Ouverture, modernisation, impérialisme, ... repli ?
L'ère Meiji
. Le Japon ancien n'a longtemps été connu que des aventuriers et des missionnaires.
. Tandis que l'Europe refaisait le monde aux Temps modernes (XVIIe-XVIIIe siècles), l'Empire du Soleil levant, à l'abri de toute influence extérieure, cultivait le raffinement d'une société aristocratique et féodale stable et relativement prospère. Il affichait déjà un niveau d'éducation plus élevé que partout ailleurs (la moitié des adultes sachant lire et écrire au XVIIIe siècle) et un taux d'urbanisation très important.
Mais au milieu du XIXe siècle, les élites s'inquiètent de la présence de plus en plus prégnante des Occidentaux. Elles craignent de se voir imposer des traités humiliants comme la Chine. Dans un sursaut de la dernière chance, elles renversent le gouvernement shôgunal, par une brève guerre civile, et restituent à l’empereur toute son autorité en confiant au jeune Mutsuhito (15 ans) le soin de conduire la rénovation du pays.
Celle-ci ayant été menée à bien, le Japon, nostalgique de la période d'Edo (1603-1868), semblera en ce début du XXIe siècle tenté par le repli.
Nagasaki, port méridional du Japon, en 1882
. En 1867, l'empereur Mutsuhito choisit de désigner son règne sous le nom de Meiji, ce qui signifie « gouvernement éclairé ». Un décret impérial proclame l'abolition de tous les fiefs et du système féodal. le 11 avril 1868 ; le shogunat est aboli, l’empereur Meiji est désormais le seul maître du Japon. C’est la fin du gouvernement Tokugawa (1603-1868), vieux de plus de 250 ans et du titre de Shogun (le chef militaire dirigeant le Japon depuis 1185. Néanmoins, les historiens retiennent surtout la date du 03 janvier 1868 (proclamation de la restauration impériale). Les anciens daimyôs deviennent des gouverneurs locaux, tandis que la filiation entre l'empereur et la déesse du soleil est réaffirmée. Le culte shinto devient la religion officielle. Les guerriers samouraïs doivent renoncer à leurs privilèges. L'abolition en 1876 de leur « caste » entraîne un affrontement entre l'armée de l'empereur et les samouraïs, qui se solde, le 24 septembre 1877 par la défaite de ces derniers sur la colline de Shiroyama, près de la ville de Kagoshima, où une poignée de 500 samouraïs se sont désespérément battus avec leurs sabres contre 30.000 soldats de l'armée impériale équipés d'artillerie et de fusils.
. Premières victimes de ces temps nouveaux, les samouraïs, jugés trop turbulents, furent aussitôt désarmés. A l’isolement total du pays succéda l’européanisation à outrance. La modernisation incluait en vrac : le téléphone, les chemins de fer, le calendrier grégorien, la photographie, les banques et même les grands magasins. Mais la conséquence essentielle de ces grands bouleversements fût la mutation d’un pays jusqu’ici voué à l’agriculture en une véritable puissance industrielle. Mutsuhito se fit tailler ses uniformes à l’européenne. Symbole suprême le jour de son anniversaire, fût décrété fête nationale.
. Par un singulier retour des choses, le Japon devint alors pour les européens, le pays à la mode. On en trouve de nombreux témoignages dans des tableaux de Monet, de Van Gogh, des affiches de Toulouse Lautrec, ….
En 1889, une Constitution s’inspirant des modèles occidentaux introduit un système bicaméral comprenant une Chambre des pairs et une Chambre basse élue au suffrage censitaire. Tout en sacralisant l’autorité de l’empereur, celle de sa cour et même de ses ministres.
L'empereur Meiji en 1873
. A la vue des découvertes et techniques occidentales, le Japon entame à marche forcée sa modernisation. Une élite intellectuelle très ouverte aux influences occidentales entreprend des réformes de grande ampleur. La première ligne de chemin de fer est ouverte en 1872. Une armée et une marine sont constituées ; des officiers français et britanniques sont engagés pour moderniser l'armée japonaise et le service militaire devient obligatoire. L'enseignement primaire devient également obligatoire.
