Les geisha

D’après : Pierre-François Souyri - mensuel 245 - jul-aoû 2000 / Nihonkara.fr - Alex 11 fév 2021 / Japan.fr.com / Japanization.org - Romain Albaret -14 avril 2021

Histoire des geisha

Un fantasme !

.            Parmi les multiples fantasmes que nourrit le Japon, il en existe un plus fort que les autres car plus beau et plus poétique. « Geisha » est sans doute avec « Samouraï » ou « Saké » l'un des mots de la langue japonaise les plus connus en Occident. La geisha constitue une sorte d'archétype féminin de la société traditionnelle qui a inspiré de nombreux artistes au Japon et, en presque aussi grand nombre, fasciné les voyageurs venus d'Occident. Liza Crihfield Dalby, une anthropologue américaine spécialiste de la culture du Japon, a été la première femme occidentale à devenir, en 1976 à 26 ans, la « geisha aux yeux bleus ».

Une geisha représente ce que la culture japonaise considère comme étant la beauté parfaite. Elles sont là pour être regardées mais pas touchées, admirées ! Leur travail est d'être onirique et de vendre le luxe, le romantisme … en exclusivité aux hommes les plus riches et les plus puissants du Japon !

.            Le mot « geisha » se compose de deux kanjis signifiant « art » (芸, gei) et « personne » ou « pratiquant » (者, sha) ; une « geisha » est donc littéralement une « personne qui pratique les arts ». Les termes « geiko » (芸子) ou « geigi » (芸妓) sont également employés dans le dialecte de Kyōto, ainsi que « maiko » (enfant qui danse) pour désigner les apprenties. Musiciennes, danseuses et courtisanes de luxe, elles continuent de fasciner les imaginations.

.          Aujourd'hui, on ne compte plus guère qu’environ 1.000 geishas et maiko en exercice, la plupart vivant à Kyoto et une vingtaine à Niigata. A vrai dire, dans le Japon contemporain, elles ne font guère parler d'elles, sauf dans des cercles très restreints de riches connaisseurs. On continue pourtant à les désigner comme une catégorie culturelle invariante du Japon de toujours.

Le monde fermé des Geisha intrigue encore aujourd’hui énormément. Symboles de la culture et du raffinement japonais, il est pourtant très difficile pour les touristes de s’en approcher. Leur existence et leur rôle est empreint de mystère. Les Geisha sont à la fois scrutées par tout le quartier où elles exercent régulièrement et par le monde entier. Elles passent normalement la quasi-intégralité de leur carrière au sein d’une okiya (maison de geisha), et consacrent leur vie aux arts traditionnels (la danse, l’art floral, la cérémonie du thé, l’habillement en kimono, la maîtrise d’un instrument de musique, les jeux, …). La fonction principale ces « poupées » en kimono et maquillées est le divertissement de convives très fortunés lors de banquets qu’on appelle les zashiki et qui viennent chercher leur compagnie honorable.

Des hommes, puis des femmes

.            Les premières femmes artistes n’ayant pour fonction que de divertir et d'accompagner les élites sont apparues au 7ème siècle au Japon. Appelées les saburuko, elles avaient pour tâche de faire la conversation, de danser mais aussi de vendre des faveurs sexuelles. Puis, au cours de l'ère Heian (794-1185), les artistes féminines furent de plus en plus sollicitées.

C’est en 794 que la notion de geisha apparaît. L’empereur Kammu, grand fan de la Chine, fait construire une nouvelle capitale, Kyoto, en partant du modèle de la capitale chinoise de l’époque, Changan. Pour divertir les nobles et les guerriers, l’empereur invite des jeunes femmes à danser sur des prières bouddhistes. Ces femmes devinrent très rapidement les maîtresses des hommes qu’elles divertissaient. Ce mélange de talent artistique et de plaisir conduisit, beaucoup plus tard, aux geisha telles que nous les connaissons maintenant. Mais le terme « geisha » ne remonte qu’aux environ de 1600, lorsque le shogun Tokugawa installa sa capitale à Edo (l’actuelle Tokyo).

.            Cependant, à partir du 13ème siècle, comme pour beaucoup de professions de haut-rang, ce furent prioritairement des hommes qui eurent la noble tâche de divertir les seigneurs. On les appelait les taikomochi, ou hôkan (bouffon) ou encore taiko-mochi (porteur de tambour) Ces « amuseurs », que l’on pourrait associer aux bouffons européens, étaient maîtres dans l’art de la cérémonie du thé, et étaient également de fins danseurs et connaisseurs des arts. Pendant très longtemps la poudre blanche caractéristique des geisha, l’oshiroi, n’était d’ailleurs utilisée que par les hommes.

Ils travaillaient dans les maisons de plaisirs de Yoshiwara, le quartier réservé d’Edo (ancienne Tokyo). Leur rôle était de divertir les clients en attendant l’arrivée des courtisanes. En effet, au cours du 16ème siècle, dans certains quartiers des grandes villes japonaises, des courtisanes, artistes et prostituées, appelées yujo, travaillaient dans certains quartiers de plaisir clos. Mêlant arts, divertissements et plaisir charnel, elles furent les premières femmes actrices du théâtre kabuki, où en particulier elles dansaient lashimai. Les guerriers samouraï furent parmi les plus fidèles clients des yujo.

.            Au fur et à mesure des décennies, les geisha de Kyoto et des autres villes japonaises émergent progressivement et obtiennent un rang plus élevé et un statut de femmes artistes. La prostitution est peu à peu éliminée du tableau pour laisser place à la danse, à la maîtrise d'instruments de musique, au chant, à la calligraphie et à la poésie.

En 1700, un décret du shogun reconnaît l’activité de « geisha » en tant que profession à part entière. Un code strict réglementa alors la vie des geishas, et elles furent obligées de vivre dans un quartier réservé nommé hanamachi ou kagai (花街, ville fleur).

Geisha et courtisanes

.            A partir du 18ème siècle, les nouvelles geisha ne comptent plus sur la prostitution pour gagner leur vie car elles sont appréciées pour leurs multiples talents. Elles commencent à se faire un nom et sont sollicitées pour leur haute maîtrise des arts japonais. Quelques femmes vinrent ainsi rejoindre les rangs des taikomochi pour devenir ensuite de plus en plus nombreuses jusqu’à remplacer les hommes. Le terme « geisha » ne précise d’ailleurs pas le sexe de l’artiste, c’est pour cette raison que dans les premiers temps on précisait onna geisha (« femme geisha ») quand il s’agissait d’une femme. Et à l’inverse, quand les femmes devinrent majoritaires à la fin du XVIIIème siècle, ce sont les hommes qui prirent le nom d’otoko geisha (« homme geisha »). Selon la légende, Kikuya.la première « vraie » geisha, telle qu'on les connaît aujourd'hui, aurait vécu à Fukagawa vers 1750 et aurait été une grande joueuse de shamisen (luth à 3 cordes, difficile à jouer).

