Comment le chemin de fer a conquis la France

Comment le chemin de fer a conquis la France

D’après : Futura Sciences - Franck Menant – 13 mar 2021 / D’après : The Conversation - Yoann Demoli & Alexia Ricard - 15 mars 2021 / Herodote.net - André Larané – 27 nov 2018 

 

.            Le train a joué un rôle majeur dans la construction de la France contemporaine. Comme le train transcontinental américain a soutenu la conquête de l’Ouest, le chemin de fer a contribué à l’intégration territoriale de la France (notamment avec le plan du ministre des travaux publics Charles de Freycinet, un ambitieux programme, lancé en 1878, pour la construction de chemins de fer, de canaux et d'installations portuaires).

Viaduc de Meudon – Chemin de fer Paris – Versailles – Rive gauche.

Des débuts laborieux

.            C'est seulement le 26 février 1823, soit 19 ans après la première circulation d'une locomotive à vapeur dans le pays de Galles, que le roi Louis XVIII signe l'ordonnance accordant la concession du premier chemin de fer français à Louis-Antoine Beaunier, entre les deux villes du bassin industriel et minier de la Loire, Saint-Etienne et Andrézieux, le port fluvial le plus proche.

Deux ingénieurs locaux, Louis de Gallois et Louis-Antoine Beaunier, après un voyage d'étude en Angleterre, avaient conclu à la nécessité du chemin de fer. Ils obtiennent cette concession perpétuelle pour réaliser la première voie ferrée en Europe continentale. Une autre ligne européenne dont les travaux furent contemporains de ceux de la ligne de Saint-Étienne à Andrézieux, celle du Budweis-Linz-Gmunden, ne fut en effet mise en service officiel qu'après, en septembre 1827.

Carte du chemin de fer Saint-Étienne - Andrézieux (1837).

.            Longue de 18 kilomètres, la ligne devait assurer le transport du charbon des mines du Forez vers la Loire et elle marque le début de l'expansion du chemin de fer en France. La première utilisation commerciale a lieu le 30 juin 1827 et est uniquement destinée aux marchandises, dans des wagons appelés chariots tractés par des chevaux. Au retour, ils transportent du gravier, du sable et de la chaux. Il faut noter toutefois un inconvénient majeur de ce projet, qui tient au fait que la Loire n'est navigable à Andrézieux qu'à la descente et seulement pendant quelques semaines dans l'année. En conséquence les bateaux qui assurent la liaison aval de la ligne de chemin de fer, les rambertes, ne remontent pas. À leur terminus, ils sont alors vendus à très bas prix, ce qui grève lourdement le prix du charbon transporté.

L'arrivée du charbon au port d'Andrézieux, vers 1836.

Le 22 août 1827, la comtesse Bertrand (femme d’Henri Gatien Bertrand, général du Premier empire) emprunte le chemin de fer jusqu'à Andrézieux afin de se rendre à Montbrison, devenant ainsi la première personnalité à effectuer un voyage ferroviaire sur le continent. Le 17 novembre 1830, le prince Ferdinand-Philippe d'Orléans et sa suite ont partiellement emprunté la ligne.

Le 1er mars 1832, la ligne est ouverte aux voyageurs. Elle reste à traction animale, à 3 lieues à l'heure (12 km/h), jusqu'en 1844, date à laquelle la compagnie achètera deux locomotives à vapeur Schneider avec, jusqu'en 1845, une traction « mixte » vapeur pour les marchandises, animale pour les passagers.

Marc Seguin, à la conquête du rail.

.            Marc Seguin naît en 1786 à Annonay ; son grand-oncle n'est autre que le célèbre Joseph de Montgolfier, qui inventa la montgolfière avec son frère Jacques-Étienne. (Le 04 juin 1783, leur ballon de 11 m de diamètre, fait de toiles boutonnées et gonflé à l'air chauffé par un foyer, avait volé au-dessus d'Annonay pendant 10 mn.)

