3-2-4 – Etats-Unis : deux siècles d’échecs militaires et de victoires médiocres

Etats-Unis : deux siècles d'échecs militaires et de victoires médiocres

Herodote.net 2022 – André Larané - Ukraine, les causes politiques de la guerre (Extrait)

.            Reprenons par le commencement. Au milieu du XVIII° siècle, une poignée de colons établis dans les 13 colonies anglaises d'Amérique du Nord proclament l'indépendance de leurs colonies. Il n'y avait eu qu'un précédent à cette idée saugrenue avec l'indépendance des Provinces-Unies, les Pays-Bas actuels, deux siècles plus tôt ! Médiocres militaires, les Insurgents vont l'emporter sur la majorité loyaliste et l'armée anglaise grâce à l'appui des Français.

.            Sitôt indépendants, les États-Unis ont soin de protéger leur identité, De culture anglo-saxonne mais avec d'importantes minorités issues du monde germanique er surtout un cinquième d'esclaves africains ou métis, ils vont pour la première fois dans l'Histoire humaine faire de la couleur de peau une catégorie juridique : par le Naturalization Act du 26 mars 1790, ils offrent généreusement la citoyenneté aux free white persons (personnes libres blanches), autrement dit aux immigrants européens de bonnes mœurs, sous réserve qu'ils aient deux ans de résidence dans le pays. Ainsi excluent-ils sans le dire les autres immigrants et surtout les esclaves et affranchis africains et les Indiens eux-mêmes.

.            Les Américains comprennent aussi que l'isolement ne les protège pas des conflits extérieurs. Ainsi leurs navires de commerce sont-ils impunément assaillis et rançonnés par les Barbaresques en Méditerranée et même dans l'Atlantique. Il s'ensuit la création d'une flotte de guerre par le Naval Act du 27 mars 1794 et une offensive contre les cités barbaresques d'Alger et Tripoli en 1805-1815. Ces « guerres barbaresques sans grand risque se soldent par un plein succès. Elles sont le prélude aux multiples opérations de police du siècle suivant, essentiellement contre des mini États d'Amérique centrale : Saint-Domingue (1905, 1916, 1965), Haïti (1912, 1915, 1934), Nicaragua (1909, 1912, 1933), Cuba (1906, 1917, 1921), etc. Mais plus sérieusement, en 1812, les jeunes États-Unis vont une nouvelle fois entrer en guerre contre l'Angleterre pour des revendications sur le Haut-Canada. Les Anglais auront vite fait d'atteindre la capitale Washington et même de brûler la Maison-Blanche. Ils n'exploiteront toutefois pas leur succès car ils ont une affaire plus importante qui les mobilise en Europe : la lutte contre Napoléon Ier !

.            Les Américains vont donc pouvoir reprendre le cours de leurs affaires et en premier lieu la colonisation de leur Far West, au détriment des premiers occupants, les Amérindiens. Ces guerres indiennes face à des tribus démunies et divisées leur donneront autrement moins de soucis que la précédente. Elles se solderont par la quasi-extermination de l’ennemi. Dans l'imaginaire national, dans la littérature et surtout le cinéma, elles n’en donneront pas moins prétexte à de belles chansons de geste tout à la gloire de la cavalerie et des héroïques cowboys.

.            Beaucoup plus brève mais tout aussi profitable sera la guerre contre le Mexique (1847-1848), Cette « promenade militaire » face un État misérable et en proie à l'anarchie débute par une provocation délibérée, mais elle se solde par l'annexion d'immenses territoires, de la Californie au Nouveau-Mexique.

Cinquante ans plus tard, en 1898, les États-Unis renouvellent l'« exploit » face à l'Espagne. Une « splendide petite guerre », selon le mot du Secrétaire d'État, leur vaut de mettre la main en quatre mois sur les Philippines et Porto-Rico.

À cette date, les États-Unis sont déjà devenus la principale puissance économique de la planète, devant l'Angleterre et l'Allemagne, grâce leurs inépuisables ressources et leur capacité d'innovation sans pareille, grâce aussi à la force de travail fournie par les immigrants européens. Ils produisent 33 % de la richesse mondiale avec 6 % de la population humaine. Leur potentiel de croissance parait infini er pour le préserver, ils sont soucieux plus que tout de se tenir à l'écart des conflits de l'Ancien Monde.

