de la mort prochaine de Jésus mais aussi l'image de l'unité de l'Église qui va naître (« Nous avons tous part à un seul pain », dira saint Paul). Il en découlera la cérémonie de l'eucharistie qui propose aux fidèles de célébrer le sacrifice du Christ en recevant l'hostie (« Ceci est mon corps »), d'abord simple morceau de pain apporté par chaque participant avant d'être remplacé vers l'an 1000 chez les catholiques par le pain azyme, certainement pour se rapprocher des rites juifs de l'antiquité. Fort de cette symbolique, notre « pain quotidien » sollicité dans le « Notre-Père » reste bien de nos jours un aliment à part. Qui a déjà vu un pain posé à l'envers sur une table ? Il sera aussitôt retourné, par marque de respect !

Le "schisme d'Orient", une querelle de pain ?

Le 16 juillet 1054 une querelle entre Michel Cérulaire, le patriarche de Constantinople, et Léon IX, le pape de Rome, aboutit à des excommunications réciproques.

Une histoire de pain ? Pour la consécration de l'Eucharistie, les chrétiens d'Occident utilisaient l'hostie, fabriquée avec du pain azyme, un pain ancien qui n'est pas levé sous l'effet du levain car il est uniquement constitué d'eau et de farine pétries ensemble. C'est ce même pain que les Juifs font cuire durant la fête de Pessa'h (la Pâque juive), en souvenir de leurs ancêtres qui se nourrirent de pain sans levain dans leur hâte à quitter l'Égypte, où ils étaient retenus en esclavage.

Jusqu'au Xe siècle, le patriarche de Constantinople conserva une forte influence en Italie du Sud, mais lorsque les Francs et les Normands s'installèrent dans cette partie de la péninsule, la Papauté tenta de renforcer son autorité spirituelle en y implantant le rite latin au détriment du rite grec.

Le patriarche de Constantinople ne pouvait pas admettre que le pape impose aux chrétiens le pain azyme car dans le rite grec on utilisait du pain levé. C'est cette divergence sur la façon de faire le pain qui aurait alimenté les échanges injurieux entre les deux hommes. La preuve figure dans une lettre du patriarche de Constantinople annonçant la stratégie qu'il comptait développer pour triompher du rituel latin.

Toutefois, à la fin du XIe siècle, il n'était pas encore question de schisme. C'est bien la chute de Constantinople, d'abord aux mains des Croisés en 1204, puis des Turcs en 1453, qui fut le facteur décisif dans la séparation entre les chrétiens catholiques et orthodoxes.

Au Moyen Âge, les premières réglementations

.           La fin de la domination romaine est aussi, pour un temps, la fin du pain puisque les Barbares, plus intéressés par les armes que par le blé, lui préfèrent bouillies et galettes cuites sous la cendre. Il faudra attendre l'essor de la féodalité et la période de paix qui suit l'arrivée des Capétiens (Xe siècle) pour que le pain revienne au premier plan.

.            Au Moyen Âge, avec les progrès agricoles et la multiplication des moulins, la place du pain prend encore plus d’importance dans l’alimentation. Noir pour le peuple ou de pape pour les plus riches, il s'impose aussi sous la forme de tranchoirs (ou napperons), sortes d'épaisses tartines sur lesquelles on dispose les aliments.

.            Dans les villes, dès le VIe siècle, les premières boulangeries publiques ouvrent : les « talemeliers » vendent toutes sortes de pains et de tourtes, souvent à destination des plus aisés. Cuire son pain est un privilège et requiert des instruments techniques : le four à pain, ou four banal, appartient au seigneur local, et il convient de s’acquitter d’une taxe, le ban, pour l’utiliser.

Devenu cet aliment de base qui a la capacité d'accompagner presque tous types de plat, pas étonnant que dès les années 630, on trouve les premiers écrits concernant la réglementation de la vente et du pesage du pain, qui est attribuée à Dagobert. Les boulangeries se situaient dans les cours royales, les villes fortifiées et les abbayes. Le talemelier s’occupe de l’ensemble des opérations, de l’approvisionnement, depuis l’achat des céréales, la plupart du temps du seigle, jusqu’à la vente à l’ouvroir (fenêtre-comptoir de la boutique).

Quand on sait que le riz, produit d’importation, n’est mentionné dans quelques rares écrits qu’à partir de 1393 et que la pomme de terre n’arrive en Europe qu’au XVI° siècle en même temps que les pâtes après le mariage de Catherine de Médicis avec Henri II, on n’est pas surpris que la ration quotidienne, en ville comme à la campagne, soit de l’ordre de 1 kg par jour au milieu du XIVe siècle. . A mesure que les techniques évoluaient, à partir du XIe siècle, le pain, sous forme de grosse miche ronde compacte et non salée, est devenu la base de l’alimentation. Et ce d’autant plus que l’expansion du christianisme avait conféré au pain un caractère rituel.

.            Sous Philippe-Auguste (1180/1223), les anciens talemeliers (devenus « boulangers ») peuvent enfin quitter les faubourgs où ils avaient été relégués par crainte des incendies. C'est alors une profession qui prend place au coeur de la société, sans pour autant jouir du prestige d'autres corporations, comme les bouchers, par exemple. Il faut dire que lorsqu'il n'y a plus un croûton sur les tables, ils sont les premiers à être accusés de profiter de la situation, passant du statut de bienfaiteurs à celui de boucs émissaires.

.            Au fur et à mesure que le pouvoir royal se renforce, la qualité, le prix et le contrôle du pain, aliment de base de la population, sont soumis à de nombreuses règles édictées par l’État. Toutes les étapes de sa fabrication : emplacement du four, qualité de la farine, temps de cuisson, poids... Rien n'est laissé au hasard. En 1217, le boulanger doit obtenir une autorisation du roi pour exercer. En 1268, à Paris, le roi Louis IX charge le prévôt Etienne Boileau de réorganiser les corporations d'arts et métiers, au rang desquels les boulangeries. Il rédige son Livre des Métiers, où il indique en particulier que l’apprentissage du métier de « talemelier » dure cinq ans à partir de l’âge de quatorze ans ; au moment de devenir patron, il doit être en mesure d’acheter un fonds de commerce et de payer régulièrement les taxes en usage.

Le Livre des Métiers fixe également les premières véritables législations autour du pain. Sont inscrites les règles encadrant la création du pain : plusieurs qualités officielles de pain sont indexées (du plus blanc, le meilleur, au plus noir, de moins bonne qualité) et leurs prix sont fixés ; des procédures de contrôles sont également mises en place. En 1260, la corporation des boulangers voit le jour à Paris, qui poursuit la réglementation.

Devenu cet aliment de base qui a la capacité d'accompagner presque tous types de plat, près d'un kilo de pain par jour et par personne est consommé au milieu du XIVe siècle ! Mais cuire son pain est un privilège et requiert des instruments techniques : le four à pain, ou four banal, appartient au seigneur local, et il convient de s’acquitter d’une taxe, le ban, pour l’utiliser.

Le pain, sous l’égide de la royauté

.            Les autorités royales successives ont bien compris que l’approvisionnement en blé des cités était un élément indissociable de la paix sociale. Ainsi, en 1366, par l’ordonnance du 12 mars, Charles V décide que les boulangers ne pourront faire de pains que du même poids, de la même farine et du même prix, fixé respectivement à deux et quatre deniers. Six ans plus tard, il décide que le prix du pain sera fixé à Paris, selon le cours du prix du blé. Les boulangers qui dérogeront aux règles établies, en changeant la qualité, le prix ou le poids, peuvent être sanctionnés par des amendes, voire des peines corporelles.

