La nouvelle bombe démographique

Nikkei Asia - Kazuo Yanase, Yohei Matsuo, Eugene Lang, & Eri Sigiura - 22 septembre 2021- (Traduction, graphes DBr)

En 2050, 151 des 195 pays du globe seront en situation de décroissance démographique. Le vieillissement des populations déjà notable en Asie et en Occident entraine pénurie de main-d’œuvre et ralentissement économique. Quel sera le moteur de croissance pour remplacer la démographie ?

.            Au cours des 200 dernières années, une population en augmentation rapide a consommé les ressources naturelles, dévasté l'environnement et engendré des guerres. Or l'Humanité est sur le point d'échanger une bombe démographique contre une autre, et maintenant les scientifiques et les décideurs politiques ouvrent les yeux sur une réalité nouvelle : le monde pourrait être au bord du précipice du déclin, … voire de l'extinction.

Les deux forces du développement économique et de l'émancipation des femmes se combinent pour mettre fin à l'ère de la révolution industrielle, au cours de laquelle la croissance économique était soutenue par une population croissante, et inversement. Depuis le début du XIXe siècle, la marée démographique a suscité de nombreuses prédictions alarmistes : l'économiste anglais Thomas Malthus affirmait dès 1798 que la population allait croître si rapidement qu'elle dépasserait la production alimentaire et entraînerait la famine. En 1972, le Club de Rome avertissait que l'humanité atteindrait les "limites de la croissance" d'ici à 100 ans, sous l'effet d'une augmentation incessante de la population mondiale et de la pollution environnementale.

Un pic de population en 2064

.            Aujourd'hui, la population mondiale, qui était de 1 milliard d'habitants en 1800, est passée à 7,8 milliards, et la pression sur la planète est évidente. Mais les scientifiques et les décideurs politiques se réveillent lentement face à ces nouveaux chiffres : le taux de croissance de la population a atteint un pic de 2,09 % à la fin des années 1960, mais il passera sous la barre des 1 % en 2023, selon une étude de l'université de Washington, publiée en 2020. En 2017, le taux de croissance des personnes âgées de 15 à 64 ans, la population en âge de travailler, est passé sous la barre du 1%, et dans environ un quart des pays du monde, la population en âge de travailler a déjà commencé à baisser. D'ici à 2050, 151 des 195 pays et régions du monde connaîtront une dépopulation.

En fin de compte, l'étude prévoit que la population mondiale atteindra un pic de 9,7 milliards en 2064, puis commencera à décliner.

Effondrement des naissances en Asie de l’Est

.            Au cours des quelque 300.000 années d'histoire de l'humanité, les périodes de froid et d’épidémies ont provoqué des baisses temporaires de la population. Mais aujourd'hui, l'humanité va entrer dans une période de déclin durable pour la toute première fois, selon Hiroshi Kito, historien de la démographie et ancien président de l'université de Shizuoka.

.            L'Asie de l'Est est l’une des régions les plus touchées par l’effondrement du nombre de naissances, notamment la Corée du Sud (dont l’indice synthétique de fécondité – ISF – s’établit à 1,11), Taïwan (1,15) et le Japon (1,37) sur la période 2015-2020, selon le rapport World Population Prospects 2019. La population d'un pays commence à baisser lorsque le taux de fécondité tombe en dessous du taux dit de remplacement de 2,1, avec, à la clé, des pénuries de main-d’œuvre, une crise des régimes de retraite et la péremption des vieux modèles économiques.

(l’ISF, ou encore –en France- l’indicateur conjoncturel de fécondité est le nombre d'enfants qu'aurait une femme tout au long de sa vie, si les taux de fécondité observés l'année considérée à chaque âge demeuraient inchangés. Il s’élevait à 1,83 en France en 2021).

Vers une décroissance démographique en Chine

.            L'Asie du Sud-Est, qui a alimenté la croissance mondiale dans le cadre du "miracle asiatique", se trouve également à un moment critique.

