Le pays du Soleil Levant : jusqu’à 1603
D'après : Herodote.net - Béatrice Roman-Amat & André Larané – Histoire pour tous – Wikipêdia-
Torii ou portique shinto, à Atami, Japon méridional, 1882
Le oui-dire de Marco Polo
. Qui se douterait que le Japon, qui occupe aujourd'hui une place majeure dans le monde, était inconnu des Européens avant les grandes explorations maritimes du XVIe siècle ? C'est tout juste si le voyageur vénitien Marco Polo, qui a parcouru l'Asie Centrale du 16 avril 1245 au 9 juin 1247, l'a évoqué par ouï-dire à la fin du XIIIe siècle et c'est en 1542 seulement qu'un navire européen, portugais en l'occurrence, accoste sur l'archipel.
. À la cour de l'empereur de Chine, Marco Polo entend parler d'un archipel mystérieux situé à l'Est. Il lui donne le nom de Cipango, d'après l'expression cantonaise Jih pen Kwok (pays du Soleil levant), appellation tout à fait logique dès lors que le Japon s’étend à l’est des côtes … de la Chine.. De Cipango dérive par déformation phonétique l'appellation Japon que nous donnons aujourd'hui à ce pays. Les Japonais eux-mêmes l'appellent Nippon ou Nihon, ce qui signifie « Soleil levant ».
Son histoire est pourtant très similaire à celle des États européens. Ainsi la société japonaise est-elle la seule, en dehors de l'Europe, à avoir connu une féodalité. Elle plonge aussi dans la nuit des légendes. Les mythes nationaux font remonter la fondation de la dynastie impériale, toujours en fonction, à la déesse Amaterasu Omikami (660 av. J.-C.).
L'archipel nippon - Situé sur la « ceinture de feu » (chapelets de volcans) du Pacifique, l'archipel nippon s'étire des latitudes sibériennes à la zone intertropicale. Il comprend du nord au sud les îles d'Hokkaïdo, Honshu (ou Hondo), Shikoku et Kyushu, ainsi que les îles Riu Kiu (ou Riou Kiou), dont la principale est Okinawa.
Dans la nuit des temps
. Les quatre grandes îles de l'archipel (du nord au sud –est à l’ouest-, Hokkaïdo, Honshu ou Hondo, Shikoku et Kyushu) au cours de l'ère quaternaire ont été reliées au continent, du fait de l'abaissement du niveau des océans à la faveur des grandes glaciations. C'est ainsi qu'elles en ont conservé l’essentiel de la flore et de la faune, accueilli de grands mammifères tels des mammouths mais aussi des hommes venus à pied du continent.
Les civilisations paléolithiques sont apparues assez tardivement dans l'archipel, sans doute pas avant 25.000 ans BP (Before Present) comme le montrent des outils bifaces de type acheuléen découverts au nord-ouest de Tokyo.
L'archipel a d'abord été peuplé par des chasseurs-cueilleurs de type caucasien (Blancs), les Aïnous ou Aïnos. Aujourd'hui refoulés dans l'île septentrionale de Hokkaïdo, ils ne sont plus guère qu’une vingtaine de milliers, en bonne partie métissés. Leurs caractéristiques physiques sont très éloignées de celles de leurs voisins, ils ont le teint pâle et les yeux clairs. Ils furent successivement rejoints et assimilés par des populations mongoles, mandchou, malaysiennes. Plus tard arrivèrent les Japonais actuels, en provenance de la péninsule coréenne. Tous finirent par se fondre en une race japonaise que l’on peut désormais considérer comme relativement homogène.
Aïnous du Japon en 1904
Ére Jômon, à l’aube du Japon : -14000 / -300
. La première civilisation référencée, dite Jômon (« cordée ») ne prend forme qu’au VIIIe millénaire av. J.-C. et s'épanouit entre -2500 et 300 av. J.-C.
Comme la civilisation Jômon est installée dans un biotope riche en ressources marines et en produits de la forêt, elle en reste longtemps au stade de la cueillette et ne fera la place à l'agriculture que dans les derniers siècles avant notre ère. Ses membres, essentiellement des paysans et des pêcheurs sont divisés en de nombreux groupes semi-nomades se déplaçant au gré des saisons (« civilisation des maraîchers »).
La monnaie n’existe pas encore, mais ils manifestent un remarquable sens artistique comme l'attestent les trouvailles archéologiques en céramique.
C'est aussi à la fin de cette époque Jômon que se constitue l'actuelle religion nationale du Japon, à base de chamanisme, une religion animiste.
11 février 660 av. J.-C. : Naissance légendaire du Japon
. A Kyushu, l’ile méridionale, trône le plus haut volcan en activité du monde, le Mont Aso, le berceau de la race car c’est là, dit la légende, que le premier empereur Jimmu Tennô, descendant de la déesse du Soleil, Amaterasu Omikami, aurait commencé son exploration vers l’Est. Le 11 février de l'an 660 av. J.-C., Jimmu érige le premier palais du Japon. De ce jour date la naissance de l'Empire du Soleil levant.
. C'est du moins ce qui ressort de deux livres sacrés rédigés au VIIIe siècle de notre ère, le Kojiki et son complément, le Nihongi. Ils racontent comment plusieurs générations de divinités se succédèrent dans le ciel et sur la terre jusqu'à l'avènement d'Izanagi et de sa soeur Izanami. De leur union naquirent l'archipel nippon et les esprits divins qui l'habitent (les Kami).
Izanami étant morte en couches, Amaterasu Omikami naît peu après de l'oeil droit d'Izanagi. Un temps, malmenée par son frère Susano, elle choisit de se cacher dans une grotte, privant le monde de sa lumière et de sa beauté. Les divinités réussissent par ruse à l'en faire sortir en proclamant qu'elles ont déniché une déesse qui surpasse en beauté toute la création. Curieuse, Amaterasu consent à sortir pour s'en rendre compte et que voit-elle en fait de beauté suprême ? Elle-même dans le reflet d'un miroir !
Réconciliée avec son frère, elle prolonge avec lui la lignée divine jusqu'à un humain d'essence divine, Jimmu Tennô, premier empereur nippon.
La déesse Amaterasu rappelle la Déesse-Mère des premières sociétés humaines, du temps où la femme trônait encore au centre de la vie sociale.
. Elle figure au centre du culte shintô, la religion traditionnelle du Japon et est honorée dans le célèbre sanctuaire d'Ise, dans la préfecture de Mie, pas très loin à l’est de Nara. Celui-ci, comme tous les sanctuaires shintô, est séparé du monde temporel par un portique symbolique, le torii.
