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Introduction : d’après Le Figaro, à propos de « La vraie vie de Gustave Eiffel » de Christine Kerdellant

Contrepoints - Gérard-Michel Thermeau – 2015-2016, Collection « Les Patrons du Second Empire ». 

« Dictionnaire historique des Patrons français », ouvrage collectif sous la direction de J. C. Daumas, Flammarion, 2010.

.            Encore marquée par la Révolution et la gloire impériale, la France des grands ingénieurs, industriels et inventeurs fut à la fin du XIXe siècle, un fabuleux pôle de créativité industrielle : automobile, avion, cinéma, beaucoup furent inventés par des Français.

Un pays « aux mains des ingénieurs » tels Gustave Eiffel, de son vrai nom Alexandre Gustave Bonnicksen, issu d’une lignée de tapissiers rhénans installés en France au XVIIe siècle. Sa tour de fer et ses 300 mètres fut en son temps le plus haut édifice du monde, un véritable exploit technique. En 1889, la République fête glorieusement le centenaire de la Révolution française, et la France montre avec la tour Eiffel que deux décennies après sa défaite militaire face à la Prusse, elle revient dans la course des grandes puissances.

.            Et pourtant de grands écrivains (Guy de Maupassant, Alexandre Dumas fils, Leconte de Lisle, Victorien Sardou, François Coppée, Sully Prudhomme) ont publié dans le journal Le Temps, une pétition contre « la laideur qui profane Paris ». Paul Verlaine a baptisé la tour Eiffel « squelette de beffroi », Léon Bloy « lampadaire tragique ». Pour d’autres, elle est « Notre dame de la chaudronnerie ». Huysmans y voit « le clocher de la nouvelle église dans laquelle se célèbre le service divin de la haute finance ».

Avaient-ils tort ? On peut légitimement trouver que la tour Eiffel n’est pas belle. On peut même légitimement juger qu’elle préfigure toutes les verrues qui vont, au nom de la modernité, enlaidir au XXe siècle la « plus belle ville du monde ». Maupassant déjeunait souvent au premier étage de la Tour, car, disait-il avec ironie, « c’est le seul endroit de Paris où je ne la vois pas ».

.            Les Français, ce peuple de paysans et de soldats n’ont rien contre l’argent mais aiment qu’il ne règne pas en seul maître. C’est pour cela que la France est une nation d’ingénieurs et non de commerciaux ou de financiers. Et c’est parce qu’à partir des années 1980, au nom d’un libéralisme triomphant mais mal assimilé, elle a couru après les Anglo-Saxons et leur tropisme commercial et financier, que la France a liquidé un appareil industriel qu’un siècle d’efforts de l’État et de grands ingénieurs, comme Eiffel, avait édifié !