Les Yakuza

Les Yakuza

            Plus ancienne institution criminelle du monde, elle présente des codes d'honneur, des traditions, des rituels et des symboles qui la rendent unique par rapport à d'autres réseaux criminels tels que les cartels latino-américains ou les mafias italiennes et russes.

Elle est composée de 25 syndicats ou « familles », dont trois principales, dont dépendent des centaines de sous-groupes selon une stricte hiérarchie.

Nés il y a plus de quatre siècles au Japon de seigneurs féodaux et de samouraïs, les yakuza ont vécu leur âge d'or entre les années 1960 et 1980, où ils comptaient plus de 180.000 membres.

La fidélité aux rigueurs et contraintes traditionnelles au cours du temps, ainsi que les persécutions judiciaires et policières, ont réduit le nombre des membres à environ 10.000, sans compter les associés et « sous-traitants » de cette institution criminelle qui peine à survivre sans perdre son essence au 21e siècle.

Une image de 1895 d'un membre yakuza. Getty Images

Nom et origine

            Le mot yakuza vient des chiffres 8, 9, 3 (en japonais Hachi, kyu, san), qui constituent la pire donne possible dans le jeu de cartes traditionnel japonais oicho-kabu, laquelle évoque la perception de malchance ou de malheur. C'est pourquoi nombre de ses membres préfèrent les noms de gokudo (« la voie extrême ») ou de ninkyo dantai (« organisation honorable ou chevaleresque »).

            Les yakuza sont apparus au XVIIe siècle parmi les groupes marginaux de la société féodale japonaise tels que les bakuto (joueurs ambulants), les tekiya (colporteurs) et les samouraïs ou ronin au chômage. Beaucoup de ces samouraïs, sans seigneur à servir, formèrent des gangs qui évoluèrent pour former les syndicats de l'organisation criminelle. Les tekiya et les bakuto ont adopté plusieurs traditions des samouraïs, notamment un code d'honneur strict et des rituels de loyauté, qui marquent la culture organisationnelle des yakuza.

L'héritage des samouraïs a institué une structure hiérarchique rigoureuse avec des règles basées sur le respect mutuel, l'obéissance et, surtout, une loyauté absolue envers le chef ou oyabun.

Une bande de gangsters à Tokyo en 1960, l'âge d'or des yakuza. Getty Images

Valeurs et rituels

            Les yakuza se distinguent par un système complexe de valeurs et d'idéologie dont les racines historiques remontent au Japon féodal. Ces valeurs se sont implantées au fil des siècles dans la société japonaise, imprégnant toutes ses couches, des quartiers les plus sélects de Tokyo à la pègre de la capitale japonaise, et des entreprises légitimes aux plus obscures.

Les yakuza maintiennent un code d’honneur qui exalte la masculinité traditionnelle, dont l’esprit tourne autour de l'idée de « vivre et mourir comme des hommes ». Les membres estiment qu'ils doivent se consacrer, tant physiquement que mentalement, à leur organisation, et considèrent qu'il est honorable de faire preuve d'une loyauté sans faille envers leur oyabun, au point même de sacrifier leur vie si nécessaire.

Le code d’honneur est basé sur les concepts de giri (obligation) et de ninjo (humanité). Giri définit la dette d'honneur qu'un membre doit à son supérieur, élément clé pour renforcer la loyauté au sein de l'organisation, tandis que ninjo est l'empathie envers les autres qui sert de contrepoids à la rigueur du giri dans la structure rigide de l’organisation. Tous deux reposent sur un profond esprit d'abnégation, qui oblige puis amène les membres à faire passer les intérêts du groupe avant les intérêts personnels.

            Un exemple en est le rituel yubitsume, selon lequel un membre se coupe un fragment de doigt (généralement le petit doigt) en guise d'acte de pénitence ou d'excuses auprès de son oyabun pour une erreur ou manquement de sa part ou de celle d'une personne sous sa responsabilité. Même si perdre un doigt à cause d'une erreur peut être une source de honte, sacrifier le petit doigt en guise de paiement pour l'erreur d'un subordonné est considéré comme honorable. Cette tradition est cependant de moins en moins fréquente et, actuellement, les membres de la mafia japonaise paient généralement des amendes financières pour racheter leurs erreurs.