.            La Première Guerre mondiale, justement qualifiée d'European War (guerre européenne) par les Américains, va secouer le dogme isolationniste. Le président Wilson ne cache pas sa proximité avec l'Entente anglo-franco-russe. En avril 1917, il convainc ses concitoyens d'entrer en guerre à ses côtés contre les Puissances centrales, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Un million de Sammies débarquent en France. Ils ont plus belle allure que les poilus permissionnaires sortis des tranchées. Ils n'interviendront toutefois dans la guerre que le 12 septembre 1918, dans le saillant de Saint-Mihiel, près de Verdun, alors que l'Allemagne est déjà virtuellement défaite et guère en état d'opposer une résistance.

Ce succès très médiocre permettra néanmoins au président Wilson de dominer les négociations de paix à Paris. C'est lui qui dictera en bonne partie le traité de Versailles de 1919. Idéaliste, il imposera le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », d'où la création de plusieurs États croupions au centre de l'Europe. Mais sitôt après, ses concitoyens reviendront à leur penchant isolationniste et notamment refuseront de participer à la Société des Nations (SDN), pourtant une initiative de leur président Wilson lui-même.

.            Dans les années 1930, quand l'Allemagne entraine l'Europe dans une nouvelle guerre, les États-Unis se tiennent coi. Ils se contentent d'aider l'Angleterre en prêts et en biens matériels.

C'est le Japon, allié virtuel du Ille Reich, qui va les forcer à entrer dans la guerre par l'attaque surprise de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, avec l'espoir fou de les chasser de leur sphère d'influence en Asie. Là aussi, la guerre du Pacifique et la bataille navale de Midway vont être magnifiées par le cinéma américain. Il n'empêche que son issue n’a jamais fait de doute, vu la disproportion des forces entre les deux belligérants. En août 1945, le Japon est quasiment anéanti avec ses villes en flammes et sa population affamée. Toujours à la pointe en matière d'innovation technologique, les Américains n'en larguent pas moins deux bombes atomiques sur le pays pour obtenir sa reddition avant que n’interviennent les Soviétiques.

Sur le front européen, les choses sont beaucoup plus ardues. Le premier affrontement avec la Wehrmacht survient à Kasserine, en Tunisie, en novembre 1943, face aux troupes de Rommel. Il se solde par une débandade des GI's. C'était un an après la victoire franco-britannique sur les mêmes troupes allemandes à El-Alamein. Moins problématique est le débarquement de Sicile, en 1943. Il est vrai qu'en face d'eux, les Américains et leurs alliés n’ont affaire qu'aux troupes démotivées de Mussolini. Les choses se compliquent l'année suivante avec le débarquement de Normandie. Sur Omaha Beach, les Américains sont à deux doigts de se replier du fait de la résistance allemande. Heureusement, une nouvelle fois, les Britanniques rétablissent la situation sur les autres plages. Le Débarquement va réussir et conduire les Anglo-Saxons jusque sur l'Elbe. Il faut dire que l'essentiel du « travail » a été accompli sur le front de l'Est par les Soviétiques qui ont littéralement pulvérisé la Wehrmacht et atteint les frontières du Reich au moment où les Anglo-Saxons débarquaient en Normandie.

La capitulation de l'Allemagne le 8 mai 1945 er celle du Japon le 2 septembre 1945 laissent place à deux grands vainqueurs, l'Union soviétique (URSS) et les États-Unis. Les premiers ont payé la victoire au prix du sang, 20 millions de morts, Les seconds ont permis la victoire par la mise à disposition des combattants de matériels et d'armes en quantité quasi illimitée avec « seulement » 300.000 morts environ.

En définitive, les Américains auront perdu moins d'hommes au combat pendant tout le XX° siècle, guerres mondiales comprises, que pendant la seule guerre de Sécession (1861-1865) : 615.000 morts dans un pays d'alors seulement 31 millions d'habitants ! Il est vrai que dans cette guerre civile, les deux camps, sudistes et nordistes, jouaient chacun leur survie. Rien de tel dans toutes les guerres extérieures menées par les États-Unis jusqu’à ce jour : jamais les intérêts vitaux de la nation n'ont été menacés ...

.            Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis surpassent les autres États de façon écrasante en produisant 45 % de la richesse mondiale avec 6 % de la population humaine. C'est de ce fait å New York que s'établit l'ONU, avatar de la SDN. Et surtout, le dollar devient la monnaie de réserve et la monnaie de référence des pays libres, assurant une fructueuse rente de situation aux Américains.

Dans le même temps, les Soviétiques imposent leur emprise sur l'Europe centrale et étendent leur influence sur la Chine, la Corée et le Vietnam. Les Américains mettent tout en œuvre pour les contenir, y compris le développement de l'arme thermonucléaire.