.            Fin 1822, Marc se tient sur le quai de la ville de Brest, le long duquel un bateau à vapeur traverse le port. Cette simple vision lui donne l'idée de créer en 1825 avec Pierre-François de Montgolfier et Louis Henri Daniel d'Ayme la Société de halage par la vapeur à point fixe sur le Rhône. Une curieuse dénomination ! L'idée de Marc Seguin est de remplacer les chevaux par des treuils entraînés par une succession de machines à vapeur fixées sur la rive. En effet, lorsque les bateaux descendent le Rhône, il leur suffit de se laisser porter par le courant. En revanche, pour remonter le Rhône, les trains de bateaux doivent être tirées depuis la rive au moyen de câbles par des équipages énormes de chevaux attelés deux par deux ; chaque équipage peut compter jusqu’à 60 chevaux ; on verra jusqu’à 6.000 chevaux en 1830.

.            Le marquis Claude de Jouffroy d’Abbans, ingénieur et architecte naval avait bien inventé le Pyroscaphe ou « bateau de feu », premier bateau à vapeur en bois. Des essais, d’une durée de 15 minutes, avaient eu lieu le 15 juillet 1783 remontant la Saône entre la Cathédrale Saint-Jean et l’Ile Barbe. Par manque de moyens financiers, ce type de bateau a vite été abandonné.

Afin d'assurer un service régulier sur le Rhône, entre Arles et Lyon, plusieurs bateaux, dont le Ville d'Annonay de Marc Seguin, naviguaient sur le "Fleuve Dieu". Malheureusement, les chaudières qui alimentent la machine à vapeur ne sont pas suffisamment puissantes. Le 04 mars 1827, le bateau Le Rhône heurte la pile d'un pont à Lyon. La chaudière explose, et le bateau sombre, provoquant la mort de 28 personnes. La Société de halage est liquidée.

.            Cette malheureuse expérience pousse Marc Seguin à imaginer la chaudière tubulaire plus puissante. En 1825 le Voltigeur, son premier bateau à vapeur est construit dans un chantier d'Andance (Ardèche). Il comporte trois chaudières, munies chacune de 80 tubes de 4 centimètres de diamètre et de 3 mètres de long. Ce bateau fit plusieurs voyages sur le Rhône entre Vienne et Lyon, et lui permit de valider le principe de la "chaudière tubulaire" qu'il avait imaginée et pour laquelle il avait demandé un brevet qui lui sera délivré le 22 février 1828. Ce procédé décuple la surface de chauffe en faisant traverser le corps de chauffe par de nombreux tubes dans lesquels circulent les gaz de combustion, garantissant ainsi une meilleure répartition de la chaleur. Un procédé révolutionnaire qui permet de multiplier par 6 la puissance de la machine !

En 1825, Marc était allé en Angleterre, et s’était lié d’amitié avec l'ingénieur Georges Stephenson. Là-bas, constatant les limites de la chaudière de l’anglais, il l’avait aidé à construire « The rocket » (La fusée), l'une des toutes premières locomotives à vapeur à chaudière tubulaire.

.            Convaincu du potentiel du transport ferroviaire, il suggère au gouvernement français de construire une ligne de chemin de fer. Le 27 mars 1826, les 5 frères Seguin et Édouard Biot obtiennent l’adjudication de la ligne de chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon. Afin de réaliser la jonction de 58 km entre la Loire et le Rhône, le chemin de fer passe dans la vallée accidentée du Gier : par Saint-Chamond, Rive-de-Gier et Givors. Marc Seguin rencontre beaucoup de difficultés pour la construction de sa ligne. La loi d'expropriation n'existe pas à l'époque. La Compagnie du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon dut acheter quelque 900 parcelles de terrain, nécessaires pour la réalisation de la ligne. Ces acquisitions mènent, pour la plupart, à de coûteuses tractations. Mais il était indispensable que le tracé soit le plus commode possible pour permettre l’utilisation du chemin de fer ; le tracé selon Seguin devait corriger la nature. Il comportait un pont sur la Saône, un viaduc, des ponts et quatorze souterrains, dont celui de Terrenoire qui mesurait 1.500 mètres. De plus, tandis que les rails étaient jusque-là fixés sur des plots en pierre ancrés dans le sol, il introduit une innovation décisive en posant les rails sur des traverses en bois. Le coût total de la construction de la ligne s’élèva à la somme considérable de plus de 15 millions de francs, faisant de la Compagnie l’une des plus importantes sociétés du pays.