Désormais, le pain est un véritable indicateur de la bonne santé de la société. Dans un pays fragilisé par les guerres ou les intempéries, son absence se traduit vite en disettes meurtrières et en revendications à l'égard du souverain qui, père du peuple, se doit de nourrir les siens pour conserver son statut. Il faut donc traquer la fraude en multipliant surveillances et contraintes, politique qui mène en 1570 à la création d'une police du blé et du pain. Le consommateur est-il mécontent de son pain ? Il lui suffit de se plaindre à un officier en présentant son emplette sur laquelle le boulanger aura obligatoirement apposé ses initiales.

Il ne faut rien laisser au hasard dans cette société du XVIe siècle où les inégalités se font de plus en plus criantes entre bourgeois et petit peuple qui, s'ils cohabitent dans les mêmes villes, sont loin de partager le même pain. Pour les uns, ce sera le délicat pain de chapitre, au beurre et au sel lourdement taxé ; pour les autres, fera l'affaire un épais pain de blé non tamisé agrémenté de fèves ou châtaignes, soi-disant plus adapté aux ventres des travailleurs.

Et puis, en période de disette ou de famine, les boulangers ont bien souvent mauvaise réputation, et sont accusés de tricher ou de spéculer sur le pain, même si la boulangerie reste une activité très contrôlée par les autorités urbaines. Au cours des siècles suivants, la législation se durcira, mais le prix du pain restera fixé par les autorités royales.

Un boulanger devant son four à pain (1500-1550)• Crédits : Bibliothèque municipale de Toulouse

.            Si, dans notre pays majoritairement catholique, on récite depuis des siècles l'antienne « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien », c'est bien parce qu'il a manqué trop souvent, alors qu'il constituait la base même de la nourriture de nos compatriotes. Louis XIV faisait des repas pantagruéliques mais, pendant ce temps-là, les paysans mangeaient du pain sec ... quand il y en avait. Comme l'avait bien vu le peintre Le Nain, on a longtemps été content quand on pouvait manger régulièrement du pain avec un verre de vin. Partout où on pouvait faire pousser du blé, on en semait, et là où le blé ne venait pas on plantait de la vigne ou on mettait les bœufs à pâturer.

Repas de paysan, par Louis Le Nain, 1642. © Sammyday, wikimedia commons, DP

De la "Guerre des farines" au “Pain de Egalité”

.            Louis XIV comprendra vite la leçon : en 1661, alors qu'il fête sa prise de pouvoir après la mort de Mazarin, il n'hésite pas à faire installer des fours dans la cour du Louvre pour faire face à l'agitation des mères de famille qui ne peuvent nourrir leurs enfants.

Cette « famine de l'avènement » annonce les diverses « émeutes des ménagères » qui éclatent dès que le pain se fait rare dans les paniers. A la fin du siècle (1693-1694), la disette est telle que les boulangers sont obligés de protéger leurs produits derrière des grilles, et le vol d'une miche peut envoyer un affamé aux galères.

À peine 13 ans plus tard, c'est le « grand hiver » de 1709 qui voit le prix du pain multiplié par 8. Une épreuve qui n’empêchera pas Louis XV, en 1764, sur les conseils des économistes physiocrates, de décider de faire confiance au marché et ne plus régulariser les prix, du moins hors de Paris.

Mauvaise idée ! Les tarifs grimpent en flèche, le pain commence à manquer sur les marchés tandis que les rumeurs de spéculations de la part des « affameurs » s'amplifient. Et si, sous couvert de libéralisation du commerce des grains, certains en profitaient pour s'enrichir ? Les puissants et le roi lui-même sont mis en cause dans ce qui est baptisé « le pacte de famine ». On a beau déverser des sacs de farine au coin des rues, rien n'y fait. Tout le monde le dit : il faut des dents en or pour manger du pain à Paris ! L'émeute couve...

.            En 1773 et 1774, de mauvaises révoltes successives mettent à mal l'approvisionnement en céréales. Certaines régions sont excédentaires et d’autres victimes de la famine. Turgot, le contrôleur général des finances du roi Louis XVI, fervent partisan des théories libérales, décide le 13 septembre 1774 de la libéralisation du commerce des grains et supprime la police royale des grains.

En libéralisant leur commerce, Turgot espère que les grains vont circuler entre régions victimes de disettes et régions mieux approvisionnées. La spéculation aidant, il n’en sera rien : le prix du blé, et donc du pain, bondit. Un pain peut coûter jusqu’à 30 sous, soit 3 à 4 fois son prix habituel.

Des révoltes ne tardent pas à éclater ; parties de Dijon en 1775, elles remontent jusqu’à Paris. Des taxations spontanées et des pillages apparaissent dans les régions riches de stocks de céréales ; des dépôts et des boulangeries sont attaqués dans les villes. À Paris, cette « guerre des farines » se traduit par le rejet d'un pain médiocre, ce pain gris accusé de rendre malade. Pour faire rétablir l’ordre et mettre fin à la “guerre des farines”, Louis XVI fait mobiliser 25.000 soldats, mais fait surtout approvisionner les provinces en difficulté et impose aux propriétaires de stocks de grains de les vendre à des prix imposés …

Un boulanger prépare son pain. Scènes de genre - 1701-1788 • Crédits : P. Gallays - Gallica / BN

La flambée du prix du pain en 1789, a fait suite à plusieurs récoltes successives très mauvaises, conséquence des effets climatiques dus à l'explosion du volcan Islandais Laki (une des plus importantes éruptions laviques des temps historiques, commencée en 1783). De l’avis des historiens, la Guerre des farines fut l’une des causes directes de la Révolution française. La question du pain était devenue brûlante, une affaire d’Etat : quand le peuple obligea le roi Louis XVI et sa famille à quitter Versailles pour revenir à Paris, le 6 octobre 1789, il cria d’ailleurs : « Nous ne manquerons plus de pain ! Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron ! »

.            La révolution n’épargnera pas les boulangers, qui de tout temps ont fait les frais d’accusations dès lors que des pénuries survenaient. En 1789, soupçonnés de ne pas vendre le pain équitablement, certains d’entre eux sont condamnés, tel le boulanger Jean-Claude Gaultilt, qui est accusé dans un document de la maison d’arrêt de la conciergerie, où il a été écroué, “d’avoir laissé moisir du pain chez lui”, en lieu et place d’en avoir fait don aux plus démunis !

Ordre d'écrouer à la Conciergerie le nommé Jean Claude Gaultier, boulanger, 21 décembre 179.• Crédits : Collection De Vinck / BNF / Gallica

.            La loi Allarde, votée par l'Assemblée constituante en 1791, a proscrit les corporations de métiers, boulangers compris : chacun a dorénavant le droit d'exercer le métier qui lui convient, à condition de payer une patente. Le prix du pain est maintenant fixé par quatre boulangers, choisis en présence du Préfet de Police, en fonction du prix de la farine. (En 1813, Napoléon rétablira le corporatisme).

Au sortir de la révolution, le 15 novembre 1793, un décret est promulgué par la Convention qui impose pendant un temps un pain unique, le “Pain Egalité”, à forte teneur en son, et composé d'un mélange de trois quarts de froment et d'un quart de seigle : La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l'égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. Tous les boulangers seront tenus, sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain : le Pain Égalité ”.