.            La Thaïlande avait autrefois un indice synthétique de fécondité de plus de 6, mais il est aujourd'hui de 1,53, se rapprochant ainsi du Japon. En 2019, la population en âge de travailler a commencé à diminuer, et le taux de croissance économique est redescendu à 2,4 %, presque trois fois moins que les 7,5 % enregistrés par le pays dans les années 1970.

.            Le Vietnam, quant à lui, est devenu une société « vieillissante » en 2017. En janvier, le gouvernement a commencé à relever l'âge de départ à la retraite pour les hommes et les femmes (aujourd'hui 60 et 55 ans, respectivement), dans le but d'éviter une crise des retraites. Il sera porté à 62 ans pour les hommes en 2028 et 60 ans pour les femmes en 2035.

.            Mais le meilleur exemple de cette décroissance démographique reste la Chine. L'université de Washington prévoit que sa population commencera à diminuer dès 2022 et que d'ici à 2100, elle tombera de 1,41 milliard d'habitants à 730 millions. Simultanément, 23 pays, dont le Japon, verront leur population fondre de moitié par rapport à leur niveau actuel, sinon plus bas encore, d’après Christopher Murray, directeur de l’Institut de métrologie et d’évaluation sanitaire de l’université de Washington, qui a consacré l’essentiel de sa carrière à l’amélioration des systèmes de santé à l’échelle mondiale.

Vers une « disparition » de l’humanité ?

.            L'étude de l'Université de Washington vient corriger les estimations précédentes qui voyaient la population mondiale continuer à croître tout au long de ce siècle. World Population Prospects 2019, estimait que la population devrait continuer à croître, pour atteindre 10,9 milliards d'habitants en 2100. Mais de nouvelles projections montrent que la natalité dans les pays en développement diminue plus rapidement que prévu.

Murray pense que les taux de fécondité convergeront autour de 1,5, voire en deçà dans certains pays, « ce qui veut dire que l’humanité finirait par disparaître dans quelques siècles ».

.            Cette donne inédite va engendrer une nouvelle dynamique, déjà visible ici où là, dans des domaines allant de la politique monétaire aux systèmes de retraite en passant par les prix de l'immobilier et la structure du capitalisme dans son ensemble. Alors que la population mondiale approche de son apogée, de nombreux gouvernements sont de plus en plus contraints de repenser leurs orientations politiques, qui ont jusqu'à présent reposé essentiellement sur l'expansion démographique pour assurer leur croissance économique et leur pouvoir géopolitique.

Trouver un nouveau modèle ?

.            Les pénuries de main-d’œuvre viendront gripper les modèles de croissance du passé. La protection sociale, dont les retraites et l’assurance-maladie, présuppose par ailleurs une population croissante, et elle sera dès lors mise à mal.

Cette décroissance démographique permettra peut-être de remédier à certains problèmes chroniques à travers le monde, notamment écologiques ou sociaux, mais la dépopulation posera de nouveaux défis : transformer la société de sorte qu’elle ne repose plus sur la croissance démographique. Pour Hiroshi Kito, « ce sera le point nodal du prochain modèle de civilisation. Il déterminera notre survie ou notre échec. » Certains scientifiques affirment que l'humanité doit maintenant trouver un nouveau modèle de prospérité et que la croissance économique globale ne va plus de soi.

L’effondrement de la natalité

.            « Si nous n'avions pas d'enfants, nous pourrions vivre plus librement », a déclaré une responsable de 41 ans dans une grande entreprise sud-coréenne. Elle a décidé de ne pas avoir d'enfant après en avoir discuté avec son mari lors de leur mariage en 2015. Elle aime les enfants, mais le coût de la scolarité s’envole en Corée du Sud, un pays qui accorde une grande importance à l'éducation. La flambée des prix de l'immobilier et les conditions d'emploi difficiles rendent également plus difficile l'éducation des enfants. Beaucoup de gens autour d’elle refusent même de se marier, poursuit-elle, précisant que sa propre sœur, enseignante dans le primaire, lui a confié qu’elle ne convolerait pas non plus.

