Les samouraïs

Les samouraïs

Un mythe fascinant, une réalité sombre

.            À tort ou à raison, les samouraïs nous fascinent. Nous les voyons comme des hommes habiles au maniement des armes certes, mais surtout indomptables, inflexibles, voire fanatiques, d’un courage et d’une endurance extraordinaires, d’une loyauté à toute épreuve et d’un honneur rigoureux. Comme nos chevaliers du Moyen Âge, ils sont apparus dans le cadre d’une société féodale fondée sur des relations d’allégeance d’homme à homme. Toutefois, les comportements et les mentalités des samouraïs ont beaucoup changé, selon les époques et les systèmes où ils vivaient, mais aussi selon les rangs qu’ils occupaient.

À l’origine, des miliciens au service des puissants

.            Les samouraïs ne sont évidemment pas les premiers guerriers à fouler le sol de l’archipel nippon. Ils ont eu des prédécesseurs qui n’ont jamais été appelés « samouraïs ».

Avec un retard considérable sur l’Occident et la Chine, c’est seulement au cours des premiers siècles de notre ère qu’un pouvoir politique se met en place au sud de l’archipel, qui lentement va s’exercer sur un territoire plus vaste que celui d’un ou de quelques clans ou tribus.

Inspiré par le modèle des codes chinois de la dynastie Tang (618-907), ce pouvoir en s’étendant va progressivement, soumettre le territoire qu’il contrôle et les populations qui y vivent sous l’autorité de l’Empereur. Dans ce processus d’expansion, la violence des armes joue évidemment un rôle essentiel, mais les soldats de l’Empereur ne sont pas appelés « samouraïs ».

Très vite les ambitions de ce jeune Etat centralisé rencontrent leurs limites. Dans l’espoir d’en tirer des revenus fiscaux, des terres, sont concédées à titre provisoire, à des familles aristocratiques et à des temples, assez puissants pour les mettre en valeur. Mais bien vite, ceux-ci n’entendront pas les restituer, voire laisser l’État y prélever des impôts.

.            Ces propriétaires constituent alors des milices armées pour se défendre contre les prétentions de l’État, et aussi ... celles des autres domaines concurrents, selon un processus analogue à celui que l’on a observé en Europe à la fin de l’empire carolingien. Ce sont les membres du bas de l’échelle de ces milices privées qui peu à peu seront connus comme « samouraïs ».

Village de Sekiya au bord du fleuve Sumida, Hokusai, vers 1830

La Constitution de 1889, lors de l’époque Meiji, mettra fin à la structure féodale, pyramide finalement de domaines privés, et partant à l’existence des samouraïs.

.            Entre temps, ces bandes de guerriers sont organisées par leurs chefs. Comme dans tout corps d’armée on y trouve une stricte hiérarchie ; leurs chefs deviennent des seigneurs de guerre.

Sont exclus des « samouraïs » leurs chefs, seigneurs de guerre généralement connus comme « daimyô » et bien sûr le chef de ces seigneurs, leur suzerain, le shôgun lui-même. De même, les plus importants vassaux des seigneurs de guerre n’étaient normalement pas désignés comme « samouraï ». Ce que nous appelons en français « samouraï », c’est-à-dire tout guerrier de base du Japon féodal (1185-1868), est appelé au Japon « bushi », le mot que l’on retrouve dans « bushidô », le code des principes moraux que les guerriers japonais (samouraï, bushi) étaient tenus d'observer.

L’étymologie de « samouraï » signifie « celui qui sert ». Un « samouraï » est donc typiquement un guerrier de rang moyen dans ces bandes armées. Il doit certes disposer d’une monture ou deux qu’il peut utiliser sur le champ de bataille (il est donc proche de nos « chevaliers »), mais il n’a que quelques hommes qu’il peut entraîner à sa suite dans les batailles : des fantassins, ses propres serviteurs, ou des fils, neveux, etc.