.            La même année, le four banal, toujours en usage dans les campagnes, devient un four communal, en conservant néanmoins le système de taxe. Les grandes fermes sont cependant autorisées à avoir leur propre four.

.            Finalement, avec le retour de la stabilité et l’abolition des corporations, le nombre de boulangeries explose à la fin du XVIIIe siècle tandis que le pain blanc devient majoritaire, au point de faire dire à un Goethe amusé : « Hier encore, j'ai rencontré dans un bourg allemand du pain noir et des filles blondes et aujourd'hui, du côté français, les filles sont brunes et le pain blanc » ! C'est sous cette forme que les soldats de Napoléon, au gré des campagnes militaires, vont diffuser à travers l'Europe le bon pain à la française.

"Paysanne enfournant son pain", 1854.• Crédits : Jean-François Millet

L’ère industrielle

.            Ce n'est qu'au 18ème siècle, grâce à la ténacité et l'ingéniosité d'Antoine-Augustin Parmentier, pharmacien aux armées, que les qualités de la pomme de terre (introduite à Saint-Alban d'Ay, en Ardèche en 1540, par Olivier de Serres, sous le nom de "cartoufle"), seront enfin reconnues. Si Parmentier est si favorablement connu dans notre imaginaire, c'est qu'il a réussi à convaincre de manger du pain et … des pommes de terre, ce qui a diminué famines et disettes, car les mauvaises années pour le blé n'étaient pas nécessairement les mauvaises années pour la pomme de terre. L'Empereur qui a bien conscience de l'importance de mettre à disposition des foules un pain de qualité, fait appel à Parmentier, un des spécialistes de la question, et créateur d'une première École de la boulangerie, gratuite, le 08 juin 1780.

Le métier de boulanger, en 1847.• Crédits : Jean Frédéric Wentzel - Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

De fait, en raison des fréquentes mauvaises récoltes le pain manquait trop souvent, et la France après avoir connu 11 disettes au XVIIe siècle, puis 16 au XVIIIe, dut encore en affronter 10 encore au XIXe.

Mais après 1850, grâce à la diffusion de ce nouvel aliment de base qu’est devenue la pomme de terre, et aux progrès de l'agriculture et des moyens de transport, les grandes disettes disparaissent, et avec elles les barreaux aux fenêtres des boulangeries qui n'hésitent plus à se faire une beauté pour attirer le chaland ! Dans le même temps, les porteurs de pain se multiplient pour livrer à domicile ceux qui craignent de ne pas avoir leur ration quotidienne de 900 grammes.

Le pain, à base de farine de froment, levain, sel et eau, a encore l'aspect d'une grosse boule ronde. En 1856, Napoléon III tente de réglementer la taille et le poids du pain : 40 cm et 300 g environ. Mais il n'y réussit guère et l'on continuera jusqu'à la fin du XXe siècle, dans nos campagnes, de faire honneur à la miche d'un kilo à la croute craquante et à la mie épaisse

La première tournée de pain après la guerre,1919. Musée franco-américain de Blérancourt.

Les Français à l’heure du rationnement, une pratique qui a survécu quatre ans à la fin de la guerre. © Eklablog, Google Images

.           Pourtant, des critiques commencent à apparaître L'hygiène devient en effet un sujet d'inquiétude, même si certains continuent à penser que la sueur du mitron est indispensable pour donner du goût !

Finalement c'est la Grande Guerre qui va remplacer les ouvriers des boulangeries partis sur le front, par des pétrins mécaniques. Cette modernisation, associée à l'emploi de la levure industrielle, permet enfin d'adoucir le dur métier de boulanger en réduisant le travail de nuit. Peu à peu, le pain se démocratisera et l’industrialisation achèvera de rendre le pain blanc, façonné avec du blé, accessible à tous, après avoir été jusqu’ici l’apanage des plus aisés.

Cependant, une des conséquences inattendues de la Première Guerre mondiale est la réduction de la consommation de pain, non par rationnement puisque les autorités ont pris soin de toujours approvisionner leurs troupes, mais en changeant les habitudes : fini la soupe du matin où l'on trempait sa tartine, désormais les paysans lui préfèrent un bon café. La situation sera bien différente pendant l'Occupation où l'impossibilité d'importer des céréales signe le retour du pain noir dans les villes. On rêve de la baguette, cette star des années 30 qui fait son grand retour après 1950.

Mais c'est la décadence : désormais le pain n'est plus qu'un produit d'accompagnement que l'on n'hésite pas, pour la première fois, … à jeter à la fin du repas. D'ailleurs, ne dit-on pas à présent « gagner son bifteck » et non plus « sa croûte » ?

Les années 1970 voient l'émergence de la grande distribution et le triomphe de la civilisation consumériste. Grandes surfaces et dépôts de pain distribuent des baguettes à bas coût, fabriquées dans des installations industrielles. Un boulanger indépendant se signale en 1976 à l'attention des médias en lançant la baguette à 1 franc, un prix très en-dessous du prix courant. Chacun y voit une concurrence déloyale. Le pain traditionnel se voit menacé par des ersatz insipides, avec des additifs chimiques et des farines sélectionnées pour un pétrin rapide. Et voilà qu'il est même soupçonné de nuire à la santé, si l'on en croit certains nutritionnistes !

Le prix du pain restera encadré jusqu’en 1978, avant qu’un arrêté du gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing ne le “libère”. Cet arrêté se traduira par une augmentation de 8 à 10 % du prix du pain. La liberté du prix du pain restera cependant contrôlée par une série de dispositifs (prix plafonds, blocage des prix, accords de modérations, etc.) jusqu’au 1er janvier 1987 où l’ordonnance n° 86-1243 relative à la liberté des prix et de la concurrence libérera le prix du pain, une ordonnance toujours en vigueur à ce jour.

Face à la mobilisation des professionnels, la « boulange » se mobilisant et jouant la carte de la qualité, pour revendiquer un pain « à l'ancienne », le 13 septembre 1993, est promulgué le « décret pain ». Il encadre la fabrication de la baguette de « tradition française » en exigeant qu'elle ne soit fabriquée qu’avec les ingrédients suivants : farine de blé, eau, levure et/ou levain, sel, et sans autres additifs que trois adjuvants autorisés, soit au maximum 2% de farine de fèves, 0,5% de farine de soja, 0,3% de farine de malt de blé (le gluten n’est pas considéré comme un adjuvant). Une autre contrainte a été d’en écarter la fabrication industrielle en interdisant la congélation ou la surgélation.

Le décret est complété par une loi, le 25 mai 1998, qui réserve l'appellation de « boulangerie » aux professionnels qui assurent eux-mêmes, à partir de matières premières choisies, le pétrissage de la pâte, sa fermentation et sa mise en forme ainsi que la cuisson du pain sur le lieu de vente au consommateur final.

Aujourd'hui, les files d'attente devant les boutiques montrent à quel point le pays reste profondément attaché à « son » pain, au point même d'imposer des tours de garde des boulangers pendant l'été !

À la sueur de son front...

S'il y a bien une profession considérée comme contraignante et physiquement pénible, c'est celle de boulanger. Il faut dire que pour faire du pain, il a longtemps fallu jouer des muscles : il fallait bien commencer par broyer le blé, tâche d'abord réservée aux femmes avant que le métier se masculinise dès l'Antiquité.