Shintô est un mot chinois qui dérive de shen (esprit) et tao (voie). Le shintô reconnaît en effet la présence d'esprits (Kami) qui se déplacent dans les éléments de la nature (lacs, rochers, grottes, forêts, ...). Il en existerait 800 millions (!). Le Japon demeurerait le seul grand pays de la planète dont la religion principale puisse être qualifiée d'animiste.
. En 1867, quand l'empereur Meiji s'approprie le pouvoir absolu, il a soin de réaffirmer sa filiation avec Amaterasu et le caractère sacré de sa dynastie. Il instaure aussi un shintô d'État au détriment du bouddhisme importé de Chine.
Après la défaite de 1945, sous la pression des Américains, l'empereur Shôwa, connu de son vivant sous le nom de Hirohito, convient publiquement qu'il n'est pas d'ascendance divine. Les liens entre l'État et le culte shintô sont officiellement coupés.
Le shintô des sanctuaires demeure néanmoins très vivant. Ainsi, lorsque débutent de grands travaux comme le percement d'un tunnel, un prêtre shintoïste ne manque pas de bénir le chantier pour apaiser les esprits de la nature. Cependant, si la majorité des Japonais font allégeance au shintô, la majorité, et souvent les mêmes, suivent avec la même ferveur les préceptes bouddhistes. Cette religion a été introduite avec succès sur l'archipel au VIe siècle de notre ère. Détachée de la nature et de la matière, elle s'oppose de toutes les façons possibles au shintoïsme. Cela ne rebute pas les Japonais qui pratiquent un syncrétisme pratique : ils sont shintoïstes dans les événements heureux (naissances, mariages –parfois à la mode « chrétienne » à Tokyo, façon Las Vegas !-) et bouddhistes dans les événements graves, en particulier les funérailles.
. Fête nationale : en 1872, l'empereur Meiji a fait officiellement du 11 février l'anniversaire de la fondation de l'empire selon la tradition shintô. Abolie par les Américains en 1945, la fête nationale a été rétablie en 1966.
Ére Yayoi, le Japon et la Chine : -300 / 300
. A la civilisation Jômon succède l'« époque Yayoi » (IVe siècle av. J.-C. - IIIe siècle après J.-C.), sans doute avec des nouveaux-venus établis dans le nord de Kyushu, l’île la plus au sud de l’archipel.
Ils amènent avec eux le riz et surtout la manière de le cultiver, sédentarisant les villages. Ils apportent également la métallurgie du bronze au début de notre ère puis la métallurgie du fer (probablement importé de Corée). Avec eux, l'État nippon entre dans l'Histoire. Le shintoïsme apparaît, qui repose sur l'adoration des kamis, 6 millions d'esprits qui habitent l'espace naturel, avec lesquels on communique pour éloigner catastrophes et entités maléfiques et sur la pureté. Les premiers contacts avec la Chine se font jour.
La richesse apparaît, une classe de seigneurs féodaux se fait jour, régissant taxes, justice, rites, religion, … ; les premiers clans se forment où le prestige renforce le pouvoir du chef.
Ére Kofun, l’Empire émergeant : 300 / 538
. À l'« époque Kofun », dite des grandes sépultures (de 250 après J.-C. à la fin du VIe siècle environ), les Japonais ensevelissent leurs morts sous des tumulus surmontés de haniwa (cylindres de terre cuite aux formes artistiques). Ces sépultures contiennent des objets en céramique et en bronze et des armes.
Haniwa ou urne funéraire de l'époque Tofun (Japon, VIe siècle, 1,20 mètre, musée Guimet, Paris
Par l'intermédiaire de leurs voisins coréens, les Japonais adoptent peu à peu l'écriture chinoise et se dotent d'une administration embryonnaire. Avec en plus la domestication des chevaux et la fabrication d'armures métalliques, il s'ensuit la constitution de grandes armées et d'un premier pouvoir centralisé vers le IVè siècle.
Celui-ci, la Cour de Yamato, absorbe les nombreux clans du centre et du sud du Japon. Tous ces clans se réclament de la filiation d'un même ancêtre conservent le pouvoir dans leur région respective, mais sont unis (fédérés) sous le contrôle de la Cour. La famille régnante de la Cour elle-même prétend descendre de la déesse du soleil Amaterasu et jouit donc d’un pouvoir absolu. Les rivalités entre clans commencent à se manifester, les alliances maritales avec la famille de l’Empereur soignant les influences.
À la fin du IVe siècle, la Cour devient l’interlocuteur privilégié des Chinois et Coréens qui commencent à émigrer en apportant notamment le bouddhisme ; les Japonais deviennent même assez forts pour débarquer en Corée et aider à la lutte contre les tribus mandchoues. Un petit État nippon y sera établi, qui perdurera pendant deux siècles.
Durant 6 siècles, la Cour de Yamato va établir l’Empire
Naissance d'un État : l’âge d’or de l’Empire
Époque d’Asuka : 538 / 710
. Aux VIe et VIIe siècles (qui correspondent en Occident à l'époque mérovingienne) se met en place une aristocratie sous l'autorité nominale de l'empereur ou Tennô (souverain céleste du Pays du Soleil levant), auquel est reconnu une ascendance divine. C'est l'« époque d'Asuka », du nom de la résidence impériale. Elle marque l'entrée effective du Japon dans l'Histoire.
Les arts, les traditions culturelles et religieuses, le système d’écriture se développent tandis que les conflits restent marginaux. Cet âge d’or voit désigner l’Empire par le nom de Japon (Nihon). Le concept de Mandat du Ciel (pouvoir de droit divin) est introduit par Shotoku Taishi (574-622).
Sous la direction du clan Soga, la sinisation s’amplifie. Le bouddhisme, qui devient religion d'État en 594 s'additionne au shintoïsme sans le combattre. La crémation supplante l'inhumation comme rituel funéraire, mettant fin à l'art des haniwa.; des temples bouddhistes sont construits, le calendrier chinois est adopté, des missions sont envoyées en chine (dynastie Tang). La culture chinoise imprègne les usages et la politique. Pourtant la rivalité entre les deux pays se développe, le Japon ne se considérant plus vassal de son voisin chinois.
En 645, le clan Soga est renversé par le clan Fujiwara qui va lancer les réformes Taika (le Grand Changement). Dans la mesure où le contrôle des terres n’est plus héréditaire elles sont remises à chaque génération à l’administration impériale pour redistribution. Taxes sur les récoltes et les tissus ainsi que corvée pour financer une milice et des édifices publics sont instituées. La centralisation se renforce, le nombre de fonctionnaires augmente, le ritsuryo, ensemble de règles pénales et administratives, est établi. Huit ministères sont créés. En 701, l'empereur Mommu structure le pays à la manière chinoise, en créant 66 provinces, ancêtres des actuelles préfectures.