Marc Seguin devait aussi se procurer les machines locomotives qu’il avait pu voir fonctionner lors de son voyage en Angleterre à la fin de l’année 1825. En mars et avril 1828, il achète aux ateliers Stephenson de Newcastle deux locomotives Locomotion d’occasion. Dans des ateliers à Lyon et Arras, Seguin construit 12 machines dotées de son propre modèle de chaudière tubulaire à tirage forcé. Il sextuple ainsi la production de vapeur et augmente la vitesse maximum de la machine initiale. La première locomotive Seguin est mise en service d’une manière concluante lors d’essais en novembre et décembre 1829 sur une voie d'essai posée à Perrache. Une deuxième machine est achevée en juin 1830, après la prise d’un brevet.

Réplique de la locomotive Seguin

À l'été 1830, juste avant le déclenchement des événements révolutionnaires, un premier tronçon de ligne ouvre entre Givors et Rive-de-Gier. Il est utilisé dans un premier temps au service des marchandises et pendant plusieurs mois, on emploie des chevaux pour la traction avant que la locomotive Seguin y fasse ses premiers tours de roue. Dès le 01 octobre 1831, les voyageurs sont progressivement acceptés, jusqu’à 50 à 60 par jour, dans des chariots-diligences, attelés aux convois de charbon, où seule la paille répandue sur le sol assurait le confort. Un second et un troisième tronçon ouvrent en 1832 entre Lyon et Givors et entre Rive-de-Gier et Saint-Étienne.

Bien que les chevaux restèrent indispensables sur une section à pente trop forte, les autres modes de transport, dont les postes à chevaux, voient très mal cette nouvelle concurrence. Ils sabotent régulièrement la ligne en faisant dérailler les trains, sauter les chaudières, ou en incendiant les wagons, une action amplement facilitée par la paille sèche qui en tapisse les planches. Quand ce ne sont pas les saboteurs qui portent préjudice à la compagnie Seguin, ce sont les voyageurs eux-mêmes qui s'y mettent. Ils taillent les draps posés sur les banquettes pour en faire des gilets, et se servent des tirants de cuir aux fenêtres comme bretelles.La ligne Lyon-Saint-Etienne, voie mixte avec locomotive à vapeur et traction hippomobile.

Malgré ces déboires, traçant sa route à la vitesse impressionnante pour l'époque de 30 km/h, la compagnie exploitera la ligne pendant 26 ans. En 1853, la compagnie Seguin fusionnera avec deux autres compagnies de chemin de fer voisines pour donner naissance à la Compagnie des chemins de fer de jonction du Rhône à la Loire.

Marc Seguin meurt le 24 février 1875, à l'âge de 88 ans. En plus de la navigation fluviale, des locomotives à vapeur et des lignes de chemin de fer, il a aussi été à l'origine de la création des ponts suspendus à câbles, s'est essayé aux travaux aéronautiques en construisant des machines volantes et a rédigé plusieurs ouvrages. Considéré comme le père du chemin de fer français, il a révolutionné le monde du transport et fait partie des 72 savants dont le nom est inscrit sur la tour Eiffel.

.            Aujourd'hui, toujours en service, sa ligne est parcourue par des TGV.

Les frères Péreire relèvent le défi

.            Les frères Emile (Jacob) et Isaac Péreire, banquiers d'origine portugaise à l'esprit d'avant-garde, se lancent dans l'aventure. Inspirés par le développement ferroviaire et son exploitation rentable en Angleterre, ils s’intéressent à la création d’un réseau ferroviaire en France, partant de Paris. Les lignes existantes au début des années 1830, ponctuelles, sont des dessertes locales en province, pour l’industrie. Le nouveau régime de la Monarchie de Juillet, en place depuis 1830, est sensible à l’essor des secteurs industriels et bancaires.