Le régime Meiji se donne pour objectif de développer l'industrie et le système bancaire. Mais cette modernisation ne va pas sans heurts. Si réformes sociales, il y a, elles visent moins au progrès qu’à la paix civile. Quelques rebellions réactionnaires, bien que vite réprimées (jusqu'aux années 1930, des révoltes paysannes et ouvrières secouent sporadiquement le pays), ont en effet persuadé le nouveau pouvoir de la nécessité d’une profonde réforme de l’armée.
Mais ce développement va se heurter au manque de ressources, ce qui va conduire le pays sur la voie de l’impérialisme.
« Pays riche, armée puissante »
. La modernisation du Japon, encore très relative, s'accompagne d'une politique extérieure agressive, traduite par le slogan : « Pays riche, armée puissante ».
Au traité de Saint-Pétersbourg (07 mai 1875) le Japon avait cèdé à la Russie ses droits sur l'île de Sakhaline, et en échange, récupéré la totalité des 18 îles Kouriles, à l’extrême nord de l’archipel. En 1879, les îles Ryukyu sont annexées, à l’extrême sud de l’archipel, avec l’arbitrage de l’ex-président des États-Unis Ulysses S. Grant.
Dès 1894, le Japon entre en guerre contre la Chine (dont la flotte est mise en déroute - bataille de la Mer jaune qui révèle le profond retard du « pays du Milieu » -) prétextant un soutien à la volonté d’indépendance de la Corée. Par le traité de Shimonoseki (17 avril1895), il s’assure du contrôle de la Corée (en attendant son annexion en 1910) et s’empare de Taiwan,
Le 08 février 1904, de nuit, sans déclaration de guerre, Tokyo surprend la flotte russe au mouillage à Port-Arthur. La Russie tsariste qui se sentait menacée par ce début d’expansion japonaise est taillée en pièces lors cette attaque surprise suivie du siège de Port-Arthur. Le 05 septembre 1905, Russes et Japonais signent le traité de Portsmouth (New Hampshire, États-Unis) sous l'égide du président américain Théodore Roosevelt. Ce traité consacre la défaite militaire de l'empire tsariste. La Russie cède la moitié de l'île de Sakhaline, ses établissements de Mandchourie, Port-Arthur et la presqu'île de Liaotung. Elle reconnaît aussi le protectorat du Japon sur la Corée et une grande partie de la Mandchourie. A noter que le président Théodore Roosevelt devra intervenir pour limiter les prétentions japonaises (ce qui lui vaudra le Prix Nobel de la Paix en 1906).
Le Japon qui était encore au moyen-âge 50 ans plus tôt, s’impose sur la scène internationale.
L'empereur Taisho (1912-1926)
. Le 30 juillet 1912, Yoshi-Hito succède à son père sur le trône avec le nom de règne Taishô (la « Grande Rectitude »). Le 23 août 1914, il entraîne son pays dans la Première Guerre mondiale du côté des Alliés, … en vue de s'emparer des possessions allemandes dans le nord-est de la Chine et dans le Pacifique. Ce à quoi il réussit sans perdre un seul soldat ou presque.
Dans le même temps, le 18 janvier 1915, Tokyo va encore plus loin dans la voie impérialiste en présentant les « Vingt et Une conditions », que la Chine accepte dans des traités signés le 25 mai 1915, qui tendent à une mise sous tutelle politique et économique de l'Empire du Milieu et renforcent la présence nippone en Mandchourie et en Mongolie Intérieure.
Le pays poursuit sa croissance économique après la Première Guerre mondiale et se remet même assez vite du brutal séisme du Kantō qui détruit Tokyo le 01 septembre 1923 (plus de 105.000 victimes -en partie à cause de 88 incendies-, 570 000 maisons détruites, 1,9 million sans-abris). En 1925, sous l'influence des libéraux, le nombre de citoyens disposant du droit de vote est multiplié par trois (les indigents et les moins de 30 ans, sans même parler des femmes, en sont cependant exclus).
. Le 25 décembre 1926 monte sur le trône Hirohito (nom de règne : Showa), petit-fils de l'empereur Meiji, sous le nom de règne Shôwa, (la « Paix brillante »). Il avait déjà assuré la régence dans les années précédentes du fait de la maladie de son père.
Bien que la population japonaise ait presque doublé depuis 1868, de 34 millions d'habitants à près de 60, le marché intérieur demeure insuffisant pour assurer des débouchés à la hauteur de la production industrielle. Celle-ci poursuit sa progression en dépit de la crise économique mondiale des années 1930.
