Quand le Tour de France vélo rayonne

Une histoire du Tour de France

D’après : Herodote.net - Fabienne Manière – 31 jul 2019 / Paris-Match - 06 jul 2013 - François Pédron / http://www.memoire-du-cyclisme.eu / RetroNews - Rod Glacial – 17 jul 2019 / SportMag - Pierre-Alexis Ledru – 02 jul 2018

En juillet 1903, le premier Tour de France cycliste consacre le succès d'une invention vieille d'à peine deux décennies, la bicyclette, affectueusement surnommée « petite reine ».

Cette épreuve s'acquiert immédiatement un immense succès tant dans la classe ouvrière que dans la bourgeoisie. Elle va traverser les épreuves du XXe siècle sans dommage, en se renouvelant sans cesse, et demeure l'épreuve cycliste la plus populaire du monde. C'est aussi l'événement sportif le plus médiatique en concurrence avec les Jeux Olympiques d'été, nés 9 ans plus tôt, et la Coupe du Monde de football, fondée en 1930.

Après un purgatoire de deux décennies en bonne partie lié à des affaires de dopage, le Tour de France est redevenu en 2019 l'ambassadeur planétaire d'un pays riche de ses traditions, de ses paysages et de sa convivialité...

Départ du Tour de France 1908

Soixante concurrents pour la gloire

.            A la fin du XIXè siècle, la compétition cycliste est dominée par les Britanniques, inventeurs des sports modernes de l’époque. Avec Humber ou Dunlop, l’industrie du cycle est d’outre-Manche. Des Français décident de relever le défi (Terrot, Michelin) sous le regard ébloui de Clemenceau, d’Alfred Jarry ou du peintre Maurice de Vlaminck (né en 1876, coureur professionnel de 18 à 20 ans).

Au tournant du XXe siècle, la bicyclette jouit d'un grand prestige et plusieurs courses sur route (Bordeaux-Paris, Paris-Roubaix, Paris-Brest-Paris...) ou sur piste attirent un nombreux public. Apparues très tôt dans différentes villes d'Amérique, les épreuves sur piste les plus populaires sont les Six jours de la piste, qui voient s'affronter des équipes de deux joueurs (les Six Jours de Paris, créés en 1913, vont faire la gloire du Vél'Hiv de la rue Nélaton entre les deux guerres).

.            En France, un journaliste passionné de sport, Pierre Giffard, du Petit Journal, crée en 1891, la course cycliste Paris-Brest-Paris (dont 5 éditions auront lieu sur un rythme décennal jusqu'en 1931, puis deux autres en 1948 et 1951.  Il fonda ensuite en 1892 son propre quotidien consacré à son sport favori, Le Vélo. Imprimé sur papier vert, il atteint rapidement le tirage de 80.000 exemplaires.

Arrive l'Affaire Dreyfus. Giffard peine à cacher ses opinions dreyfusardes. Conduits par le comte Jules-Albert de Dion, plusieurs fabricants de cycles et d'accessoires, qui ne partagent pas ses opinons, se détournent de lui et financent un journal concurrent, L'Auto-Vélo. Henri Desgrange en prend la direction. C'est un ex-clerc de notaire reconverti dans le sport. Champion cycliste, c'est aussi un chroniqueur sportif célèbre.

.            L'Auto-Vélo sort le 16 octobre 1900, pendant la grande Exposition universelle de Paris. Pour se distinguer de son concurrent (dont il a repris en 1901 l'organisation de la compétition Paris-Brest et retour) il est imprimé sur papier jaune ... Certes, il doit renoncer à son titre par décision de justice et ne plus s'appeler que L'Auto. Mais dans le même temps, Pierre Giffard, emporté par sa passion, commet l'erreur de prendre parti en faveur de Dreyfus dans Le Vélo. Beaucoup de ses lecteurs ne le lui pardonnent pas et l'abandonnent au profit de L'Auto.

Henri Desgrange jubile. Lui-même s'impose la plus stricte neutralité politique. En quête de nouvelles idées, il se voit proposer par l'un de ses jeunes rédacteurs, Géo Lefèvre, l'idée, conçue autour d’une table de bistrot, non plus d'une simple course sur route mais d'une course à étapes : le Tour de France, qu’il va instaurer avec l’aide de l’industriel marquis de Dion. L'annonce officielle en est faite par L'Auto, qui entend bien augmenter ses tirages d’été, le 19 janvier 1903.

.            Les 60 concurrents officiels de ce premier Tour de France cycliste partent le 1er juillet de Montgeron, en région parisienne. Vingt coureurs arrivent au terme de l'épreuve, à Paris, le 19 juillet suivant, après avoir parcouru un total de 2.428 kilomètres en six étapes, via Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes (soit plus de 400 kilomètres en moyenne par étape !). Le vainqueur est Maurice Garin (32 ans), un ramoneur originaire du Val d'Aoste. Il a pédalé un total de 94 heures 33 minutes à la vitesse moyenne de 26 km/h !

Départ du Tour de France 1903

Une étape sur le Tour de France cycliste de 1903

.            Mais tout n’est pas sport ! En 1903, Garin, le gagnant de ce premier Tour, boxe son coéquipier en course, castagne que l’on retrouvera souvent. Le malheur voulut qu'une fois gagné le Tour de France 1906, René Pottier, le "premier roi de la montagne" (premier coureur à franchir le col du ballon d'Alsace lors du Tour 1905), homme bien mis et jeune encore, mais amoureux éconduit, courut se pendre à un croc, dans un hangar de la firme Peugeot. Bottecchia, un frioulan double vainqueur du Tour de France en 1924 et 1925, et le premier coureur italien à remporter l'épreuve dont il compte également neuf victoires d'étapes, est découvert en 1927 à Gemona, le crâne défoncé.

Le deuxième Tour a tourné en eau de boudin, puisque les quatre premiers ont été disqualifiés – déjà ! Le triomphateur pistonné est un certain Cornet, qui ne s’appelle pas Cornet mais Jardry et restera le plus jeune vainqueur, 19 ans.