Comme ils sollicitent une avance financière pour la construction d'une ligne de voyageurs entre Paris et Saint-Germain-en-Laye, ils s'entendent répondre par le Président du Conseil Adolphe Thiers : « Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage ! » La Compagnie du Chemin de fer de Paris à Saint-Germain est fondée en 1835, avec la participation du banquier Adolphe d’Eichtal et le soutien du baron James de Rothschild. La ligne ferroviaire de l’ouest de Paris, construite aux frais de la compagnie et exploitée à ses risques et périls, relie, dans un premier temps, la place de l’Europe (actuelle gare saint-Lazare) au Pecq (Yvelines).

Elle est inaugurée le 24 août 1837 par la reine Marie-Amélie, l'épouse de Louis-Philippe 1er. La souveraine effectue le trajet de 18 km dans le train inaugural qui atteint le Pecq en 25 minutes seulement, sous les applaudissements des badauds. Son mari, resté fidèle aux voitures à cheval, a préféré rester à la maison. Le surlendemain, le 26 août 1837, la ligne est ouverte au public. Elle transporte 18.000 personnes le premier jour et rencontre d'emblée un très vif succès. Ses trains sont très prisés de la bourgeoisie qui les utilise volontiers pour s'aérer le dimanche en forêt de Saint-Germain. Plus d’un million de voyageurs, sans doute curieux de ce nouveau transport, l’utiliseront la première année.

Carte des abords de Saint-Germain-en-Laye par le graveur Charles Avril, vantant l’attrait de la forêt avec l’arrivée du chemin de fer, 1840 (coll. BNF)

« Donner aux Parisiens le joujou du Saint-Germain afin qu’ils prissent goût au chemin de fer. », propos attribués à Émile Pereire. Jusqu’alors, les transports de voyageurs par voie terrestre se font en diligence. Ce mode de transport n’augurait généralement pas d’un voyage agréable. Or, à la veille de l’établissement des chemins de fer, la circulation routière entre Paris et Saint-Germain est évaluée à 400.000 personnes par an, tandis que les abords de la capitale représentent des sites suffisamment attrayants dans un rayon inférieur à 25 km pour rentabiliser une ligne de chemin de fer. La ligne reliant Paris à Saint-Germain-en-Laye devient ainsi la première ligne ferroviaire touristique de France. Les Parisiens voyagent vers cette ville réputée pour son « bon air », les usagers de la 3e classe voyageaient dans des wagons à ciel ouvert et ceux des classes supérieures dans des wagons certes fermés, mais non chauffés. Des stations intermédiaires sont ouvertes, facilitant l’accès à de nouveaux villages, comme Nanterre qui est alors fréquenté par les touristes parisiens pour ses spécialités locales et ses fêtes de la Rosière.

            Dans un premier temps, le train eut son terminus au Pecq, à l’entrée du pont nouvellement construit, ce qui évitait une montée de 51 mètres pour arriver en ville de Saint-Germain-en-Laye. La ville sera atteinte en 1847, avec le chemin de fer atmosphérique qui emprunte un nouveau pont ferroviaire au-dessus du parc de la Corbière. En août 1906, chaque train, au Pecq, reçoit une nouvelle locomotive dont la puissance permet d’éviter les nombreuses pannes sous le tunnel. Peu à peu la multiplication des stations, va augmenter le temps de parcours qui varie entre 38 et 59 minutes pour les omnibus. La fréquence des trains a toujours été excellente, voire la meilleure de la région parisienne, puisqu’en 1910 on comptait 57 trains par jour dans chaque sens, et 64 en 1924.

