Laroche-Migennes (Yonne), une cité cheminote !

D’après : France 3 - 09 sep 2020

.           Bien plus qu’une petite gare de province, Migennes était au carrefour de la France des voies ferrées, un cœur battant de la résistance. Un condensé de l’aventure ferroviaire française et de la communauté cheminote.

© Callysta Productions

.           En descendant sur le quai de la gare de Laroche-Migennes, dans l’Yonne., la plupart des voyageurs ignorent que cette gare quasi-déserte fut une plaque tournante du chemin de fer.
La gare fut un immense dépôt ferroviaire au temps du train à vapeur, des “Seigneurs du rail”, quand Laroche-Migennes était une étape incontournable sur le chemin de la Méditerranée.

Laroche-Migennes, une ville née du train

.           Laroche et Migennes sont en fait deux communes contiguës. La gare se situe en réalité sur le territoire de Migennes, au bord du canal de Bourgogne, construit au début du 19e siècle. En 1830, les premières voies françaises sont mises en service et le réseau ferré se développe très vite. Pour les spécialistes de l’époque, le train doit suivre les voies de navigation fluviale.

Le port de Laroche-Migennes se trouve au cœur de cette ligne qui approvisionne Paris en bois de chauffage. Située à mi-chemin entre Paris et Dijon, la ville est idéalement placée pour assurer le ravitaillement en eau et en charbon des locomotives à vapeur. C’est donc à cet endroit stratégique que s’installe la compagnie P.L.M (Paris-Lyon-Méditerranée).

Le premier dépôt ferroviaire ouvre le 1er avril 1880 et devient rapidement très important avec 230 machines à vapeur et 2.500 habitants.

La gare et le port de Migennes • © Callysta productions

La cité P.L.M de Migennes, cité des cheminots

.           Les premiers employés de la P.L.M. sont issus du monde agricole alentour. La société emploie beaucoup de personnel, des cheminots qu’il faut nourrir et loger.

C’est donc à Migennes que la compagnie installe naturellement ses premières cités de cheminots, autour du dépôt. Elle va créer l’esprit de la « grande famille cheminote ». Patron, homme d’équipe, lampiste, … sont au coude à coude, pour un même challenge : tirer les trains à l’heure et en toute sécurité

Cité P.L.M. de Migennes • © Callysta Productions

Des maisons sont construites, composées chacune de 4 appartements indépendants, sur deux niveaux. Ils ne comportaient que 2 pièces, pas de salle de bain … et les WC sont au bout du balcon !

Tout est organisé dans la cité P.L.M, de la naissance au décès. La compagnie fait appel aux sœurs de Saint-Vincent-de-Paul pour diriger un “centre d’œuvres sociales” et scolariser les enfants des cheminots au sein de la cité.

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Au final, on peut dire que le nourrisson est conditionné pour devenir apprenti au dépôt, puis un grand mécanicien, une gueule noire de la traction, « made in PLM city ».

L’église catholique, pilier des cités

.           Pendant près d’un siècle, dans les cités, l’église catholique s’imposera comme un pilier de la société cheminote. Si les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul s’occupent de l’éducation des enfants et soignent les malades, un curé laisse sa trace à Migennes : l’abbé Magne. Arrivé en 1910, l’ecclésiastique fait construire une basilique consacrée aux cheminots. Cet édifice n’a jamais été terminée faute des fonds nécessaires.

Erigée à la gloire du Christ-Roi, cette église est exceptionnellement orientée au nord afin que les voyageurs puissent voir son immense statue en façade depuis les quais de la gare.

Le statut de cheminot

.           Ce statut particulier date de la période de la vapeur. Dès le début du rail, les compagnies privées comme P.L.M font de leurs employés des travailleurs « à part ». En effet, les métiers de mécanicien, de chauffeur … ne s’apprennent pas à l’école, mais « sur le tas ». Il fallait apprendre à produire la vapeur avant l’examen d’apprentissage et le passage dans les ateliers. Après l’apprentissage, long et coûteux, sur place, la P.L.M., comme toutes les compagnies, avait donc un grand souci : fidéliser leurs employés.