En 1905, 125 kg de clous sont lancés sur les routes défoncées, les pneus crèvent par centaines. Les gendarmes enquêtent. Tous les mauvais coups sont permis. Seule la victoire est belle. (Cette tradition de la semence et du clou de tapissier va perdurer jusqu’en 2012 -étape de Limoux- et se multipliera dans toutes les courses amateurs.)

D’autres coureurs qui ont triché sont molestés par des spectateurs. L’armée doit intervenir ! C’est western tous les jours et Henri Desgrange prononce déjà l’éloge funèbre de son chef-d’œuvre : « Le Tour de France est terminé. Il sera mort de son succès. »

Mais non ! Tragédie et épopée s’accommoderont d’intermèdes plus rigolards, dans la pure tradition du mélange des genres. Clown vedette, Roger Hassenforder, « un Bobet dans chaque jambe », « l’Hassen inférieur » disait Blondin, devenu mythique à 26 ans en 1956, lorsqu’il remporta quatre étapes du Tour de France, reste le fleuron d’une race de showmen aujourd’hui disparue. Monomane, Lucien Teisseire, vainqueur de 4 étapes du Tour entre 1947 et 1954, qui ne voulait pas passer les montagnes parce qu’il avait peur des ours. Quand la moitié du peloton se jette à l’eau à Sainte-Maxime en 1950, brûlée par la canicule, le Tour est une fête où le rire est bienvenu. En 1954, Bahamontes l’illustrera encore : il s’arrête en haut du col de Romeyère qu’il a franchi avec 5 secondes d’avance, pour remplir son bidon de glace à la vanille.

Une épreuve populaire envers et contre tout

.            D'une année sur l'autre, le Tour va gagner en popularité, pour la plus grande satisfaction de ses créateurs, Henri Desgrange et Géo Lefèvre, et de L'Auto, dont le tirage passe de 25.000 à 65.000 exemplaires (son concurrent a cessé de paraître dès la fin 1903). En 1910, l'épreuve emprunte pour la première fois les cols montagnards, notamment l'Aubisque et le Tourmalet, dans les Pyrénées. C'est ainsi que, grâce au Tour, les Français de toutes classes sociales vont se familiariser année après année avec la géographie de leur pays et l'extrême diversité de ses paysages et de son relief.

Octave Lapize - 1910 : dans le Tourmalet avant de gagner le Tour

En 1914, la guerre éclate quelques jours après la fin de la compétition. Par la volonté expresse de ses organisateurs et de la classe politique, celle-ci reprend dès le 29 juin 1919, au lendemain de la signature du traité de Versailles !

Le 19 juillet, au départ de la onzième étape, Grenoble-Genève, le vainqueur provisoire au classement général, Eugène Christophe, reçoit pour la première fois un maillot jaune, de la couleur de L'Auto (de même, plus tard, le vainqueur du Tour d’Italie portera un maillot rose, de la couleur des pages de La Gazzetta dello sport). Mais c'est en définitive le Belge Firmin Lambot qui remportera ce Tour d'exception.

Eugène Christophe reçoit le maillot jaune à Grenoble en juillet 1919

Juillet 1922, Eugène Christophe dévale la pente du col du Port, avant de casser là encore sa fourche. Il finira l’étape avec le vélo d’un prêtre qui l’applaudissait. © DR

Année après année, le Tour n'occupe encore que les pages intérieures des quotidiens d'informations générales mais quand en 1923, le champion Henri Pélissier remporte l'épreuve, L'Auto écoule un million d'exemplaires, un record !

Henri Pélissier

Les conditions de la course demeurent très dures. Ainsi les coureurs doivent-ils jusqu'en 1930 assurer eux-mêmes les réparations de leur vélo sans faire appel à quiconque.

.            Le 22 juin 1924, le grand reporter Albert Londres, de retour d'une enquête sur le bagne de Cayenne, ne connaît rien au vélo et arrive sur la première étape du Tour (Paris-Le Havre). Le soir, au Café de la Gare de Coutances, il rencontre deux coureurs qui ont dû abandonner en dépit de leur talent, les frères Francis et Henri Pélissier. Ils lui montrent leurs boîtes secrètes et lui dévoilent, non sans exagération, les pressions auxquelles sont soumis les coureurs et, pour la première fois, font allusion à la nécessité de consommer alcool et drogues diverses et variées pour tenir le rythme de la course.

.            Albert Londres, qui s’est fait enfler par les frères Pélissier, vrais rois du gag, tire de leur témoignage un article pour Le Petit Parisien sous un intitulé qui fera florès : « Les forçats de la route » : « Vous n'avez pas idée de ce qu'est le Tour de France. C'est un calvaire. Et encore, le chemin de croix n'avait que quatorze stations, tandis que le nôtre en compte quinze. Nous souffrons du départ à l'arrivée. [...] ». Et Henri Pélissier d'ajouter :« Voulez-vous voir comment nous marchons ? [...] De son sac, il sort une fiole : "Ca, c'est de la cocaïne pour les yeux, ça, c'est du chloroforme pour les gencives. [...] Et des pilules, voulez-vous voir des pilules ? [...] Bref, nous marchons à la dynamite !" ».

Le journaliste-écrivain est tombé dans le panneau et persuade des millions de lecteurs. Dans les années trente, les frères Pélissier ou André Leducq éaient plus populaires que Greta Garbo ! Après tout, en 1903, les médecins considéraient le vin rouge comme un aliment : pas plus d’un litre et demi par jour. Dopage ou pas ? Le quotidien communiste L'Humanité saute sur l'occasion pour dénoncer la « mascarade du Tour » dont les ouvriers n'ont que faire ... mais il se ravise très vite quand il s'aperçoit que ses lecteurs, tout prolétaire qu'ils sont, apprécient cette mascarade qui permet à des humbles comme eux de dépasser leurs limites et d'accéder à la gloire,

Arrivée au sprint de Paris-Tours 1922, 1-Henri Pélissier, 2- Henri Suter, 3- Robert Jacquinot. Agence Rol, Paris, BnF

Ottavio Bottechia – Tourmalet 1924, Vainqueur des Tours 1924 et 1925.