Particularismes nippons
. Les Japonais de l'époque d'Asuka adoptent la manière de leurs contemporains chinois de s'asseoir à même le sol. Quand plus tard, les Chinois se convertissent à l'usage de tables hautes et de chaises, les Japonais, repliés sur leur archipel, négligent cette nouveauté mais innovent de leur côté avec le tatami, tapis en paille de riz apparu au XIVe siècle et destiné à recouvrir le sol des habitations.
Le conte du marchand de sel (Bunsho Soshi, XVIIe siècle)
Autre exemple d'innovation endogène : via la Corée, les Japonais empruntent aux Chinois les idéogrammes Kanji mais ne tardent pas à les compléter avec environ 90 caractères proprement japonais de type syllabique : hiragana et katakana.
Époque de Nara : 710 / 794
. En 710, l'impératrice Gemmyo, dans la tradition selon laquelle chaque nouvel empereur établissait une capitale différente des précédentes, installe sa capitale à Nara, au sud de la grande île d'Honshu, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Kyoto. La construction de cette ville impériale, selon le même plan que Xi'an, la capitale chinoise des Tangs, symbolise la conception autoritaire d'un État dont le pouvoir s'est beaucoup accru au fil des ans. La bureaucratie impériale s’y développera ; la ville va vite devenir le plus grand centre urbain qui comptera 200.000 habitants.
Bien que le bouddhisme cessa d’être la religion d'état, le clergé bouddhiste veut s’adapter à la réalité japonaise. Un immense complexe monastique, le Todaiji, est construit avec en son centre une immense statue de Bouddha de plus de 16 m. en bronze, associée à la déese du soleil Amaterasu.
Les techniques d'irrigation se développent, de même que l'élevage des vers à soie. Les premières monnaies japonaises sont fondues. Penseurs et artistes vont faire exploser la culture, en particulier la littérature japonaise, avec l’apport des caractères kanas. Les premières chroniques impériales sont écrites, le Kojiki (712) et le Nihon Shoki (724).
La permanence et la concentration de la cour impériale va multiplier les intrigues de palais et les luttes de pouvoir et ce printemps culturel va conduire au déclin du pouvoir impérial et aux premières guerres de clans. L’impératrice Köken (749-758) sera la dernière femme à pouvoir assurer la succession impériale.
La religion au Japon
. Le fait religieux au Japon est essentiel, il puise ses racines dans le shintoïsme, ensemble très ancien de croyances diverses qui assure le ciment social, en établissant la consanguinité du peuple avec l’empereur et par lui avec le soleil. Au 7ème siècle de notre ére, ce culte ancestral subit la profonde influence d’une croyance importée d’Inde, de Chine et de Corée : le bouddhisme.
Les japonais peuvent, sans éprouver la moindre contradiction, adhérer à plusieurs croyances. Seuls les architectes semblent soucieux de marquer la différence. Les sanctuaires shintos sont très dépouillés et intégrés à la nature qui les entoure. Le style des temples bouddhiques évoque davantage la Chine ; les constructions sont élaborées, elles renferment une profusion de statues et d’ornements. Les temples bouddhiques participent donc au même titre que les sanctuaires shintos à l’image familière de la culture nipponne. Ceux de Nara et de ses environs remontent au milieu du 8ème siècle. Ce sont les édifices en bois les plus anciens du monde.
Cette pratique conjointe de deux religions fait du peuple japonais l’un des plus pieux qui soit. Les édifices religieux de Nara, creuset du Japon impérial, concrétisent 1.200 ans de lente fusion entre le shintoïsme et le bouddhisme. D’une part, le culte antique voué à une infinité de dieux le kami qui couvre les éléments naturels : arbres, rochers, rivières, mais aussi les ancêtres auxquels la mort permet d’accéder, pour le meilleur des cas, à la qualité de divinité. Ces kami sont de capricieux dispensateurs de forces bénéfiques ou maléfiques. Il est essentiel de s’attirer leur bienveillance par une multitude de rites destinés à écarter la mort, la maladie et toutes formes de malédictions.
Le shintoïsme qui a tendance à tout sacraliser n’est pas étranger à un certain fanatisme nationaliste. Le bouddhisme tolérant par essence n’a eu aucune peine à cohabiter avec ce gigantesque panthéon. Il a joué un rôle civilisateur de tendance généralement pacifiste.
Ainsi, le japonais est à la fois respectueux des innombrables divinités qui peuplent son univers et fidèle à l’enseignement de Bouddha sans toujours démêler très clairement les notions qui relèvent de l’une ou de l’autre religion.
Les éléments naturels occupent une place de choix dans la vie religieuse. D’innombrables rites accompagnent leur célébration. On s’attire à grands renforts de flammes et de fumée la bienveillance des démons du feu.
Les esprits des lacs, rivières et océans font l’objet des mêmes vénérations, elles ont inspiré le sanctuaire Itsuku-shima fondé au 9ème siècle à proximité d’Hiroshima est réputé l’un des plus beaux sites maritimes du Japon avec les plages proches de Kyoto.
Le bain, sous toutes ses formes, thermes, bains publics ou privés, est au Japon une passion nationale qu’il faut assimiler au culte porté à l’eau courante à ses centaines de sources qui jaillissent du nord au sud du pays. Jusqu’au cœur des villes modernes, fusent de spectaculaires geysers qui semblent produits par de mystérieuses usines souterraines.
Le temple shinto Itsukushima Shrine et son célèbre Torii, immergé à marée haute.
Ére d’Heian : 794 / 1185
. En 794, l'empereur Kammu construira sa résidence à Heian-kyô (plus tard Kyoto, qui restera le siège de la cour impériale jusqu'en 1868) sur le même plan que Nara, sur une plus grande échelle. Là s'épanouit la vie de cour (à la même époque, Charlemagne place l'Occident sous son sceptre).
L’hymne national actuel du Japon, le Kimi Ga Yo, a été écrit vers l’an 800. Puis au XIè siècle, (1008 ?) sous l’ère Heian, le célèbre Dit du Genji de Murasaki Shikibu, une dame de cour, sera, avec les Notes de Chevet écrites à la même époque par une autre femme Sei Shonagon le roman fondateur de la culture nipponne. Il narre les aventures amoureuses du fils de l’empereur Saga, en 79 scènes où la calligraphie cursive des idéogrammes (les kanas -hiragana et katakanas-) se met en place, et avec pour chacune une illustration. Cette œuvre fleuve est considérée comme le premier roman du Japon et de la littérature mondiale féminine.
Le pouvoir est très vite monopolisé par la famille des Fujiwara qui s'octroient la charge de kampaku (régent) et marient leurs filles aux empereurs. Habiles administrateurs, possesseurs d’immenses cultures, les Fujiwara préservent une paix relative dans l'ère de peuplement nippon ; principalement le sud de l'île d'Honshu. S’immisçant dans la gestion des affaires de l’Empire, les prémices du système féodal se mettaient en place.