L’organisation des geiko (terme local pour geisha dans le Kansai) commença alors à se structurer à Kyoto, dans le quartier de Gion sans doute le plus connu de la ville. Le métier de geisha était distinct de celui des courtisanes de haut rang comme les Tayû ou les Oiran auquel il ne devait pas faire concurrence. D’ailleurs, le gouvernement distingua officiellement les deux métiers en 1779 lorsqu’il reconnut officiellement le métier de geisha. Celui-ci n'inclut pas la notion de prostitution, pratique d'ailleurs interdite au Japon. Les geisha ne sont plus des prostituées mais bel et bien des artistes. D'un rang plus élevé, les geisha incarnent désormais l'esthétisme, la volupté, la spiritualité et l'intelligence. Le métier de geisha se voit structuré, réglementé par des horaires de travail, des codes vestimentaires et des valeurs éthiques. Ces femmes artistes prennent place dans la société japonaise, comme une forme d'opposition à l'image et à la morale de la courtisane classique.

Plan de Kyoto

.            Geisha et anciennes courtisanes cependant se ressemblent : coiffures complexes, kimonos luxueux, le fameux maquillage blanc alors à base de plomb. Sur le plan physique toutefois, la courtisane portait le nœud de l’obi (la ceinture du kimono) sur le devant et sa coiffure était parée de nombreux ornements en écaille de tortue. La geisha porte le nœud de son obi dans le dos, sa coiffure est moins complexe, les motifs et couleurs de son kimono plus discrets et elle porte généralement son shamisen à la main. Il existait bien sûr d’autres signes distinctifs, mais plus difficiles à repérer. L’autre différence essentielle est que la courtisane vendait ses charmes (même s’il fallait y mettre les formes et le prix) tandis que la geisha vendait le service de ses arts (et éventuellement plus, mais elle tombait alors dans l’illégalité).

Défilé d’une courtisane dans le quartier réservé de Yoshiwara par Hiroshige en 1856.

Au XVIIIème siècle, les Geisha sortirent des quartiers des plaisirs officiels et commencent à officier dans les ryôtei, des restaurants de luxe, lors de banquets et de repas commandés par de riches personnalités instruites qui payaient des fortunes pour être diverties. Leur rôle était toujours de divertir par leurs chants et leurs danses mais aussi de servir le client et de garantir que tout se déroule dans une ambiance sereine.

Culture et élégance encadrées

.            La geisha était une femme instruite, son succès dépendait de sa capacité à entretenir une conversation intéressante dans un groupe d’intellectuels. La plupart de ces geisha travaillaient dans les hanamachi (littéralement « quartiers des fleurs ») des centre villes Fukagawa à Edo et à Yanagibashi, qui leur furent réservés, tandis que les yûjos (prostituées) durent se contenter des quartiers en périphérie des villes. Elles avaient aussi un protecteur officiel, le danna, un homme riche qui, tel un mécène, lui faisait des cadeaux tout en continuant de la payer pour ses services et améliorait ses revenus en lui faisant obtenir plus d’engagements. Une cérémonie consacrait leur association, et il était le seul homme qui avait droit aux faveurs intimes de sa geisha. Son choix pouvait revenir à la geisha mais il était le plus souvent imposé par l’okasan (gérante) de l’établissement où elle vivait et avait été formée. Les geisha de quartiers moins prestigieux pouvaient aussi entretenir discrètement des relations intimes avec certains de leurs clients pour augmenter leurs revenus. Et de manière générale, les geisha disposaient d’une autonomie et d’une liberté de choix que n’avaient pas les courtisanes, bien que limitée.

Portrait de geisha par Utamaro Kitagawa, grand amoureux des beautés d’Edo.

.            C’est durant le XVIIIème siècle que les Geisha devinrent les championnes de la culture urbaine de l’époque Edo, à la place des grandes courtisanes perçues comme démodées et trop inaccessibles aux yeux des amateurs de plaisir. Elles prirent alors l’apparence que nous connaissons avec leurs kimonos furisode (à longues manches), leurs coiffures et leurs codes de couleur. On les retrouve ainsi représentées par les grands maîtres de l’estampe comme Utamaro. Elles incarnaient une élégance subtile basée sur la suggestion et un jeu de séduction codifié. Par exemple, les coiffures complexes des geisha pouvaient laisser échapper une mèche folle qui évoquait des activités plus échevelées. Le col tombant à l’arrière de leurs kimonos, dénudant la nuque, suggérait le moment où elles quittaient leurs vêtements, car pour les Japonais, la nuque est une zone sexuellement attirante. Autant de détails qui provoquaient la fascination du spectateur.

Des amours tristes

.            La geisha se devait de faire preuve de vivacité d’esprit, d’éducation et de détachement envers l’amour. Ce détachement naissait de l’acceptation de la brièveté des sentiments, de la mélancolie des amours passés et de la résignation sur leur sort. La plupart avaient d’ailleurs des histoires personnelles tristes, ayant souvent été achetées enfant à des familles pauvres pour être formées dans une maison de geisha, l’okiya, à laquelle elles devaient rembourser la dette (leur achat, la nourriture, les vêtements, leur formation…). Il leur fallait dissimuler la souffrance sous un masque de frivolité, et avoir eu le cœur poli et endurci par la dureté de leur vie pour la supporter et en tirer le meilleur parti.

Une scène du quartier de Fukagawa par Utamaro Kitagawa.