Miyamoto Musashi, figure emblématique du Japon, maître bushi, calligraphe, peintre et philosophe, brandissant deux bokken (sabres de bois).

.            En temps de paix, le samouraï est le propriétaire d’un petit lot concédé et garanti par son maître, qu’il fait exploiter par les paysans qu’il peut emmener comme fantassins, porteurs d’armes, palefreniers, valets divers, en campagne militaire. Ce groupe de bushi peut comporter quelques dizaines d’hommes chez les gros propriétaires. Mais, au-delà, en ces années où les batailles militaires ne mobilisent que quelques centaines de combattants, un guerrier sera plutôt considéré pour être petit seigneur de guerre ou daimyô. Le samouraï peut aussi être un (gros) paysan lui-même.

Les shôguns renforcent leur emprise sur les milices de samouraïs

.            Pour survivre dans une époque de conflits incessants, les bandes de bushi, dites bushidan, comprenant donc aussi bien les chefs daimyôs et les samouraïs que les fantassins et la valetaille, en viennent à former des coalitions de plus en plus vastes.

Le shogun garde pour sa famille le contrôle direct d’une partie du territoire du pays, mais garantit à ses feudataires, les daimyô, en échange de leur loyauté, des territoires (les fiefs ou domaines) qu’ils administrent librement. Ces derniers gardent une partie des territoires qui leur sont attribués pour eux-mêmes, et divisent le reste de leur territoire pour en garantir des parties (sous-fiefs) à leurs propres vassaux.

Le schéma peut se reproduire : tout en bas de la « hiérarchie » des vassaux (les samouraïs) ont de tout petits fiefs exploités par quelques familles de paysans. Tous ces guerriers sont liés à leur maître par des liens de fidélité personnels.

Aux différents niveaux, ils sont responsables des terres qui leur sont concédées, ils les administrent, y font la justice, en vivent et ne fournissent pas d’impôts au niveau supérieur - seulement des travaux de corvées, des aides ponctuelles – tout cela en échange de la promesse d’un soutien militaire quand besoin est.

Sous ces structures évoluant au fil des différents bakufu (gouvernements militaires), la conduite des samouraïs va se modifier de manière extraordinaire. On doit surtout faire une distinction entre les périodes de guerres quasiment incessantes (les deux premiers gouvernements militaires incapables de maintenir paix et stabilité pendant bien longtemps) et celle, le troisième gouvernement, où les guerriers n’ont plus de guerre à livrer, mais où, paradoxalement se constitue dans les discours (traités, romans, pièces de théâtre, ...) la légende des samouraïs qui nous est familière.

Les samouraïs avant les Tokugawa (1603)

.            Les premiers samouraïs qui, aux Xème et XIème siècles, se battent contre le pouvoir central, mais plus encore contre les bandes rivales, n’ont pas bonne presse : on ne compte plus les récits qui les décrivent comme des bêtes assoiffées de sang, tuant, pillant, détruisant, accaparant ce qui leur tombe sous la main ; même un chef de guerre les décrit ainsi : « Qu’on les appelle chiens et bêtes, peu importe, pour les guerriers (bushi), la victoire est la seule chose qui compte ».

Mais ces brutes sont au service de maîtres, très gros propriétaires exploitants, daimyô, seigneurs de guerre, qui s’efforcent de les discipliner et leur imposer des codes pour, non réprimer, mais canaliser leur énergie destructrice, leur rapacité et avidité, voire leur cruauté.

Apparaissent donc très vite, dans des instructions, des codes, des messages, des règlements familiaux, etc., des injonctions qui précisent ce que doit être le comportement des samouraïs. Elles ne peuvent surprendre : leurs maîtres exigent une loyauté sans faille à démontrer par des prouesses martiales sur les champs de bataille.