Les forces armées puisaient leur moyens et subsistances dans les shoên, ces terres et domaines exploitables donnés par l'empereur à un grand noble ou une institution, quitte à ce que les troupes les protègent des pillards et des incursions des Emishi, les tribus du nord. En réalité, des milices privées qui allaient faire émerger les guerriers (bushi), appelés plus tard les samouraïs (« ceux qui servent »).
Une rébellion (1156) déposséda les Fujiwara. L’empereur reprit le contrôle de l’administration et institua un conseil impérial.
Au tournant du XIIe siècle, l'État nippon est encore pour l'essentiel confiné dans le sud de la grande île de Honshu (ou Hondo), sur les bords de la mer Intérieure. Il entame alors son expansion vers les terres sauvages du nord de l'île. Dans les régions frontalières se dresse une noblesse guerrière de type féodal. C'est ainsi qu'à côté des splendeurs de la cour va se développer la caste des guerriers, les samouraïs, dans la langue populaire, pour désigner les guerriers (bushi) au service des grands seigneurs féodaux (daimyô), du général en chef (shôgun) et de l'empereur (tennô).
A partir de 1180, et pendant 5 années, la guerre de Genpei, la première véritable guerre civile de l’histoire japonaise, voit s'affronter deux clans princiers pour le contrôle de la région de Kobe. Le vainqueur, un chef prestigieux du nom de Minamoto no Yoritomo, impose en 1192 un gouvernement militaire parallèle à celui de l'empereur. C'est le bakufu (« gouvernement de la tente », la tente des militaires en campagne). Son siège est fixé à Kamakura, à 60 km de l'actuelle Tokyo.
Duel d'archers samouraïs pendant la guerre de Genpei (1183), gravure du XIXe siècle
Yoritomo obtient le titre de shôgun (« général en chef contre les Barbares ») ; les samouraïs deviennent une caste guerrière. Il assume la réalité du pouvoir au détriment de l'empereur, cantonné à Kyoto, qui restera pendant 5 siècles limité à ses fonctions religieuses et symboliques. Un premier code, le bushido (« voie du guerrier »), fixe de façon très rigoureuse les devoirs des guerriers et des serviteurs du shôgun en conformité avec la morale confucianiste. Ainsi naît la féodalité japonaise.
. Jusqu'au XIIe siècle, l’état Nippon est demeuré pour l'essentiel confiné dans la province du Shinkansen, entre Kyoto et Edo qui signifie « estuaire » (aujourd'hui Tokyo, qui signifie « capitale orientale ») au sud de la grande île de Honshu (ou Hondo). Il entame alors son expansion vers le nord en repoussant ou exterminant les Aïnous (ou Aïnos), des aborigènes blancs, par ailleurs les premiers habitants de l'archipel. À cette époque apparaît la féodalité, avec des seigneurs, les daimyos, des guerriers, les samouraïs, et un maire du palais ou shôgun, sous l'autorité formelle de l'empereur ou Tennô, chef de la religion officielle, le shintoisme.
Ere Kamakura : 1185 / 1337
. Yoritomo consolide sa puissance en créant trois ministères essentiels à la gouvernance (finance et administration, justice et troupes et… application des décisions) et en confisquant de nombreuses terres qui, redistribuées à ses vassaux, garantissaient leur fidélité. Ainsi se concrétisa le système féodal et la caste des samouraïs.
A la mort de Yoritomo (1199), il y avait deux centres de pouvoir au Japon : l’empereur à Kyoto et les nouvelles familles de grands propriétaires terriens regroupées à Kamakura à une cinquantaine de kilomètres au sud de Tokyo. Loin de la cour impériale qui survit à Kyoto, fournissant sa caution morale et son prestige au chef de la coalition finalement victorieuse auquel il a donné le titre de shôgun, celui-ci installe pratiquement une administration parallèle à celle du gouvernement impérial. Pourtant un clan guerrier, les Hôjô, réussit à ôter les prérogatives dont jouissait le fils successeur et ce clan devint de facto le maître du pouvoir shogunal. En 1221, l’empereur Gô-Toba voulut contrer Hôjô, qui empiétait de plus en plus sur ses pouvoirs. Il fut écrasé (incident de Jokyû) ; c’est la fin du pouvoir impérial.
Il deviendra très vite de « tradition » que l’empereur délègue ses pouvoirs à un shogun, un généralissime dont la puissance ira croissante du 12ème au 16ème siècle, période considérée comme le moyen âge nippon. Cette féodalité laissera la place à une génération de seigneurs de la guerre, les daïmyo, multitude de potentats locaux régnant sans partage sur des territoires parfois minuscules.
Pendant un demi-siècle, les régents Hôjô exercèrent le pouvoir sans menace particulière, jusqu’à ce qu’en 1274, les Mongols, dont une dynastie, les Yuans, était établie en Chine, et qui s’étaient déjà rendus maîtres de la Corée, tentent d'envahir le Japon. Les Japonais, faisant preuve d'une audace peu commune, repoussent la puissante flotte mongole de 600 navires et 23.000 hommes. Selon les chroniques, une tempête divine (« kamikaze ») aurait mis à mal les jonques géantes des Mongols, venant opportunément au secours des Japonais. Le 13 août 1281, 7 ans plus tard, nouvelle tentative mongole, débarquement apparemment réussi, quelques semaines de combat … et de nouveau un kamikaze (Il n'y aura plus dès lors de tentative d'invasion du Japon, jusqu'à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale.) ... Le shôgun n'en est pas moins affaibli par ces attaques étrangères.
L'empereur Go-Daigo veut en profiter pour reprendre le pouvoir en 1333. Il parvient à abattre le shôgunat de Kamukura avec le soutien d'un clan militaire, les Ashikaga. Le pouvoir impérial est rétabli, mais pour une courte période (la Restauration Kemmu), car Takauji Ashikaga se retourne contre l'empereur et défait ses troupes à la bataille de la rivière Minato le 05 février 1336.
Ere Muromachi : 1337 / 1573
. La rapacité des seigneurs de guerre crée des coalitions mouvantes, et, après cet épisode de guerres civiles, une coalition un peu plus stable émerge un moment, c’est le deuxième gouvernement des guerriers, dont Takauji Ashikaga, nommé shogun en 1337, installe le siège de ce second bakufu à Muromachi, un quartier de Kyoto pour mieux contrôler l’empereur. Ne répondant qu’au shogun, les gouverneurs (daimyôs) obtinrent quasiment tous les pouvoirs sur les terres qu’ils dirigent, jusqu’à réduire progressivement l’influence des shoguns. Bien vite, les Ashikaga n'arrivent plus à restaurer l'autorité des anciens shôguns qui doivent faire face à la montée en puissance des daimyôs, environ 250 seigneurs locaux héréditaires, proches de la paysannerie, qui se partagent l'essentiel du territoire et se font des guerres incessantes.