1926 – Lucien Buysse

Bordeaux – Bayonne, 1927

Tour de France 1932

Le Tour entre dans l’âge adulte

.            Malgré une popularité qui ne se dément pas, le Tour est menacé de s'affadir. Pour secouer les habitudes, Henri Desgrange le fait partir en 1926 non plus de Paris mais d'une ville de province, Évian. En 1930, il décide surtout que le Tour de France ne se jouera plus en individuel mais en équipe, avec des équipes nationales ! C'est ainsi que le 2 juillet 1930, cinq équipes nationales de huit coureurs chacune sont au départ (France, Italie, Belgique, Allemagne et Espagne), sans compter soixante coureurs en individuel.

Galibier - 1930

Tour de France 1932, équipe de France. De gauche à droite : André Leducq, Albert Bathélémy, Julien Momeau, Louis Péglion, Marcel Bidot, Maurice Archambaud, Georges Speicher, Roger Lapébie, Mondial Photo-Presse, Paris BnF.

Le Tour de France et les courses cyclistes similaires deviennent ainsi les seules épreuves sportives avec un classement individuel par équipe : les victoires sont individuelles et chaque équipe a pour objectif de porter l'un des siens à la victoire. En 1962, les organisateurs du Tour de France remplaceront les équipes nationales par des équipes de marques pour des raisons évidemment commerciales. En 1967 et 1968, ils tenteront de revenir aux équipes nationales mais ce sera un échec, les coureurs d'une même nationalité étant trop habitués à se battre les uns contre les autres le restant de l'année. Quoiqu'il en soit, c'est toujours aux champions, aux « géants de la route » que s'intéresse le public.

.            En 1930 et 1931, une autre innovation réveille l'intérêt du public avec l'apparition de la caravane publicitaire. Celle-ci précède les coureurs et distribue à la volée des babioles aux petits et grands spectateurs qui attendent sur le bord de la chaussée de voir leurs champions. Le succès est immédiat et les mécènes se bousculent pour être de la caravane. Il s'agit essentiellement de marques nationales : La Vache qui rit, les chocolats Menier, le cirage Lion noir, les bonbons Ricqlès... On note aussi des alcools (Byrrh) et des cigarettes (Lucky Strike) !

L'accordéoniste Yvette Horner promeut la liqueur Suze dans la caravane du Tour de France 1954.

Année après année, le succès ne se dément pas. La caravane, c'est aujourd'hui deux cents véhicules et plus de dix millions d'objets distribués, au point que l'on soupçonne certains (grands) enfants de se porter sur la route du Tour davantage pour cela que pour applaudir les coureurs...

En 1930 aussi, pour la première fois, certaines arrivées d'étapes font l'objet d'un commentaire en direct à la radio (on dit alors TSF).

Tourmalet - 1934

1936 – 9ème étape : le lunaire col de l’Isoard.

Mais si populaire que soit le Tour de France, au-dessus de lui, le ciel s'assombrit … La Seconde Guerre mondiale interrompt une nouvelle fois le Tour de France. Henri Desgrange, mort le 16 août 1940, et son successeur Jacques Goddet, résistent aux pressions de l'occupant, qui voudrait rétablir le Tour pour donner l'illusion d'une France heureuse sous l'occupation allemande !

Une institution nationale de réputation planétaire

.            Enfin la Libération. Les Français endurent malgré tout les épreuves du rationnement, de la reconstruction et des guerres coloniales. La reprise du Tour de France devient dans ces conditions un impératif de salubrité publique. L'épreuve est relancée en 1947 à l'initiative de L'Équipe, quotidien fondé par Jacques Goddet en remplacement de L'Auto, interdit pour faits présumés de collaboration. L'Équipe est toujours le quotidien de référence dans le domaine sportif en France. Le Parisien Libéré (aujourd'hui Le Parisien) participe également à la renaissance du Tour.

En l'absence des champions italiens Fausto Copi et Gino Bartali, l'épreuve est remportée contre toute attente par un Breton inconnu, Jean Robic. À l'arrivée à Paris, au Parc des Princes, il reçoit le maillot jaune des mains de Gaston Monnerville, président du Conseil de la République (ainsi est appelé le Sénat sous la IVe République).

.            L'année suivante, le 25 juillet 1948, les rares possesseurs d'un poste de télévision peuvent assister à l'arrivée en direct du Tour au Parc des Princes... mais il faudra attendre encore dix ans pour voir sur le petit écran un morceau d'étape en direct, sur le col de l'Aubisque ! L'élan est néanmoins donné et va élargir la notoriété de l'épreuve à la planète entière, bien au-delà des passionnés du sport.

Première ascension du mont Ventoux (Montpellier-Avignon) avec Louison Bobet, le 22 juillet 1951.

.            En 1954, signe de son internationalisation, le Tour de France part pour la première fois d'une ville étrangère, Amsterdam. Cela finira par devenir une habitude... On a eu Berlin-Ouest en 1987 (deux ans avant la chute du Mur !), Utrecht en 2015, Düsseldorf en 2017, Bruxelles en 2019 et l'on attend le départ de Cophenhague en 2021. Le parcours lui-même ne suit plus depuis 1949 les frontières de l'Hexagone et s'autorise mêmes des sauts de cabri d'une région à l'autre du pays. Il délaisse les métropoles au profit des petites villes et des chefs-lieux de canton, trop heureux de la gloire éphémère de devenir pour une nuit ville d'étape.

En 1960, le Tour traverse Colombey-les-deux-Églises et chaque coureur, à l'instigation de Jacques Goddet, s'arrête quelques secondes pour saluer le général de Gaulle, un spectateur dans la foule...