Les deux notions centrales du code de conduite, qu’on appellera plus tard bushidô, sont en fait identiques à celles qu’on trouve au fondement de la chevalerie en Europe : loyauté (chû) au maître à qui l’allégeance est promise, et honneur (na) mis en évidence dans le courage et la prouesse guerrière lors des batailles.

Si ces codes traduisent avant tout l’intérêt des maîtres, ils doivent aussi, pour être assurés, offrir en retour des satisfactions aux serviteurs. De fait, le système ne peut se maintenir que s’il satisfait les intérêts des uns et des autres : lorsque les samouraïs accumulent des prouesses sur le champ de bataille, ils sont récompensés par l’octroi de biens et de terres.

À l’issue de chaque confrontation et de chaque campagne, les samouraïs compilent ainsi une liste de trophées et de leur actes -de loyauté, disent-ils- : le nombre de têtes prises (et coupées) à l’ennemi, le nombre de leurs guerriers mobilisés sur le champ de bataille, voire le nombre de soldats perdus dans la confrontation. Ils les rapportent à leur seigneur avec l’espoir d’être récompensés promptement et généreusement de leurs exploits.

Affrontement entre deux samouraïs lors de la guerre de Genpei (1180-1185), Utagawa Yoshikazu, 1808.

Certes, il est des situations dans lesquelles la récompense est impossible : la défaite bien sûr, mais aussi les combats livrés contre des ennemis venus de l’extérieur de l’archipel. C’est ce qui passe, par exemple, au XIIIème siècle lors des tentatives d’invasion du Japon par les troupes mongoles venues de Chine. Elles sont repoussées au prix de lourdes pertes et de grands sacrifices, mais puisque l’ennemi vient de l’extérieur, sa défaite n’ouvre pas la possibilité de pillage et de butin, il n’y a pas de terres à prendre, de biens à confisquer, de paysans à asservir. C’est donc essentiellement lorsque l’espoir de récompenses existe que les samouraïs remplissent leur mission et que l’on voit ces actes de courage, cette ardeur guerrière, cette soif de vaincre, cette volonté d’endurer, cette brutalité aussi qui ont fait leur légende. Ce sont des hommes pas nécessairement désintéressés …

L’absence trop fréquente de récompenses nourrira un ressentiment qui sera un facteur d’instabilité, qui mènera à la fin du régime des Ashikaga, le deuxième bakufu. La course à l’intérêt explique aussi les cas, en fait très nombreux, où le samouraï trahit sans état d’âme celui auquel il a prêté allégeance. Cela s’observe surtout dans les couches supérieures du groupe où les défections de samouraïs importants et de daimyô, avec plusieurs centaines ou milliers d’hommes armés à leur service, sont monnaie courante. Elles peuvent faire basculer un conflit pendant les guerres incessantes qui ravagent le Japon. L’histoire est jalonnée de ces trahisons, voltefaces, tromperies, reniements, etc. qui relativisent l’honneur des guerriers.

Par contre, un samouraï de rang inférieur et ne disposant que de quelques fantassins à son service ne peut se permettre de faire allégeance à un seigneur autre que le sien à moins d’apporter à « l’adversaire » des renseignements stratégiques dans le cadre d’un conflit. Ce genre de trahison n’est pas sans risque car il peut donner aux samouraïs de son nouveau seigneur l’idée de faire la même chose lorsque leur intérêt le leur dictera. Les textes nous rapportent ainsi des cas où des samouraïs de bas rang sont promptement exécutés, pour l’exemple, par le seigneur dont ils espéraient se gagner les grâces.

Tout cela n’empêche pas que nombre de samouraïs se conduisent de manière héroïque au combat et demeurent jusqu’au bout fidèles à leur seigneur. De là le mythe qui entoure les samouraïs.