À Rome, nos artisans étaient donc des meuniers, des pileurs de blé (« pistores »). L'invention par les Romains de la traction animale puis hydraulique améliore les conditions de travail avant que les métiers de meunier et « talemelier » ne se séparent au Moyen Âge. Reste l'étape du pétrissage à bras, tellement épuisante que celui qui en est chargé est surnommé le « geindre ».

Travaillant 14 à 18 heures, essentiellement de nuit, dans des sous-sols rendus brûlants par la chaleur du four et d'où les poussières de farine peinent à s'évacuer, les boulangers étaient de surcroît mal vus par la population qui craignaient incendies, spéculations et empoisonnements.

Si les débuts de la mécanisation n’ont guère changé leur sort, la modernisation du métier a suivi son cours et aujourd'hui le boulanger jongle entre diversifications, marketing et nouvelles technologies.

La tartine

.            Le mot « tartine », une tranche de pain potentiellement beurrée, est relativement récent et ne date que de la fin du XVIe siècle. Il fait alors partie du jargon populaire, car, pour certains, le fait d’ajouter du beurre sur le pain est une péjoration de la brioche pour laquelle le beurre est mélangé à la pâte. La brioche est alors l’ordinaire à la Cour, d’où la fameuse phrase (faussement ?) attribuée à Marie-Antoinette – « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ».

Une des premières images connues de la tartine remonte au XVIe siècle. Il s’agit du Repas de noces, une peinture de Pieter Brueghel l’Ancien qui représente un repas réunissant des paysans dans une salle bondée

Le Repas de noce, de Pieter Brueghel l’Ancien (XVIᵉ s.) montre la plus vieille représentation de tartine connue, avec l’enfant au premier plan en train de l’émietter et de lécher son index. Pieter Brueghel l’Ancien

L’ancêtre de la tartine est la « rôtie », soit une tranche de pain rôtie ou frite qui accompagnait les soupes et les ragoûts et les rôtis. C’est de là que vient le mot anglais toast (traduction de tartine), venant lui-même de l’ancien français « toster » ou « rotir ». Porter un toast renvoie à la coutume qui voulait que l’on trempe la rôtie dans une coupe de vin avant de boire à la santé d’un convive. Ce n’est qu’au XXe siècle que la tartine s’imposera dans la langue de tous les jours … Jusqu’à devenir aujourd’hui un incontournable, …  élevé par certains chefs au rang de mets gastronomique.

La baguette

.           A l'étranger, le cliché a la peau dure. Ceux qui ne connaissent la France que par ses cartes postales pensent réellement que s'ils venaient visiter notre capitale, ils croiseraient dans la rue, des Parisiens habillés d’une marinière et coiffés de bérets avec une baguette fraîche sous le bras. Et les boulangers français participent à entretenir cette image, qui font preuve « d’un savoir-faire, et d’un tour de main particulier qui impliquent une solide formation et une grande expérience ». Quoi qu'il en soit, en France, la baguette, c'est LA tradition !

.            Certains racontent qu'elle serait née au temps des boulangers de Napoléon : longue, mince, plus légère et moins volumineuse que la miche traditionnelle, de forme allongée (65 cm) la baguette aurait été plus facile à transporter dans les paquetages des soldats, très sollicités durant cette période.

Selon une autre source, c’est un boulanger autrichien, August Zang, qui aurait introduit la baguette en France. En 1839, il ouvrait une boulangerie viennoise à Paris, la première du genre avec le premier four à vapeur de France, une technologie permettant de produire des pains plus aérés et croustillants. Ce commerce, installé au 92 rue de Richelieu, est à l’origine de ce que l’on appelle encore aujourd’hui le pain viennois, mais a également fait découvrir aux Parisiens le kipferl, un pain traditionnel venu d’Europe Centrale et de l’Est, précurseur de notre fameux croissant. Il y aurait aussi vendu des pains de forme ovale allongée, plutôt que ronde, comme ceux que l’on trouvait alors en Autriche.

En 1856, Napoléon III tente de réglementer la taille et le poids du pain : 40 cm et 300 g environ ; mais il n'y réussira guère. Sous la IIIe République, lors de la construction du métro parisien, l'ingénieur Fulgence Bienvenüe s'irrite des bagarres incessantes entre ouvriers déplacés (entre autres Bretons et Auvergnats) qui se terminent souvent à l’arme blanche. Il décide d'interdire les couteaux sur le chantier. Le couteau ayant pour principale utilité (en-dehors des bagarres) de couper le gros pain brun, rond et dense, l'ingénieur commande à un boulanger des pains allongés, de même poids, qui se coupent à la main. C'est ainsi que serait née à la Belle Époque la baguette parisienne.

Il vaut peut-être mieux y voir l'influence d'un pain très long, parfois de 2 mètres, apprécié au XIXe siècle parce que « plus commode que celui de forme ronde à mettre au four ».

Une parisienne portant sa baguette de 2 m (et 6 bouteilles de vin rouge !) - 1945

Et puis, c’est un pain qui est fascinant justement par sa ”forme phallique” (Steven Kaplan, historien spécialiste du pain), et aussi plus facile à confectionner que des miches rustiques.

.           La fabrication du pain était laborieuse et pénible pour les artisans. Marx n’avait-il pas dit que les boulangers étaient comme des « mineurs blancs », avec un travail épuisant, à longueur de nuit. En 1919, une loi interdit aux boulangers de travailler entre 22 heures et 4 heures du matin. Or la demande en pain évolue à cette période ; les bourgeois prennent l’habitude de consommer et d’acheter du pain frais plusieurs fois par jour, au lieu d’une grosse miche toutes les semaines. Les boulangers ne pouvaient donc plus proposer aux citadins aisés du pain frais pour leur petit déjeuner, les miches traditionnelles étant longues à cuire. Les artisans trouvent alors une nouvelle manière de faire du pain, plus rapide, réclamant moins de temps de cuisson, mais aussi moins physique à préparer : la baguette, est préparée à base de levure et non plus de levain, ce qui nécessite moins de pétrissage et de temps de pousse. De plus sa forme mince et longiligne requiert, une cuisson de seulement 20 minutes.

.           La première occurrence du mot « baguette » remonte à 1904. Il apparaît dans le Manuel du boulanger et de pâtisserie boulangère d’Etienne Favrais qui y évoque des « pains dits baguettes de 200 g ». D'une longueur de 80 cm et d'un poids de 250 g, la baguette se diffuse dans toute la France entre les deux guerres mondiales (en 1922, un journal américain évoque déjà le « french stick »). C’est la conséquence d’une évolution de la demande urbaine. Les gens aisés en ville demandaient un pain frais plusieurs fois par jour ; et ils préféraient la croûte à la mie. Le grand pain qui faisait entre 1,2 et 2 kilos était simplement trop gros et devenait sec avant d’être terminé.

Sa popularité, chez les urbains, était faite ! La baguette sera la star des années 30 ; elle fera son grand retour après 1950 et la fin du rationnement. Son prix sera fixé par arrêté préfectoral jusque dans les années 1980 avant d'être laissé à la discrétion des boulangers.