Ainsi, les militaires de plus en plus influents auprès de l'empereur, prétextant le besoin de débouchés extérieurs pour les produits japonais, veulent soumettre à leur volonté le monde chinois. Par des assassinats ciblés, ils écartent les libéraux du pouvoir.
. Leur première cible est la Mandchourie, province extérieure de la Chine. Le 18 septembre 1931, ils prennent prétexte d'un sabotage sur le chemin de fer sud-manchourien pour occuper Moukden, (Shenyang aujourd’hui) capitale de la province. Avant que cet « incident de Moukden » soit condamné par la Société des Nations (SDN), les Japonais complètent l'occupation de la Mandchourie. Ils la transforment en mars 1932 en un État fantoche, le Mandchoukouo, avec à sa tête le dernier empereur chinois de la dynastie mandchoue, Pu Yi.
À la suite de ce « succès », le Japon se retire de la SDN et les militaires resserrent leur emprise sur le gouvernement, dont ils excluent tous les civils. L'opposition est réprimée. Cette orientation autoritaire est confirmée par le rapprochement avec l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste qui aboutit à la signature le 25 novembre 1936 du Pacte antikomintern, valable pour cinq ans, et destiné à lutter contre l'Internationale communiste (IIIe Internationale) et contre la propagande bolchevique dans le monde. Il prévoit également une coopération entre les polices allemandes et japonaises.
La Seconde Guerre mondiale
. En 1937, sous le prétexte de l’« Incident du triple 7 » (07 juillet 1937), près du célèbre pont Marco Polo à 15 kilomètres de Pékin, éclate une nouvelle guerre avec la Chine. Le Japon organise un blocus des côtes chinoises, bombarde massivement la population et mène une politique de terreur (massacre –viol- de Nankin : près de 200.000 victimes à partir du 13 décembre 1937) dans l’indifférence quasi générale de la communauté internationale. Il occupe presque toute la « Chine utile » mais ne parvient pas à venir à bout de la guérilla du Guomintang ni du Parti Communiste chinois.
. Après 1939, le Japon envisage de se servir en envahissant l’Asie du sud-est, alors que les puissances coloniales européennes sont fragilisées par la guerre. En 1940-1941, le Japon envahit la colonie française du Tonkin puis les îles de la Sonde hollandaises, enfin la Malaisie britannique, Hongkong, les Philippines et la Thaïlande (où le pont de la rivière Kwaï et les 415 km de la ligne de chemin de fer, ont été construits en 1942-43, causant la mort de 16.000 prisonniers et 100.000 travailleurs sur le chantier en raison de maltraitances ou de maladies).
Pour l’autre puissance du pacifique, c’en est trop, les Etats-Unis réagissent en imposant un embargo économique, notamment sur le pétrole et les minerais. Après avoir signé un pacte de neutralité avec l’URSS le 13 avril 1941 et avoir rejoint les forces de l’axe le 27 septembre 1940 (pacte tripartite avec, l'Allemagne et l'Italie), le Japon attaque sans avertissement, le 7 décembre 1941, la flotte américaine basée à Pearl Harbor à Hawaï dans le Pacifique : 2.403 victimes américaines, 13 navires de guerre et 316 avions détruits ou endommagés. À l'exception de l'URSS, toutes les puissances alliées lui déclarent la guerre.
Le Japon pille les ressources des territoires occupés, pompeusement qualifiés par la propagande de « sphère de co-prospérité de la grande Asie orientale ». Mais son expansion est stoppée par la bataille de la mer de Corail, puis la bataille navale de Midway (03-07 juin 1942) au cœur du Pacifique. Le Japon ne peut résister à la contre-offensive américaine.
À partir de novembre 1944, l'archipel est bombardé et les usines et les voies de communication détruites. Les villes ne sont pas épargnées par les bombardiers américains. La capitale Tokyo est elle-même détruite dans l'un des pires bombardements de l'Histoire, le 10 mars 1945, avec un total de près de 100.000 morts.