.            L’idée de l’amour (toujours perdu et recommencé) et des relations sexuelles était centrale dans l’art et l’esthétique des geisha. La cérémonie qui faisait passer la maiko (l’apprentie) au rang de geisha n’était autre que sa perte de virginité, vendue aux enchères au plus offrant. Cette cérémonie, le mizuage, était un grand évènement, mais indiquait moins un statut de prostituée qu’un rite de passage qui contribuait à donner à la nouvelle geisha l’état d’adulte. D’ailleurs, parfois il pouvait s’agir « simplement » d’acheter leur virginité sans impliquer forcément des relations sexuelles. La prostitution n’était cependant pas exclue, il n’était pas rare que les geisha entretiennent des relations tarifées avec des clients. Il n’y avait pas de code professionnel régentant les conduites des geisha, il existait donc des artistes pratiquant une prostitution occasionnelle. Cela devait cependant rester discret car la prostitution était interdite par la loi en dehors des quartiers officiels. Il existait aussi un bon nombre de femmes se proclamant geisha mais sans toutes les compétences artistiques et pour qui la prostitution était la principale source de revenus, on parlait alors de machi geisha, geisha des rues. Le gouvernement du shogun faisait d’ailleurs la chasse à ces femmes. En 1843. 900 d’entre elles furent raflées à Edo et envoyées dans les quartiers réservés à la prostitution. Figure de l’élégance de l’époque Edo, les geisha n’allaient pas tarder à devenir des gloires nationales durant l’époque Meiji.

L’apogée des geisha

.            L’âge d’or des geisha-femmes dura du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle. Le nombre des geisha, désormais toutes des femmes, était alors de plusieurs dizaines de milliers, probablement environ 80.000, non seulement à Kyoto mais aussi dispersées dans tout le Japon. Soutenue par la clientèle samouraï et par le gouvernement Meiji, l’économie des quartiers de plaisirs où exerçaient les geisha fut extrêmement florissante. Une simple soirée avec des invités prestigieux pouvait rapporter des centaines de milliers de yens et les geisha les plus prestigieuses ne manquaient alors ni de travail ni de courtisans.

Geisha et politique

.            L’univers des Geisha était en effet fortement mêlé aux luttes politiques de la fin de l’époque Edo, ce qui, d’une certaine manière était logique. Les maisons de thé étaient des lieux fermés qui pouvaient être loués pour des repas accompagnés par des geisha dont la règle d’or était de ne jamais révéler ce qui s’était dit lors de ces réunions. C’était l’endroit rêvé pour les samourais pour discuter politique loin des oreilles indiscrètes. A Kyôto, Gion était devenu le quartier des geiko, où s’y rencontraient de nombreux partisans de la restauration impériale qui pour y échanger leurs plans et leurs idées. En parallèle, les partisans du shogun se retrouvaient dans les hanamachi d’Edo (future Tokyo).

Parmi les partisans du Sonnô Jôi (« expulser les barbares, révérer l’empereur ») de nombreux samourais avaient pour maîtresses des geiko. Kido Tadayoshi, l’un des pères du Japon de l’époque Meiji, resta connu pour sa relation avec la geiko Ikumatsu, qui le cacha de la milice du shogun en 1864 ; ils se marièrent après la restauration Meiji. Même après la chute du shogunat (11 avril 1868), les geisha conservèrent leurs opinions et les nouveaux maîtres du Japon ne furent jamais les bienvenus dans les maisons de thé d’Edo qui avaient soutenu le camp adverse. Une conséquence fut qu’un grand nombre des nouveaux hommes politiques du Japon moderne entretenaient des liens rapprochés avec le demi-monde des geisha et il n’était pas rare qu’ils entretiennent des concubines ayant un passé de geisha, comme le premier ministre Itô Hirobumi avec Kawakami Sadayakko. Ces anciennes geisha devenues concubines ou épouses légitimes devinrent des personnalités pouvant disposer d’une influence et faire les modes. La geisha de renom devint ainsi un personnage protégé qu’il fallait nettement différencier de la prostituée ou de la courtisane.

Kido Matsuko, ancienne geisha de Gion sous le nom de Ikumatsu. Source : Wikimedia Commons

.            A la fin de l’époque Meiji, la geisha devint un modèle de féminité et de délicatesse, une spécificité japonaise inimitable par l’étranger. Le Japon de cette époque adoptait le nationalisme à l’occidentale et cherchait à définir les caractères purement japonais. Les arts et l’esthétisme des geisha furent célébrés comme la quintessence de la beauté japonaise, de la femme japonaise dans ce qu’elle avait de plus pur, débarrassé de toute connotation sexuelle. L’image romantique de la geisha était d’autant plus utile qu’elle était connue en Europe où elle incarnait l’exotisme d’un Japon traditionnel à travers les estampes ou les récits de voyageurs.

La geisha devint non seulement protégée mais fut glorifiée au même titre que les cerisiers en fleurs. C’est d’ailleurs à cette époque que furent fondés la plupart des festivals de danses des geisha comme le célèbre Miyako Odori à Kyôto. Les geisha, elles-mêmes gagnées par le nationalisme, célébrèrent par leurs poèmes et leurs danses les soldats japonais et furent invitées aux célébrations des victoires comme en 1905, après la défaite de la Russie. En 1912, certaines furent même présentes lors de la cérémonie d’intronisation de l’empereur Taishô, célébrant l’évènement face aux portes du palais. Dans le même temps les geisha étaient omniprésentes dans les représentations, les romans et jusque dans les publicités.

Photo d’un groupe de jeunes maikos souriantes dans les années 1930. Comme à l’époque des estampes, les représentations de belles Geisha étaient toujours très populaires.

Banalisation et dévaluation du métier

.            Il persistait pourtant une grande différence entre l’image encensée de la geisha et ses réalités. Il existait bien sûr une catégorie de geisha célèbres vivant de leur art, une sorte d’aristocratie du métier, mais elle ne doit pas cacher que la plupart des geisha étaient loin de correspondre au modèle idéalisé. Officiellement les geisha étaient d’ailleurs toujours rangées au même rang que les prostituées, elles devaient disposer d’une licence de prostituée en plus de leur licence de geisha et elles étaient soumises aux mêmes contrôles médicaux. La nouvelle morale japonaise imitée de l’Europe les fit rentrer dans la catégorie des femmes de mauvaise vie, sauf pour celles qui étaient protégées. De nombreuses courtisanes et prostituées s’étaient d’ailleurs reconverties après la fin de l’époque Edo en se rebaptisant geisha. Certaines renonçaient totalement à la prostitution mais la plupart continuèrent à l’exercer discrètement par manque d’alternatives.