Cependant, l'empereur « déchu » n’a pas renoncé. Il fonde une autre cour dans les montagnes de Yoshino, au sud de Nara, la « cour du Sud », et ses partisans ne vont cesser de se heurter à ceux du shôgun. La paix revient enfin en 1392 quand Ashikaga Yoshimitsu, petit-fils de Takauji, met fin à la « Période des cours du Sud et du Nord » et réintègre la première à Kyoto.
Tout au long des 14 subdivisions traditionnelles qui jalonnent cette ère, les souvenirs de l’administration impériale s’estompent encore peu à peu, alors que le caractère féodal du gouvernement des guerriers, cette pyramide de domaines privés, se renforce.
Le pays s'ouvre au commerce international, avec la Chine et à l'Occident, via le port méridional de Nagasaki, grâce à une classe active de marchands. Le shôgunat se reconnaît vassal de la Chine des Ming.
Le quartier de Muromachi connaît une grande effervescence artistique, influencée par les Ming, et voit à la fin du XIVe siècle l'apparition d'une forme inédite de théâtre lyrique, le nô, un spectacle raffiné, stylisé et composite, qui mêle pantomimes, danses, chant...
Le pays est à ce point divisé qu'il est surnommé Sengoku (« pays en guerre »), la guerre de succession impériale d’Ônin (1467-1477) débutant une période de troubles, de guerre civile où chaque famille, chaque clan, défend ses propres intérêts qui plonge le pays en plein chaos. L’ordre établi est brisé ; ce phénomène est appelé Gekokujo (« l’humble vainc le puissant »).
. L’arrivée des portugais (les « Nanban », les Barbares du sud) en 1543 sera un choc profond. Les Japonais n’avaient jamais eu de contact avec les civilisations européennes. En quelques années les portugais importèrent des produits chinois, dont la soie, contournant un embargo de l’empereur de Chine en représailles aux actes de piraterie des japonais. En 1571, Nagasaki servait de comptoir commercial, puis en 1578, le port fut cédé à perpétuité aux jésuites en reconnaissance du soutien pour repousser une attaque contre le daimyo du clan Sumitada. En 1600, ce sont les Hollandais qui atteignirent le Japon.
L’arrivée des occidentaux exposa à deux changements majeurs : les arquebuses et … la religion chrétienne. En 1549, une église était bâtie à Nagasaki. La plupart des daimyos de Kyushu étaient convertis, le christianisme s’étendant, malgré les verrous sociaux, dans toute les couches de la société.
Les relations avec l'Occident et les chrétiens
. Situé à l'extrémité du Vieux Monde, face à l'immensité de l'océan Pacifique, l'archipel du Japon n’est connu des Occidentaux qu’au XIIIe siècle seulement, par les on-dit de Marco Polo. Christophe Colomb a rêvé d'atteindre cet empire mythique du bout du monde que Marco Polo appelait Cipango.
En bouclant son tour du monde en 1521, Magellan démontra définitivement que l’Asie et l’Amérique constituaient deux continents séparés. Prêtres et commerçants européens n’eurent alors de cesse de prendre pied dans ces territoires réputés ouverts à toutes formes de civilisations nouvelles.
. C'est à la faveur d'une tempête qu'un premier navire européen touche l'île de Tanegashima, au large de Kyūshū, en 1543. Il s'agit de commerçants portugais en provenance du port chinois de Macao. Les Portugais, conduits par António da Mota, concluent un accord avec un prince local afin d'autoriser la venue d'un navire par an à Nagasaki, le grand port de l'île méridionale de Kyushu, pour échanger de l'or et des métaux précieux contre des lainages, des fourrures, des épices et autres denrées.
Nanban byobu, paravent illustrant l'arrivée de marchands portugais au Japon, avec feuilles d'or, soie et laque sur bois, de Kano Naizen entre 1593 et 1603, Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne.
De retour au Portugal, ils donnent des précisions sur le mystérieux empire et sa société féodale, qui rappelle le Moyen Âge européen avec sa noblesse terrienne et sa classe de chevaliers. Arriveront alors des navires marchands. Bien accueillis par la population paysanne comme par les seigneurs locaux, les Portugais révèlent aux Japonais le commerce et le christianisme mais aussi les techniques et les idées de la Renaissance occidentale, en particulier les secrets de la fabrication des armes à feu.
. En 1549, un jeune Japonais du nom d'Anjirô s'enfuit à Goa, en Inde, où des prêtres jésuites le convertissent au christianisme. Le nouveau converti les convainc de se rendre au Japon. C'est ainsi que François Xavier, l'un des fondateurs de la Compagnie de Jésus, quitte Goa pour l'archipel, suivi de deux coreligionnaires, trois Japonais convertis dont le fameux Anjirô, et quelques domestiques. Sa prédication rencontre un immense succès. Sa foi et son ardeur lui valent de convertir en deux ans des villages entiers. Trente ans après son passage dans ce pays qui compte alors 10 à 12 millions d'habitants, on comptera 150.000 convertis et 200 églises, principalement autour de Nagasaki, sur l'île de Kyushu.
Mais les bonnes relations entre Européens et Japonais vont être contrariées par l'arrivée de prêtres franciscains, dominicains et augustins, qui ne font peut-être pas preuve d'autant de diplomatie que les jésuites à l'égard des pouvoirs locaux. Aussi, après avoir montré beaucoup de bienveillance à l'égard des chrétiens, Toyotomi Hideyoshi commence à craindre qu'ils ne se fassent les agents d'une colonisation européenne ou ne viennent au secours des seigneurs féodaux.
Au début du 17ème siècle, on recensait au Japon déjà près d’un demi-million de catholiques, et la religion venue d’Europe fut décrétée hors la loi. Une première persécution a lieu en 1597 : 26 chrétiens locaux sont crucifiés. La raison est incertaine, soit qu'un seigneur eut été irrité de se voir refuser les faveurs d'une chrétienne, soit qu'un ecclésiastique eut refusé de présenter ses respects à un personnage important.
. Le 12 avril 1600, un navire hollandais, l'Erasmus, accoste bien involontairement à Bungo, sur l'île de Kyushu, suite à quelques avaries et tempêtes. À son bord, une poignée d'hommes sous le commandement d'un pilote anglais, William Adams. Les Hollandais, calvinistes haïssent les Portugais, catholiques et surtout sujets du roi d’Espagne.
Dès lors, ils ne cessent de médire les uns sur les autres auprès des autorités. Et d'autant plus que William Adams est reçu par le maître de l'archipel en personne, Tokugawa Ieyasu. Il construit deux navires selon les techniques européennes et le shôgun est si satisfait de ses services qu'il lui interdit de rejoindre sa famille.
