Guerres, shintoïsme, empereur, économie, mafias, …

Guerres, shintoïsme, empereur, économie, mafias, …

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.            Les samouraïs ayant été remerciés, l’empereur décrète dès 1872, l’instauration d’une armée moderne entièrement remodelée et basée sur la conscription. Tous les citoyens de 17 à 40 ans sont tenus d’effectuer un service militaire de 3 ans. Le code d’honneur des samouraïs ne tombe pas pour autant en désuétude, les décennies à venir en apporteront de nombreuses démonstrations.

.            En attendant (dans ce domaine comme dans bien d’autres, le Japon puise son inspiration en occident avec les préceptes d’égalité et de liberté dont il affirme vouloir s’inspirer), il importe une haute technologie. En matière de marine, la Royal Navy reste la référence suprême, c’est donc elle, qui formera les nouveaux équipages nippons. Quant à l’armée de terre, elle s’inspirera d’abord du modèle français, mais après l’échec de Napoléon III face à Bismarck en 1878, c’est aux prussiens que les japonais emprunteront l’essentiel de leur savoir-faire en la matière.

.            Le pouvoir civil est exercé par la Diète, un parlement composé de 2 chambres, mais c’est un pouvoir très formel. En fait dès la fin du 19ème siècle, l’essentiel de la décision appartient aux militaires protecteurs d’une oligarchie de financiers et d’industriels dévorés d’ambition. Les japonais ne font qu’imiter, une fois de plus, les Etats-Unis et les grandes puissances européennes dont la politique étrangère vise à dépecer le reste du monde pour y imposer leur loi économique par persuasion ou par force.

Dernier inscrit dans la classe des nations développées, le Japon, élève particulièrement doué, aborde le siècle nouveau dans l’euphorie. En cette aube du 20ème siècle, les japonais vivent déjà dans une recherche d’harmonie entre progrès et tradition qui va devenir le trait dominant de leur vie quotidienne.
Trains électrifiés, machines à écrire coexistent avec des techniques de production moyenâgeuses. Le progressisme avait frappé trop vite et trop fort. Ce système qui consiste à former une multitude à la fois compétente et soumise passe à côté de la vraie modernité pour glisser irrésistiblement vers une idéologie totalitaire.

.            S’il y avait une institution qui avait bien résisté au modernisme ambiant, c’était la religion. Pas celle des bouddhistes, jugés presque séditieux avec leur vision passéiste du monde, mais celle du shintoïsme et du confucianisme qui l’inspire. Officiellement élevée au rang de religion d’état, le shintoïsme devient dès lors une arme supplémentaire aux mains des politiciens et des militaires ultra nationalistes, la caution auprès de millions de fidèles d’une règle obscure et impérieuse de soumission à l’empereur et bien évidemment à tous ceux qui se réclament de lui. Une doctrine parfaitement dans l’air du temps dès lors qu’elle prône des règles d’obéissance et de respect de la hiérarchie.

.            La toute nouvelle marine japonaise s’était taillée un premier succès face aux chinois en 1894 à l’issu d’une courte guerre qui permis à Tokyo de s’emparer de l’ile de Formose, simple prélude à une autre victoire beaucoup plus convaincante remportée le 02 janvier 1905 par l’armée de terre japonaise sur la garnison tsariste de Port-Arthur en Manchourie. 400.000 soldats russes rendirent les armes à 300.000 japonais qui révélèrent, à cette occasion, de réelles qualités guerrières, mais surtout un moral d’acier et une absolue volonté de vaincre.

Pour la première fois, l’armée impériale reprenait à son compte les vertus de ses ancêtres « les samouraïs ». Cinq mois plus tard, ce succès se transforma en triomphe lorsque l’amiral Togo infligea une humiliante défaite aux escadres russes dans le détroit de Tsushima. Le président américain Roosevelt ne dédaigna pas de superviser personnellement les négociations de paix (Traité de Portsmouth, 05 septembre 1905). Celles-ci accordaient au Japon une tête de pont en Chine et dans les iles de Sakhaline. Les vainqueurs jugèrent cela très insuffisant, à Tokyo, une manifestation de protestation fit 1.000 morts. En 1910, le Japon annexa la Corée sans susciter la moindre réaction internationale.

.            De toute éternité, le soleil ici fût révéré et l’empereur décrété son descendant direct. Tous les japonais se considérant comme les lointains héritiers de Jinmu, la nation entière s’affirme liée, non seulement à son souverain, mais au soleil lui-même. Entre temps, le pouvoir impérial s’était prudemment replié sur les 50 hectares de son palais de Tokyo, « Kokyo » en japonais. Né avec le siècle, Hirohito monta sur le trône en 1926, intellectuel, biologiste de formation et par ailleurs, d’apparence très réservée, l’homme n’avait rien d’un seigneur de la guerre destiné à être déifié. Il n’en restait pas moins, pour ses sujets, le symbole de cet astre du jour qui figure sur le drapeau, le descendant direct du soleil rayonnant, l’intermédiaire privilégié entre le dieu suprême et la masse soumise de ses fidèles adorateurs. Un emblème vivant incompréhensible à une mentalité occidentale incapable de concevoir en un seul personnage, le christ, le pape et le chef de l’état. Pas plus qu’on ne peut fixer le soleil, on ne pouvait fixer l’empereur, on ne défilait devant lui que les yeux baissés avec humilité et soumission. Sur le passage de son carrosse, ses sujets étaient tenus de fermer toutes leurs fenêtres. Un train roulant vers Tokyo était toujours prioritaire car c’est à Tokyo que vit l’empereur. Aucun japonais n’était autorisé à posséder une voiture de couleur marron car telle était la couleur des voitures de la cour. Lorsque le Time magazine consacra sa page de couverture à l’empereur, la diplomatie impériale cria au sacrilège.