La Corée du Sud a enregistré environ 272.400 naissances en 2020, et son indice synthétique de fécondité n'était que de 0,84 cette année-là, le plus bas du monde. Or si l’ISF d’un pays reste durablement inférieur à 1,5, il devient presque impossible de redresser la barre.

.            Le nombre croissant de femmes diplômées explique en bonne partie l’évolution des taux de fécondité. En Thaïlande, 58 % des femmes font des études supérieures, contre seulement 41 % des hommes, et le taux de fécondité du pays était de 1,53 en 2020, en net recul par rapport aux décennies précédentes. Selon un rapport de février 2021 de la banque HSBC, il n'existe aucun pays à taux de fécondité élevé où la majorité des femmes poursuivent des études supérieures.

(En France, les femmes représentent 56% des étudiants dans l’enseignement supérieur, et 52 % des femmes de 30-34 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur, contre 42% des hommes).

« Bien évidemment, le fait que les femmes aient accès à l'éducation est une bonne chose, déclare M. Murray, mais il est important de réfléchir à ce qu'il faut faire pour maintenir des taux de fécondité. Et il est bien évidemment inconcevable qu'un pays puisse envisager de restreindre l’accès des femmes à l'éducation dans le but d'augmenter la fécondité ».

.            Les efforts visant à étendre les systèmes de protection sociale tels que les crèches et les congés parentaux ne semblent pas avoir beaucoup d'effet sur les taux de natalité. La Finlande, par exemple, possède l'un des systèmes de protection sociale les plus aboutis au monde pour les mères et les enfants, et pourtant le taux de fécondité du pays a fortement diminué. À 1,37 en 2020, il est presque aussi bas que le taux de 1,34 du Japon !

« Il n'y a pas de réponse définitive à la question de savoir pourquoi le taux de fécondité a baissé au cours de la dernière décennie », a déclaré Venla Berg, directrice de recherche à la Fédération des familles de Finlande, une organisation non gouvernementale qui fournit des conseils sur les politiques de planification familiale. Si, à l'heure actuelle, près d'une personne finlandaise sur quatre dans les 20-30 ans, déclare ne pas vouloir d'enfant, « il y a aussi beaucoup de gens qui ont moins d'enfants qu'ils le souhaiteraient, a déclaré Mme Berg. Si tous les gens avaient le nombre d'enfants qu'ils souhaitent, le taux de fécondité remonterait aux environs de 1,6 à 1,8. Cela causerait tout de même un déclin de la population, mais au moins le rythme plus progressif permettrait de pouvoir adapter le système de protection sociale ».

           La pandémie Covid-19 a encore freiné la croissance démographique. En 2020, le nombre de naissances au Japon a été le plus bas jamais enregistré, avec une baisse de 3 % par rapport à l'année précédente, tandis que les naissances aux États-Unis ont diminué de 4 % par rapport à l'année précédente, soit le plus bas niveau depuis 41 ans, de nombreuses personnes ayant décidé de ne pas avoir d'enfant en raison des préoccupations liées à l'emploi et aux soins médicaux. Selon la Brookings Institution, un groupe de réflexion américain, une augmentation de 1 point de pourcentage du taux de chômage entraîne une baisse de 1 % du taux de natalité.

Le Japon malade

.            « Les États-Unis et l'Europe suivent plus ou moins la même tendance que le Japon », a déclaré l'ancien gouverneur de la Banque du Japon, Masaaki Shirakawa, en avril 2021, devant un comité restreint de la Chambre des Lords du Parlement britannique.

Il faisait référence à un phénomène économique et monétaire qui n'a cessé d'attirer l'attention aux États-Unis et en Europe, où l'assouplissement monétaire agressif n'a pas entraîné de hausse des taux de croissance, ni de forte inflation. La cause pourrait être démographique : la stagnation et la déflation semblent aller de pair avec une diminution de la population. Lorsque Shirakawa a décrit le déclin et le vieillissement de la population japonaise, certains membres du Parlement ont exprimé des inquiétudes quant à la "japonification".