Tokyo après le bombardement américain du 10 mars 1945
. À Potsdam (17 juillet - 2 août 1945), les Alliés exigent une reddition sans condition du Japon, sans résultat : l’armée japonaise s'entête dans une résistance sans issue. Les kamikazes jettent leurs avions sur les navires américains et chaque combat, comme à Okinawa, coûte des milliers de vies. Pour précipiter la fin de la guerre, les Américains larguent deux bombes atomiques sur le Japon, le 06 et le 09 août 1945. Elles tuent respectivement 70.000 et 40.000 personnes sur le coup. Le 07 août 1945, au lendemain de l'explosion d'Hiroshima, l'URSS de Staline déclare la guerre au Japon, et entre en Mandchourie et dans le Nord de la Corée. L'empereur Hirohito intervient pour mettre fin au conflit et présenter la reddition du Japon le 15 août 1945.
L'ancien hall de promotion industrielle de la préfecture d'Hiroshima après l'explosion du 6 août 1945. 60% de la ville ont été complètement détruits.
Commence l'occupation américaine sous le commandement suprême du général Douglas MacArthur. Comme à Nüremberg en Allemagne (01 octobre 1946), un tribunal juge les principaux responsables du conflit (à l'exception notable de l'empereur Shôwa).
Approuvée par le général Douglas MacArthur et promulguée par l'empereur Hiro-Hito devant la Diète, le 03 novembre 1946, une nouvelle Constitution entre en vigueur le 03 mai 1947. Elle établit une monarchie parlementaire cependant que l'empereur renonce formellement à son statut divin et dément son ascendance divine. Le système éducatif est profondément remodelé et le shintoïsme d'État démantelé. La reconstruction économique prend du temps, car en 1945 la quasi-totalité des infrastructures sont à terre.
Le « Troisième Grand »
. La période d'occupation prend fin avec l'entrée en vigueur du traité de San Francisco, le 28 avril 1952. Le Japon reconnaît l'indépendance de la Corée et renonce à toute revendication sur ses anciennes possessions des îles Kouriles et Sakhaline, devenues soviétiques, ainsi que sur Taiwan (Formose) et ses archipels du Pacifique, passés sous tutelle étatsunienne. Il renonce à toute intervention militaire extérieure et se voit seulement autorisé à constituer une « force d'auto-défense » non-nucléaire. Le 28 avril 1952, 49 États ratifient par écrit le traité de paix avec le Japon.
Le Japon peut enfin recouvrer son indépendance politique et se libérer de la tutelle américaine. La reconstruction étant à peu près achevée, le pays entre dès lors dans une phase d'expansion accélérée qui va le hisser parmi les plus riches pays de la planète.
Les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964 et l'Exposition Universelle d'Osaka en 1970 consacrent l'irruption du Japon dans le cercle encore étroit des pays riches.
Dès 1970, son PIB (produit intérieur brut) dépasse celui de la Grande-Bretagne ; dans les années 1980, il dépasse celui de l'Allemagne. Les industriels japonais triomphent dans la plupart des secteurs et se révèlent des innovateurs de premier plan, notamment en électronique grand public, en robotique et l’organisation de la production industrielle. Ils achètent des tours à Manhattan, des studios à Hollywood et les tournesols de Van Gogh.
D'aucuns imaginent déjà le moment où l'ancien vaincu de 1945 surpassera son vainqueur, les États-Unis...
La tentation du repli
. En 1989, suite à une crise boursière, l'Empire du Soleil levant est frappé par une brutale crise de langueur dont il ne va jamais sortir jusqu'à ce jour. En dépit de la stagnation économique, de la déflation et de la progression de l'emploi précaire, la cohésion sociale et politique du pays n'est pourtant aucunement affectée. Bien au contraire, elle semble se renforcer par le repli sur soi.
L'économie vit en bonne partie sur les ressources nationales. La dette de l'État, si importante qu'elle soit, est concentrée entre les mains des citoyens japonais. Les importations se limitent pour l'essentiel aux indispensables matières premières et sources d'énergie, ainsi qu'à des produits de luxe. Le Japon persiste même à se nourrir avec ses produits agricoles en dépit de la rareté des terres disponibles.
Le système de santé demeure excellent et la population japonaise peut se flatter de l'espérance de vie la plus élevée du monde. Le niveau d'éducation est également, comme au début du XIXe siècle, parmi les meilleurs du monde. Les jeunes étudiants, qui jouissent d'excellentes écoles sur l'archipel, dédaignent les facultés américaines et se dispenseraient même d'apprendre les langues étrangères, voire l'anglais international.