Voici les différents types de baguettes que l’on est susceptible de trouver en boulangerie :

  1. La baguette classique (aussi appelée : baguette parisienne, baguette blanche). Bien cuite ou pas trop, pesant environ 250 g, on la trouve toujours à la boulangerie, où que l’on soit (et même à l’étranger).
  2. La baguette tradition (aussi appelée : baguette de campagne, baguette rustique). Formée à base de farine sans additifs et avec un temps de repos plus long, sa croûte est croustillante et sa mie plus aérée
  3. La ficelle. Plus courte, plus fine et moins lourde (environ 125 g), la ficelle est effilée, presque fragile. C’est en quelque sorte la petite sœur de la baguette classique, dont elle suit généralement le même procédé de fabrication.
  4. La flûte. Elle est deux fois plus grosse qu’une baguette classique (pesant parfois jusqu’à 400 g), sans nécessairement être plus longue.
  5. La baguette moulée. Sans grande différence avec la baguette classique, elle est cuite dans un moule qui lui donne un aspect plus homogène et régulier.
  6. La sarmentine. Originaire du Sud-Ouest de la France, elle se distingue par deux cornes à chacune de ses extrémités.
  7. La baguette épi. Elle ressemble à un épi de blé.
  8. Le pain bâtard. Il s’agit d’une confection à mi-chemin entre la baguette et le pain, généralement plus large et plus lourd que les autres types de baguettes.
  9. La viennoise. Sa texture se rapproche plus volontiers de celle de la brioche. Nettement plus sucrée que les autres baguettes.
  10. Les baguettes spéciales. On a ajouté des ingrédients à la recette traditionnelle farine-levure-sel-eau. Elles peuvent être parées de divers grains et céréales (avoine, sésame…) ou même de fruits et fruits à coque (raisins secs, noix…) voire du fromage. La créativité du boulanger.

.            Il se vend, début du XXI° siècle, 10 milliards de baguettes par an (27 millions par jour, 320 par seconde). Chaque français consomme 160 grammes de pain par jour, vendu à hauteur de 55% par les artisans-boulangers qui en assurent la fabrication et la vente. 12 millions de français franchissent le seuil d’une boulangerie chaque jour. La baguette : un véritable monument national, aussi connu mondialement que la Tour Eiffel ! Parfois appelée « baguette de Paris » et même « la Parisienne », ce pain long et croustillant, l’un des marqueurs essentiels de la gastronomie française, est entré au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO le 30 novembre 2022.

Evolutions techniques

.            Le pain et les céréales nécessaires à son élaboration ont été l’objet de très nombreuses innovations encouragées par sa place centrale dans l’alimentation et l’impact commercial de cette position : améliorer la production du pain et son goût, et accroître les rendements pour obtenir un excédent commercialisable. Jusqu’au Moyen-Age, les stocks et les produits transformés à partir de céréales (pain et bière) servaient en effet également de moyens de paiement.

.            À Rome, les artisans étaient des meuniers, des pileurs de blé (« pistores »), ou qui actionnaient la meule à bras. L'invention par les Romains de la traction animale puis hydraulique va améliorer les conditions de travail

.            Dès la Renaissance, le développement des sciences se traduit par à des avancées en matière de technologie meunière et boulangère. Apparus en France en 400 ap. J.-C., les moulins à eau se comptent par centaines de milliers dès le XIIIe siècle ; ils vont affecter la production de la farine. Les innovations vont conduire à une meilleure distribution des tâches (les métiers de meunier et talemelier se sépareront au Moyen Âge).

Reste l'étape du pétrissage à bras, tellement épuisante que celui qui en est chargé est surnommé le « geindre ». Le premier pétrin est inventé en 1751 et se perfectionne surtout au XIXe siècle, devenant mécanique en même temps que les machines à mouture se peaufinent. Parmentier ouvre la première école de boulangerie en 1780. Durant la Révolution française, le décret du 17 mars 1791 supprime les corporations et donne le droit aux boulangers d’exercer librement leur métier.

L’invention du microscope au XVIIe siècle bénéficie aux premiers travaux scientifiques applicables à la levure, et la fermentation par la levure de bière se développe. La production de pain se diversifie et on ne consomme plus de pains de pois, de fèves ou de glands sauf en période de disette. C’est en 1860, que Louis Pasteur identifie la levure comme le micro-organisme responsable de la fermentation alcoolique, et très rapidement ensuite à partir de 1867, la fabrication industrielle de la levure se développe.

Finalement c'est la Grande Guerre qui va remplacer les ouvriers des boulangeries, partis sur le front, par des pétrins mécaniques. Cette modernisation, associée à l'emploi de la levure industrielle, permet enfin d'adoucir le dur métier de boulanger en réduisant le travail de nuit.

Heudebert développe en 1903 en France un pain dont la recette sera utilisée durant la Première Guerre mondiale pour fabriquer les pains de longue conservation. La période d’après-guerre accélère l’utilisation de nouvelles techniques : le pétrin mécanique, puis le pétrin à deux vitesses, la panification directe à la levure, le façonnage mécanique, les premières diviseuses. Ces évolutions vont progressivement se traduire par une concentration de la production de farines autour de grands moulins même si la fabrication et la distribution de pain restent dominées par l’artisanat. Le système industriel est en place.

Faire son pain soi-même

Aujourd’hui, du point de vue du processus d’innovation, l’industrie agroalimentaire est paradoxale à plusieurs titres. Elle est considérée comme d’un faible niveau technologique, et pourtant les entreprises du secteur innovent au même titre que les entreprises des autres secteurs industriels. Et alors que le pain conserve une place de premier choix dans l’alimentation des Français, faire son pain soi-même est une tendance en hausse.

Pourquoi cette sensibilité au prix du pain ?

.            C'est vraiment frappant de voir à quel point le prix du pain reste important dans notre imaginaire, alors que justement on n'en mange pratiquement plus : seulement environ 120 grammes par personne et par jour, alors qu'on en consommait encore 900 grammes en 1900, 375 en 1950 et 153 en 2000, et la baisse se poursuit.

Du coup, vu l'émotion qui est associée à ce produit, la notion de prix ressentie est très importante par rapport à celle de prix réel. Nous sommes tous persuadés que le prix du pain a beaucoup augmenté, nettement plus que l'inflation, ce qui n'est absolument pas constaté dans les chiffres.

D’après l’Insee, le prix de la baguette de base est passé de 0,48 € en 1992 (1,92 €/kg - 12,60 F) à 0,66 € (2,64 €/kg – 17,32 F) en 2001, et à 0,90 € en 2021 (3,58 €/kg), soit une augmentation de 42 centimes par baguette en 30 ans, 88 % de hausse contre 50 % d’inflation générale. 18 centimes d’euro de plus que le prix qu’aurait donné l’inflation, soit 72 centimes la baguette au lieu de 90 ! Scandaleux ? Peut-être ! Pourtant la plupart des Français ne consomment plus guère de baguettes de base (et encore moins de flûte ou de gros pain basiques), mais des pains fantaisie (tradition, complet, aux céréales, de campagne, aux graines, au seigle, au levain, aux noix, sans gluten, de mie, etc.) qui sont nettement plus chers, en général entre 1,10 et 1,30 €. Ceci montre que, pour la plupart d'entre nous, le prix de la baguette de base est devenu plus un symbole qu'un élément fondamental de notre niveau de vie.

Avec la hausse du prix du blé, fin 2020, la baguette pourrait augmenter de 5 à 10 centimes dans nombre des quelque 32.000 boulangeries françaises, et avoisiner les 1 €. Objectivement, la belle affaire, mais culturellement c'est très sensible et important, tout comme le prix du riz en Asie, du maïs en Amérique centrale ou du manioc et du mil en Afrique.

Une boulangerie digne de ce nom propose dorénavant 10 à 20 modèles de pains différents ! © thodonal, Adobe stock

Les céréales … pour autre chose que l’alimentation !

