. Dès le 13ème siècle, un art héroïque totalement original trouva à s’exprimer : la forge des lames et des gardes des nihonto (日本刀, « sabre japonais »). A cette époque, seuls les samouraïs avaient le droit de porter le sabre. Symbole sacré des liens unissant le guerrier à l’empereur. Ces armes qui continuent à être produites par un nombre très limité d’artisans ont pris avec le temps une extrême valeur.
Véritables œuvres d’art, les sabres contemporains sont signés comme l’étaient déjà la plupart des sabres anciens. Une trentaine d’entre eux précieusement conservés dans un musée spécialisé dans la capitale sont classés « trésor national »
Le sabre du samouraï.
. Le katana ou sabre de samouraï, est célèbre dans le monde entier pour être l'arme blanche la plus aboutie en matière de conception et le symbole de la classe des samouraïs et du Japon. Pour les Japonais le katana est aussi un très fort symbole de leur culture et de leur fierté nationale. À la fin du 19ème siècle, lors de la restauration Meiji, de nombreux Samouraï se soulevèrent lorsque le gouvernement chercha les priva du droit de porter le katana, le marqueur de leur rang social. Même après la perte de ce droit de porter leurs sabres en public, les familles de samouraï conservèrent et vénérèrent leurs sabres ancestraux.
Epées avec fourreaux, VIe siècle, New York, Metropolitan Museum of Art.
. Le Honjo Masamune doit son nom à l'homme qui l'a fabriqué : Goro Masamune (1264-1343), un forgeron de la province de Sagami. Masamune est considéré comme le plus grand forgeron de l'histoire japonaise. Ses sabres étaient connus pour leur beauté et leur qualité inégalée. Leur qualité est d'autant plus remarquable, que ses sabres furent forgés à une époque où la fabrication et le travail de l'acier n'étaient pas encore complètement maitrisés et comportaient encore beaucoup d'imperfections.
Masamune, pour affronter les envahisseurs Mongols, conçut une lame constituée d'environ 38 couches d‘acier. Avec la méthode de trempe il donna des propriétés différentes au tranchant et au dos de la lame. Ainsi le tranchant de la lame conçue pour attaquer est fin, très dur et fragile, alors que le dos conçu pour se protéger et absorber les coups est beaucoup plus épais et résistant. La fonction principale de cette arme était de couper, de ce fait la lame était courbée. Tous les sabres étaient testés auparavant afin de mesurer leurs capacités à trancher la chair et un diagramme était même prévu à cet effet. Les résultats des essais étaient ensuite gravés sur le nakago (partie métallique du sabre qui est insérée dans la tsuka –la poignée des armes blanches japonaises-). Voilà comment Masamune convertit une arme en œuvre d'art et grava son nom de forgeron dans l'histoire du Japon. Ce sabre aiguisé comme un rasoir possède un motif unique de trempe dessiné sur sa lame appelé le "Hamon". Ce motif a ensuite été répertorié dans les archives comme une sorte de "carte d'identité" du sabre.
Il faut imaginer un sabre si incroyablement équilibré et si magistralement construit qu'il est considéré par les experts et collectionneurs, comme le plus beau sabre jamais réalisé. Au Japon, le Honjo Masamune est un trésor national. Sa lame, forgée par le feu il y a des siècles, est considérée comme pure et juste. La légende rapporte que le porteur de ce sabre, qui divisait la lumière, devenait invincible lors des batailles.
. Lors d'un duel avec l’ancien propriétaire du Honjo Masamune, le général Honjo Shigenaga (1540-1614) remporta le duel, eut son casque coupé en deux, survécut à ses blessures et prit possession du précieux sabre. Plus tard, quand Shigenaga rencontra des difficultés financières, il vendit le sabre à Toyotomi Hidetsugu pour 13 pièces d'or, le neveu du général respecté et homme politique, Toyotomi Hideyoshi (1537-1598). Ce sabre, symbole de pouvoir, aura représenté le shogunat pendant la période Edo et durant plus de 700 ans, passa d'un shogun à l'autre, en tant qu'attribut symbolique de son pouvoir.