La vogue des mangas (bandes dessinées) et les innovations domotiques montrent que la capacité d'innovation des Japonais n'est pas entamée par le vieillissement de la population et son inéluctable diminution. Bien que la fécondité des Japonaises ait chuté aux environs de 1,2 enfant par femme, le gouvernement continue de limiter très sévèrement l'immigration.
. Ce bonheur de l'entre-soi, évoque irrésistiblement la « période d'Edo » (XVIIe-XIXe siècles), qui alliait harmonie sociale, stabilité politique, fermeture des frontières, épanouissement culturel et relative prospérité.
La « Guerre de Quinze Ans » : (1931-1945)
La guerre sino-japonaise
. L'Extrême-Orient et l'Asie du Sud-Est ont été meurtris par 15 années de guerres brutales, de la conquête de la Mandchourie par les Japonais en 1931 à sa reconquête par les Soviétiques en 1945, le jour même du bombardement d'Hiroshima et Nagasaki.
Des soldats japonais posent après la prise de Shanghai à l'été 1937
. Cette « Guerre de Quinze Ans », selon la terminologie japonaise, est une succession de conflits qui, tous, impliquent l'Empire du Soleil levant. D'abord une guerre sino-japonaise (1931-1940) contre les Chinois, eux-mêmes divisés entre communistes et nationalistes, puis une conquête de l'Asie du Sud-Est, enfin, à partir de 1941, une guerre du Pacifique ou plus exactement une « guerre de l'Asie et du Pacifique » (Asia-Pacific War en anglais) contre les Américains et accessoirement les Britanniques.
En dépit de l'alliance de pure forme entre l'Allemagne hitlérienne et le Japon et de la participation des Américains aux deux conflits, cette guerre n'a pas de liens avec la Seconde Guerre mondiale qui s'est déroulée de 1939 à 1945 à l'Ouest, mettant aux prises les puissances européennes et occidentales.
Son bilan humain est à peu près aussi lourd avec principalement 2 millions de morts parmi les soldats japonais et le double parmi les combattants chinois, les Américains n'ayant pour leur part compté « que » 100.000 morts. À cela s'ajoutent les victimes civiles : 20 millions chez les Chinois, 2 millions chez les Indonésiens, 1 million chez les Japonais, autant chez les Vietnamiens et les Philippins, soit un total supérieur à 30 millions de morts militaires et civils.
De la Mandchourie au Mandchoukouo (1931-1937)
. Tout commence en Mandchourie, une province excentrée de la Chine, vaste comme la France et à peine peuplée de quelques tribus semi-barbares. Les Japonais ont obtenu par le traité de Portsmouth (1905) d'y faire stationner quelques milliers d'hommes afin de veiller à la sécurité du trafic sur le chemin de fer Moukden-Tientsin.(Shenyang-Tianjin, aujourd’hui)
Dans l'état-major qui commande cette armée du Guandong figure le général Kanji Ishiwara. Il est convaincu que le Japon a vocation à unifier les peuples jaunes sous son égide. Dans une première étape, il faut selon lui que le Japon s'approprie les plaines de Mandchourie pour se renforcer et offrir un « espace vital » à son peuple.
Avec une poignée de complices, il fait sauter le 18 septembre 1931 la voie ferrée, à quelques centaines de mètres d'une garnison chinoise et juste avant le passage d'un train. Quand les soldats chinois, alarmés par l'explosion, arrivent sur les lieux de l'explosion, ils sont accueillis par des rafales de mitrailleuse. Sans attendre, Ishiwara informe Tokyo que les Chinois auraient fait sauter la ligne et tenté d'attaquer un train japonais. Lui-même lance derechef ses troupes à la conquête de la Mandchourie.
Le gouvernement japonais, pris au piège, ne peut qu'agréer l'initiative du général, lequel devient aussitôt un héros national. La Mandchourie est transformée en mars 1932 en un État fantoche à la botte du Japon, l'État indépendant du Mandchoukouo (capitale : Moukden). À sa tête est placé le pitoyable Pu Yi, dernier empereur chinois de la dynastie mandchoue. Un million de colons japonais s'y installent sans attendre pour en exploiter les ressources agricoles et surtout minières. Deux ans après le krach de Wall Street, cette colonisation est une soupape bienvenue pour l'économie japonaise en pleine crise.