.            À 290 euros la tonne (nov 2021), le blé tendre connaît son prix le plus haut depuis 2012, car la récolte mondiale 2021 a pâti de nombreux incidents climatiques, en particulier de grosses vagues de chaleur aux États-Unis et au Canada, alors que les stocks mondiaux restaient relativement faibles, et que nombre de pays importateurs tentent de reconstituer leurs stocks, au cas où une nouvelle flambée de Covid ralentirait le commerce international.

En fait, l'agriculture mondiale n'arrive plus à produire régulièrement et suffisamment de céréales de base (riz, blé, maïs) pour faire face à une demande mondiale qui augmente massivement à cause du développement considérable de l'élevage. En effet 80 % du maïs et 50 % du blé sont maintenant destinés à nourrir les poulets, lapins, canards, cochons et autres veaux, et non plus les humains ! On a franchi au début du XXI° siècle une étape symbolique très importante : dorénavant moins de la moitié des céréales récoltées sur terre sont mangées par les hommes !

.            On a même inventé de brûler les céréales... dans nos moteurs, via les biocarburants de première génération (produits à partir de cultures destinées traditionnellement à l’alimentation). Il faut avoir le courage de dire que le meilleur du meilleur de la nature, les grains des céréales, doit être d'abord utilisé pour nourrir les hommes, et accessoirement leurs animaux, mais pas leurs voitures ! Consacrer des millions d'hectares à travers le monde pour produire de l'éthanol ou du biodiésel au détriment des surfaces alimentaires constitue une agression directe envers les gens qui ont faim.

On ne devrait jamais avoir à choisir entre l'assiette des pauvres et le réservoir d'essence des riches. Manger ou conduire, il va vraiment falloir choisir, et ce serait une hérésie de ne pas choisir de manger ! Sans compter que la rentabilité de cette opération et les gains en matière de réchauffement de la planète sont extrêmement faibles. Arrêtons donc cette nouvelle mode consistant à équiper nos voitures d'un appareil qui permet de leur faire avaler de l'éthanol, sous prétexte que, pour le moment il est facialement moins cher que l'essence ; seule la détaxe permet d’afficher un prix inférieur. De l'éthanol il n'y en aura jamais pour tout le monde, et, si par malheur c'était le cas, la faim dans le monde progresserait considérablement.

.            Au XXIe siècle, on a vu une flambée du prix des céréales en 2007, qui a provoqué des émeutes de la faim dans 36 pays, puis une autre en 2010, qui a été l’une des causes directes des révolutions arabes. Dans ce dernier cas, il faut se rendre compte qu'une bonne part de la nourriture en Tunisie, Algérie ou Égypte est constituée de pain et de couscous, dont les matières premières, blé tendre et blé dur, sont importées suivant un cours mondial fixé à Chicago. Un cours de plus en plus volatil, car les spéculateurs s'en donnent à cœur joie. Dans ces pays, une forte augmentation du prix du blé est donc très durement ressentie par la population.

Il n’y a pratiquement plus de blé dans le prix du pain

.            Mais, en France, il y a lieu de garder son sang-froid, car non seulement nous mangeons de moins en moins de pain, et donc le poids de ce produit dans notre budget devient très marginal, mais en plus, du point de vue strictement économique, il n'y a pratiquement pas de blé dans notre pain !

Décomposition du prix du pain (ordres de grandeur). © Bruno Parmentier

En fait l'ensemble des matières premières représente 12 à 16 % du prix final de la baguette et dans ce petit poste de dépense, il faut décompter le sel, la levure, et, en ce qui concerne le blé, la rémunération des meuniers (encore 6.000 emplois dans ce secteur qui pèse 2 milliards d'euros !) et des transporteurs. Bref, en se basant sur son prix de base, le blé ne pèse que 5 à 6 % dans le coût du pain, à peu près autant que ce que représentent les revenus du boulanger ! Les salaires et charges du personnel sont 10 fois plus importants et représentent pratiquement la moitié du prix. Les autres gros postes sont l'énergie, le loyer, le transport, les emballages et l'amortissement du matériel. Bref si le prix de la baguette augmente, ce n'est qu'en petite partie à cause de la flambée des cours mondiaux du blé à Chicago, mais beaucoup plus concrètement à cause des augmentations de charges sociales et du prix de l'énergie ! Le boulanger est bien obligé de faire chauffer son four et on ne voit pas très bien comment il pourrait durablement prendre sur sa marge pour payer une énergie qui devient hors de prix ... Sans compter que c'est typiquement un commerce qui doit s'installer en centre-ville, là où les loyers sont les plus chers, et ne cessent d'augmenter.

Le blé : des rendements à la production, désormais localement stabilisés

.            Les rendements de blé ont augmenté de façon extrêmement spectaculaire avec le développement de l'agriculture moderne entre les années 1960 et 1990. Notons que si on continuait alors à utiliser comme unité de compte le quintal et non la tonne pour évaluer les récoltes c'est bien qu'elles n'étaient pas bien lourdes ! En fait, jusqu'à la seconde guerre mondiale, on sortait en moyenne de l'ordre de 10 quintaux à l'hectare. On passe à 20 quintaux dans les années 1950, puis la diffusion d'une agriculture moderne, avec des semences sélectionnées, des engrais et des pesticides permet un triplement des rendements en moins de 30 ans. Les Français deviennent alors les meilleurs du monde pour cette céréale et produisent entre 70 et 90 quintaux suivant les années ! Notons que les Ukrainiens, sur les meilleures terres du monde, continuent à plafonner autour de 40 quintaux, de même que les Américains, lesquels produisent avec une agriculture finalement beaucoup plus extensive.

Et là on arrive à une espèce de maximum, car finalement les inconvénients de cette agriculture dite « moderne » ont fini par rattraper ses avantages (épuisement des sols, baisse de la biodiversité, résistance aux pesticides, forte sensibilité aux changements climatiques), et depuis 30 ans on en est toujours autour de 70 à 80 quintaux suivant les années, avec des grosses variations en fonction du climat de l'année. Même si au niveau mondial, on assiste toujours à des rendements en croissance régulière.


Depuis 30 ans, les rendements du blé en France n’augmentent plus, ni en « conventionnel », ni en « bio ».

Tout comme le blé conventionnel, le blé bio a beaucoup progressé après guerre, et stagne, maintenant depuis une trentaine d'années, autour de 30 quintaux par hectare.

Un véritable miracle agronomique

.            Actuellement, dans les zones céréalières françaises comme la Beauce, on sème un peu plus de 200 grains au mètre carré, soit de l'ordre de 100 kilos de grains de blé à l'hectare.

Quand on récolte 80 quintaux, soit 8 tonnes de grains de blé, quelques mois plus tard cela veut dire que chaque grain semé a produit en moyenne 80 grains ! Ces 8 tonnes de blé produisent environ 6,5 tonnes de farine, qui elles-mêmes permettent de produire de l'ordre de 35.000 baguettes ! (En bio 15.000 baguettes, au prorata des rendements moyens).

Quand on regarde un champ de blé cultivé traditionnellement, on réalise qu'on sort pas loin de 4 baguettes au mètre carré, ou encore que l'on a à peine besoin de ne semer qu'une petite cinquantaine de grains au départ pour récolter de quoi produire une baguette.