Durant cette « guerre froide », qui perdure jusqu'à la chute du Mur de Berlin en 1989, chacun craint que les deux Grands en viennent à un affrontement direct à coup de bombes atomiques ou nucléaires, ce qui eut entraîné vraisemblablement la disparition de l’humanité. Mais les intéressés s'en tiennent à montrer leurs muscles (course aux armements) et à se combattre indirectement par adversaires interposés. Une guerre très meurtrière en Corée manque entraîner un affrontement direct entre Américains et Russes (ou Chinois). Elle se solde par un match nul et le partage de la péninsule coréenne en deux États ennemis.

Là-dessus, les Américains interviennent directement au Vietnam où ils croient combattre l'URSS par Vietminh interposé. Ils sont convaincus que l'installation d'un régime communiste à Saïgon entrainerait de proche en proche la soviétisation de toute l'Asie du Sud, selon la « théorie des dominos », avec in fine la victoire du communisme sur l'Occident ! Il s'ensuit une retraite humiliante des troupes américaines en 1975 face à l'armée nord-vietnamienne et aux guérilleros communistes.

.            La défaite américaine en Afghanistan n'a rien à voir avec celle du Vietnam malgré la similitude des images de Saïgon 1975 et de Kaboul 2021. Elle est plutôt à rapprocher des fiascos américains en Somalie, en Irak, en Libye et également en Syrie. Dans tous ces pays du monde musulman, les Américains ont cru bon d'intervenir pour des motifs humanitaires et pour créer des États à leur manière, respectueux de la démocratie, des femmes, des opposants, etc. Mais à chaque fois, comme au Vietnam, ils ont été chassés dans des conditions humiliantes. Et chaque fois, maints commentateurs y ont vu les prémices d'un effondrement des États-Unis sans qu'il n'en fût jamais rien !

.            Dans son essai Après l'Empire (Gallimard, 2002), l'historien Emmanuel Todd a très bien mis en lumière ce paradoxe selon lequel les États-Unis semblent ressortir plus forts de chacune de leurs défaites. Il observe qu'ils ont bénéficié après la Seconde Guerre mondiale d'une écrasante suprématie tant militaire qu’économique. Elle leur a permis d'obtenir la direction de l'alliance atlantique (OTAN) et surtout un statut privilégié pour leur monnaie, le dollar. Mais au fil des décennies, leur suprématie s'est racornie du fait de la montée en puissance de l'Europe puis du Japon et aujourd'hui de la Chine.

Afin de conserver leurs privilèges et surtout la faculté d'importer gratuitement une large part de leurs consommations grâce à un dollar surévalué, les États-Unis ont besoin de rappeler tout un chacun qu'ils demeurent indispensables en tant que « gendarme du monde ». Pour cela, ils sont amenés s'inventer des ennemis.

On l'a vu avec la Russie, pauvre avatar de la redoutable URSS. En 2002, son président Vladimir Poutine a apporté aux Américains une aide décisive dans leur guerre contre les talibans en Afghanistan ; la même année, il a fait au Bundestag (Berlin) des appels du pied aux Européens pour un rapprochement mutuellement profitable (industrie, énergie, sécurité).

.            Mais les gouvernants américains ont rejeté sans façon ses avances et l'ont poussé à la faute en convainquant l'Ukraine de rompre avec la Russie et d'entrer dans l'OTAN ! Dans le même temps, ils ont semé le chaos au Moyen-Orient en renversant l'un des derniers régimes laïcs de la région, l'Irak de Saddam Hussein ... Ils ont aussi diabolisé l'Iran et stoppé net la progression des démocrates dans ce pays en favorisant l'élection d'un trublion, Ahmanidejad, à la présidence de la République.

.            Aujourd'hui, les États-Unis, malgré une industrie flageolante, conservent intacts leur capacité d'innovation, leur potentiel scientifique et leur emprise culturelle sur le monde. Ils conservent aussi et surtout la réputation de pouvoir seuls contenir les multiples menaces, vraies ou fictives, qui pèsent sur la sécurité du monde : Russie, islamisme, etc. Leurs échecs tendent de façon paradoxale à confirmer la réalité de ces menaces et leur importance. Ainsi, les talibans auraient démontré leur dangerosité en ayant vaincu la principale puissance militaire du monde actuel ; face à eux, nous avons plus que jamais besoin de faire corps avec les États-Unis pour nous défendre !