La Société des Nations ayant refusé de reconnaître le nouvel État, le Japon en claque la porte en mars 1933. Dans le même temps, il voit monter l'hostilité de ses deux voisins, l'URSS de Staline et la Chine de Tchang Kaï-chek.
Le Japon cherche à la contrer par une alliance de revers et signe donc à Berlin, le 25 novembre 1936, avec l'Allemagne de Hitler, un pacte anti-Komintern dirigé contre l'URSS. L'Italie de Mussolini, qui a aussi quitté la SDN après l'invasion de l'Éthiopie, va rejoindre l'alliance le 6 novembre 1937 mais celle-ci n'aura aucun effet pratique...
La guerre sino-japonaise (1931-1937), carte de Camille Larané
"Indigestion" chinoise (1937-1940)
. Le 7 juillet 1937, un « incident » sur le pont Marco Polo, près de Pékin, fournit au parti belliciste le prétexte pour envahir la Chine. Chacun pense que la guerre sera rapide et entraînera la capitulation du gouvernement du Guomindang. De fait, dès le 13 août 1937, les Japonais investissent Shangaï et l'occupent en décembre. Leur progression s'accompagne des pires violences qui soient à l'égard des civils, le paroxysme étant atteint avec le « viol de Nankin», le 13 décembre 1937.
Malgré cela, ils piétinent devant la résistance des troupes nationalistes de Tchang Kaï-chek (les communistes de Mao Zedong se gardent quant à eux d'intervenir ; ils ne lanceront qu'une offensive dite des cent régiments, du 20 août au 5 décembre 1940).
Soldats japonais en partance pour le front (1937)
Incapable d'amener les Chinois à résipiscence, Tokyo craint qu'ils ne soient secourus par leurs voisins soviétiques et se propose de donner un avertissement à ceux-ci...
L'armée du Guandong teste donc les défenses de l'Armée rouge au bord du lac Khassan, en Mandchourie, en juillet 1938. Mais cela lui vaut un premier revers, suivi d'un bien plus grave près de la localité de Nomonhan, sur les bords de la rivière Khalkhin Gol à la frontière entre le Mandchoukouo et la Mongolie extérieure, un territoire inféodé aux Soviétiques.
Les combats s'étirent du 11 mai au 16 septembre 1939 et font plusieurs dizaines de milliers de morts, essentiellement du côté japonais. Ils révèlent les talents de stratège du général soviétique Gueorgui Joukov (43 ans) et, pour la première fois, l'engagement massif des chars dans la bataille.
Au même moment, l'Allemagne nazie conclut un pacte de non-agression avec l'Union soviétique sans prévenir Tokyo. Le Japon comprend à la fois qu'il est isolé et incapable de battre l'URSS...
La bataille de Khalkin Gol ou Nomohan (1939)
Cap sur l'Asie du Sud-Est (1940-1941)
. Dans l'impossibilité de reculer, le gouvernement japonais change d'objectif. Cap au Sud ! Il profite de ce que la France et les Pays-Bas ont été envahis par la Wehrmacht pour s'emparer de leurs colonies du Sud-Est asiatique, l'Indochine et les Indes néerlandaises (l'Indonésie actuelle) et ainsi prendre la Chine en tenaille. Après tout, il ne s'agit que de lointaines colonies d'exploitation auxquelles les métropoles européennes ont peu de motif de s'agripper et pour Tokyo, elles présentent l'avantage incommensurable d'être riches en matières premières et agricoles, notamment en pétrole, caoutchouc et riz.
En prévision de ce renversement, le 27 septembre 1940, les trois pays de l'Axe Berlin-Rome-Tokyo signent encore un pacte militaire tripartite avec la promesse d'une assistance militaire au cas où l'un ou l'autre serait agressé par les États-Unis. C'est que ceux-ci s'inquiètent au plus haut point du choix de l'« option sud » par les stratèges japonais...
Au Japon même se forme une Association de soutien au trône, un parti de type totalitaire destiné à encadrer la population. Depuis l'« incident de Moukden », dix ans plus tôt, l'empereur et son gouvernement se laissent entraîner en effet dans une fuite en avant par les officiers ultranationalistes, tel le général Ishiwara, sans en mesurer toutes les conséquences. L'opinion publique accompagne le mouvement sans qu'il soit besoin de répression excessive. C'est à peine si elle entend la voix des opposants et des pacifistes.