Toutefois, les incidents et déraillements en tout genre sont fréquents, et le confort à l’intérieur des voitures laisse à désirer. Les horaires sont assez aléatoires, la propreté laisse à désirer, surtout en été, et l’éclairage est insuffisant. Un projet d’électrification envisagé en 1912, ne sera réalisé qu’après la guerre en 1922, et le 24 mars 1927, le premier train électrique entrera en gare de Saint-Germain ; il fera gagner plus de 10 mn pour aller à Saint-Lazare. La fréquence augmente, passant d’une centaine par jour en 1927 à 158 en 1938. La fréquentation atteindra son pic en 1931 avec 35,9 millions de voyageurs, avant que l’automobile vienne faire concurrence au train. La ligne restera en exploitation jusqu’à l’arrivée du RER en 1972.

Quelques années plus tard, la ligne reliera la gare Saint-Lazare (terminée en 1842) à la gare de Saint-Germain (terminée en 1847) de l’autre côté de la Seine.  En réalité, rares furent les Saint-Germanois qui utilisèrent régulièrement ce nouveau moyen de transport qui permit de développer les liaisons postales (6 levées par jour en 1848 !). En 1855, la ligne sera absorbée au sein de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest.

La trouée de la gare de Saint-Germain-en-Laye

.            La ligne de Paris à Versailles aurait dû être la première en région parisienne, avant celle du Pecq. Mais la configuration du terrain, le dénivelé ainsi que le choix de l'itinéraire ont retardé sa réalisation. Finalement, deux lignes concurrentes seront construites, la ligne de Paris-Saint-Lazare à Versailles par la rive droite, exploitée par les frères Pereire, ouverte en 1839, d'une part, et la ligne de Paris-Montparnasse à Versailles par la rive gauche, construite par la « Société du Chemin de fer de Paris, Meudon, Sèvres et Versailles », mise en service un an plus tard le 10 septembre 1840, d'autre part.

La catastrophe ferroviaire de Meudon a lieu le 8 mai 1842, lorsqu'un train en double traction allant de Versailles à Paris déraille dans cette commune du département de Seine-et-Oise sur la ligne de Paris à Versailles par la rive gauche de la Seine, mise en service moins de deux ans plus tôt. Elle n'est pas le premier accident de chemin de fer, mais compte tenu de son lourd bilan (55 morts officiels, dont le marin et explorateur Jules Dumont d'Urville et sa famille, et plus de 150 blessés, sans doute trois fois plus de morts dans les faits), elle est considérée comme la première catastrophe ferroviaire survenue en France et l'une des premières dans le monde.

.            De nouveaux projets ferroviaires sont mis en adjudication par le gouvernement à partir de 1837. Les frères Pereire y participent en constituant de nouvelles compagnies. La loi du 11 juin 1842 désigne les grandes lignes de chemin de fer à créer en France et organise la construction par l'Etat d'un réseau dense partant en étoile de Paris (l'étoile Legrand). Les acquisitions de terrains, l’infrastructure et la fixation des tarifs incombent à l’État; les dépenses de superstructures et l’exploitation sont réservées aux compagnies dans le cadre d’une concession temporaire ; les départements et les communes participent au paiement des indemnités d’expropriation.

.            Les frères Pereire continuent d’investir dans le développement du chemin de fer. Ils créent en 1852 la Compagnie des chemins de fer du Midi, pour laquelle ils obtiennent les concessions des lignes de Bordeaux à Sète, puis de Bordeaux à Bayonne et de Narbonne à Perpignan. En 1852, cette toute récente compagnie achète la voie ferrée construite par la Compagnie de La Teste, mise en service en 1841 entre Bordeaux et La Teste-de-Buch mais placée sous séquestre d’État en 1848, faute de résultats financiers suffisants. La ligne est alors prolongée jusqu’à Arcachon, site balnéaire fréquenté par les baigneurs depuis les années 1820. L’inauguration a lieu le 26 juillet 1857, deux mois après la naissance officielle de la commune d’Arcachon.

La France est entrée dans l’épopée ferroviaire.

.            Avec Marc Seguin et les frères Péreire, la France est entrée dans l'épopée ferroviaire.