Jusqu'à sa mort, en 1619, à Firando non loin de Nagasaki, le marin anglais va vivre en grand seigneur à la cour, enseignant le shôgun dans différentes disciplines scientifiques (géométrie, mathématiques). Les idées de la Renaissance occidentale sont adoptées par les Japonais avec empressement, comme ils ont beaucoup plus tôt adopté celles venues de Chine.
. En 1609, deux navires hollandais accostent au Japon. Sous l'égide de William Adams, leurs capitaines obtiennent le droit de revenir tous les ans, comme les Portugais. Les deux nationalités sont désormais à couteaux tirés. Irrité par les rapports que lui font les Hollandais, prêts à tout pour chasser leurs prédécesseurs concurrents, sur les prêtres catholiques et les Portugais, et perturbé par ces conflits entre Portugais et Hollandais, Ieyasu interdit la propagation de la foi catholique en 1612. Et en 1616, le commerce extérieur, uniquement avec la Chine, est limité aux ports d’Hirado et de Nagasaki.
. Son fils et successeur Hidetada fera brûler vif 50 chrétiens à Édo en 1623. L'année suivante, sous Iemitsu, deuxième fils d'Hidetada, les navires espagnols, suspectés d'amener des missionnaires, seront interdits dans tous les ports de l'archipel. Le 22 juin 1636, « l'ensemble de la race des Portugais, avec leurs mères, leurs nourrices et tout ce qui leur appartient » est bannie. Le même décret interdit aux Japonais tout déplacement à l'étranger et également aux nobles et aux samouraïs d'acheter quoi que ce soit aux étrangers.
En 1637, une révolte éclate chez les paysans catholiques de la presqu'île de Shimabara, près de Nagasaki. Le shôgun réussit à la mater après deux mois de siège ... avec l'aide des Hollandais. Tous les « rebelles » sont massacrés, ainsi que leurs femmes et enfants (environ 40.000 victimes). Isolés du monde et privés de prêtres, plusieurs dizaines de milliers de villageois vont néanmoins continuer de pratiquer de façon clandestine le culte catholique, sous une forme abâtardie, au prix de très grands dangers. Ce n'est qu'au XXe siècle qu'ils réapparaîtront à la lumière !
. Prenant le contrepied de ses prédécesseurs, le troisième shôgun Tokugawa Ieyasu a ainsi exterminé cruellement les catholiques de l'archipel, chassé les Portugais (1639) –avec lesquels tout commerce est passible de peine de mort-, assigné quelques marchands hollandais de la Compagnie des Indes Orientales à résidence à Nagasaki dans le minuscule îlot artificiel de Dejima ; piètre reconnaissance de leur soutien au shôgun dans sa lutte contre les catholiques, la confession publique de leur foi calviniste étant même interdite sur l’îlot.
. Les élites nippones n'en continueront pas moins pendant la « période d'Édo » à étudier ce qui se passe en Occident, grâce aux livres amenés de Hollande par les marins et commerçants de Dejima. Ces études, appelées « Rangaku » (études hollandaises), expliqueront en bonne partie la rapidité du décollage économique du Japon après l'abolition du shôgunat en 1867.
Époque Azuchi Momoyama : 1573 / 1603
. Durant cette période troublée, la réunification se fera sous l'action de trois chefs de guerre successifs :
Oda Nobunaga (1534-1582)
. Le premier, Oda Nobunaga, renverse en 1573 le shôgun Ashikaga. Nobunaga devient dictateur (gondaïnagon), combat les sectes bouddhistes militaires et soumet les daimyôs. Les guerres privées se raréfient.
Le 29 juin 1575, le dictateur affronte le clan Takeda à Nagashino. Cette bataille a donné lieu à un film mémorable d'Akira Kurosawa en 1980 : Kagemusha. Elle met aux prises des dizaines de milliers d'hommes et se signale par l'utilisation à grande échelle des armes à feu. Mettant à profit les enseignements des Occidentaux, Nobunaga a équipé ses troupes de 3.000 mousquets. C'est ainsi que, pour la première fois dans l'histoire du Japon, des fantassins ont raison d'une armée de cavaliers bushis. En 1582, il fut trahi par un de ses généraux Hideyoshi qui le poussa au suicide et s’empara du pouvoir.
Toyotomi Hideyoshi (1537-1598)
. Toyotomi Hideyoshi, lieutenant de Nobunaga, poursuit l'oeuvre unificatrice de ce dernier et soumet les féodaux. Il tente même de conquérir la Corée.
En vue de stabiliser le pays, il promulgue deux édits, l'un pour interdire à toute personne n'appartenant pas à la classe militaire de porter des armes, l'autre pour interdire aux paysans de changer de métier.
Il fait construire à la fin du XVIe siècle un millier de châteaux-forts pour quadriller le pays, surveiller les villes et contenir l'anarchie féodale. De ces châteaux, construits en bois pour résister aux séismes, il ne reste cependant que des gravures.
À la veille de sa mort, en 1598, il demande à ses cinq principaux vassaux de prêter serment de loyauté à son fils qui n'est encore qu'un enfant.
Un château de plaine (Japon, XVIIe siècle)
Tokugawa Ieyasu (1543-1616)
. C'est finalement l'un de ses vassaux, l’un des plus puissants de l’est du Japon, Tokugawa Ieyasu, ancien lieutenant de Nobunaga, qui emporte la mise.
Chef de guerre énergique, il défait ses adversaires les 20 et 21 octobre 1600, à Sekigahara, dans une grande bataille qui met aux prises près de 200.000 hommes. C'en est fini des guerres privées entre seigneurs daimyô.
Le pays était dévasté depuis 400 ans par des belligérances continuelles et par la lente désintégration du pouvoir central. En 1603, Tokugawa Ieyasu rétablit le shôgunat. Il institue le nouveau bakufu (gouvernement shôgunal, le troisième) à Edo (aujourd'hui Tokyo). Il s’autoproclame shogun, le primus inter pares, le daïmyo des daïmyo, en principe soumis à l’empereur mais en fait tout puissant.
À la différence des deux prédécesseurs, ce régime sera stable. Plusieurs explications à cette performance étonnante pour un régime féodal. Il y a d’abord le choix d’isoler l’archipel. Par une surveillance rigoureuse des échanges avec l’étranger, le shôgun interdit à ses rivaux potentiels de chercher l’aide de l’étranger. Il y aussi l’obligation pour les daimyô les plus importants d’envoyer en otage des membres de leur famille à la cour du shôgun. Enfin, la famille Tokugawa est de loin la plus puissante des maisons guerrières. Le shôgun et sa famille possèdent un quart des ressources et terres du pays. C’est assez pour empêcher que se forme une coalition hostile.