. En 1945, il arriva entre les mains du prince Tokugawa Iemasa, le 17e chef héréditaire de l'ancienne branche shogunale du clan Tokugawa et le dernier président de la Chambre des pairs du Japon de 1946 à 1947. C'est à cette période que le Honjo Masamune disparut. A en croire les archives, un mystérieux agent de l'armée américaine l'aurait détruit, mais d'autres pensent au contraire qu'il l'a gardée afin de l'emmener aux Etats-Unis.
En 1941 la production de sabres bat son plein car c'est un élément très important de l'uniforme des soldats Japonais, mais ils ne sont pas forgés à la main comme le veut la tradition, mais à partir de d'aciers récupérés. Plus de 2 millions de sabres seront fabriqués et portés pendant la seconde guerre mondiale, le sabre étant un symbole fort qui permettait de perpétuer la tradition de l'engagement sans faille des samouraïs. Après la capitulation du Japon, le 15 août 1945, le général Douglas MacArthur démilitarise, désarme et supervise l'occupation du Japon jusqu’en 1951. Et cette période ne fût pas sans de gravissimes conséquences sur le sabre Japonais.
Afin de montrer son autorité, il fit réquisitionner tous les sabres. Un désarmement massif fût entreprit, touchant les sabres militaires produits en usine, mais aussi les sabres forgés de manière traditionnelle qui faisaient partie d'héritages familiaux de grande valeur, conservés par les particuliers et des familles de samouraï. Les estimations varient énormément mais des milliers de sabres furent tantôt détruits, tantôt emportés par les GI comme trophées. Ce sont ainsi plus de 7 tonnes de sabres qui aurait été envoyées aux Etats-Unis. Ainsi, ce ne sont donc pas seulement des showato (sabres de qualité médiocre produits en grande quantité pendant la guerre) –qui en fait intéressaient le plus les militaires américains- qui furent perdus, mais surtout de grands anciens sabres artistiques. Dans tous ces sabres japonais qui furent réquisitionnés se trouvait probablement parmi eux le Honjo Masamune.
Sabres réquisitionnés par les troupes américaines de MacArthur
La légende
. Une légende rapporte une épreuve où Sengo Muramasa défia son maître Goro Masamune, pour savoir lequel fabriquerait le meilleur sabre. Tous deux travaillèrent dur et quand les sabres furent prêts, ils décidèrent les tester. L'épreuve consistait, pour chacun deux, à suspendre les lames au dessus d'un petit cours d'eau, le côté tranchant face à l'eau et la pointe dans le sens du courant.
Le sabre de Muramasa, le "Juuchi Yosamu" (10.000 Nuits Froides) coupait tout ce qui passait sur son chemin, les poissons, les feuilles flottant au fil de l’eau et jusqu'à l'air qui soufflait dessus, Fort impressionné par l'œuvre de son disciple, Masamune abaissa son sabre, le "Yawarakai-Te" (Tendres Mains), dans le courant et attendit patiemment. La lame coupa seulement les feuilles, les poissons venaient sans crainte y nager tout près et l'air sifflait alors qu'il était au contact de la lame. Muramasa prit cela comme un signe que son sabre était mieux que celui de Masamune et commença à se réjouir. Au bout dun certain temps, Muramasa se mit à se moquer de son maître qui semblait manquer de savoir-faire pour forger son sabre. Souriant, Masamune retira son sabre, le sécha et le remit dans son fourreau. Pendant tout ce temps, Muramasa le chahutait car son sabre ne pouvait rien couper du tout.
. Un moine avait tout observé. S'approchant, il salua bien bas les deux maîtres forgerons. Il expliqua ensuite ce qu'il avait vu.
"Le premier des deux sabres est à tous égards un sabre superbe, c'est toutefois une lame assoiffée de sang et une nature perverse et mauvaise, car elle ne fait aucune distinction entre ce qu'elle doit ou ne doit pas couper. Elle peut couper aussi bien des papillons que plusieurs têtes."