La fin, avec celle des Tokugawa (1867)

.            En 1600, Tokugawa Ieyasu, l’un des seigneurs les plus puissants du Japon d’alors, remporte une bataille décisive contre ses rivaux. Il jette les bases du troisième gouvernement militaire – le bakufu des Tokugawa – installé à Edo, aujourd’hui Tokyo. À la différence des deux prédécesseurs, ce régime sera stable. C’est assez pour empêcher que se forme une coalition hostile.

Cette Pax Tokugawa va conduire à la rédaction de nombreux traités de morale ou de conduite à l’intention des samouraïs, avec une audience bien plus étendue que les règlements des maisons guerrières des époques précédentes. Tous exaltent les vertus caractéristiques des samouraïs : la loyauté chû et la fidélité na. Ils formalisent la notion de bushidô, la « voie des guerriers », alors même que l’époque tend vers la paix. De façon paradoxale, parce qu’elle a adouci les mœurs et qu’il faut rappeler aux samouraïs les vertus d’autrefois, cette paix rend nécessaire l’exaltation, à un point jamais vu jusqu’alors, de ces vertus martiales.

Le comportement des guerriers ne s’en modifie pas moins. D’abord il s’agit d’une masse démographique considérable : après l’institution claire, mais tardive, d’une stricte séparation entre paysans et guerriers bushi à la fin du XVIème siècle, il est probable que 7% de la population pouvait encore se réclamer du statut de bushi (à comparer aux 1 ou 2 % pour la noblesse d’épée dans l’Europe féodale). En excluant aussi bien les 150 à 200 familles de daimyô que les 1.000 ou 2.000 vassaux de très haut rang, ainsi que la majorité des bushi sous le statut samouraï (souvent appelés kachi), les samouraïs (sans compter leurs familles) étaient probablement à l’époque des Tokugawa au nombre de 100.000 à 150.000 individus.

Si les shôgun ont en général moins de 2.000 samouraïs à leur service, certains domaines croulent sous des armées pléthoriques. Mais que peuvent faire tous ces samouraïs maintenant que la guerre ne les occupe plus ? Ils deviennent, quand ils le peuvent, administrateurs, policiers, percepteurs d’impôts, juges, etc. Certains samouraïs bénéficient d’emplois militaires dans les garnisons (escortes, gardes, etc.) et s’y ennuient de pied ferme. Ceux qui ont la chance d’avoir une telle occupation, avec le petit revenu qui l’accompagne, doivent souvent la partager par rotation avec deux ou trois autres samouraïs. Les autres enfin, comme 40% des samouraïs vassaux directs du shôgun, n’ont aucune affectation et vivent chichement de leur solde de vassal et arrière-vassal.

Cette perte de prestige est encore aggravée par le fait que les samouraïs sont obligés de vivre autour de leur seigneur, dans la ville-château du domaine. Progressivement, ils finissent par perdre de fait, dans beaucoup de cas, le contrôle des minuscules domaines où ils vivaient parmi les paysans, en exploitant leur labeur et en jouissant du prestige des maîtres et des propriétaires.

De ce fait, faute de combats, il leur est devenu impossible de faire étalage des vertus associées à la condition guerrière : la loyauté et l’honneur. L’honneur, na, se ramène à l’invocation pointilleuse de la généalogie ; de fait, la seule justification pour un samouraï d’occuper tel ou tel rang dans la hiérarchie militaire tient à ce que ses ancêtres l’occupaient déjà. Les familles se mettent alors à concocter des généalogies souvent fantaisistes pour asseoir leurs revendications. Quant à la loyauté, qui n’a plus l’occasion de s’exprimer sur le champ de bataille, elle se réduit dans le meilleur des cas à une obéissance bureaucratique.