Moteur de la deuxième révolution industrielle, le train a reconfiguré profondément les relations de l’homme à l’espace et au temps en accroissant la mobilité des marchandises et des hommes. Contribuant à l’essor des fuseaux horaires modernes (Note), le chemin de fer démocratise le transport de longue distance. Innovation technique, il est également une innovation sociale ; ainsi, pour Thomas Cook, l’homme d'affaires britannique pionnier du secteur touristique au XIX° siècle : « Voyager en train, c’est voyager pour les masses ; les humbles peuvent voyager, les riches peuvent voyager… Voyager en train, c’est jouir de la liberté républicaine et de la sécurité monarchique. »

Les choses sérieuses commencent sous la Seconde République, sur la base d'un plan échafaudé dès 1832 par le directeur général des Ponts et Chaussées Baptiste Legrand. La loi du 11 juin 1842 projette 7 réseaux en étoile autour de Paris, vers la Manche, l'Atlantique, les Pyrénées, la Méditerranée et le Rhin, ainsi que deux réseaux transversaux de la Méditerranée au Rhin et de l'Atlantique à la Méditerranée. Chaque réseau est déconnecté des autres car il ne s'agit pas que les compagnies privées puissent fusionner et se constituer en monopole ! En 1848, à la veille de faire sa révolution industrielle, la France compte près de 2.000 km de voies ferrées de tous types.

Dès 1860, toutes les grandes liaisons radiales sont achevées, à l'exception de Paris-Toulouse et des liaisons vers la Bretagne. L'empereur Napoléon III peut gagner aussi bien Biarritz que Marseille en train, à 100 km/h de moyenne. Un exploit.

Note - L'établissement de réseaux de communication nationaux et internationaux à la suite de l'introduction du transport ferroviaire, en particulier américain, et de la communication télégraphique nécessita de synchroniser les différentes communautés et pays entre eux.

Le temps moyen de Greenwich (GMT, Greenwich Mean Time), était déjà utilisé par les marins britanniques pour calculer leur longitude par rapport au méridien de Greenwich. Il fut adopté au Royaume-Uni par la compagnie ferroviaire Railway Clearing House en 1847. La nouvelle appellation normalisée est le temps universel coordonné (UTC, Universal Time Coordinated)

L’essor du trafic ferroviaire depuis le XIXᵉ siècle

.            Le chemin de fer ne cesse de renforcer sa place dans les habitudes de déplacement des Français.

Nombre de voyageurs (en millions, ordonnée de gauche) et de voyageurs-kilomètres (en milliards, ordonnée de droite) de 1841 à 2018. Données de la SNCF.

Cette croissance est interrompue seulement par quelques événements exceptionnels, de plus ou moins grande ampleur : krach de la bourse de Paris (1882), guerres mondiales et grèves (1947, 1968, 1995 et 2018). Plus précisément, trois sous-périodes se distinguent : de 1841 à 1910, la croissance est très soutenue, de 1915 à 1950, les évolutions sont erratiques et depuis 1950, le fort développement du trafic est constant.

De 1841 à 2018, le trafic passe de 111 millions à 91,5 milliards de voyageurs-kilomètres, soit une multiplication par 800, en raison d’abord de la croissance et de la densification du réseau jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, puis, ensuite, progressivement par l’allongement et la multiplication des trajets qui ont plus que compensé la suppression des petites lignes. Cette augmentation est soutenue par la croissance démographique, mais aussi par l’augmentation de la fréquentation. En 1841, 36 millions de Français effectuaient 6,3 millions de voyages, soit une moyenne de 0,18 voyage par habitant. En 2018, cette statistique passe à 19 voyages par habitant.

Comment la France est devenue un pays de train

"Des Racines et Des Ailes". France 3, 09 nov 2011

La reconfiguration du réseau

.            Cette multiplication des voyages s’explique par les évolutions du réseau ferroviaire. Si la longueur du réseau de chemin de fer augmente jusqu’à la fin des années 20, soutenu par les dessertes locales, on observe une rapide contraction du réseau ferroviaire jusqu’aux années 70, date à partir de laquelle, le développement des lignes à grande vitesse va compenser les dernières fermetures des petites lignes.