"La deuxième était de loin la plus fine des deux lames, mais était aussi bien supérieure à la première, car elle n'a pas coupé inutilement, elle a coupé les feuilles, mais épargner les êtres vivants, car elle ne coupe pas pour rien ce qui est innocent et n'en vaut pas la peine."
. De cette légende, est née la tradition qui dit qu'une lame de Muramasa doit goûter au sang avant d'être montée. Il est dit que son propriétaire devait se faire du mal, afin d'étancher la soif de mal de la lame.
La tsuba
. Sur un sabre japonais, et notamment les katana, la garde s'appelle tsuba. Son rôle est de protéger la main et de l'empêcher de glisser de la poignée (tsuka) sur le tranchant de la lame, d'en assurer l'équilibre par contrepoids, et enfin de parfaire les techniques de défense d'un tantō (sabre court).
. Il existe deux catégories de tsuba, celui en fer (tetsu) et celui en métaux mous (kinko), composés d'une grande variété d'alliages. Le shakudo, de couleur bleu nuit en cuivre et or ; le sentoku, de couleur marron en cuivre, zinc et plomb ; le shibuichi, souvent gris, en cuivre et fer. Le tsuba est souvent de forme circulaire, mais peut également avoir une forme carrée, hexagonale ou rectangulaire. La surface est généralement sculptée, décorée ou ajourée (sukashi).
On distingue plusieurs particularités sur le tsuba, chacune ayant une fonction précise :
- le nagako-ana : ouverture centrale, de forme plus ou moins triangulaire, servant à passer la lame du sabre.
- le kozuka-hitsu : trou dans lequel on glisse un kogatana, qui était une réplique de la lame du katana mais à petite échelle (pour des raisons pratiques). Il servait à tous les usages courants du samouraï.
- le kogai-hitsu : trou permettant le rangement du kogai, une paire de pointes ayant de nombreuses utilisations : arme blanche, baguettes, épingles à cheveux, grattoir pour nettoyer les sabots des chevaux ou encore outil pour les armures.
. Les premiers rares tsuba remontent au VIe siècle, fabriqués par l'école de Shitogi, mais deviennent plus fréquents à partir de la période de Nara au VIIIe siècle. De forme beaucoup plus simple (goutte d'eau), ils étaient généralement composés d'un alliage de cuivre ou de fer. Jusqu'aux époques Muromachi (1336-1573) et Azuchi Momoyama (1573-1603), le tsuba a une fonction purement défensive et n'était donc qu'un simple cercle de métal nu.
À partir de l'époque d'Edo (1600-1868), on commença à forger des tsuba à l'esthétique bien plus travaillée. Il devient objet décoratif montrant le niveau social de son possesseur. Au XVIIe siècle se développe une nouvelle technique de forge destinée à la fabrication des tsuba : le mokume-gane.
Parmi les facteurs de tsuba les plus célèbres, il faut citer l'école de Gotō, fondée par Gotō Yūjō (1453-1512), dont les tsuba étaient utilisés essentiellement pour les sabres de cérémonies. On a également fabriqué des tsuba en bois ou en ivoire finement travaillés, qui n'étaient montés sur le sabre que pour des évènements publics.
Certains tsuba sont finement décorés et font l'objet de collections.
Les tsuba chrétiennes
Jean-Loup Lesage
. En 1595, Saint François Xavier débarqua au Japon avec l'intention d'évangéliser ce pays qui restait en dehors de toute influence occidentale. Les Portugais débarquèrent d'abord à Hirado dans l’île de Kyüshü, puis choisirent un port bien plus propice à Nagasaki, dans une baie protégée des typhons et en eaux profondes. Les marchands s'installèrent rapidement comme ils l'avaient déjà fait à Goa (Inde) et à Macao (Chine depuis 1999). Les Espagnols arrivèrent ensuite en provenance des Philippines et les missionnaires commencèrent à évangéliser la population.