De nombreux anciens membres des yakuza qui pratiquaient le yubitsume reconstruisent leur petit doigt avec des prothèses pour réintégrer la société japonaise, où un doigt coupé porte une forte stigmatisation. Getty Images

Même si le yubitsume est le plus évident, le rituel le plus important des yakuza est toutefois le sakazuki, la cérémonie d'initiation au cours de laquelle le nouveau membre partage le saké avec le patron. Cet acte symbolise l'adoption du kobun, le nouveau membre de la « famille » qui est dès lors considéré comme le « fils » de l'oyabun et lui jure une loyauté absolue. Les groupes Yakuza sont structurés dans une relation pseudo-familiale dans laquelle les supérieurs sont appelés aniki ou frère aîné ; les frères du patron sont appelés oniisan ou oncles et la femme du patron est appelée anesan ou sœur aînée.

Des membres du syndicat Yamaguchi-gumi, l'un des principaux syndicats yakuza, assistent aux funérailles de leur oyabun en 2002. Getty Images

Ces organisations n’ont pas officiellement de stratégie politique, mais elles ont tendance à s’identifier à la droite et à l’extrême droite japonaises. En effet, leur idéologie selon laquelle le Japon passe avant tout, héritage des samouraïs, est en résonnance avec la politique d'extrême droite, faite d’honneur et du passé impérial 'glorieux' du Japon. Ainsi les yakuza coopèrent occasionnellement avec des partis politiques conservateurs, même si ceux-ci nient généralement tout lien avec l’organisation pour maintenir leur propre image.

Statut juridique et activités

            Contrairement aux organisations criminelles d'autres régions du monde, les yakuzas n'ont jamais été illégaux, même s'ils sont confrontés à des lois de plus en plus restrictives qui compliquent leurs activités. Alors que la mafia italienne est totalement clandestine, les yakuza existent publiquement. Les syndicats de cette organisation criminelle bénéficient du droit à la libre association inscrit dans la Constitution du Japon en son article 21. Tant qu'ils ne menacent pas la sécurité nationale, la moralité ou l'ordre public, ils ne sont pas soumis au contrôle du gouvernement.

Ainsi, jusqu'à la fin du XXe siècle, de nombreux quartiers généraux des yakuza affichaient des plaques sur leurs portes, étaient inscrits dans des annuaires téléphoniques et leurs membres distribuaient des cartes de visite lors des réunions comme s'ils étaient des employés d'une entreprise. Mais ce n'est plus le cas : au cours des trois dernières décennies, le gouvernement japonais a durci les lois pour affaiblir le financement des groupes criminels, les isoler, entraver leurs activités et réduire leur influence sur la société.

Bien qu'il soit toujours légal d'appartenir aux yakuza, leurs membres sont aujourd'hui, dans une situation semi-clandestine, en permanence sous la surveillance des autorités. Quand un membre commet un crime et est poursuivi, alors son action est considérée comme étant un modèle de ce qu’il ne faut pas faire et la justice lui inflige une peine plus lourde qu'à une autre personne pour un crime identique.

Bien que les yakuza soient légaux, la police japonaise maintient un siège de plus en plus strict sur ses membres, ce qui a décimé l'institution. Getty Images

            Mais que font les yakuza ? Traditionnellement, leurs syndicats exploitent des entreprises de jeux de hasard (pachinko ou autres), d'extorsion comme le mikajime-ryo (« paiement pour protection »), de recouvrement de créances, de prêts illégaux, de réseaux de prostitution et de trafic de drogue, entre autres. Ils participent également, par l'intermédiaire de sociétés écrans, à des activités légitimes telles que l'immobilier, la démolition et la construction, le détachement de main-d'œuvre ou les opérations boursières.

Cependant, le renforcement des lois contre le crime organisé, notamment deux ordonnances de 1992 et 2010 qui encadrent et limitent leurs activités et imposent de lourdes sanctions, ont modifié le mode opératoire de la mafia japonaise. Ils sont progressivement obligés d’être plus invisibles et anonymes, pour se livrer à des délits tels que la fraude et le vol. En d’autres termes, on peut dire que les méthodes par lesquelles les yakuza obtiennent leurs revenus sont passées de l’intimidation à la tromperie.  Depuis quelque temps, ils sont contraints de collaborer avec des groupes semi-organisés connus sous le nom de hangure pour mener des activités telles que la fraude, le vol, le trafic de drogue et le trafic d'êtres humains.

            Les lois anti-yakuza ont réussi à décimer l'institution, mais en même temps, elles rendent difficile l'intégration dans la société des membres qui décident de quitter la pègre. La "clause de 5 ans", qui interdit aux entreprises et aux particuliers d'effectuer des paiements aux membres des yakuza, rend difficile pour ceux qui ont récemment quitté l’organisation d'ouvrir des comptes bancaires, de louer une maison ou même d’avoir un simple téléphone portable. En conséquence, les « repentis » deviennent marginalisés et affichent du ressentiment envers la société.