.            Dans les années 1960, le Japon a connu des taux de croissance économique élevés, supérieurs à 10 %. Toutefois, lorsque la population en âge de travailler a commencé à décliner à la fin des années 1990, le taux de croissance a ralenti pour se situer aux alentours de 1 %. Il est resté faible depuis lors malgré les efforts déployés pendant deux décennies pour stimuler l'économie.

La même dynamique pourrait apparaître en Europe dès 2022, année où la population commencera à baisser, selon World Population Prospects 2019. La Banque centrale européenne estime que l'inflation en 2023 sera loin de son objectif de 2 %. Selon un indice du géant financier néerlandais ING, la zone euro montre des signes de japonification depuis 2013.

La période de plus grande surchauffe pour l'économie mondiale se situe au début des années 1970, alors que la population mondiale augmentait de 2 % par an, avec une croissance économique en moyenne d'environ 4 %, et une inflation de 10 % par an. C'était "l'âge d'or du bien-être" ; les pays développés déployaient les mesures de sécurité sociale les unes après les autres.

.            Mais des fissures sont apparues bientôt dans ce système économique fondé sur une forte croissance et une forte inflation. La croissance de la population mondiale est tombée à 1%, pendant que croissance économique et inflation ralentissent pour se situer entre 2% et 3%. Les taux d'intérêt tombent à des niveaux historiquement bas, voire négatifs !, ce qui fait douter de la pérennité des systèmes de pension.

Dans son rapport 2020, intitulé "Shrinkanomics (l'économierétrécissante !)", le Fonds monétaire international a noté, citant l'exemple du Japon, qu'une population en baisse peut "nuire à l'efficacité de la politique monétaire". Même avec des taux d'intérêt bas, les investissements en capital n'augmenteront pas si les entreprises n’espèrent pas une croissance de l'économie.

.            Le gouvernement peut augmenter les investissements publics, mais cela ne fera qu'entraîner une augmentation de la dette publique si ces investissements demeurent inexploités correctement. La poursuite des mesures de relance ne compensera probablement pas les effets d'une population en déclin, a déclaré Daniel Groh, du Center for European Policy Studies.

.            Pour surmonter le mal japonais, il est essentiel d'investir dans les secteurs de croissance pour inverser la contraction de la demande. La transformation numérique et la montée en compétence des travailleurs augmenteront la productivité, tandis que l'innovation sera nécessaire pour relever le défi du vieillissement de la population. Les politiques économiques traditionnelles doivent être fondamentalement repensées.

Progression et incertitude

.            « Il y a quelques années, nous recevions trois fois plus de candidatures que nous pouvions en placer », a observé un employé d'une société de placement au Vietnam qui recrute des travailleurs pour le programme japonais de stages de formation de techniciens. "Aujourd'hui, on reçoit à peine deux candidatures pour un poste. D'ici à cinq ans, le nombre de personnes travaillant à l'étranger pourrait commencer à décroitre. »

De nombreuses économies asiatiques ont déjà rencontré ce phénomène, connu en économie comme le tournant de Lewis, du nom de l'économiste britannique W. Arthur Lewis. Les travailleurs migrent des zones rurales vers les villes, y soutiennent la croissance économique en travaillant pour de bas salaires. Et puis, un jour, la croissance cesse, victime de la hausse des salaires et de la diminution de la main-d'œuvre.

.            Le palliatif, dans de nombreux cas, a été l’immigration, qui a contribué à soutenir la croissance dans les pays développés après le ralentissement de la croissance démographique. Selon l'ONU, il y avait 281 millions de migrants internationaux en 2020, soit 1,6 fois plus que 20 ans auparavant. Les restrictions aux frontières imposées pendant la pandémie de COVID-19 ont mis en évidence à quel point certains pays sont devenus dépendants des travailleurs étrangers.