La pauvreté continuait à drainer son lot de filles des campagnes ou même de filles d’anciens samourais appauvris, vendues par leurs familles, emmenées vers les villes où elles étaient formées rapidement (ou pas du tout) avant de les qualifier de geisha et de les mettre au travail. À l’époque, il n’existait pas de contrôle ou de diplôme pour vérifier les compétences artistiques et les mœurs. Une période chaotique qui va donner naissance à d’autres types de geisha. On les baptisa de noms divers comme makura geisha (geisha d’oreiller) ou encore les onsen geisha qui divertissaient (et généralement plus) les hôtes dans les petits villages d’onsens à la campagne. Elles étaient forcément moins sophistiquées que leurs collègues des villes et ne bénéficiaient pas de l’aura de la geisha modèle. Dans ce contexte, le nombre des geisha explosa, passant de 25.000 en 1895 à plus de 80.000 en 1905, la plupart d’entre elles recourant à la prostitution de manière plus ou moins discrète.

Dans les années 1920-1930, cette situation empira alors même que des geisha étaient expédiées sur le continent pour « servir » les officiers de l’armée impériale. Il faut dire que la clientèle aussi avait changé, beaucoup de Japonais de l’époque ne comprenaient plus grand-chose aux codes et à la subtilité de leur élégance sophistiquée (ce qu’on nommait l’Iki), ou ne s’en souciaient guère, préférant des spectacles plus crus et méprisant celles qui étaient désormais considérées comme des femmes perdues. Il existait un idéal de la geisha qui correspondait parfois à la réalité mais dans la majorité des cas la geisha réelle était devenue une femme réprouvée, rarement à la hauteur de son image, déclassée.

Les publicités mettant en avant les Geisha étaient souvent liées aux alcools et à la musique, rappelant la fonction d’accompagnatrices des Geisha. Ici une publicité pour la bière de marque Kirin, en 1915.

Les geisha contemporaines

Guerre et révolution

.            Lors de la deuxième guerre mondiale, le quartier des plaisirs de Kyoto fut fermé et on réquisitionna les geiko et maiko pour l’effort de guerre et travailler dans les usines afin de remplacer les hommes partis au combat. La défaite du Japon impérial et l’occupation américaine ont entraîné la fin d’une idéologie nationaliste dont les symboles furent bannis par les vainqueurs. La geisha, symbole d’une prétendue supériorité féminine japonaise, fut considérée par l’occupant comme le reliquat d’une nostalgie subversive et cessa d’être mise en avant. Les liens entre le monde politique ou industriel influent et le demi-monde des geisha furent défaits et ces dernières ne retrouvèrent jamais leur influence culturelle (même si dans les années 70, le premier ministre Tanaka Kakuei fut contraint à la démission par des scandales dont l’un impliquait une geisha). La geisha devint le symbole du passé dont les traditions semblaient archaïques et dont la séduction n’était plus en phase avec les goûts de l’époque.

Geikos et maikos de Gion lors d’une représentation du Miyako Odori, le festival de danse annuel du hanamachi. Source : Miyakoodori.com

C’est aussi dans l’après-guerre que le lien entre geisha et prostitution fut finalement coupé définitivement pour revenir à une situation plus proche des origines du métier. En 1958, le Japon rendit illégale la prostitution et ferma ses quartiers des plaisirs, et les geisha redevinrent uniquement des artistes (voire éventuellement les maîtresses de leur danna). A partir de ce moment, être une geisha devint un choix professionnel de se spécialiser dans les arts traditionnels japonais et d’en vivre. Les traditions furent adaptées dans ce sens : si le rite de passage de la geisha, le mizuage, existe toujours il se limite généralement à une aînée reconnaissant que sa cadette a atteint le rang de geisha et peut changer son col rouge d’apprentie en col blanc d’artiste confirmée.

Indépendance ?

.            Les Geisha travaillent désormais sous un statut indépendant en lien avec une okiya qui fait office d’agent, le système de la dette ayant été aboli. A Kyoto, ville restée au plus proche de la tradition, les apprenties maiko, vivent en internat dans l’okiya où elles sont formées à partir de 16-17 ans. Les jeunes filles ont l’obligation légale de terminer leur scolarité au collège avant de se dédier à l’apprentissage de ce métier. Le passage du statut de maiko à geiko se fait durant l’année des 20 ans de la maiko. Vingt ans étant l’âge de la majorité au Japon, il symbolise le passage de l’enfance à l’âge adulte, ce dernier amenant de plus grandes responsabilités au sein de la communauté et durant les banquets. Ce moment crucial, nommé « erikae » (« le retournement du col ») a lieu avec l’approbation des aînées et professeurs qui jugent si la maiko a acquis suffisamment d’expérience et de capacités artistiques pour devenir professionnelle.

Affiche de cinéma américain en 1972. Le cinéma a largement influencé l’image occidentale de la Geisha.

Indépendantes, les geisha sont souvent réunies en associations professionnelles, mais parfois aussi soutenues financièrement par un danna. La moralité des geisha étant un sujet avec un lourd passif historique, les apprenties résident en internat dans leur okiya où aucun homme n’a le droit d’entrer, hormis l’otokoshi (l’habilleur) qui les aide à revêtir leur tenue pour les soirées. Le choix de leurs relations amoureuses est entièrement personnel, une femme mariée peut d’ailleurs continuer à exercer selon les circonstances (c’est par exemple chose possible à Tokyo mais pas à Kyoto). Progressivement le métier s’est codifié de manière de plus en plus disciplinée, recentré sur la pratique d’un répertoire fixe focalisé sur la pratique du shamisen (et d’autres instruments comme la flûte et le tambour), de la danse (shimai) ainsi que d’autres arts comme la cérémonie du thé, la calligraphie, l’ikebana…

Un patrimoine culturel

.            Les geisha actuelles sont devenues un élément du patrimoine culturel japonais. Elles sont généralement associées à la ville de Kyôto comme « ornement » de l’ancienne capitale, alors qu’elles sont apparues et prospérèrent à Edo/Tôkyô. Kyôto compte 5 quartiers dictincts (Gion Higashi, Gion Kobu, Miyagawachô, Pontochô et Kamishichiken) mais il existe des geisha en petit nombre dans d’autres villes du Japon comme à Kanazawa. On recense actuellement environ 200 Geisha en activité dans tout le Japon. La patrimonialisation des geisha amenant un renouveau dans le recrutement, on compte aujourd’hui 71 maikos à Kyôto seulement, bien que ce chiffre était tombé à 25 à la fin des années 60.