Très vite, les compagnies vont instaurer la garantie de l’emploi, puis donner aux cheminots un statut de quasi-fonctionnaire, afin de s’assurer l’attachement à vie de leurs employés. Viendront ensuite une sécurité sociale avant l’heure et même une retraite. En réalité, un pseudo cadeau car, à l’époque, le métier de cheminot est un métier d’usure pollué et les employés ne vivent pas très vieux. Leur espérance de vie d’alors se situe entre 55 et 60 ans.

Bulletin de caisse de retraite de cheminot • © Callysta Productions

Naissance de la SNCF

.           Le Front Populaire (1936-1938), introduit de nombreuses réformes, notamment en matière économique et sociale : les congés payés, la réduction du temps de travail de 48 à 40 heures hebdomadaires l’établissement des conventions collectives et des congés payés, … Les compagnies ferroviaires affrontent des pertes conséquentes avec l’accroissement du coût social de la main d’œuvre. La réduction du temps de travail impose d’embaucher 20% de mécaniciens et chauffeurs en plus, tout en continuant à honorer les primes statutaires. Impossible pour elles de faire face alors que se manifeste la concurrence routière avec les autocars et les camions.

En application du décret-loi du 31 août 1937, les 5 grandes compagnies ferroviaires privées du pays sont fusionnées, pour donner naissance le 01 janvier 1938, avec l’Etat comme principal actionnaire à la SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer). Le réseau français compte alors 515.000 cheminots et 42.700 km de voies.

Migennes, centre d’un grand réseau de résistance

.           En juin 1940, la France est vaincue et le 21 l’armistice est signée. Hitler fait main basse sur un pays qui possède le meilleur réseau ferroviaire au monde.

Migennes se trouve en zone occupée, le dépôt et la gare sont réquisitionnés. La ville devient alors un front de bataille du rail. La solidarité cheminote joue à fond et les réseaux s’organisent dans les cités. En 1942, les cheminots, communistes pour la plupart, entrent en résistance. Ils sabotent les locomotives, le matériel d’entretien, les ponts et les rails.

Le 25 août 1943, Louis Riglet, un spécialiste des explosifs sabote 18 machines à vapeur. Puis avec ses camarades ils dévissent des rails et déboulonnent des tire-fonds. Conducteur et chauffeur sont informés et ont pu sauter de leur machine, comme organisé, juste avant l’endroit saboté.

Louis Riglet sera arrêté en 1944 et conduit à la prison d’Auxerre où il sera torturé à mort par les nazis.
Les rues de la cité cheminote portent désormais les noms des combattants de l’ombre tombés dans la bataille du rail.

Migennes, ville meurtrie

.           Depuis juin 1944, la libération de la France est commencée et la ville de Migennes devient une des cibles. Le mois suivant, 127 bombardiers décollent du Royaume-Uni avec pour mission de couper toutes les voies ferrées et les routes afin de neutraliser les renforts allemands vers la Normandie. Ils bombardent le dépôt de Migennes, sa gare et ses locomotives.

En 3 minutes, la quasi-totalité de la ville est détruite laissant 6.000 sans-abris, sans eau ni électricité. Le dépôt n’est plus qu’un tas de gravats. A la Libération, le monde cheminot de Migennes est durement touché et marqué par les absences des résistants qui furent fusillés ou déportés.

Des cheminots aux agents SNCF

.           Au début des années 1950, le réseau dans la région connait une grande révolution : l’électrification des lignes. Elle bouleverse le monde du rail. Plus besoin de charbon ni d’eau ; le métier de chauffeur disparait et le conducteur se retrouve seul dans sa machine.

Plus le train va vite, plus Migennes se meurt. La ville a grandi car elle était une étape essentielle sur la route des locomotives à vapeur. Désormais, les reines de l’électricité n’ont plus besoin d’elle. Pour les cheminots, le mythe de la vapeur qui avait constitué leur société s’effondre. Le personnage du “Seigneur du rail” n’existe plus et le monde cheminot se fissure. La légende disparait avec la vapeur !

Ancien dépôt ferroviaire de Migennes • © Callysta Productions

Dans les années 1930 Migennes abritait 230 machines à vapeur et employait 1.500 cheminots. Aujourd’hui, ils sont moins de 500 employés. La cité P.LM. devenue propriété de la SNCF, continue toutefois à vivre au rythme des trains.

Si la vapeur a fait la richesse de la ville, l’électricité a bien failli la ruiner.