Il y a d’un côté, dans les traités du bushidô, un récit de gloire tissé de prouesses ; de l’autre, des conditions de vie difficiles, pour ne pas dire médiocres ou misérables, sans espoir de promotion. Les samouraïs étaient en effet réduits à vivoter, leur code d’honneur leur interdisant toute occupation mercantile hors la pratique des armes. Le paradoxe était que dans ce pays replié sur lui-même, toute forme de guerre avait perdu son sens, sinon des petits conflits internes ou la répression occasionnelle de l’un ou l’autre soulèvement paysan. Une piètre mission pour des guerriers professionnels, dès lors condamnés pour occuper leurs loisirs forcés à se plonger, comme la plupart finirent par s’y résoudre, dans une étude approfondie du confucianisme, de l’histoire ou des sciences naturelles, tâches évidemment fort mal rémunérées.

Il s’ensuit une crispation sociale. Chacun s’accroche au rang dans lequel il est né, et dans lequel il espère mourir en défendant ses prérogatives et l’apparence de la gloire. On voit alors une minutieuse codification des comportements publics, du costume, des escortes en ville, tous modulés en fonction du grade. Un comportement théâtral se met en place où l’important est de respecter les conventions, quitte à prendre des libertés par derrière.

Chacun sait, ainsi, que les généalogies sont souvent mensongères, mais on fait semblant d’y croire. Chacun sait que les multiples rapports au maître ou au shôgun sont faux, mais ceux-ci font mine d’y croire car ils sont signes de la relation hiérarchique.

Chacun sait aussi que les suicides rituels seppuku (littéralement « coupure au ventre ») ou harakiri (appellation populaire) ordonnés en cas de faute sont souvent des décapitations, mais ils restent décrits comme de glorieux éventrements. Chacun sait enfin que l’entraînement aux arts martiaux avec les bâtons de bambous ne prépare pas au combat de sabre, que le sabre lui-même est un symbole et non une arme (au demeurant fort peu utilisé même dans les époques plus anciennes), etc. mais peu importe, partout, tout le temps, c’est l’apparence et la mise en scène qui priment.

C’est dans le bushido, (littéralement « la Voie du Guerrier ») que l’on trouve la description très précise du fameux suicide rituel que les occidentaux ont surnommé « hara-kiri », mais que les japonais appellent seppuku. Lorsque le seigneur avait décidé de la mort d’un de ses samouraïs, il lui laissait la latitude de s’exécuter lui-même honorablement. Certains notables se suicidaient parfois volontairement à la suite d’une défaite militaire ou d’un échec politique. Si elles font, généralement, horreur aux mentalités occidentales, ces pratiques sont communes au fil des âges à la plupart des sociétés militaristes.

Les 47 ronin : entre mythe et réalité

.            Le mythe entourant les samouraïs se devait d’être entretenu car c’est lui qui légitimait le pouvoir de la classe guerrière, y compris des grands seigneurs. L’épisode célébrissime des « 47 vassaux fidèles » l’a opportunément renforcé tout en témoignant du changement des mentalités. Connus au-delà des frontières, les 47 rônins restent les guerriers les plus emblématiques de la légende samouraï. Emprunts de fidélité, de fierté et de courage, ils représentent les valeurs fondamentales de la caste guerrière japonaise.

Ronin, les guerriers sans maître.

.            Contrairement à celle du « Dernier samouraï », l’histoire des 47 rônins n’est pas une fiction mais un fait historique bien réel. Le terme rônin, signifie « sans maître » et désignait des anciens samouraïs exclus de la société japonaise féodale.

L’histoire se déroule sous l’époque Edo, plus exactement dans les années 1700 où, sur l’ordre du shogun Tokugawa Tsunayoshi, le daimyo (noble, en japonais) Asano Naganori est condamné à mort et doit pratiquer, le seppuku, le suicide rituel.

Scène Ukiyo-e de Chūshingura (47 ronin), représentant l'assaut de Kira Yoshinaka par Asano Naganori dans le Matsu no Ōrōka du château d'Edo, Utagawa Kuniteru, XIXe siècle.