.            D'une année sur l'autre, les performances s'améliorent avec une vitesse moyenne toujours plus élevée, d’environ 25 km/h dans les années 1920 à plus de 40 km/h de nos jours. Au prix, parfois, de chutes dramatiques comme celle de Roger Rivière, sur le Tour 1960, tombé dans un ravin dans la descente du col de Perjuret, stoppant une brillante carrière à 24 ans, ou encore celle Luis Ocaña, le 12 juillet 1971, dans le col de Mente, entre Revel et Saint-Gaudens. Le coureur espagnol est entraîné dans une descente folle par son rival Eddy Merckx. Gravement blessé, il prendra sa revanche en remportant le Tour de 1973. L’italien Fabio Casartelli trouvera la mort lors de la quinzième étape Saint-Girons-Cauteret du Tour 1995 dans la descente du col du Portet-d'Aspet.

.            Les « Trente Glorieuses » font la part belle aux Français. Le premier est le breton Louison Bobet (1925-1983), vainqueur en 1953, 1954 et 1955, devenu une légende vivante, plus encore que le Normand Jacques Anquetil (1934-1987), quintuple vainqueur (1957, 1961, 1962, 1963 et 1964).

Jacques Anquetil - 1964

Ce dernier le cède même en popularité à son grand rival, Raymond Poulidor, « éternel second », qui va au moins à quatre reprises échouer à gagner le Tour. Ils laissent à la postérité l'image ci-dessous de leur affrontement dans la montée du Puy de Dôme, le 12 juillet 1964 : Raymond Poulidor, pressé par un motard, est allé jusqu'à frôler l'épaule de son adversaire. Tous les deux sont épuisés mais aucun ne veut céder... cependant que, devant eux, deux grimpeurs espagnols sont en train de remporter l'étape !

Jacques Anquetil et Raymond Poulidor épaule contre épaule dans la montée du Puy de Dôme, le 12 juillet 1964.

Face au taiseux Anquetil, amateur de whisky et propriétaire prospère de 200 hectares, bien ancré dans la modernité, le fils de paysan creusois représente la France chaleureuse des humbles, qui trace son sillon par devoir et loyauté. Bien que grand champion cycliste avec 189 victoires à son actif, « Poupou » ne va même jamais réussir à enfiler le maillot jaune, ne serait-ce que pour une seule journée !

Il n'en est pas affecté pour autant et continue avec opiniâtreté à mener sa carrière, contre Anquetil d'abord, de 1964 à 1967, puis contre Merckx, de 1969 à 1976. Comble de malchance, le 14 juillet 1968, alors qu'il est en passe de gagner le Tour, un motard le fauche dans l'étape Font-Romeu-Albi et l'envoie à l'hôpital... Il se retire à 38 ans au sommet de la popularité et continue à honorer les départs du Tour de sa présence. Il mourra en 2019 à 83 ans.

.            Le 20 juillet 1969, tandis que Neil Armstrong s'apprête à poser le pied sur la Lune, Eddy Merckx (24 ans) offre à son pays, à la veille de la fête nationale belge, une première victoire dans le Tour depuis celle de Sylvère Maes, trente ans plus tôt ! Il arrive avec plus de 17 minutes d'avance sur Robert Pingeon, Raymond Poulidor et Felice Gimondi. Il dévore tous ses adversaires tel un « Cannibale » (l'un de ses surnoms). Une seule fois, il sera mis en difficulté, le 9 juillet 1971, dans l’étape Grenoble-Orcières-Merlette, face à Luis Ocaña qui le devance de 9 minutes. Mais trois jours plus tard, l'Espagnol chute gravement dans la descente du col de Menté et doit abandonner. Grand seigneur, Merckx refuse le lendemain d'enfiler le maillot jaune : « Un maillot jaune, ça se mérite ». Merckx va gagner cinq Tours (1969, 1970, 1971, 1972, 1974) comme Anquetil et tout comme après lui Bernard Hinault. Celui-ci reste à ce jour le dernier Français à remporter le Tour (1985).

.            Dès sa première participation au Tour de France en 1978, Bernard Hinault remporte l'épreuve haut la main. Il récidive l'année suivante. En 1980, il gagne le Giro mais renonce au Tour. En 1981, celui que l'on surnomme « le Blaireau », sans doute en raison de son fort caractère, remporte l'épreuve du Paris-Roubaix, redoutée en raison des pavés du parcours, et également le Tour de France. En 1982, il réalise le doublé Giro-Tour de France. En 1983, blessé, il permet à son jeune équipier Laurent Fignon de remporter le Tour. L'année suivante, Laurent Fignon, que l'on surnomme « l'intello » parce qu'il a le bac et porte des lunettes (!), gagne une nouvelle fois le Tour devant Bernard Hinault, lequel s'est fâché avec son directeur sportif Cyrille Guimard et a fondé sa propre équipe, La Vie claire, avec l'appui de... Bernard Tapie. Hinault n’a jamais mimé le bourgeois et a refusera le pont d’or que lui offrit Bernard Tapie en fin de carrière.

Une popularité rentable et convoitée

.            On est alors au milieu des années 1980. Le monde change. Outre-Atlantique et outre-Manche, les néolibéraux sont aux manettes. En France même, le socialisme n'est plus ce qu'il était. Bernard Tapie, un forban séduisant et proche du pouvoir, multiplie les coups de Bourse et les rachats d'entreprise hasardeux. En 1984, donc, il investit dans le Tour avec le projet de faire connaître son entreprise La Vie claire jusqu'aux États-Unis. Il permet à Bernard Hinault de remporter le Tour de France de 1985 avec son coéquipier l'Américain Greg LeMond. « Le Blaireau » réalise une nouvelle fois le doublé Giro-Tour de France.