Les cinq quartiers de geiko à Kyoto

Les geisha sont cependant redevenues à la mode au Japon des années 2000 avec sous l’influence des foules de touristes, notamment étrangers, à Gion (en particulier la rue Hanamikoji où se trouvent beaucoup de geishas) ce qui n’est pas sans perturber l’activité des dernières geisha. Cela a aussi entraîné un glissement de l’attention sur les apprenties, les maiko, plutôt que sur leurs aînées. Présentées comme ambassadrices de Kyôto et du Japon dans le monde, elles sont en quelque sorte dépossédées de la profondeur de leur métier au profit d’une simple image commerciale. C’est principalement dû au jeune âge de ces dernières mais aussi à leurs kimonos plus colorés et leurs coiffures traditionnelles plus ornées que celles des geisha. La geisha artiste, entrée au musée, reste cependant un objet de l’érotisme attirant les étrangers par son exotisme, et les Japonais par l’aura de pureté. Une pureté de la tradition mais aussi pureté physique qui reste un attrait pour beaucoup d’hommes japonais.

Une maiko traquée par les touristes dans les rues de Gion.

Les Geisha actuelles sont devenues des pièces de musée vivantes, conservatrices des arts traditionnels mais qui ne sont plus forcément en accord avec l’esprit de l’Iki animant leurs aînées des siècles passés. Il faut aussi déplorer le manque d’intérêt de la plupart de leurs clients pour les arts traditionnels et une absence de connaissances les empêchant d’apprécier tout l’art des geisha à leur juste valeur. Rares sont les banquets où l’esprit d’autrefois est encore présent.

Comment devient-on une geisha ?

L’enfant achetée

.            Cest au karyukai, le monde des fleurs et des saules, dans les quartiers traditionnels des grandes villes japonaises comme le quartier de Gion à Kyoto, que vivent les geisha. Chaque année, de nouvelles jeunes filles viennent y vivre en espérant devenir un jour de belles et fières geiko.

Il y a plusieurs décennies, ce sont les maîtresses des okiya elles-mêmes qui allaient à la recherche des futures grandes geisha dans les familles pauvres des campagnes (l’apprentissage commençait alors traditionnellement le 6ème jour du 6ème mois de la 6ème année). Devenir membre d’une okiya permettait souvent aux familles dans le besoin de s’acquitter d’une dette. On donnait alors une forte somme d’argent aux familles en contrepartie de l’adoption de leur fille et de la certitude de faire d’elle une femme élégante et fortunée. Beaucoup de petites filles rêvaient de devenir geisha et celles-ci pouvaient venir se présenter d’elles-mêmes et suivre des sessions de recrutement à partir de la fin de l’adolescence. Mais seulement une sur trois réussira à supporter la discipline de cet enseignement.

Le premier critère de sélection était bien souvent la future beauté soupçonnée des jeunes filles aux cheveux et yeux bien noirs et aux traits fins. Une fois sélectionnée, on attribue à la jeune fille une onesan « grande sœur », souvent une geiko confirmée de l’okiya, qui se chargera de s’occuper de son apprentissage. Toutes les sœurs sont sous l’autorité de la mère de l’okiya de la maison, titre honorifique et héréditaire. Lorsque la jeune fille entre dans l’okiya elle est nourrie, blanchie, logée et ouvre généralement une dette qu’elle devra rembourser lorsqu’elle sera devenue une vraie geisha.

L’okâsan (la mère tenancière) devenait officiellement la mère adoptive de l’enfant. Cependant, ce n’était aucun cadeau de la part de la gérante. Tous les frais avancés par l’okiya pour l’éducation, l’habillement (et même pour l’achat de l’enfant !) devaient être remboursés par la future geisha. Inutile de préciser que tous les frais engagés étaient exagérément facturés. En moyenne, il fallait 15 ans à une geisha pour rembourser son contrat (appelé nenki).

.            La scolarité étant désormais obligatoire jusqu’à 15 ans, on ne peut plus sélectionner une jeune fille pour en faire une geisha, et à aucun moment, elles ne peuvent être forcées à devenir une geisha contre leur gré.

Un long apprentissage

.            Devenir une geisha confirmée passe, comme aujourd'hui encore, par des années de préparation et un long apprentissage. La première tâche d’une shikomikos (les toutes jeunes de 6 à 12 ans) en devenir consistait souvent à nettoyer l’okiya et à pourvoir aux tâches ménagères. L’apprentie apprenait à tenir un espace propre et pur et à se donner à la tâche à 100%. Elle faisait les courses pour les « grandes sœurs » (les maiko). Et le soir, les taabo accompagnaient les geishas sur leurs lieux de travail, portaient leurs affaires, par exemple leur shamisen, puis attendaient, tout le reste de la soirée, dehors, devant la sortie de service.

C’est ensuite que venaient les premières formations aux usages, comme l’apprentissage du dialecte propre aux geisha quelque peu différent du japonais classique. Plus distinguée, la geisha ne dit pas, par exemple, « Hai » mais « Hei » et apprend tout au long de son apprentissage à converser d’une manière élégante et distinguée. Ses moindres gestes et la façon qu’elle a de les effectuer sont codifiés. Ainsi elle doit apprendre à se baisser pour entrer dans une pièce « tatamis » en ouvrant la porte avec ses deux mains d’une façon toute particulière. C’est ainsi, et pour tous les mouvements de la vie, qu’une geisha en devenir doit apprendre à se comporter au quotidien. Un peu plus tard, elle aura le statut de minarai et apprendra les arts traditionnels japonais et s’y perfectionnera pour finir par maîtriser à la perfection (danse, chant, pratique du shamisen, maintien, cérémonie du thé, la culture classique, la poésie, l’histoire, la littérature, ...). Vouée à devenir une compagne de renommée, la geisha n’est pas une simple servante et doit savoir rester digne et fière en toute situation. De sa tendre enfance à la fin de son activité, la vie d’une geisha est éreintante et pleine de sacrifices. Heureusement elle est aussi source de joie et d’honneur.

En plus des arts, les geisha se doivent de toujours être vêtues à la perfection. Kimono, obi (ceinture traditionnelle) ou encore le fameux maquillage blanc sont autant de points à respecter avant toute sortie en extérieur. Il s’agit là d’un véritable métier qui demande une formation longue de plusieurs années. La coiffure également compte beaucoup, et elle nécessite parfois plusieurs heures de préparation.

Dès l’âge de 12 ans, l’okâsan (mère) décidait si les fillettes étaient capables de devenir des maiko. A Tokyo les apprenties sont nommées hangyôku, ce qui signifie « demi-joyau » car leurs honoraires sont moitié moins élevés que ceux d’une geisha.