Ainsi le Japon court-il insensiblement à la catastrophe. En avril 1941, tandis que son allié allemand prépare l'invasion de l'URSS, il signe avec celle-ci un pacte de non-agression le 13 avril 1941 qui lui laisse les mains libres dans le Sud-Est asiatique. Ce pacte va peser lourd dans la Seconde Guerre mondiale car il épargnera à Staline d'avoir à lutter sur deux fronts.
En juillet enfin prend forme l'« option sud ». Des troupes nippones débarquent en Indochine française le prétexte de contrôler les accès à la Chine. Le gouverneur Georges Catroux s'incline. Désavoué par le gouvernement de Vichy, il est remplacé par le général Jean Decoux qui ne peut faire mieux et signe un accord avec les Japonais le 30 août 1941.
Le président Roosevelt décrète le 26 juillet 1941 un gel sur les avoirs japonais aux États-Unis et un embargo sur les matières premières (pétrole et minerais)
C'est un coup de massue pour le gouvernement japonais qui achète aux États-Unis l'essentiel de son pétrole. Avec ses réserves, l'état-major se donne six mois pour frapper vite et fort et mettre les Anglo-Saxons devant le fait accompli.
Face à une armée de terre qui piétine en Mandchourie comme en Chine, c'est dès lors l'amiral en chef Yamamoto Isoroku qui va prendre l'initiative.
Le patron de la marine japonaise a fait ses études aux États-Unis et a conscience de l'immense faiblesse de son pays par rapport à ce géant à peine deux fois plus peuplé (130 millions d'habitants contre 75 millions) mais au moins dix fois plus riche. Il espère seulement que l'opinion américaine, neutraliste, pourrait s'accommoder d'une paix de compromis en cas de succès japonais.
Hideki Tojo (1884, Kōjimachi ; 1948, Tokyo)
Il n'a pas de mal à rallier à ses vues Hideki Tojo. Leader d'une faction nationaliste, chef d'état-major de l'armée du Guandong, ministre de la Guerre puis, le 18 octobre 1941, Premier ministre, ce général est devenu l'homme fort du Japon.
Et c'est ainsi que, le dimanche 7 décembre 1941, l'aéronavale japonaise attaque sans avertissement - comme d'habitude - la flotte américaine basée à Pearl Harbor, à Hawaï au coeur de l'océan Pacifique. Le même jour, l'armée japonaise attaque également les Philippines, protectorat américain, ainsi que la Malaisie britannique, Honkong et l'île américaine de Guam.
Pour le président américain Franklin D. Roosevelt, l'attaque de Pearl Harbor vient à point nommé. Mettant à profit l'émotion de l'opinion, il déclare la guerre au Japon. Maladroitement, son « alliée » l'Allemagne réagit en déclarant à son tour la guerre aux États-Unis. Conscient des priorités et du plus grand danger, Roosevelt décide de donner la priorité à la guerre contre celle-ci : « Germany first ».
La guerre d'Asie et du Pacifique (1941-1945), carte de Camille Larané
La guerre d'Asie et du Pacifique (1941-1945)
. Les Japonais vont combattre simultanément dans les profondeurs de la jungle tropicale mais aussi dans l'océan, mettant en oeuvre les techniques les plus rudimentaire (combat au corps à corps) et les plus sophistiquées (affrontement à distance entre porte-avions). Ils volent pendant les premiers mois de succès en succès.
Tanks japonais dans la jungle du Sud-Est asiatique
C'est ainsi qu'ils s'emparent le 15 février 1942 de Singapour, épicentre de la colonisation britannique en Asie. Pour tous les Asiatiques comme pour les Britanniques et Churchill lui-même, l'événement prend une portée symbolique considérable. Il ouvre la voie à la décolonisation qui va suivre la guerre.
Le 3 mars 1942, les Hollandais lâchent l'Indonésie sans guère de résistance. Il en va autrement des Américains qui, sous le commandement du général Douglas MacArthur, résistent jusqu'à la dernière extrémité aux Philippines et ne quittent l'île fortifiée de Corregidor que le 8 mai 1942. La Nouvelle-Guinée, l'Australie et même les Indes britanniques sont menacées.