Asano Naganori

.            C’est un fonctionnaire samouraï appelé à la cour royale du shogunat à Edo (future Tokyo), capitale du Japon de l’époque, afin d’être formé à l’accueil prochain de l’empereur Higashiyama et de ses émissaires. Son supérieur, le maître des cérémonies du palais Kira Yoshinaka, est chargé de cette tâche. Mais Kira Yoshinaka est connu pour être corrompu et exiger des pots de vin. La relation entre les deux hommes n’est pas bonne, ils se disputent, se détestent même. Kira, profitant de son statut de maître, provoque même Asano lors de scènes d’insultes publiques qui apportent à ce dernier un sentiment d’injustice et de honte publique.

.            Asano décide alors de se venger de son maître et prend la décision de tuer Kira. Suite à une autre attaque verbale de Kira, Asano dégaine son épée et se jette sur ce dernier dans l’intention de le tuer. Mais il échoue, blessant au visage son adversaire. Il est arrêté sur le champ par des gardes du château et le shogun le condamne le jour même au seppuku, le suicide rituel, une condamnation à mort uniquement infligée aux samouraïs.

Asano s’exécute et enfonce alors sa propre épée dans son ventre provoquant ainsi sa mort, le 21 avril 1701.

Il repose au temple Sangaku-ji à Tokyo. Asano a laissé le jour de sa mort un poème célèbre au Japon :

« Plus que les fleurs de cerisier, iInvitant un vent à les souffler,
Je me demande ce qu’il faut faire, avec le reste du printemps »

Kira, quant à lui, étant un haut fonctionnaire du shogunat, ne sera ni puni ni inquiété.

La vengeance des samouraïs

Scène Ukiyo-e de Chūshingura (47 ronin), représentant l'assaut de Kira Yoshinaka par Asano Naganori dans le Matsu no Ōrōka du château d'Edo, Utagawa Kuniteru, XIXe siècle.

.             Asano avait, dans son fief d’Akô, un groupe de samouraïs sous ses ordres. Sa mort entraîne la confiscation de son fief par le shogun, et les samouraïs qui y vivent, deviennent alors des rônins et sont sommés de partir, de quitter les lieux. L’un de ces samouraïs, Oishi Kuranosuke, prend les choses en main et décide d’abord de mettre à l’abri la famille d’Asano. Il prend ensuite la tête des 47 rônins qui, fidèles à Asano, décident, en assassinant Kira, de le venger de ce qu’ils jugent être une injustice,

Pendant deux ans, Oishi et ses hommes mûrissent leur vengeance, sachant parfaitement ce qui les attendait une fois cet acte prémédité exécuté : une condamnation à mort.

La statue d’Oishi Kuranosuke trône au temple de Sengaku-ji. Crédits : Wikipédia

.             Le plan de leur vengeance est de se faire passer pour des samouraïs, non pas désireux de venger leur maître, mais qui, désormais sans maître, mènent une vie de débauche, se saoulant dans les bars et vivant de trois fois rien. Oishi divorce même de sa femme, pour que cette dernière ne subisse pas les foudres des soldats de Kira. Cette tactique lui permet de faire remonter aux oreilles de Kira qu’il n’est qu’un ivrogne et qu’aucun danger n’est à craindre de sa part. Leur but est de tromper les espions de Kira, quitte à renier les valeurs samouraïs.

Ils proposent leurs services à Kira, quitte à se refaire une conduite. Et cela fonctionne. Baissant sa garde, Kira accepte que les anciens samouraïs deviennent des serviteurs, artisans ou commerçants chez lui. Acceptés et invités à s’intégrer, les rônins repèrent les lieux, volent les plans à l’architecte et font rentrer des armes illégalement dans Edo.