La vie d’une maiko

.            La vie des jeunes filles change du tout au tout une fois qu’elles deviennent des maiko. Le changement de statut shikomiko/maiko était une étape significative. En effet, c’est durant cette période qu’une maiko reçoit son premier kimono (obebe).

.            Pendant l’année (au minimum) d’apprentissage, les maiko étaient tout le temps accompagnées par une geisha confirmée nommée l’onesan (grande sœur ou sœur ainée). L’onesan était alors chargée de veiller sur sa protégée et elle touchait un pourcentage sur tous ses gains. Dans la rue, une maiko devait toujours être située au moins un mètre derrière la geisha confirmée. Pour nouer ce lien de hiérarchie entre elles, les deux femmes faisaient la cérémonie du san san ku do, un rituel qui consistait à échanger 3 coupes de saké.

La jeune maiko devait aller se présenter devant chaque maison de thé et chaque client pour se faire connaître. Au cours de sa visite, elle distribuait des boulettes de nourritures à base de farine et fourrées de manjû (haricots rouges), une manifestation qui revenait très cher à la jeune apprentie.

.            Alors que leurs sorties de l’okiya se faisaient jusque là rares, celles-ci deviennent presque quotidiennes. En plus de leur apprentissage qui leur prend déjà beaucoup de temps, les maiko sont désormais invitées très régulièrement à se produire dans les ochaya (les maisons de thé) du quartier, où elles servent le thé (qu’elles ont appris à faire plus jeune) et qu’elles ne serviront plus une fois geisha. Elles apprennent là l’essence même de leur travail : divertir les clients fortunés qui viennent y passer un moment agréable. Le principal souci de la maiko est de veiller à ce que le client passe un bon moment et apprécie sa compagnie. Celle-ci peut être invitée à danser, jouer d’un instrument ou tout simplement converser élégamment avec son invité. Durant tout leur apprentissage et tout au long de leur vie, les maiko et geisha sont poussées à s’instruire et à s’intéresser aux arts et à la culture. Elles pensent d’ailleurs souvent à se documenter sur leur invité du soir en lisant rapidement leurs publications, par exemple. Il s’agit là de la moindre des politesses de connaître le travail de son invité. Les soirées en ochaya sont aussi parfois de pures rencontres professionnelles entre businessmen. Dans ces cas-là, les maiko et geisha doivent savoir se mettre en retrait et être prêtes à servir leurs invités s’ils en font la demande. La vie du quartier fait également partie des priorités de la future geisha. Il est primordial de prendre le temps d’aller saluer les propriétaires des ochaya pour se montrer et représenter l’okiya.

Devenir une geiko

.            C’est au terme d’une grande et belle cérémonie et après des années d’épreuves et de travail qu’une maiko, âgée d'environ 21 ans, peut enfin devenir une geiko. Une fois les maiko formées, connues de plusieurs maisons de thé et ayant déjà quelques clients les appréciant, la vie de geisha commençait vraiment. Elle n’était alors plus une enfant et la redéfinition de son apparence en est la preuve. Sa coiffure change, son col auparavant rouge devient entièrement blanc, la poudre rouge sur ses pommettes n’est plus qu’un souvenir, … La geiko est une maîtresse des arts et de la délicatesse confirmée. Les zashiki auxquels elle participe sont souvent extrêmement bien rémunérés et celle-ci ne peut plus se permettre le moindre impair.

.            Pour rembourser leurs dettes auprès de leurs okâsan, elles devaient beaucoup travailler. Dans son nenki (contrat) il n’était pas rare qu’une geisha assiste à plusieurs banquets en même temps. Elles étaient le plus souvent payées à l’heure mais ne restaient qu’une partie effective du banquet. Elles pouvaient ainsi participer à deux à trois zashiki en une heure.

Une maiko quitte son okiya pour se rendre à un zashiki dans le quartier de Kamishichiken à Kyoto.

Une quantité très limitée de geisha arrivait à rembourser la quasi-intégralité de leur contrat. Il existait deux façons pour une geisha de rembourser sa dette plus rapidement. La première consistait à vendre son dépucelage. Plus la geisha était appréciée et douée dans les arts, plus le prix en était élevé. Cette pratique nommée le mizuage (littéralement “élever l’eau”) était une mise aux enchères de la virginité des jeunes geishas. Bien que le sexe ne fasse pas partie intégrante de la mission des geisha, il serait mal avisé de penser qu’elles ne vendaient pas leurs corps. En effet, seules les plus grandes et les plus connues des geishas pouvaient se passer de ce gain rapide d’argent.

La deuxième méthode pour rembourser l’okâsan était de prendre un danna (sponsor). Celui-ci n’était pas forcément celui qui avait pratiqué le mizuage. Cet homme riche, pour mettre en évidence son statut social, payait une pension mensuelle ainsi qu’une « prime » lorsqu’elle participait à un banquet auquel il participait. Pour se lier à un protecteur, les deux parties pratiquaient la cérémonie du san san ku do, déjà réalisée par les maiko avec leur onesan.

.            La geiko est l’incarnation et l’honneur de tout son okiya et se doit ainsi d’agir en conséquence. Certaines d’entre elles n’ont pas une minute à elles et sont amenées à exercer dans tout le Japon voire parfois à l’étranger. Un honneur aussi grand … que la fatigue accumulée. Plus tard, il peut arriver que la geiko soit amenée à prendre en charge la vie entière de l’okiya, s’occuper de l’organisation du travail des maiko et des apprenties, faire les comptes… Il leur faudra également recruter de nouvelles jeunes filles qui deviendront plus tard les nouvelles vedettes du quartier et les fiertés de l’okiya. Une fois leur service terminé, des geiko quittent le quartier des plaisirs et fondent une famille, souvent au bras d’un de leurs anciens clients réguliers.

L’okiya, lieu de vie des geishas

.            Historiquement, les geishas vivaient dans une okiya (置屋, maison de geisha). Ces bâtisses, situées dans les hanamachis (quartiers réservés), étaient tenues par des femmes. En effet, la quasi-totalité des personnes composant une okiya était des femmes. Une okiya type regroupait environ une dizaine de personnes déclinées de la façon suivante :

– une tenancière : okâsan (mère).

– cinq à six geishas,

– trois petites filles de moins de 12 ans : Shikomikos (ou taabos). Ces petites filles sont les futures geishas.