Déjà, sans l'immigration, de nombreuses économies avancées ne peuvent plus maintenir leur réserve de main-d'œuvre. Au Royaume-Uni, après le Brexit, les restrictions à l'immigration ajoutées aux contraintes de la Covid-19 ont entraîné une grave pénurie de main-d'œuvre. Avant la pandémie, 12 % des conducteurs de poids lourds étaient originaires de l'Union européenne. Mais une nouvelle réglementation britannique ne permettant plus l’embauche de conducteurs extérieurs au pays, la pénurie de conducteurs de poids lourds s’est élevée à plus de 100 000. Les entreprises de logistique sont aux abois, et doivent accroitre les salaires horaires de 30 %.

.            Et le tarissement des flux d'immigration n'est peut-être pas un phénomène temporaire. En effet, les pays qui fournissent le plus d'immigrants voient eux-mêmes leur population jeune diminuer. Le nombre d'Indiens âgés de 15 à 29 ans atteindra son maximum en 2025. En Chine, cette cohorte diminuera d'environ 20 % au cours des 30 prochaines années.

.            Les Philippines, l'un des plus grands pays exportateurs de main-d'œuvre au monde avec 10 % de sa population travaillant à l'étranger, montrent également des signes d'inversion de tendance pour se concentrer sur la production intérieure. Le pays augmente le nombre des contrats de travail domestiques, tels ceux des centres d'appels. Le montant des rapatriements de fonds par les émigrés (« remittances »), s’il s’est accru de plus de 7 % en glissement annuel au cours de la première moitié des années 2010, il a chuté à 3 % en 2018.

.            Certains pays ont déjà entrepris de conserver leur main d’œuvre étrangère. L'Allemagne a augmenté son accueil des travailleurs non européens en 2020. En 2019, l'Australie a augmenté la durée maximale des séjours des étrangers de deux à trois ans, à condition que ces personnes travaillent pendant une période déterminée dans des secteurs où il y a une pénurie de main-d'œuvre, comme l'agriculture ou le centre rouge. Le Japon fait également venir davantage de travailleurs étrangers par le biais de l’immigration choisie de "travailleurs qualifiés spécifiques".

Ainsi, les forces économiques peuvent être à l'origine d'une nouvelle concurrence entre les nations pour attirer les immigrés. L'une des clés est de devenir un "pays de choix". "Une politique d'acceptation active des immigrés impose désormais d'élargir les possibilités pour les travailleurs étrangers de s'installer et de vivre dans un pays de manière durable", a déclaré Keizo Yamawaki, professeur à l'université Meiji de Tokyo, spécialiste de la politique d'immigration.

Vieillir avant de s’enrichir

.            Les baby-boomers asiatiques atteignent l'âge de la retraite, et la population dans son ensemble vieillit. Les gouvernements connaissent une augmentation rapide des dépenses de sécurité sociale, notamment pour les pensions et les soins médicaux.

.            Avec une population de plus de 65 ans supérieure à 21 % et un produit intérieur brut par habitant de plus de 44.000 dollars, le Japon est devenu une "société super-âgée". Lorsque la population en âge de travailler et les entreprises ne peuvent plus soutenir le système de sécurité sociale, le financement public devient la seule option.

.            En Chine, le nombre de naissances est monté en flèche après la Grande famine chinoise de 1959 à 1961, et la population totale a augmenté d'environ 190 millions de personnes au cours de la décennie suivante. La génération du baby-boom en Chine (au cours de laquelle l’accroissement de la population a représenté 1,5 fois la population totale du Japon) commencera à atteindre l'âge de la retraite à 60 ans en 2022. Le poids de cette retraite massive retombera sur une société de "personnes actives relativement âgées et non riches", qui seront vieilles sans avoir jamais été riches.

"La vie est difficile", dit Chen, 59 ans, qui vit dans un village agricole de la province chinoise du Jiangsu (est). Il travaille comme plâtrier et construit des maisons en briques. Chen souffre d'une maladie chronique, mais sans pension, il ne prévoit pas de prendre sa retraite lorsqu'il aura 60 ans cette année. Il est resté au village au lieu de déménager en ville pour pouvoir s'occuper de ses parents.