Mais l'année suivante, Bernard Tapie décide que le Tour doit revenir à l'Américain. Hinault n'a pas le choix et doit assister LeMond comme ce dernier l'a assisté l'année précédente. Il n'en garde pas moins l'un des meilleurs palmarès du cyclisme français. L'homme d'affaires Tapie va quant à lui bousculer le Tour en y introduisant de l'argent à profusion. Les sponsors affluent et les revenus des champions prennent l'ascenseur. Il y a quelque chose de pourri au royaume du cyclisme mais l'on ne va s'en apercevoir qu'une décennie plus tard...

Après une troisième victoire de Greg LeMond en 1990, voilà un nouveau champion, l'Espagnol Miguel Indurain. Il remporte cinq Tours de France d'affilée (1991, 1992, 1993, 1994, 1995) avec une apparente aisance. Du jamais vu ! Ses rivaux ont nom Laurent Jalabert, Richard Virenque ou encore l'Américain Lance Armstrong...

Et peu après survient le cataclysme ! En juillet 1998, tandis que les Français n'ont d'yeux que pour leur équipe de football, victorieuse de la Coupe du Monde, le Tour de France attire surtout l'attention de la police. Le 8 juillet 1998, le soigneur de l'équipe Festina est arrêté par la douane à la frontière franco-belge avec dans le coffre de sa voiture quantité de médicaments, des capsules d'amphétamines et surtout 235 ampoules d'érythropoïétine (EPO), un produit qui multiplie les globules rouges. Le 17 juillet, Bruno Roussel, directeur sportif de l'équipe Festina, est arrêté. Ses aveux provoquent l'exclusion de l'équipe et l'abandon de Richard Virenque et de ses huit coéquipiers.

Le vainqueur du Tour lui-même, Marco Pantani est suspecté de dopage l'année suivante. Moralement détruit, il meurt d'un excès de médicaments dans une chambre d'hôtel en 2004, à 34 ans. Le dopage est un mal ancien auquel la mort prématurée de Louison Bobet, Jacques Anquetil ou encore Laurent Fignon n'est sans doute pas étrangère. Il est à l'origine de la mort de Tom Simpson, qui s'est effondré au sommet du mont Ventoux le 13 juillet 1967, victime de la chaleur et d'un excès d'amphétamines. Il n'est hélas pas limité au cyclisme mais c'est dans cette discipline qu'il est dénoncé avec le plus de vigueur depuis l'affaire Festina et le cas Lance Armstrong.

Lance Armstrong est un champion américain né en 1971. Soigné pour un cancer des testicules en 1996, il remonte en selle non sans courage et participe au Tour de France. Il va remporter l'épreuve sept années consécutives, de 1999 à 2005, un exploit sans précédent. Lui-même se veut calculateur, froid, avide avant tout d'argent plus que de gloire. Pas de quoi lui attirer la sympathie du public. Et en 2012, ce que chacun suspectait est confirmé par l'Agence américaine antidopage : Lance Armstrong a bien abusé de substances illicites dès 1998. Du coup, tous ses titres lui sont retirés et le Tour de France n'a officiellement pas de vainqueur entre 1999 et 2005 !

Une étape sur le Tour de France cycliste de 2011.

Retour en grâce

.            Le Tour de France a depuis lors peu à peu regagné la faveur du public, au prix de sévères purges et son image dans le monde écrase celles du Giro et de la Vuelta !

.            Dans ses débuts, la compétition a été seulement suivie par les riverains de la route, venus en spectateurs. Le reste de la population en avait connaissance à travers les articles très enlevés de la presse écrite. Car, jamais sport ne sera aussi célébré par les écrivains. Julien Gracq, qu’on n’attend vraiment pas sur la piste, est un passionné de demi-fond, le coureur collant à la moto, technique qui provoquera le plus de morts dans la discipline. Louis Nucera trouvait que le bonheur absolu était le geste du vainqueur qui lève les bras au ciel. Les articles les plus remarqués demeurent ceux de l'écrivain et journaliste Antoine Blondin (1922-1991) -Grand Prix de Littérature 1979 de l'Académie Française- qui a contribué par son talent à forger la légende du Tour. Arrivé sur le Tour par hasard en 1954, il va le suivre avec passion jusqu'en 1982, allant jusqu'à affirmer : « Je préfère le maillot jaune à l'habit vert [celui des académiciens] ». À partir de 1930, le Tour a été aussi suivi par la radio. Dans les années 1950, enfin, il a été télévisé en direct (Robert Chapatte). Il allait du coup grandir en réputation et changer de nature ...

Dans ce stade à ciel ouvert, où l’on peut loger 300.000 personnes sur les bas-côtés avec « entrée gratuite » (sauf une fois sur le Ventoux), avec l’animation fournie par la caravane publicitaire, aujourd'hui les spectateurs directs demeurent toujours très nombreux sur le bord des routes (environ 12 millions chaque année), avides tout autant de voir les coureurs que de courir eux-mêmes après les véhicules de la caravane publicitaire. Le seul sport où l’on poireaute quatre heures pour voir filer pendant dix secondes des vélos qui vont plus vite que les motos ! Aussi l'essentiel se passe-t-il devant le petit écran.

La compétition est filmée à hauteur d'homme et de plus en plus en hélicoptère, offrant de magnifiques vues sur les paysages de France. Dans le monde entier, pour 3,5 milliards de téléspectateurs de 191 pays, dont 87 en direct, l'exploit sportif devient ainsi un prétexte à découvrir le patrimoine national, d'autant que le parcours change chaque année, avec une seule constante depuis 1975 : l'arrivée des coureurs sur les Champs-Élysées (Paris) et bien sûr le passage par les fameux cols pyrénéens (Aubisque, Tourmalet, Aspin, ...) et alpins (Galibier, Iseran, Ventoux, Alpe d’Huez, ...). Alors que le spectacle s’est à ses débuts produit à « huis clos » avec des premiers départs de nuit et les derniers arrivés sifflés sous les étoiles, aujourd’hui la vraie vedette du Tour de France, c’est en effet la France ensoleillée …

Les villes et les collectivités ne s'y trompent pas. Depuis l’entre-deux-guerres, elles sont entrées dans une concurrence féroce pour promouvoir leur capital touristique et se faire mieux connaître. Plus de 700 villes ont au moins une fois accueilli le Tour... De même, depuis la création de la caravane publicitaire en 1930, les sponsors ou mécènes se pressent pour associer leur marque à celle du Tour. Il s'ensuit de belles rentrées financières pour l'organisateur de la course, ASO (Amaury Sport Organisation), une filiale du groupe Amaury, propriétaire également de L'Équipe et du Parisien.