– deux femmes de 15 à 45 ans : une banba, c’est-à-dire une aide cuisinière également serveuse. Une beebe, qui s’occupait du ménage et de la lessive. Ces deux femmes n’étaient rétribuées que deux fois l’an sous forme de cadeau et n’avaient pas le droit à un salaire précis.

– un serviteur : il était chargé d’escorter les geishas lors des soirées ainsi que de racoler les clients à l’entrée. Il était le seul homme de l’okiya et était très mal considéré par les femmes de la maisonnée. Il touchait un pourcentage des gains de l’okiya, en fonction du nombre de clients apportés.

– jusqu’en 1957 et l’interdiction de la prostitution, une okiya devait également avoir une prostituée officielle pour obtenir une autorisation d’exploitation.

Une dernière catégorie de femmes travaillait dans le quartier des plaisirs, les yarite-baba. Ces vieilles femmes jouaient le rôle d’entremetteuses entre les geishas et leurs clients. Comme le serviteur, ces femmes touchaient un pourcentage en fonction du nombre de clients apportés à l’okiya.

Une autre vie possible après le métier de geisha ?

.            Une fois leur contrat remboursé, les geishas avaient deux possibilités.

– La première était de ne rien changer à leur vie. La geisha devait alors quitter l’okiya (si ce n’était pas déjà fait) et elle vivait alors à son compte, touchant la totalité de ses revenus ainsi que celui de son protecteur (si elle en avait un). La plupart de ces femmes, indépendantes pour la première fois de leur vie, décidaient souvent de continuer leur métier pour profiter de ses avantages énormes pour les femmes de l’époque.

– La seconde était de se marier. En se mariant, une geisha devait alors quitter le quartier réservé car le célibat était la première règle à respecter pour être une geisha. Le mariage pouvait avoir lieu avec son danna mais c’était très rare car la plupart des protecteurs étaient déjà mariés. Au moment de quitter l’hanamachi, une geisha doit organiser une cérémonie d’adieux appelée le hiki hiwai, qui consiste à offrir du riz bouilli à son onesan et à son okâsan.

Les geishas modernes

.            Il existe de très nombreuses différences entre les geisha de l’ère Edo et celle du XXIéme. On estime à l’ère Edo qu’il y avait environ 200.000 geisha au Japon. Dans les années 1980 elles étaient estimées à 17.000 pour n’être plus qu’environ 200 de nos jours (essentiellement dans le quartier de Gion à Kyoto). Pour comprendre pourquoi le nombre a tant diminué, il suffit de voir les évolutions de l’histoire et surtout de la loi japonaise :

  • En 1842 la réforme Tempo mit fin à la prostitution et fit fermer les hanamachis. En 1851, ces derniers rouvrirent.
  • Pour contrôler les geisha, l’état décida de fixer des grilles tarifaires sur les activités des geisha.
  • Durant la seconde guerre mondiale, le gouvernement referma les hanamachi et réquisitionna les geishas pour travailler dans les usines. Lorsque leurs activités reprirent le 25 octobre 1945, très peu de geisha revinrent. Les mentalités et l’économie ayant beaucoup évolué, les okâsan n’achetaient évidement plus les petites filles pour les former.
  • En 1957, l’état proclama l’interdiction totale de la prostitution. Dans le même temps, une loi fut promulguée qui interdisaient le travail aux moins de 15 ans.

Même si la formation au métier de geisha est restée intacte au fil des siècles et se passe toujours de la même manière, désormais, l’apprentissage du métier de geisha ne peut donc commencer qu’à l’âge de 15 ans et non plus le 6ème jour du 6ème mois de la 6ème année. La tenue des maiko reste inchangée ainsi que celle des geisha. Tout reste encore fait artisanalement. Les coupes de cheveux sont également identiques à celle de l’époque, cependant, les geishas portent désormais des perruques. Durant l’ère Edo, les geisha finissaient quasiment chauves à cause des chignons.

Les cérémonies traditionnelles sont toujours d’actualité mais certaines comme le mizuage ont changé de signification. En effet, cela ne signifie plus perdre sa virginité. Désormais le fait de faire le mizuage signifie que la « grande sœur » juge la maiko digne d’être une véritable geisha. Pour fêter ce changement, la jeune geisha est alors autorisée à porter le col blanc à la place du col rouge. On appelle cette étape, le « changement de collier ».

Autrefois réputées pour leur avant-gardisme, les geisha modernes sont désormais dépositaires de la tradition japonaise. Par leurs grandes connaissances artistiques, elles permettent de faire perdurer des traditions séculaires. De nos jours, les geishas sont aussi respectées que le sont les sumotoris.

Vivre comme une geisha

.            Encore de nos jours, l’aide d’un mécène est souvent indispensable pour la geisha. On estime qu’un kimono de qualité pour geisha coûte 5.000 à 10.000 dollars). C'est la plus importante dépense et le bien le plus précieux pour une geisha. Sa fabrication artisanale peut prendre trois ans en raison de la complexité des détails contenus dans le tissu. Si on y ajoute les coûts du maquillage, des accessoires et de la formation, de son rachat, il devient facile de comprendre que la geisha n’a d’autre choix que de recourir à un protecteur.

.           Apparu il y a mille ans, le kimono (littéralement « ce qui se porte ») a finalement transcendé les catégories sociales, voire les frontières. C’est au début de l’ère Edo (1603-1868), qu’il devient l’habit traditionnel par excellence. Surtout produit à Kyoto, il sera porté par l’ensemble des Japonais indépendamment de leur statut social ou de leur genre. Un âge d’or qui voit l’extraordinaire développement de sa production et la naissance d’une culture de la mode grâce à l’engouement du monde du spectacle. Célébrités et élégants de l’époque, acteurs de kabuki en tête, devenant alors les premières icônes de la mode japonaise.

.           Avant de s’habiller, il faut revêtir le hadajuban, un vêtement de peau qui a principalement pour fonction d’absorber la sueur pour protéger le nagajuban en soie et donc difficile d’entretien, sur lequel la geisha enfilera le kimono. Celui-ci est richement décoré, constitué de plusieurs couches et entièrement fabriqué à la main. La nuque, partie du corps érotique pour un japonais, reste apparente. De même, lorsque la geisha relève un peu plus la manche de son kimono, c’est dans un but de séduction. Il est porté quotidiennement. Pour les apprenties maiko, le kimono est le plus souvent fait de couleurs très vives avec de nombreux motifs peints à la main. Chaque maiko/geisha possède une garde-robe de 15 à 20 kimonos, le prix de ces kimonos étant extrêmement élevé. Comme pour le reste, l’okâsan facture à prix d’or toutes ces dépenses. Les kimonos sont très durs à enfiler. Aussi, les nouvelles geishas se rendent-elles chez un spécialiste de l’habillement et/ou sont aidées par leur grande sœur.