Le miracle de l’agriculture céréalière traditionnelle française. © Bruno Parmentier

.            Notons qu'actuellement les agriculteurs français produisent trois fois plus de blé que ce que nous, les Français, mangeons. Notre récolte est en gros divisée en 3 tiers : 1/3 pour les Français, 1/3 pour les animaux et 1/3 pour l'exportation.

.            Et puis, il y a la  Politique agricole commune européenne (voir ci-après) : depuis longtemps, les producteurs de blé livrent à leurs coopératives leurs précieux grains en dessous de leurs prix de revient, car la PAC les subventionne pour ce faire, de façon à maintenir relativement bas les prix de la nourriture pour éviter une trop grande pression sur le pouvoir d'achat et ne pas heurter la sensibilité française, tout en échappant aux contraintes qu’impliquerait le niveau des prix de la  concurrence internationale !

.            C'est la combinaison de ces deux facteurs qui fait que nous avons à la fois une agriculture céréalière extrêmement productive, des agriculteurs qui arrivent à en vivre, et un prix du pain qui reste somme toute très modéré !

On dépense de moins en moins pour se nourrir, mais ce n’est pas ce que l’on ressent

.            Au début du XXe siècle, l'achat de pain pouvait encore représenter jusqu'à la moitié des ressources monétaires des ménages modestes ruraux, lesquels dépensaient fort peu en logement, habillement, transport, etc., et se nourrissaient largement en auto-consommant les produits de leurs champs et jardins. On en est évidemment très loin aujourd'hui !

Un élément objectif de comparaison est celui du nombre de baguettes qu'un travailleur au salaire minimum peut acheter avec son revenu horaire.

  • À la naissance du Smig en 1950, le taux horaire est fixé à 0,78 franc (~ 0,12 €), et la baguette (qui à l'époque pesait 300 grammes) valait 0,14 franc, l'ouvrier avec une heure de travail pouvait donc s'en payer 5,6.
  • En 1970, la baguette rétrécit et passe à 250 grammes, elle vaut 0,57 F et le Smig, devenu Smic, est à 3,50 F. Il pouvait donc s'en payer 6,1. Avec la réduction du poids, malgré les apparences, son pouvoir d'achat avait en réalité diminué.
  • En 2002 on passe à l'euro, la baguette vaut 0,68 € et le Smic est à 6,83 €. Il pouvait s'en payer 10. L'impression que les boulangers ont profité du passage à l'euro pour se servir était donc fausse.
  • En 2021, la baguette vaut 0,90 € et le salaire minimum est de 10,48 €/heure. Il peut s'en payer 11,6. Là, le progrès est évident, même s'il est léger.

Mais ces calculs sont un peu vains, car, entretemps, le poids des dépenses dites pré-engagées, ou contraintes (comme le loyer, les télécoms, les emprunts, les assurances, etc.) représente une part beaucoup plus importante des budgets des ménages ; on estime qu'on ne peut plus vivre sans voiture ni téléphone portable, par exemple. Les gens ne raisonnent donc plus en pouvoir d'achat strict, mais en « reste à vivre » une fois qu'ils ont payé ces dépenses jugées obligatoires, et donc ils sont souvent tentés d'arbitrer leurs dépenses sur la nourriture. Le renchérissement de la sacro-sainte baguette amplifie donc le ressenti de baisse de pouvoir d'achat.

Revenus et achats de nourriture dans le monde.

.            En France on ne consacre plus que 14 % des revenus pour manger à la maison (il est vrai que l’on mange beaucoup plus souvent à la cantine ou au restaurant) ; ce chiffre n'a plus rien à voir avec les 38 % que y étaient consacrés encore en 1960. À cette époque on dépensait deux fois plus pour se nourrir que pour se loger, et maintenant on dépense davantage en logement qu'en nourriture. Nous arrivons même à cette situation totalement inédite, où les générations montantes dépensent davantage pour leurs loisirs et leur communication que pour manger !

En 1960, un ouvrier au salaire minimum devait travailler 4 heures 30 pour se payer un kilo de poulet, on n'avait pas fait beaucoup de progrès depuis la politique sociale du bon roi Henri IV avec sa poule au pot (le dimanche ! À ce moment-là, il n'était pas question de manger de la viande le lundi !), aujourd'hui une heure suffit.

Réfléchissons au fait qu'on nous a mis dans la tête qu'il est « normal », et en tous les cas, inéluctable, que le prix des loyers et des charges diverses augmente chaque année, alors qu'on voudrait que ceux de la baguette, des yaourts ou du jambon ne cessent de baisser...

En quelque sorte, on peut se dire que nous nous payons littéralement notre téléphone portable avec les économies que nous avons pu faire sur la nourriture.

Le rapport à la nourriture a été complètement transformé en France en deux générations. Source des informations : INSEE © Bruno Parmentier

.            Ces chiffres ont besoin de comparaison, regardons un peu ce qu'on fait ailleurs dans le monde. En Europe, les différences sont déjà relativement sensibles, entre les pays du Sud (Grèce, Italie, Espagne, Portugal et France), qui aiment bien manger, et y consacrent 13 à 15 % de leurs revenus, et les autres, qui en sont plutôt à 10 ou 11 %. Songeons par exemple, que de nombreux règlements intérieurs d'entreprises hexagonales « obligent » les salariés à prendre 45 ou 60 minutes de pause déjeuner et subventionnent des cantines qui servent des repas dits complets (entrée, plat chaud, dessert). Alors que, quand on va aux Pays-Bas, on considère souvent que déjeuner consiste à prendre une tranche de pain de mie carrée, sur laquelle on ajoute un jambon carré, puis un fromage carré, l’ensemble recouvert d’une 2e tranche de pain de mie carrée, et le tout grignoté machinalement devant son ordinateur ! Notons quand même qu'il n'y a pas un seul Hollandais qui ne sache pas que c'est en France qu'on mange bien ! Ces différences expliquent, entre autres, la grande difficulté des Européens à se mettre d'accord pour une politique agricole et alimentaire commune. Mais on finit quand même par y arriver !

Pourcentage des dépenses consacrées à la nourriture en 2014 dans le monde. © Illustration de l’auteur à partir des données de l’USDA

.            Quand on porte le regard sur l'ensemble de la planète, on voit bien que le rapport à la nourriture est extrêmement différent suivant les pays.

Ceux qui réclament que la nourriture soit moins chère lorgnent vers les pays anglo-saxons et leur mode de vie. La Grande-Bretagne est vraiment différente du reste de l'Europe, ça fait belle lurette qu'elle est en dessous de 10 % des revenus consacrés à l'alimentation à la maison ; aujourd'hui elle en est seulement à 8,2 %. Pour autant, faut-il se fixer comme objectif de faire pareil en France ?

Quand on regarde les États-Unis, que tant de gens admirent, on a l'impression qu'ils touchent à la caricature, puisqu'ils en sont à seulement 6,4 % de leurs revenus consacrés à l'alimentation à domicile, moins de deux fois moins que les Français ! Il est vrai qu'ils mangent beaucoup plus souvent au restaurant, mais quand même, on ne peut pas s'empêcher de penser que si l'obésité et de nombreuses autres maladies liées à l'alimentation y prolifèrent, c'est en particulier à cause de l'abus de malbouffe. Notons la contradiction qui fait que, moins on dépense pour la nourriture, plus on grossit ! Remarquons également qu'en moyenne, ils dépensent deux fois plus que nous en frais de santé : l'abus de malbouffe bon marché ne semble pas leur profiter.