La propagande japonaise a tôt fait de justifier l'assaut contre les possessions occidentales au nom de la lutte anticoloniale. Elle promet la création d'un nouvel ordre asiatique, pompeusement qualifié de « sphère de coprospérité de la grande Asie orientale ». Des militants anticolonialistes se rallient aux Japonais, comme l'Indien Subhra Chandra Bose, encore très populaire dans son pays. Mais derrière cette façade engageante se révèle très vite une entreprise d'oppression et de pillage qui n'a rien à envier en matière de brutalité aux anciens pouvoirs coloniaux.
L'expansion nipponne est stoppée cependant par la bataille de la mer de Corail, au large de l'Australie, du 4 au 8 mai 1942, et surtout la bataille de Midway, du 3 au 6 juin 1942. Elle précède de cinq mois le tournant de la guerre en Europe, El-Alamein lepremier coup d'arrêt infligé à l'armée allemande. Six mois après son entrée en guerre contre les États-Unis, le Japon perd à Midway son avantage naval avec quatre porte-avions coulés ou hors service sur un total de onze.
Bataille de la mer de Corail (Australie), 4-8 mai 1942
Après la bataille de Guadalcanal, dans les îles Salomon, du 7 août 1942 au 9 février 1943, les Américains passent résolument à l'offensive. La suite n'est plus qu'une suite de reculades sanglantes, héroïques ou suicidaires. Des centaines de milliers de soldats nippons sont abandonnés au cours de la retraite d'île en île et voués à mourir de faim dans la jungle. Incapable de résister, le Japon ne peut résister à la contre-offensive américaine.
En octobre 1944, l'état-major japonais engage des jeunes gens dans des attaques suicides contre les navires ennemis, à bord d'avions ou de sous-marins chargés de bombes. Les généraux attendent de ces kamikazes, surnommés « éclats de diamant » ou « joyaux brisés » par la propagande, qu'ils apportent non la victoire (impossible) mais une paix de compromis aussi honorable que possible...
Un avion kamikaze s'est écrasé sur le pont d'un navire américain (1944)
Mais les Américains répliquent avec une égale violence. À partir de novembre 1944, l'archipel est bombardé et les usines et les voies de communication détruites. Les villes ne sont pas épargnées par les bombardiers. La capitale Tokyo est elle-même détruite dans l'un des pires bombardements de l'Histoire le 10 mars 1945, avec un total de près de 100.000 morts.
Le palais impérial après les bombardements de Tokyo en mai 1945. © CORBIS
Les Japonais perdent peu à peu toutes leurs possessions... à l'exception de l'Indochine, dont ils s'emparent pour de bon le 9 mars 1945. Pendant ce temps, les Alliés réaffirment leur volonté d'obtenir une reddition sans condition et laissent en suspens le sort de l'empereur. Les généraux ne supportent pas qu'il puisse être déposé et jugé en qualité de criminel de guerre. Aussi sont-ils disposés à lutter jusqu'au bout. Bien plus que les bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, c'est la crainte d'une invasion soviétique qui les fera changer d'avis.
Le 15 août 1945, par un acte d'autorité, l'empereur Hirohito reconnaît à la radio la défaite du pays. La capitulation est conclue le 2 septembre suivant.
D'une manière toute militaire, le général Douglas MacArthur prend en main le pays avec l'idée d'en faire une démocratie à l'américaine volens nolens. Il rencontre l'empereur le 27 septembre 1945 à son quartier général et se résout seulement alors à le maintenir en place afin de ménager ses sujets.
Le général Douglas MacArthur et l'empereur Hiro Hito, le 27 septembre 1945 à Tokyo
. Le bilan humain de la « Guerre de Quinze ans » est à peu près aussi lourd que celui de Seconde Guerre Mondiale en Europe avec principalement 2 millions de morts parmi les soldats japonais et le double parmi les combattants chinois, les Américains n'ayant pour leur part compté « que » 100.000 morts. À cela s'ajoutent les victimes civiles : 20 millions chez les Chinois, 2 millions chez les Indonésiens, 1 million chez les Japonais, autant chez les Vietnamiens et les Philippins, soit un total supérieur à 30 millions de morts militaires et civils.