La transition de la Chine vers une économie de marché depuis les années 1980 a fait affluer des millions de travailleurs migrants vers les villes. Les familles des zones rurales sont de moins en moins capables de subvenir aux besoins de leurs parents âgés. Un peu plus de 70 % de la population a adhéré au système de retraite mis en place en 2009, dont le total des prestations cumulées représente environ 10 % du revenu moyen de la population en âge de travailler. Un système d'assurance pour les soins aux personnes âgées, comme celui du Japon, est encore au stade expérimental.

.            Les réformes visant à faciliter le travail des personnes, quel que soit leur âge, sont également à la traîne en Asie.

.            En Corée du Sud, environ 8 millions de personnes nées entre 1955 et 1963 arrivent à la retraite. Le pays doit de toute urgence relever l'âge de la retraite, actuellement fixé à 60 ans, mais le débat ne progresse pas. Relever l'âge de la retraite rendrait plus difficile la recherche d'un emploi pour les jeunes, déjà en difficulté. Les jeunes Coréens sont déjà sceptiques à l'égard de l'administration du président Moon Jae-in, et rendre le marché du travail plus difficile pourrait entraîner une réaction encore plus forte. Les entreprises préoccupées par l'augmentation des coûts de la main-d'œuvre s'opposent également à l'augmentation de l'âge de la retraite.

.            À Taiwan, l'âge moyen de la retraite est de 56 ans. Plus de 40 % des personnes âgées de 55 à 59 ans ne travaillent plus. De nombreux couples mariés qui travaillent tous deux à temps plein prennent une retraite anticipée pour pouvoir élever leurs petits-enfants. Cette « division du travail » a longtemps soutenu l'économie, mais la baisse du taux de natalité va également perturber ce modèle de retraite anticipée. Le système d’assurance retraite, risque désormais de s'effondrer financièrement dès 2026.

.            Même les pays développés qui se sont enrichis avant de vieillir ne sont pas à l'abri de ces défis. Les systèmes de sécurité sociale du Japon, du Canada et des pays européens reposent sur le principe du soutien intergénérationnel, selon lequel la population en âge de travailler fait vivre les retraités. Avec la baisse du taux de natalité, le seul moyen de maintenir les pensions sans accroitre la charge des actifs est d'augmenter le rendement des investissements. Toutefois, la diminution de la population affaiblit également la capacité de croissance de l'économie, créant un cercle vicieux qui a entraîné des baisses historiques des taux d'intérêt.

La seule façon de maintenir la sécurité sociale dans une ère de déclin démographique est de maintenir la croissance de l'économie en augmentant la productivité du travail. Seuls les pays et les régions qui entreprennent ces réformes seront en mesure de garantir la sécurité des personnes âgées à leurs citoyens.

Inversion des pouvoirs et partage des valeurs

.            Paul Morland, du St Antony's College de l'Université d'Oxford, soutient dans son ouvrage "The Human Tide", La marée humaine, (2019) que bon nombre des guerres des deux derniers siècles ont été déclenchées par la menace d'une croissance démographique dans les pays voisins. Selon Morland, à l'approche de la Première Guerre mondiale, par exemple, les Britanniques et les Français étaient particulièrement nerveux face à la puissance industrielle et démographique de l'Allemagne. Les Allemands, quant à eux, étaient constamment confrontés à la taille énorme de la Russie, qui commençait à s'industrialiser très rapidement.

Mais "en soi, la démographie ne crée pas la puissance", souligne Morland. Par exemple, la Chine a toujours été le pays le plus peuplé du monde. Mais elle était impuissante devant l'Europe et le Japon au début du 20e siècle. Et que dire de l’Afrique ! "Cependant, la démographie est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la puissance. Sans sa grande population, la Chine n'aurait pas été en mesure de devenir une grande puissance après s’être réveillée sur le plan organisationnel et industriel."