Les missions chrétiennes
. Les résultats ne se firent pas attendre et en quelques années une partie de la population devint chrétienne catholique, ce qui dans le microcosme local déplut aux Hollandais des protestants très actifs, arrivés un peu plus tard depuis les Indes orientales. Les raisons des conversions furent variées, d’autant que les seigneurs locaux virent un très net intérêt dans ces barbares étrangers qui avaient des mousquets jusqu’ici inconnus au Japon.
Le Japon d'alors n'était pas unifié, même si un certain contrôle s'exerçait déjà à partir de la capitale Kyoto. Les missionnaires avaient réussi à pénétrer jusqu'à la capitale impériale et l'entourage de l'empereur. Les moines bouddhistes virent bientôt dans les chrétiens une formidable menace. L'empereur finit par réagir de la même manière face à certains de ses sujets qui disaient reconnaître un souverain au-delà des mers (le pape) et qui étaient prêts à mourir pour lui.
Les persécutions
. II déclencha alors des persécutions en plusieurs vagues qui aboutirent au massacre systématique des chrétiens, principalement implantés dans le sud, qui culmina dans la chute de leur dernier refuge en 1638 à Shimabara (on notera qu'un navire hollandais participa au bombardement). Par la suite, pour s'assurer de la fidélité des habitants, les autorités entamèrent une recherche systématique des chrétiens en les soumettant à un rituel régulièrement répété. Ceux-ci devaient piétiner une image de la Vierge Marie sous peine de mort pratiquement immédiate. Une relation de ces évènements parut dans l'histoire de l'Église du Japon par L'abbé de T, publiée en 1689. Un roman, mis au cinéma, Silence retrace également cette période.
Les Chrétiens disparurent pratiquement complètement, à l'exception de ceux de petites iles très isolées. Ils ne représentaient plus aucun danger pour le pouvoir impérial. Le Japon se ferma pour 250 ans avec comme seule fenêtre ouverte sur l'étranger un ilot dans le port de Nagasaki.
Des samouraïs convertis
. Les convertis étaient surtout des paysans mais aussi une partie de l'élite seigneuriale de la région : des samouraïs, guerriers armés de leur katana, un sabre orné de leur tsuba personnalisée. Au début, alors que le christianisme se développait rapidement, ces tsubas étaient portées de manière ostentatoire et clairement identifiables puis, avec les événements, devinrent de plus en plus discrètes pour ne pas attirer l'attention des autorités sous peine de mort assurée.
La plupart des tsubas sont en fer sans aucune décoration. La première a été trouvée au pied d'un mur au sud du Japon. Elle est donc très rouillée. La croix, quant à elle, est unique. Elles datent de plus de 400 ans.
. Après la destruction de leur dernier lieu de résistance et leur anéantissement, certains samouraïs continuèrent à pratiquer leur nouvelle religion en cachette et tinrent à pouvoir se reconnaitre entre eux.
En 1890 après l'ouverture du Japon, un prêtre français fut autorisé à construire une église pour accueillir les marins étrangers à Nagasaki. Un jour, une dizaine d'habitants vinrent le voir et lui dire très discrètement sur le seuil de l'église : « Nous pensons comme vous » C'étaient les derniers descendants des chrétiens cachés du Japon qui avaient survécu dans des iles isolées, les iles Goto.
Sans clergé, Ils pratiquaient encore une sorte de syncrétisme prudent entre la religion catholique et le bouddhisme avec une dévotion particulière pour la Vierge Marie qu'ils cachaient sous la forme de la déesse Kannon, la déesse de la miséricorde, et souvent représentée avec un enfant dans les bras.
La période chrétienne n'ayant pas duré très longtemps, la majeure partie des tsuba a disparu, les samouraïs chrétiens ayant pratiquement tous péri. Leurs familles non plus n'ont pas gardé ces objets, preuve dangereuse de leur appartenance à une religion interdite.
Elles sont difficiles à trouver. Il n'existe aucun document de référence consistant même au Japon, c'est donc au hasard d'une vente ou d'un marchand que l'on peut trouver ces objets témoins d'un passé historiquement émouvant.