.            Cette dévotion d’un autre âge dissimulait malheureusement de beaucoup plus pénibles réalités. Le pouvoir s’appuyait sur une police musclée. Tout citoyen soupçonné de simple tiédeur à l’égard du régime était menacé d’arrestation arbitraire ou d’élimination physique pure et simple.
Dès la fin des années 20, les militaires pouvaient généralement compter sur les soi-disant forces de l’ordre pour mettre le pays en coupe réglée. Malheur à la classe politique libérale comme aux rares téméraires tentés par une réflexion marxiste. Et là où la répression officielle ne suffit pas, on fait appel aux sociétés secrètes. La plus célèbre est celle du Dragon noir solidement implantée à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur des frontières. Les hommes de main de l’extrême droite utilisent l’action politique comme écran d’activités moins avouables et plus lucratives : corruption, drogues, prostitution, assassinats. Leur chef Mitsuru Toyama a pignon sur rue ; comme Al Capone, il impose sa respectabilité par la terreur. Aujourd’hui encore, 100.000 de ses héritiers, les yakuzas réalisent au Japon des bénéfices illégaux de quelques 50 milliards de dollars.

.            Les sociétés secrètes ultranationalistes japonaises ont joué un rôle important dans la militarisation du Japon et dans son agression de plusieurs pays d'Asie, notamment au cours de la seconde guerre mondiale. La société du Dragon noir (Kokuryukai) a été fondée en 1901. Le Kokuryukai se démarqua des éléments criminels de son prédécesseur, la Société de l'Océan noir. En conséquence, ses membres incluaient des ministres et des officiers militaires de haut rang ainsi que des agents secrets. Cependant, avec le temps, les activités criminelles sont devenues une pratique nécessaire pour nombre de ses opérations. La Société s’est spécialisée dans l'espionnage. Elle a également fait pression sur les politiciens japonais afin qu'ils adoptent une politique étrangère forte. Le kokuryukai a également soutenu le pan-asianisme.

Au cours de la guerre russo-japonaise, de l'annexion de la Corée et de l'intervention en Sibérie, l'armée impériale japonaise a fait usage du réseau du Kokuryukai pour des missions d'espionnage, de sabotage et d'assassinat. Ses contacts en Asie centrale ont été maintenus pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Dragons Noirs ont aussi établi un contact étroit et même des alliances avec des sectes bouddhistes à travers l'Asie. Pendant les années 1920 et 1930, le kokuryukai évolua plus comme organisation politique et combattit les pensées libérales et de gauche. Bien qu'il n'y eut jamais eu plus de plusieurs dizaines de membres à un moment quelconque au cours de cette période, les liens (très) étroits avec les principaux membres du gouvernement, de l'armée et des chefs des grandes entreprises lui ont donné un pouvoir et une influence beaucoup plus grande que la plupart des autres groupes ultranationalistes.

Le kokuryukai a été officiellement dissous par ordre des autorités d'occupation américaines en 1946. Il se serait reconstitué en 1961 comme le Dragon Noir Club (Kokuryū-kurabu).

.            On relève dans les annales du sport japonais, l’apparition très remarquée du baseball en 1873 destiné à un bel avenir. Un demi-siècle plus tard, il était aussi populaire au Japon qu’aux Etats-Unis et les plus grandes vedettes américaines se taillaient un beau succès dans des exhibitions suivies par des foules enthousiastes. Cela ne plaisait pas aux ultras conservateurs. Pour avoir organisé une de ces démonstrations sportives, un des plus célèbres éditeurs de journaux de Tokyo fût tout simplement assassiné.

.            A l’époque déjà, les coûts de production très faibles des manufactures japonaises suscitaient l’irritation de la concurrence occidentale. Les asiatiques étaient réputés capables de produire n’importe quoi à des prix dérisoires. On les accusait aussi, c’était au début du siècle, de pirater systématiquement les brevets déposés et d’élever l’imitation au niveau d’un système économique. Nul n’ignore que le problème reste d’actualité, sinon que le label « made in Japan » n’implique plus, loin de là, aujourd’hui un produit de qualité inférieur notamment dans le secteur de l’électronique et de l’automobile.
Le don de copier devint donc une vertu nationale, même lorsqu’il s’agissait de fabriquer des drapeaux américains.

L’importation des techniques occidentales n’avait pas augmenté sensiblement les salaires, les suppléments de bénéfices n’étaient pas réinvestis dans le circuit commercial traditionnel, mais plutôt dans l’industrie lourde et surtout à vocation militaire. Les puissants lobbies financiers travaillaient main dans la main avec les généraux au pouvoir pour transformer l’économie japonaise en une gigantesque machine de guerre et de conquête.