Eddy Merckx, né le 17 juin 1945 à Meensel-Kiezegem (Belgique), sur une étape du Tour de France.

L'organisation du Tour implique, aujourd'hui, pas moins de 5.000 personnes directement impliquées pour environ... 200 coureurs et une vingtaine d'étapes.

Les étrangers ne sont pas restés indifférents à ce succès. Les pays voisins tels l'Italie (depuis 1909) et l'Espagne (depuis 1935) ont organisé des Tours similaires, le Giro et la Vuelta. Les États-Unis et même la Chine y songent également, avec l'objectif de faire apprécier leurs paysages et de prendre leur part sur les recettes publicitaires du cyclisme. Quant au Tour de France, il cherche à attirer de plus en plus de spectateurs à l’étranger. Il y réussit en prenant son départ dans une ville européenne voisine.

Le 6 juillet 2019, le Tour est parti de la Grand-Place de Bruxelles, pour célébrer le cinquantième anniversaire de la première victoire d'Eddy Merckx, l'« autre roi des Belges ». Il demeure le sportif le plus populaire de Belgique et le plus grand cycliste de son siècle avec non seulement cinq Tours de France mais aussi cinq d'Italie et un d'Espagne à son palmarès (plus de 600 victoires au total).

Deux figures légendaires

Gino Bartali, « Juste parmi les Justes »

.            En 1937, le champion italien Gino Bartali, dit « Gino le Pieux », fait une chute malencontreuse entre Grenoble et Briançon. Blessé, il veut néanmoins continuer et ensuite aller faire ses dévotions à sainte Thérèse de Lisieux. Mais les autorités italiennes, aux ordres de Mussolini, l'en empêchent.

Le champion cycliste italien Gino Bartali (Ponte a Ema, Toscane, 18 juillet 1914 ; 5 mai 2000) et son fils Andrea.

L'année suivante enfin, il remporte le Tour. Sur le podium, dans le bois de Vincennes où s'effectue rituellement l'arrivée, au lieu et place du salut fasciste, il fait... un signe de croix !

Se refusant toujours à prendre la carte du parti fasciste, il rentre néanmoins dans son pays. Pendant la guerre, comme beaucoup d'autres coureurs, il sera dispensé d'aller sur le front en raison d'un rythme cardiaque trop faible !

Sous couvert de poursuivre son entraînement, il assurera le transport de faux papiers au bénéfice des Juifs. Discret sur son engagement dans la Résistance, il sera fait « Juste parmi les Justes » à Yad Vashem (Jérusalem) en 2013, peu après sa mort...

Eugène Christophe (1885-1970)

.            1913 : au départ de la 6ème étape du 11ème Tour de France, 326 km entre Bayonne et Luchon, avec les cols d'Aubisque, Tourmalet, Aspin et Peyresourde, Odiel Defraye est en tête du classement général. Eugène Christophe, un des favoris pour la victoire finale, pointe à 4’55 minutes, Marcel Buysse à 10’05 minutes et Philippe Thys à 23 minutes.

Depuis le départ, 82 coureurs n'ont pu résister aux longues étapes et ont abandonné. Eugène Christophe est encore en course pour la gagne, mais le règlement va lui être fatal !

Au sommet de l’Aubisque, Christophe, passe en tête devant le belge Philippe Thys. Dans l’ascension du Tourmalet par Luz-Saint-Sauveur, il est rattrapé puis doublé par le belge qui franchit le sommet en tête, devant Eugène Christophe. Mais celui-ci est renversé par une voiture suiveuse dans la descente. Fourche brisée, son vélo est totalement inutilisable et, règlement oblige, ou bien il abandonne ou bien, s’il ne peut réparer seul sur place, il fait à pied en portant son lourd vélo sur l'épaule, les 14 kilomètres qui le séparent de Sainte-Marie de Campan au pied du col.

Dans le village, il trouve une forge et se met immédiatement à la réparation de son vélo, sous la surveillance sous la surveillance d’Henri Lecomte, commissaire de course. Pour ce faire, il doit engager dans le fourreau de direction une tige de fer de 18 millimètres qu'il a retravaillée lui-même à l'aide de la forge. Puis, il doit faire des trous dans la tubulure, afin d'y engager les goupilles. Deux heures après le début de la réparation, un des officiels demande à Henri Desgrange la permission d'aller manger un morceau. "Si vous avez faim, mangez du charbon...Je suis votre prisonnier et vous resterez mes geoliers" dit Eugène Christophe.

Eugène Christophe réparant son vélo à la forge

La réparation durera en tout et pour tout 4 heures.  Eugène Christophe écopa quand même de 10 minutes supplémentaires de pénalités parce que le fils du forgeron l’aida à actionner le soufflet pendant qu’il réparait, une action qu’il était impossible de faire tout seul ! Les illusions d'Eugène Christophe se sont envolées définitivement quant à une victoire finale dans ce Tour de France. Christophe repart, mais c’est trop tard pour espérer revenir sur Thys qui passe en tête au sommet de l’Aspin et du Peyresourde avant de s’imposer à Luchon, terme de cette étape de 326 km, devant Buysse et Garrigou.
Christophe termine l’étape à 3h50′ du vainqueur du jour. Pour lui le Tour de France est perdu, mais il est rentré dans la légende.Il terminera néanmoins l'étape à 3h50' du Belge Philippe Thys, vainqueur en 13h54'23". Au classement général final, "Cri-Cri" terminera 7° à un peu plus de 14 h de ce même Philippe Thys.