D'un autre côté, il y a des pays qui, pour nous, semblent être restés « à l'ancienne », comme la Russie (29 %) et la Chine (25 %). La Russie reste un vrai scandale agricole : le plus grand pays du monde, qui, lui, bénéficie du réchauffement climatique, puisque potentiellement chaque année il peut mettre en culture de nouvelles terres en Sibérie, n'arrive toujours pas à nourrir correctement ses seulement 130 millions d'habitants.

La Chine, en revanche, donne de grands espoirs : il y a encore quelques décennies c'était le pays de la faim dans le monde, où les gens pouvaient, certaines années, mourir de faim par millions. S’étant sérieusement mis à l'agriculture, elle est devenue, et de loin, la plus grande puissance agricole mondiale (premier producteur de riz bien sûr, mais aussi de viande, d'œufs, de fruits et de légumes et même deuxième producteur mondial de blé). Résultat, aujourd'hui, presque plus personne n'y meurt de faim, la consommation de viande y est passée de 15 à 60 kilos par habitant, et les Chinois ne consacrent plus que le quart de leurs revenus à se nourrir, ce qui était encore le cas des Français dans les années 1980.

Mais on peut également regarder certains pays du Sud, et prendre conscience qu'un Algérien consacre toujours 42 % de ses revenus à s'acheter de la nourriture et un Nigérian 56 %. Deux pays pétroliers où on n'a pas vraiment jugé bon de s'investir dans l'agriculture... mais aussi deux pays où il y a beaucoup de riches. On se doute que ces riches ne consacrent pas la moitié de leurs gros revenus à manger... cela veut donc dire que, là-bas, il y a beaucoup de foyers qui consacrent 70 à 80 % de leurs revenus à cette activité !

Nous sommes donc sur une planète où certains consacrent à peine 6 % de leurs revenus à se nourrir alors que d'autres y engloutissent 80 %. Cela relativise complètement les 0,10 € supplémentaires que risquent de prendre certaines de nos baguettes. Les politiques à mener dans ces pays sont évidemment complètement différentes.

La Politique Agricole Commune (PAC)

Une politique historique de la construction européenne

.            À la sortie de la guerre, l'agriculture européenne est paralysée. La France ne fait pas exception et pourtant, dans un contexte économique également délicat, il faut nourrir les populations. C'est de ce constat que la Politique Agricole Commune est née en 1957, avec le traité de Rome, qui a vu la création de l'Union européenne (à l'époque CEE). Elle est mise en place quelques années plus tard, en 1962. Première politique commune de l’Union européenne, elle est le symbole de l’ambition européenne et du choix des Etats européens de mettre en commun leurs ambitions et leurs moyens pour nourrir l’Europe exsangue de l’après-guerre. Elle reste la seule véritable politique européenne intégrée.

Elle a pour principal objectif de fournir des denrées alimentaires à la population, à des prix abordables, tout en fournissant des revenus corrects aux agriculteurs. La PAC repose donc sur deux grands principes : le contrôle des prix et le financement des agriculteurs.

Les objectifs définis dans le Traité de Rome, par l'article 33 de la PAC sont toujours d’actualité :

  • Accroître la productivité de l’agriculture,
  • Assurer un niveau de vie équitable à la population agricole,
  • Stabiliser les marchés,
  • Garantir la sécurité des approvisionnements,
  • Assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

Ces objectifs doivent être remplis pour produire une alimentation de qualité et saine, tout en respectant l'environnement, et, depuis 1999, en contribuant au développement rural :

  • Répondre aux enjeux climatiques et préserver les ressources naturelles,
  • Promouvoir le développement et l’équilibre des territoires ruraux.

La PAC a connu depuis ses débuts un changement radical d'orientation. Cette évolution est particulièrement visible, depuis 1992, dans les dépenses qui traduisent la transition, du régime de soutien au produit vers celui de soutien au producteur, ainsi que la prise en compte des considérations environnementales.

La nouvelle PAC "plus juste, plus équitable, plus verte et transparente" souhaitée par la Commission européenne en 2010, est entrée en vigueur dans sa globalité le 1er janvier 2015.

Budget

.            Chaque année, tous les pays de l'Union européenne versent une contribution en fonction de leur richesse. Pour répondre aux nombreux objectifs qui lui sont assignés, la Politique Agricole Commune, seule politique européenne sectorielle intégrée, bénéficie d’un budget à la hauteur de l’ambition portée, des sujets traités et de son caractère multifonctionnel.

Le budget de la PAC, bien que proportionnellement en décroissance tous les ans, reste le plus important de l'Union européenne avec 53,1 milliards d'euros en 2022 (31,2% du budget total de 170 milliards €). En 2022, la France est le 2ème pays contributeur (après l’Allemagne) au budget général à hauteur de 26,4 milliards €, soit 15,5% du total. En 2022, la France est un contributeur net, bien que 2ème pays bénéficiaire (après la Pologne).

Cet argent est donc en partie redistribué aux États qui s'en servent notamment pour reverser des aides financières aux agriculteurs en fonction de différents critères, notamment la taille de l'exploitation agricole et le respect des consignes imposées par la PAC.

Au final les dépenses de la PAC ne représentent qu’à peine 0.5% du PIB de l’UE soit 1% des dépenses publiques des Etats membres. Ce qui est relativement faible en comparaison des externalités positives engendrées par celle-ci pour les agricultures et les territoires.

Dates clés

  • 1957 : le traité de Rome crée la Politique Agricole Commune (PAC),
  • 1962 : entrée en vigueur de la PAC,
  • 1984 : instauration de quotas laitiers et d’une politique de réduction des prix de soutien pour faire face à la surproduction,
  • 1992 : réforme Mac Sharry, programmant la chute du soutien des prix agricoles à la production, compensée par des aides directes,
  • 1999 : agenda 2000 et naissance du second pilier de la PAC, en cohérence avec la politique des marchés agricoles,
  • 2003 : réforme avec découplage des aides directes de la production et des moyens supplémentaires au développement rural,
  • 2008 : bilan de santé,
  • 2013 : réforme de la PAC introduisant le verdissement des aides directes,
  • 2015 : entrée en vigueur de la réforme de la PAC et sortie des quotas laitiers,
  • 2017 : sortie des quotas sucriers (ces deux sorties concrétisant une tournure très libérale).
  • 2023 : entrée en vigueur le 1er janvier, elle poursuit les objectifs suivants : favoriser une agriculture intelligente et résiliente ; renforcer les actions favorables à l’environnement et au climat ; renforcer le tissu socio-économique des zones rurales.

La PAC, source de conflits

.            La Politique Agricole Commune ne fait évidemment pas l'unanimité et elle suscite des critiques aussi bien de la part des pays qui y adhèrent, que de pays extérieurs à l'UE.

Il est d'abord reproché à la PAC de favoriser le productivisme, quitte à oublier l'aspect environnemental. C’est ainsi que les subventions destinées aux cultures et élevages les plus intéressants (en bénéfices), comme l'élevage porcin ou la culture du blé, sont plus importantes que celles destinées à des cultures mineures.

À l'échelle internationale, deux aspects sont principalement reprochés à la PAC et aux gouvernements concernés. D'une part le manque de transparence concernant les flux monétaires. D'autre part, étant donné qu'il s'agit d'une politique faite par les Européens pour les Européens, le fait qu'elle favorise les produits de l'UE. Les pays qui n'y appartiennent pas, accusent l'Europe de pratiquer une concurrence déloyale.