C'est le début d'une ère de grande stabilité politique et sociale la Pax Tokugawa, relativement prospère et épanouie, par ailleurs strictement fermée aux influences étrangères. Les shoguns vivront dans d’imposantes forteresses dont le plus prestigieux témoignage demeure l’actuel palais impérial de Tokyo. Plus efficace encore que l’épaisseur des murailles, sera la fidélité inconditionnelle des samouraïs dont les attributs guerriers laissent aujourd’hui une image impressionnante.
Le Japon à l’époque d’Edo : 1603 à 1867
Centralisation autoritaire
. Tokugawa Ieyasu a rétabli en 1603 le bakufu (ou « gouvernement de la tente ») et s'attribue lui-même tous les pouvoirs avec le titre de shôgun. L'empereur ne conserve pour sa part qu'une fonction symbolique et religieuse, en qualité de descendant de la déesse Amaterasu, selon la religion nationale (shintoïsme).
Le château-fort de Nagoya, construit en 1610 (photo : Hugues Krafft, 1882, musée Le Vergeur, Reims, inventaire 1818)
. Il installe sa capitale à Edo (aujourd'hui Tokyo), au fond d'un golfe de la rive orientale de Honshu. Cette ville nouvelle, dominée par le château du shôgun, devient rapidement la principale ville du pays. L'empereur, demeuré à Kyoto, se cantonne dans un rôle religieux et honorifique.
Tokugawa Ieyasu dote le Japon d'institutions stables et centralisées. Son succès lui permet de transmettre son titre et son pouvoir à son fils. Ainsi débute la « période d'Edo », sous la direction des Tokugawa.
La population est divisée en catégories sociales assimilables à des « castes » et dont il est presque impossible de sortir : nobles de cour, guerriers, paysans, commerçants... Les daimyô conservent l'autorité dans leur fief mais doivent se rendre à Edo tous les deux ans pour rappeler leur allégeance au shôgun.
Le Japon se replie sur lui-même
. Méfiants à l'égard de l'Occident, les shôguns Tokugawa ferment le Japon aux influences étrangères. Le 22 juin 1636, les missionnaires catholiques sont bannis du Japon, les Européens expulsés, ne tolérant que quelques marchands hollandais sur l'îlot de Dejima, à Nagasaki. Interdiction est faite aux Japonais de quitter leurs îles et de construire des bateaux. Avec cette décision du pouvoir central, le vieil empire du Japon se replie sur lui-même pour plus de deux cents ans. Il se condamne à une autarcie quasi-totale.
Le christianisme, perçu comme une menace à l'équilibre social par Tokugawa Ieyasu, est brutalement réprimé. Dans la région de Nagasaki, des milliers de paysans christianisés sont massacrés ou condamnés à la clandestinité. Le Japon des Tokugawa se détourne par ailleurs du shintoïsme, la religion impériale, et adopte le néoconfucianisme comme religion officielle.
L'instruction progresse et le Japon pourra se flatter d'avoir au moins une moitié d'adultes alphabétisés au début du XIXe siècle, soit au moins autant que dans les pays les plus avancés d'Occident.
En dépit de la pauvreté endémique et des catastrophes récurrentes, comme l'incendie d'Edo en 1657 (100.000 victimes) et l'éruption du mont Fuji en 1707, les villes se développent rapidement. Au XVIIIe siècle, Edo (Tokyo) est déjà l'une des plus grandes villes du monde avec 700.000 habitants. Mais il s'agit avant tout d'une ville administrative, une « ville de célibataires » avec une exceptionnelle concentration de samouraïs.
Force est de constater que cette période coïncide avec l’apogée culturelle de la société nipponne. L’unification nationale parachevée par le shogun Tokugawa et la richesse des négociants débarrassés de la concurrence des marchands étrangers apporte alors aux classes supérieures une richesse matérielle sans précédent. Elle va favoriser les arts : le bois matériau de prédilection de l’architecture, la céramique une autre forme d’art national fortement influencée par les techniques pratiquées en Chine et en Corée, la pratique très délicate de la dorure à la feuille, coréenne également.
Sur le plan religieux, les maîtres du Japon adoptèrent officiellement une doctrine dérivée du confucianisme prêchant l’ordre, la discipline et la loyauté des sujets à l’égard de leur maitre. Ce dogme bien de nature à renforcer le centralisme politique et ambiant ne suffisait évidemment pas à faire brèche au bouddhisme, religion de prédilection. Les shoguns eurent donc la prudence de composer avec ce culte qu’ils considéraient en fait comme séditieux, mais qui avait pour mérite d’éduquer les enfants, d’honorer le shogun et l’empereur et de surveiller de près une éventuelle résurgence du catholicisme.
. Les estampes, « Images du monde flottant »
. À l'époque des Tokugawa, les grands seigneurs, les daimyô, sont astreints à des dépenses de représentation colossales à Edo (Tokyo). Ils font la fortune des commerçants et artisans.
Cette bourgeoisie hédoniste, qui apprécie peu le théâtre classique nô, suscite la naissance d'une nouvelle forme théâtrale plus populaire, le kabuki. Elle savoure aussi les estampes issues d'un antique procédé d'impression xylographique.
Ces images reflètent leur mode de vie paisible et savoureux, avec belles courtisanes et paysages harmonieux. Elles mettent en valeur et idéalisent la beauté et la délicatesse des femmes, des paysages et de la vie. Elles soulignent aussi leur extrême fragilité, en conformité avec la mentalité bouddhiste. Les Japonais les appellent avec justesse ukiyo-e « images du monde flottant ».
L'expression est inspirée par le titre d'un livre paru au XVIIIe siècle sous la signature d'Asai Ryai : Récits du monde flottant. L'auteur en donne la définition suivante : « Vivre seulement pour l'instant, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les feuilles d'automne, aimer le vin, les femmes et les chansons, se laisser porter par le courant de la vie comme la gourde flotte au fil de l'eau ».
Dix stands de thé célèbres, Tomigaoka (Torii Kiyonaga, 1783)
Parmi les artistes qui ont popularisé l'art de l'estampe jusqu'en Occident, notons Kitagawa Outamaro (1753-1806), Katsushika Hokusai (1760-1849) ou encore Utagawa Hiroshige) (1797-1858). Leur activité s'exerce à Yoshiwara, le quartier des plaisirs d'Edo.
Suite à l'ouverture du Japon sur le monde, en 1867, les artistes européens découvrent avec enthousiasme les estampes. Celles-ci suscitent un courant pictural baptisé « japonisme » dès 1872. Jusqu'à la veille de la Grande Guerre, il va inspirer les plus grands peintres, au premier rang desquels Manet, Monet, Degas, Cézanne, Gauguin et surtout Matisse.