1er Tour de France : 1ère étape - Paris-Lyon - 467 kilomètres

1 juillet 1903 - 15h16 - Auberge du Réveil-Matin à Villeneuve-Saint-Georges

.            C'est le 1er juillet 1903 qu'est donné le départ de la 1° étape du Tour de France. Ils sont 60 à s'élancer en direction de Lyon sur les routes poussiéreuses. Les "cracks", comme Maurice Garin, Hyppolite Aucouturier ou Lucien Pothier, sont habillés d'un collant noir et d'un veston blanc, les autres sont vêtus de bric et de broc. Les machines sont encore rudimentaires, les changements de vitesses n'existent pas, et les engins pèsent plus de dix, voire quinze kilos.

A 15h16, exactement, Monsieur Abran, secrétaire du journal "L'Auto", organisateur de la compétition, abaisse le drapeau qui donne le signal du départ. Dès les premiers mètres, les ténors du cyclisme de l'époque prennent la tête. Il s'agit d'Hyppolite Aucouturier, de Jean Fischer, de Léon Georget et, bien entendu, de la "star" Maurice Garin.

Le peloton roule bon train, à une moyenne de 35 kilomètres à l'heure. Les premiers abandons ont lieu au kilomètre 50. À 21 heures, on apprend que Jean Fischer a été mis hors course pour s'être abrité derrière une automobile. C'est le début des polémiques sur les tricheries du Tour, qui vont gangrener totalement l'édition de 1904. Deux heures plus tard, les hommes de tête, Maurice Garin et Emile Pagie, arrivent à Nevers, à mi-chemin de Lyon. Maurice Garin annonce, qu'à ce rythme, ils seront arrivés pour 8 heures du matin.

Les deux leaders s'enfoncent dans la nuit. Le premier drame du Tour est à mettre à l'actif d'Hyppolite Aucouturier. Le vainqueur du Bordeaux-Paris compte en effet plus d'une heure de retard sur les hommes de tête. Victime de crampes d'estomac, il s'effondre, en larmes, au poste de contrôle et abandonne à 135 kilomètres de l'arrivée. Le jour se lève. Un coup de téléphone annonce que Maurice Garin et Emile Pagie sont passés à Tarare à 7h20, le second est tombé, mais s'est relevé et file maintenant vers la ligne d'arrivée. À 9 heures du matin, les clairons raisonnent sur le quai de Vaise, annonçant l'arrivée des coureurs.

Maurice Garin est le premier à se présenter, et remporte la première étape du Tour de France, une minute devant le petit Tourquennois, Emile Pagie. Viennent ensuite Léon Georget, Fernand Augereau et Jean Fischer. Le Tour de France est né et bien né. Maurice Garin va survoler la compétition et terminer avec 2h49' d'avance sur son second à Paris.

Maurice Garin, premier vainqueur de l'épreuve.

L’étape assassine Luchon-Bayonne 1910

Le règlement de la première édition du Tour - 1903

L’incroyable logistique du Tour de France

.            En plus d’être l’un des événements sportifs les plus importants au monde, la Grande Boucle est aussi une machine économique aux chiffres impressionnants.

.            07 juillet 2018, départ du Tour de France de Noirmoutier. 22 équipes de 8 coureurs (contre 9 auparavant) prennent le départ de la Grande Boucle. Un total de 176 coureurs, bien loin de représenter la foule de personnes que draine l’organisation d’un tel événement. Lors de cette édition 2018, pas moins de 4.500 personnes sont accréditées par Amaury Sport Organisation (ASO), société organisatrice du Tour de France. Une logistique gigantesque qui comprend 2.400 véhicules, 294 accompagnateurs pour les équipes, 43 motards de la garde républicaine, 5 hélicoptères, 647 médias et 2.269 journalistes. Tout ce beau monde suit la route du Tour et, à chaque arrivée d’étape, la musique est identique : mettre en place, sur 5.000 mètres carrés, un podium de 33 mètres de long et l’ensemble des espaces dédiés aux médias et aux partenaires de la Grande Boucle. Puis tout démonter dès le soir même, déménager, et procéder à la même installation dans une autre ville le lendemain. Le tout durant trois semaines, avec, il faut le dire, aucune fausse note. Au fil des années, le Tour de France ne cesse de briller par le sérieux de son organisation et le réglage minutieux de sa gigantesque machine.

43 marques au sein de la caravane publicitaire

.            Un sérieux qui caractérise également le fonctionnement de la caravane du Tour. Un cortège publicitaire mis en place dès les années 1930 avec seulement quelques véhicules. Aujourd’hui, la caravane publicitaire est longue de 20 kilomètres, avec la présence de 25 semi-remorques et de 170 véhicules. Pas moins de 43 marques constituent ce cortège, dont des poids lourds de l’alimentation (Biscuits St Michel, Cochonou, Banette, Haribo, …), de l’automobile (Škoda) ou encore des marques prestigieuses, historiquement liées au Tour de France, qui ont tenu à lier leur image à celle de la Grande Boucle (LCL, Cofidis, Leclerc, RAGT Semences, FDJ, Vittel, …). Pour l’ensemble de ces marques, c’est l’opportunité unique de communiquer auprès des foules massées sur les routes. Chaque année, plus de 15 millions de cadeaux sont distribués par l’ensemble de la caravane publicitaire. Si l’impact est difficile à déterminer avec précision pour ces marques, l’image est, elle, extrêmement positive, puisqu’elle permet de lier l’image de la marque à l’un des événements les plus vus et les plus prestigieux au monde. Les marques y trouvent donc leur compte… tout comme les villes étapes.