Pour différencier une geisha d’une maiko, il suffit de regarder la façon dont est noué son obi (帯), la ceinture de soie de 4 mètres de long, qui permet de fermer le kimono. Pour les maikos, la ceinture est nouée « en traîne » ; pour les geisha, elle est repliée sur elle-même. Un autre élément permettant de différencier une maiko d’une geisha est le col cousu sur le kimono ; il est rouge pour les maiko et blanc pour les geisha confirmées. Plus la geisha vieillit, plus les couleurs de ses kimonos sont discrètes. Au-delà de 30 ans,il n’y a plus de motifs sur les kimonos.

Une Maiko à gauche et geisha à droite.

Les chaussures évoluent avec le grade. Lors des soirées et des déplacements en ville, les zōri des shikomiko laissent place aux geta des maik, rehaussées pour empêcher le bas du kimono de traîner au sol.

.            Le maquillage blanc de leur visage est symbole de pureté. La poudre (oshiroi) qu'elles appliquent, par-dessus une huile à base de camomille et de clous de girofle appelée bintsuke-abura, est obtenue après broyage de grains de riz. Autrefois, ce maquillage contenait du plomb, ce qui était dangereux lorsqu'il était porté longtemps. Beaucoup d'anciennes geishas souffraient de maladies et de problèmes de peau. Le maquillage est étalé à l'aide d'une brosse de bambou.

Le visage est totalement maquillé ainsi qu’une partie de dos (excepté un bout de nuque laissé « pur ». Le maquillage a pour but, entre autres, de préserver l’anonymat de l’artiste tout en la rendant mystérieuse. Il est également signe d’appartenance à un certain rang social. Il évolue avec l’âge et l’expérience de la geisha. Une novice se voit par exemple extrêmement maquillée pour signifier sa jeunesse. La peau est quant à elle très blanche, les yeux noirs de jais et la bouche rouge sang. Les différentes intensités de couleurs et textures utilisées symbolisent une expression, un trait d’humeur précis.

Les geisha se font souvent aider par une maquilleuse ou par leur supérieure lorsqu’elles débutent dans le métier. L’opération demande beaucoup de précision. Il faut entre autres maquiller les lèvres, les yeux et les joues en rouge.et pour finir les sourcils et contours des yeux tracés en noir à l’aide d’un charbon. Les maiko doivent obligatoirement porter ce maquillage.

Autrefois les geishas se teignaient les dents. Cette coutume datant de l’ère Heian (794-1185) s’appelait ohaguro, et ne concernaient pas seulement les geishas mais aussi toutes les femmes mariées (une concubine ne le faisait donc pas). Selon certaines sources le but était de se différencier des animaux. A la suite de l’ouverture du Japon à l’Occident au XIXème siècle cette pratique, jugée choquante aux yeux des étrangers, fut interdite bien qu’elle perdura quelques décennies en certains lieux.

En souvenir de cet usage les maikos de Kyoto se noircissent les dents lors du « Sakkô », une période de quelques semaines qui marque le terme de leur carrière et désigne également la coiffure spécifique qu’elles portent à ce moment-là.

Au fur et à mesure que les ans passent, les geisha ont le droit de diminuer la quantité de maquillage. Au-delà de 30 ans, elles ont même le droit de ne plus en mettre du tout, excepté lors de grandes occasions.

Le saké, secret de la peau parfaite des geishas. L’histoire raconte que les brasseurs de saké, même âgés, conservaient des mains lisses et que c’est la raison pour laquelle les Japonais(e)s s’y intéressèrent. Utilisé en soin ou dans un bain chaud, le saké serait donc l’un des secrets de la peau parfaite des geishas.

.            La coiffure des geisha doit aussi être l’objet d’une attention particulière. Un coiffeur spécialisé s’en charge. Elle doit tenir une semaine. Pour cela, les geisha dorment sur un repose-nuque pour la maintenir en place et éviter que leurs cheveux ne touchent le sol. C’est un ornement à part entière. Autrefois composée de cheveux naturels, la coiffure est désormais organisée autour d’une perruque surmontée de chignons complexes sur plusieurs étages. La structure capillaire est retenue par de nombreux peignes et épingles fortement serrés. Monter une telle coiffe nécessite parfois plusieurs heures. Le chignon est différent selon le degré d’apprentissage que les candidates à la profession ont atteint.

Les maiko comme leurs ainées, sont coiffées de chignons traditionnels japonais. Pour les apprentis geishas, le chignon est fendu en deux et au milieu, une étoffe de soie rouge fixe le tout. Cette coiffure est appelée : chignon momoware ou wareshimomo (en pêche fendue). Les geisha plus âgées ont leur propre chignon distinctif, l’okufu, un chignon plus simple. L’étoffe rouge des maiko est remplacée par une étoffe plus simple de couleur chair ainsi que par des peignes et des épingles à cheveux (kanzashi)

.            La geisha reçoit souvent des confidences de la part de ses clients. Elle est bien sûr liée par le secret professionnel. Le fait qu’elle ait souvent affaire à des clients importants et fortunés rend le maintien du secret indispensable. Certaines ont toutefois publié leurs mémoires une fois qu’elles ont pris leur retraite, partageant quelques détails gênants sur la vie de personnages bien en vue. On dit qu’elles doivent parler de vive voix aux personnes avec qui elles établissent des contacts ou communiquent en écrivant des lettres ; communiquer par ordinateur ou par téléphone serait donc interdit.

.            Pour approcher les geishas et obtenir un cliché d’elles, certains touristes vont jusqu’à se permettre d’entrer dans des immeubles privés et agripper les kimonos des geisha et des maiko pour se procurer une photo de qualité. Après de nombreux cas de harcèlement envers les geishas, la municipalité de Kyoto, exaspérée par la mauvaise conduite du tourisme de masse, a décidé en octobre 2019 de protéger ses geisha en interdisant, sous peine de 10.000 yens d’amende, la prise de photos dans le quartier historique de Gion, ce petit coin nippon célèbre pour ses nombreuses machiya (maisons en bois, basses et de style traditionnel)

Attention - Les rues « à touristes », en particulier à Kyoto sont encombrées de fausses geisha !