Les Occidentaux forcent la porte
. Au milieu du XIXe siècle, les Américains viennent frapper à la porte du Japon. Le 8 juillet 1853, par la voix du commodore Matthew Perry, le président américain Millard Filmore envoie à l'empereur du Japon un message d'amitié. En fait d'amitié, il s'agit d'une injonction à se soumettre ; ils enjoignent les Japonais d'ouvrir leur pays au commerce international. Le gouvernement cède à leur pression. Il signe des traités avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Russie, leur permettant de bénéficier de droits de douane très bas.
Pour le japon qui va découvrir son retard technologique, le choc est rude. Le pouvoir du shogun en sort ébranlé. Cette ouverture commerciale alimente le mécontentement de clans opposés aux Tokugawa, favorables à une restauration du pouvoir impérial. Ils se liguent autour de l'empereur, installé à Kyoto, et attaquent dans les ports les navires étrangers. En 1864, les Occidentaux ripostent en bombardant le grand port de Shimonoseki.
Le coup d'État des féodaux contre le dernier shôgun réussit cependant : Tokugawa Yoshinobu abdique en 1867 et la restauration impériale est proclamée. La cour délaisse Kyoto et vient s'installer à Edo, rebaptisée Tokyo, « la capitale de l'Est ».
En moins d'une génération, l'Empire du Soleil levant va s'ouvrir au monde et se hisser parmi les puissances majeures de la planète.
08 juillet 1853, le commodore Perry débarque au Japon
. L'expédition militaire et diplomatique américaine au Japon, conduite par le commodore Matthew Perry inclut deux voyages distincts vers et en provenance du Japon de navires de guerre américains, entre 1853 et 1854. Le commodore (capitaine de vaisseau commissionné) débarque de force une première fois, après un bombardement, à Uraga (un port au sud de Edo –Tokyo-). Il est chargé par le Président Fillmore en personne de conclure, de gré ou de force, un accord permettant aux Américains d’avoir accès aux ports japonais et d’y faire du commerce. Entre autres prétextes, il s'inquiète auprès du gouvernement japonais des mauvais traitements qu'ont eu à subir des marins américains naufragés sur les îles japonaises. Ses quatre « bateaux noirs », ainsi surnommés parce qu'ils utilisent du charbon et crachent de la fumée, provoquent un grand émoi chez les Japonais. Ces derniers prennent conscience de leur retard sur les « Barbares » d'Occident.
14 juillet 1853
Un "Black ship" du commodore Perry
. Il faut dire que l'archipel est soumis depuis 1603 aux shôguns de la famille Tokugawa. Ces maires du palais ont relégué l'empereur, le tenno (ou taino), dans un rôle religieux et honorifique. Ils ont dompté les grands seigneurs féodaux, les daimyô. Ils ont fermé l'archipel aux influences étrangères, avec interdiction quasi-générale d'entrer ou de sortir du pays... Aussi les Japonais mesurent-ils mal les changements techniques et intellectuels qui se sont produits dans le monde et en particulier en Occident au cours des 250 dernières années.
Lors d'une seconde visite, le 13 février 1854, commissionné par le président Franklin Pierce, le commodore Perry commande 7 navires de guerre, dont 4 à vapeur. Il se fait menaçant et exige du shôgun qu'il ouvre les ports japonais aux navires de commerce et aux baleiniers américains.
Après 6 siècles de pouvoir militaire, les shoguns comprirent qu’ils ne pouvaient pas grand-chose contre leurs adversaires venus du Levant et qu’ils risquaient de subir le sort imposé une dizaine d’années plus tôt par les Britanniques aux voisins chinois (la première guerre de l’opium).
. Ils se soumirent donc à ce barbare étranger qu’ils jugeaient, par ailleurs, prétentieux et mal éduqué. Le shôgun s'incline et ses représentants signent un traité le 31 mars 1854 à Kanagawa par lequel ils garantissent le rapatriement des éventuels naufragés. Ils consentent aussi à ouvrir les ports de Shimoda et Hakodate aux navires de commerce battant pavillon américain. Ils offrent enfin aux États-Unis un statut de faveur et accueilleront dès 1856 un premier consul américain, Townsend Harris. En signant un premier traité avec le commodore Perry, le dernier shogun Tokugawa ouvrait, évidemment, toutes grandes les portes de son pays aux occidentaux anglais, français, russes, hollandais, portugais, …
L’évènement fut considérable, après plus de 2 siècles de repli du pays sur lui-même sans aucun contact avec les réalités extérieures. Les Japonais ignoraient tout de Voltaire, Washington, Jefferson, Franklin ou Pasteur. Ils n’avaient aucune notion des idéaux qui avaient conduit à la création des Etats-Unis et au renversement de la royauté en France. Les mutations économiques dues aux progrès scientifiques, l’utilisation de la vapeur ou du télégraphe, leurs étaient inconnues.
Ils prennent conscience de leur retard sur les « Barbares » d'Occident. L’intrusion américaine dans les ports japonais projeta brutalement le pays du soleil levant dans un monde nouveau.
. Dans les années suivantes, le Royaume-Uni et les principales puissances européennes réclament et obtiennent des privilèges équivalents. Les Japonais les plus lucides comprennent qu'ils doivent adopter rapidement les principes et les techniques des Occidentaux s'ils ne veulent pas être colonisés comme leur voisin chinois. D'autres préfèrent s'en prendre directement aux Occidentaux et se laissent entraîner à de sanglantes émeutes.
C'est le début d'un long conflit entre les réformistes et les conservateurs, ces derniers étant conduits par le shôgun. Le dernier des Tokugawa avait été contraint par les réalités militaires de désobéir à son empereur qui prêchait la résistance. Sa capitulation, face aux Américains, lui valut la méfiance du peuple et le mépris de ses pairs. Les daïmyo mirent aussitôt leurs samouraïs au service de la cour impériale afin de lui donner les moyens de chasser le généralissime.
Le dernier carré des partisans de Tokugawa fût vaincu en 1867. Le shogunat institué 676 années plus tôt avait vécu et se terminait par le renvoi du dernier shôgun de l'ère Edo (soutenu par l'Empire français). Tokugawa démissionna et restitua la totalité du pouvoir politique à l’empereur Moitsito. Celui-ci venait à peine d’accéder au trône, à l’âge de 15 ans, il inaugurait l’ère de la restauration, l’ère Meïji. Soutenu par les Etats-Unis, il prend lui-même le pouvoir et entreprend à marche forcée de réformer le Japon. Il va en faire, jusqu’à sa mort en 1912, le premier pays industriel non occidental.
Cette carte (Edo, 1844-1848) montre Tokyo entourée de remparts. Il y avait un « dedans » (bourgeoisie) et un « dehors » à l'Est (classe moyenne et pauvres)