Le 14 décembre 1702, Oishi, à l’aube, lance l’attaque contre le domicile de Kira. Les rônins se divisent en deux groupes afin de mieux gérer leur attaque et ce n’est que quand un coup de sifflet résonne dans la maison qu’ils apprennent que Kira est mort et qu’ils peuvent cesser de combattre. En fait, ce dernier, apeuré, s’était caché, mais Oishi et ses hommes réussirent finalement à le débusquer. Kira refuse la proposition de mourir honorablement par seppuku. Alors, Oishi l’achève par décapitation. Les rônins apportent la tête de Kira sur la tombe d’Asano, lui rendant ainsi leur dernier hommage.

Cet hommage fait, les rônins se rendent aux autorités. Le shogun décide de ne pas les condamner comme de vulgaires criminels et leur accorde la mort des samouraïs par seppuku. Ce sont donc 47 hommes qui se tuent ensemble pour l’honneur et la vengeance de leur ancien maître. Les anciens samouraïs, conformément à leur demande, sont inhumés au temple Sengaku-ji avec Asano.

.             Les 47 ne constituaient qu’une petite minorité des vassaux du daimyô condamné à mort et ne sont en aucune façon représentatifs de l’écrasante majorité des samouraïs de l’époque. Mais leur entreprise désespérée nous dit beaucoup sur la façon dont les samouraïs souhaitaient qu’on les perçoive. Cette histoire devint populaire même à l’époque et le peuple se prit d’affection pour ces hommes. Beaucoup viennent prier sur les tombes des condamnés.

Ce fait historique s’est reflété dans la culture japonaise comme une forme de courage et de fidélité extrême. Un théâtre des apparences qui faisait oublier à l’ensemble des samouraïs la médiocrité de leur condition. C’est ce qui explique que les thèmes du bushidô, courage, sacrifice, dévotion, aient pu être recyclés si aisément à l’époque Meiji, quand, par une cruelle et ultime ironie, ils furent mis au service d’une cause totalement étrangère aux samouraïs d’antan, celle du gouvernement impérial.

C’est un engouement que le peuple retrouvera plus tard, lors de la seconde guerre mondiale avec le sacrifice des soldats pour la nation. L’imagination populaire s’enflamme, exalte le courage de ces samouraïs à l’ancienne, courageux et loyaux. L’incident nourrira et nourrit encore une myriade de pièces de théâtre, poèmes, plus tard de films, de feuilletons télévisés.

Tomoe Gozen

            Au cœur du Japon médiéval, depuis son plus jeune âge, Tomoe Gozen veut combattre et devenir une grande samouraï. Même si à l'époque, il est rare de rencontrer de grandes guerrières, car les femmes ne sont pas autorisées à porter le katana (le sabre) ni à exercer l’art de la guerre. Mais Tomoe est extrêmement forte au tir à l'arc, et il y a une autre arme qu'elle maitrise à la perfection : le naginata. Il s'agit d'un grand bâton de bambou terminé par une lame acérée, dont le maniement était enseigné aux femmes pour qu’elles puissent défendre leur maison. Peut-être née en 1157, elle aussi veut les honneurs et la gloire, commander une armée à elle toute seule. Elle s’entraîne tous les jours pour devenir la meilleure et devient une onna-musha ou onna-bugeisha, une guerrière qui participait aux batailles aux côtés des hommes. Sur le champ de bataille, elle n'aura peur de rien ; sa force n’équivalait-elle pas à celle de 1.000 hommes !

Elle deviendra par la suite l’épouse de Minamoto no Yoshinaka (dont la nourrice fut la mère Tomoe) qui fera d’elle la capitaine de son armée, qui est le rang le plus élevé à l’époque. Le conte du Heikei Monogatari : « Tomoe était très belle, avec sa peau blanche. Elle était un archer remarquable. Comme femme d’arme, elle valait un millier de guerrier, prête à affronter un démon ou un dieu. Elle était une cavalière hors paire. Yoshinaka l’envoya comme premier capitaine, équipée d’une armure, d’un arc et d’un naginata. Elle accomplit plus d’actions de valeur que n’importe qui. » Tomoe Gozen joua un rôle important dans la guerre de Genpei, une des guerres civiles les plus connues du Japon, qui opposa deux clans : les Minamoto et les Taira.