200 villes candidates chaque année

.            Cette année, ces lieux ou villes étapes sont au nombre de 39, dont neuf sont inédits dans l’histoire du Tour de France. Pour ces villes retenues par ASO, c’est un rêve éveillé. Chaque année, plus de 200 villes postulent pour accueillir un départ ou une arrivée de la Grande Boucle. Beaucoup de candidats, peu d’élus. Mais pour ces derniers, accueillir une étape du Tour de France est bien évidemment loin d’être de tout repos, et le coût s’avère souvent très important. Ainsi, accueillir un départ d’étape se chiffre à 65.000 euros. La somme grimpe sensiblement pour une arrivée d’étape : 120.000 euros. Et puis, il y a aussi les villes qui veulent à la fois accueillir le départ et l’arrivée, lors d’un contre-la-montre par exemple. Le coût est alors d’un peu plus de 160.000 euros. Si ASO prend ensuite en charge une très grande partie de l’organisation, les villes doivent également mettre la main à la poche pour tout ce qui concerne la sécurité et l’aménagement des routes empruntées par le parcours.

Des retombées économiques indéniables

.           Un sacré coût pour les communes, qui bénéficient régulièrement de l’aide financière du Conseil départemental ou de la Région. Car un passage du Tour de France dans une ville c’est un rayonnement et des retombées assurées pour l’ensemble du territoire régional. Les commerçants sont ainsi les premiers à en profiter, tout comme les hôteliers. Selon une récente étude de Trivago, le plus grand comparateur d’hôtels au monde, les tarifs des chambres augmentent en moyenne de 24% par rapport aux prix habituels lors d’un passage du Tour de France. Pour les communes, l’impact réel à court et moyen terme est évidemment difficile à déterminer avec précision. Tout dépend bien évidemment de la taille de la commune, de son positionnement dans l’étape (départ ou arrivée) et de sa capacité à accueillir les nombreux spectateurs qui suivent le Tour durant trois semaines. Mais une chose est sûre : la Grande Boucle demeure un véritable accélérateur économique et touristique pour les territoires qui l’accueillent.

La caravane du Tour

Le dopage, une vieille histoire

.            Au début du XXe siècle, tandis que le cyclisme s’affirme comme un sport populaire et rémunérateur, le « doping » fait son apparition parmi les « forçats de la route ». Bientôt, la polémique enfle et la presse se questionne.

Si le terme « doping » – ou « dooping » – apparaît dans la presse au tout début du XXe siècle (cet anglicisme sera francisé en « dopage » des années plus tard), il est d’abord désigné pour pointer du doigt la course hippique. Vite, la pratique touche d’autres sports. La Presse évoque en 1909 un breuvage noirâtre avalé par le boxeur Sam McVey durant un combat. En 1912, L'Intransigeant balance sur le doping dans le sport auto et l'éther injecté dans les moteurs en vue de leur donner un coup de fouet. Concernant le cyclisme, toujours rien.

Il faut toutefois attendre le début des années 1920 pour que des journalistes publient des tribunes contre cette nouvelle forme de triche dans la pratique sportive. En 1923, le quotidien socialiste Le Populaire s’insurgera. Marcel Gentis tentera de détendre l'atmosphère dans un édito du magazine des passionnés de cyclisme La Pédale en 1924, se servant du doping afin de fustiger le nationalisme, et en laissant entendre que celui-ci, à petites doses, demeure « acceptable ».

Le Tour, qui vient de reprendre après le hiatus de la Première Guerre mondiale, voit un nouveau Français briller sur la compétition après dix années de victoires belges. C'est donc avec stupeur que le public apprend la nouvelle dans Le Petit Parisien du 27 juin 1924 : Henri Pélissier, vainqueur de l'édition 1923, et son frère Francis, abandonnent au bout de la troisième étape. Sous la plume d'Albert Londres, les deux frères rebaptisés « les forçats de la route » racontent leur peine, la cadence infernale de la course, la tyrannie de l’organisateur du Tour Henri Desgrange et les produits qu'ils se voient contraints d’ingérer pour tenir : cocaïne, chloroforme ou pilules. À deux ans de la quille, Pélissier se confiera à nouveau dans les pages de L'Intransigeant. Au mois d’août 1930, André Leducq (futur double vainqueur du Tour) jure – sur la tête de sa mère – qu’il se refuse à la « topette », concédant toutefois avoir déjà pris des excitants lors d'une course de six jours.

Mais, qui écouter et quelle substance interdire ? Tandis que l'on s’interroge dans les fédérations des autres disciplines – notamment la boxe, le tennis ou la course à pied –, quid du vélo ? Un cyclisme propre et honnête est-il ne serait-ce qu’imaginable ? Le doping est-il indispensable aux sportifs ?

1935 est marquée par une nouvelle affaire, celle d’Armand Blanchonnet, tandis que l'opinion publique se révèle de plus en plus soupçonneuse vis-à-vis de ces mystérieux excitants. Le coureur qui s'est prostré en plein élan a-t-il été simplement victime d'une intoxication ? Ces défaillances des coureurs inquiètent également le peuple belge, qui crie au « doping » lorsque leur champion Romain Maes abandonne soudainement le Tour en 1936.

Puis le débat prend une tournure inattendue lorsque l'écrivain Jacques Mortane signe un encadré intitulé « Un doping efficace : les pilules pour le foie » dans Le Petit Parisien du 14 septembre 1938.

Mais le ciel s'assombrit définitivement pour les « escrocs du cyclo » à compter de 1939. « Le doping interdit » titre L'Excelsior du 21 avril. L'Union vélocipédique de France vient en effet de déclarer le coureur Jean Fréchaut coupable de dopage, et condamne deux cyclistes concurrents à des amendes. L'usage des « toniques » est désormais strictement interdit et sanctionné. Le reste du peloton ne pourra plus jouer les étonnés. En août de la même année, Le Figaro enfoncera le clou en affirmant qu’« une commission interministérielle surveillera les manifestations d'ordre purement commercial (art. 13) et les fédérations s'engageront à y imposer le respect des règles de l'honnêteté sportive – dooping, fraude (art.14) ».

Le Tour reprendra en se soumettant à cette nouvelle charte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1947. La législation et les contrôles, eux, ne se renforceront significativement que vingt ans plus tard, à la fin des années 1960 – avec les succès mitigés que l’on sait.

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