Tatouages, symboles et armes

Les Yakuza affichent rarement leurs tatouages ​​en public, et l'une de ces occasions est le festival Sanja Matsuri dans le quartier traditionnel d'Asakusa à Tokyo. Getty Images

            L'art du tatouage, connu sous le nom d'irezumi, est l'un des symboles les plus reconnaissables des yakuza. Dans la culture japonaise, les tatouages ​​étaient traditionnellement associés à des métiers à risque comme les mineurs de charbon et les pêcheurs. La raison en était que, dans le cas d’accidents dans lesquels le visage devenait méconnaissable, ils pouvaient aider à identifier la victime. Mais au fil des siècles, ils sont devenus des symboles presque exclusifs du crime organisé.

Les images de carpes koï, de dragons, de fleurs de cerisier, de guerriers samouraïs et d'autres éléments traditionnels japonais projettent des aspects de la personnalité, des réalisations ou de l'histoire de la personne qui les porte, ainsi que de son engagement envers le groupe criminel. À l'origine, ils signifiaient faire le serment de ne jamais revenir dans la société en général et de vivre comme un yakuza toute sa vie après avoir rejoint l'organisation.

Bien que de moins en moins nombreux, les tatouages ​​sont toujours mal vus au Japon, où ils sont liés au crime, et les personnes tatouées sont interdites de nombreux espaces publics, des saunas aux piscines en passant par les plages.

Les dragons et les combats sont des thèmes fréquents dans les tatouages ​​​​yakuza. Getty Images

En plus des tatouages, les yakuza arborent des insignes, des drapeaux et d'autres éléments visuels pour identifier leurs membres et montrer leur affiliation. Ces symboles incluent des références à la nature et à la mythologie japonaise avec des significations spécifiques au sein de la culture yakuza telles que la loyauté, la force ou la capacité à surmonter l'adversité.

            Un autre élément qui distingue la mafia japonaise de celles des autres pays est qu’elle a peu recours à la violence par rapport, par exemple, aux cartels latino-américains et utilise peu d’armes à feu en raison des sanctions sévères qui les accompagnent. Lorsqu'ils utilisent des armes, ce sont généralement des armes blanches ; il s'agit généralement de couteaux de poche ou de couteaux , héritiers du tantan qu'utilisaient les samouraïs, et moins fréquemment de katanas. Même s'ils n’en ont généralement pas besoin pour faire respecter leur loi. Lorsqu'ils veulent éviter de recourir à la force physique, comme la violence et l'intimidation, ils peuvent simplement mentionner le nom de leur groupe pour exercer le pouvoir.

Cependant, lorsque les yakuza recourent à la violence, le résultat peut être fatal. Ce qui les rend redoutables, c'est leur détermination à recourir au meurtre s'ils sont confrontés à des conflits d'intérêts, ce qui aboutit finalement à la mort de leurs adversaires.

Source : BBC News Mundo - Atahualpa Amerise – 05 mai 2024

Les yakuza dépassés ?

L’âge d’or des yakuza pourrait ne devenir qu’un lointain souvenir. Ces hérauts du crime organisé n’ont plus le monopole des activités criminelles au Japon : dans la foulée des répressions policières a émergé un nouveau mode d’organisation criminelle: le tokuryū. De «tokumei» (anonyme), et «ryūdo», (fluide), il désigne des individus impliqués dans des activités criminelles à temps partiel, sortes de quasi-gangsters, qui opèrent souvent sans se connaître, en dehors de toute structure hiérarchisée et de codes de conduite comme c’est le cas des yakuza, et qui peuvent se disperser aussi vite qu’ils se regroupent à l’occasion d’une mission, appelée «yami-baito» : un travail malhonnête occasionnel.

Assassinats, braquages, vols, trafics, escroqueries, fraude, corruption… La palette de crimes et délits est large, et ses mercenaires sont aussi bien des citoyens ordinaires que des personnes en lien avec les syndicats du crime traditionnels, qui ont trouvé par là un moyen d’échapper aux lois criminalisant l’appartenance à des groupes criminels organisés depuis 2010.

Certains sont d’anciens yakuzas, d’autres des employés de bureau, d’autres encore des étudiants, qui trouvent dans ces missions ponctuelles de quoi se faire de l’argent, pas forcément facile, mais plus vite que selon les voies régulières. La portée géographique de leurs activités est large, et s’étend même à l’étranger.

De septembre 2021 à février 2024, plus de 10.000 personnes référencées comme tokuryū ont été appréhendées par la police.