En 1181, lors de la bataille de Yokotagawara, Tomoe ramena 7 têtes de chefs cavaliers ; la tête des ennemis était alors considérée comme un trophée de guerre. En 1183, notre héroïne mena 1.000 hommes à la victoire lors de la bataille de Kurikara, ce qui fit fuir les Taira de Kyôto. Un autre haut-fait d’armes impressionnant de la capitaine fut qu’elle gagna la bataille d’Uchide no Hama en 1184 : ils n’étaient que 300 soldats face aux 6.000 Taira. Elle fut l’une des cinq survivants.

La bataille d’Awazu en 1184 marqua la défaite de Yoshinaka et sa mort, ainsi que la fin de l’épopée de Tomoe. Mais avant de rendre son dernier souffle, il ordonna à sa fidèle capitaine de s’enfuir. On ignore ce dont il advint ensuite de Tomoe Gozen. Certains disent qu’elle aurait refusé l’ordre de son supérieur et serait morte aux côtés de son bien-aimé, offusquée de l’insulte faite à son statut de samurai. D’autres affirment qu’elle aurait fui, respectant la dernière volonté de son amant. Cependant, avant de le faire, elle aurait voulu lui montrer une dernière fois sa valeur, en décapitant un ennemi qu’elle jugeait « digne » d’elle. Elle aurait pu se remarier avec un autre guerrier. On raconte aussi qu’elle aurait abandonné le bushidô, la voie du guerrier, pour se reconvertir en nonne.

            Remarque : si Tomoe se battait pour les Minamoto (enfin surtout pour Yoshinaka), une autre dame, moins connue cependant, était du côté des Taira. Elle se nommait Hangaku Gozen. Elle aussi était réputée pour être très belle. Très douée dans les arts de la guerre, elle avait néanmoins, une particularité : elle était gigantesque, presque 1 m 90 !

Sources : www.journaldujapon.com - Madeline Chollet · 28 jan 2018 / Herodote.net- Olivier Ansart – 24 jan 2023

Images de samouraïs

Samouraï et Aïnous à Hokkaido, vers 1775 (période Edo), Hokkaido, musée de la ville de Hakodate

Des samouraïs en armure, Kusakabe Kimbei, vers 1860. À l’origine, des miliciens au service des puissants

Célèbre duel entre le maître Miyamoto Musashi (à gauche) et Sasaki Kojiro (Ganryu) sur l'île de Ganryu-jima, Yoshifusa Utagawa, XIXe siècle.

Procession de Minamoto no Yoritomo visitant Kyoto vers 1190 au début du shôgunat de Kamakura, Utagawa

Bataille de la Minatogawa, entre les troupes loyales à l'empereur Go-Daigo et le clan Ashikaga en 1336.

Bataille de Shijōnawate, 1348, lors des guerres entre les deux cours (nord et sud), au début de l'époque de Muromachi, Utagawa Kuniyoshi, 1851.

Grande bataille illustrée dans le Taiheiki (Chronique de la Grande Paix narrant l'épopée japonaise du XIVe siècle), Utagawa Yoshikazu, 1855.

Bataille de Tenmokuzan (1582) opposant le clan Takeda à Oda Nobunaga et Tokugawa Ieyasu :  mort su samouraï Katsuyori sur le mont Tenmoku, Utagawa Kuniteru II, 1861, musée des Beaux-Arts de Boston.

Siège de Hasedō (1600) entre Tokugawa Ieyasu et Ishida Mitsunari.

Tokugawa Ieyasu examinant la tête de Kimura Shigenari à la bataille d'Osaka (1614-1615) livrée par le shôgunat Tokugawa afin de détruire le clan Toyotomi, Tsukioka Yoshitoshi, 1875, musée d'Art du comté de Los Angeles.