La Chine, dont l'essor a été largement soutenu par sa main-d'œuvre massive, pourrait devoir aborder un virage dans les décennies à venir, sa population étant confrontée à une forte baisse. Pékin a publié un recensement national de la population en mai 2021, qui a montré que le taux de croissance annuel moyen n’a été que de 0,53 % au cours des dix dernières années, le rythme le plus lent depuis des décennies.

Yi Fuxian, chercheur principal à l'université du Wisconsin-Madison, estime que les contraintes démographiques de la Chine porteront un coup dur à son économie. "Le PIB actuel de la Chine par habitant n'est que de 16 % de celui des États-Unis. À l'avenir, la Chine sera confrontée à une récession économique due au vieillissement. Sans une augmentation du nombre des naissances, le taux de croissance économique ne pourra pas s’élever et le pays ne pourra jamais dépasser les États-Unis en termes de PIB à l'avenir ».

Critique de longue date de la politique chinoise de l'enfant unique, Yi pense que la population chinoise est en déclin depuis 2018. Alors que le chiffre officiel de la population en 2020 s'élevait à 1,41 milliard, il pense qu'il s'agit en réalité de 1,28 milliard (130 millions de moins, presque 2 fois la population française !). Et dans ce pays où l'idée d'avoir un seul enfant est considérée comme allant de soi, le nombre de naissances va continuer à baisser. Avec 1,38 milliard d’Indiens en 2020, l'Inde serait en réalité le pays le plus peuplé au monde.

Bien que la superpuissance asiatique ait annulé en 2015 sa politique de l'enfant unique, vieille de plusieurs décennies, pour la remplacer par celle de deux enfants, elle peine à soutenir une poussée des naissances, et Pékin, quelques semaines seulement après avoir publié le recensement, a récemment annoncé une politique de trois enfants.

La démarche politique derrière les données officielles chinoises est claire. Admettre que la population a soudainement chuté reviendrait à mettre à nu les échecs politiques passés. De nombreux organismes de recherche estiment que le PIB de la Chine dépassera celui des États-Unis vers 2030, mais M. Yi pense que les données démographiques de la Chine surestiment le nombre réel de personnes de plus de 100 millions, de sorte que les États-Unis et la Chine n'échangeront pas leurs places dans le classement de leur PIB.

Les autorités chinoises ont interdit le livre de Yi, "Big Country With an Empty Nest".

En réponse aux rapports des médias occidentaux selon lesquels "la Chine est confrontée à une crise démographique", Hua Chunying, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a déclaré : "La population de la Chine continue de croître et est plus importante que celle des États-Unis et de l'Europe réunis."

.            La Chine n'est pas le seul grand pays dont le poids géopolitique est menacé par la démographie. Selon les Nations-Unies, la population de la Russie diminuera d'environ 20 millions d'habitants d'ici à 2100. Le président russe Vladimir Poutine a admis cette crise : « Notre devoir historique est de répondre à ce défi, a déclaré M. Poutine lors d'une allocution télévisée en 2020. Le sort de la Russie et ses perspectives historiques dépendent du nombre d'entre nous qui seront ici. »

.            Les États-Unis vont également entrer dans une période de déclin démographique qui aura des conséquences économiques massives. La croissance économique américaine a ralenti, et la richesse est devenue plus inégalement répartie, déclenchant la vague de populisme et de nationalisme America First.

.            La puissance militaire a également changé de nature. Plutôt que d'être une compétition de quantités de troupes, de chars, de navires et d'avions, la puissance militaire est désormais une course à la qualité, aux technologies, aux softwares. L'époque où la puissance militaire et économique était corrélée à la population est révolue.

De même que la démocratie et le capitalisme ont remporté la guerre froide grâce à la supériorité de leurs systèmes, les nations s'affrontent aujourd'hui pour construire un cadre permettant d'atteindre la prospérité sans s'appuyer sur le simple nombre d'habitants. L'avenir appartiendra aux sociétés qui sauront se restructurer pour faire face à ce déclin avant qu'il ne soit trop tard.

Et que faut-il dire de l'Afrique ?