Le développement du réseau de chemin de fer en France

Evolution de la longueur du réseau ferroviaire en France de 1860 à 2019. Françoise Bahoken, Martin Koning, Christophe Mimeur, Carlos Olarte-Bacares, Thomas Thévenin, 2016, « Les temps de parcours interurbains en France : Une analyse géo-historique », Transports : Economie, politique, société, pp.17-25.

.            En 2018, le réseau ferré national, propriété de SNCF Réseau, compte environ 30.000 km de lignes (35.000 km en comptant les lignes inexploitées, fermées ou déclassées) –le deuxième réseau ferré au sein de l'Union européenne, derrière le réseau DB allemand-, dont 15.687 km de lignes électrifiées, 2.600 km de lignes à grande vitesse. Il comporte : 1.576 tunnels pour une longueur cumulée de 656 km, 26.733 ponts et viaducs, 1.201 passerelles sur voies, 2.200 postes d'aiguillage dont 1.250 postes électriques et 15.000 passages à niveau.  Il faut ajouter les 2.000 km du réseau ferré militaire.

Environ 15.000 trains circulent chaque jour sur le réseau ferré national. Les premières catégories (l'Union internationale des chemins de fer, UIC en définit 9), les plus importantes, qui couvrent, sur 15.000 km, les lignes à grande vitesse, les grandes lignes électrifiées et le réseau francilien, assurent près de 90 % du trafic.

Bref historique de la SNCF

.            Première Guerre mondiale. Matériel et personnel sont mobilisés et affectés au transport des troupes militaires. À l’arrière, les compagnies de chemin de fer font face à un manque de main d’œuvre pour maintenir les infrastructures opérationnelles. Elles recrutent du nouveau personnel, parmi lequel des prisonniers de guerre et plusieurs milliers de femmes. Après la guerre, le ministère des Travaux publics engage un plan d’ensemble d’électrification des réseaux de chemins de fer.

Le 24 août 1837, inauguration de la ligne Saint-Lazare / Le Pecq, le premier train de voyageurs en France. Le parcours inaugural est effectué en 25 minutes. Le 15 avril 1847, la liaison avec Saint-Germain-en-Laye sera opérationnelle.

Le Front Populaire (1936-1938), introduit de nombreuses réformes, notamment en matière économique et sociale : les congés payés, la réduction du temps de travail de 48 à 40 heures hebdomadaires l'établissement des conventions collectives et des congés payés, … Les compagnies ferroviaires affrontent des pertes conséquentes avec l’accroissement du coût social de la main d’œuvre. La réduction du temps de travail impose d’embaucher 20% de mécaniciens et chauffeurs en plus, tout en continuant à honorer les primes statutaires. Impossible pour elles de faire face alors que se manifeste la concurrence routière avec les autocars et les camions.

Développant une politique volontariste de maillage du territoire, le plan Freycinet vise à relier chaque sous-préfecture et chef-lieu de canton au réseau ferré. Mais le manque de cohérence et de rentabilité de cet ensemble fait que cette décentralisation marque le pas.

Sur une proposition de René Mayer (qui avait par ailleurs fondé Air France dès 1933) un décret-loi du 31 août 1937 fusionne les 5 grandes compagnies ferroviaires privées du pays, pour donner naissance le 01 janvier 1938, avec l’Etat comme principal actionnaire, à la SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer). Le réseau français compte alors 515.000 cheminots et 42.700 km de voies.

La guerre est déclarée peu après, l’Allemagne nazie envahit le pays. La convention d’armistice du 22 juin 1940 prévoit la mise à disposition « pleine et entière » des chemins de fer français au chef allemand des transports. Ainsi la Wehrmacht Verkehrsdirektion impose la présence de cheminots allemands chargés de surveiller l’exploitation du réseau par leurs homologues français. À partir de 1942, elle utilise également le réseau ferré français pour la déportation des Juifs depuis la France. Les conditions imposées par l’occupant suscitent un sentiment de rejet parmi la communauté cheminote qui manifeste son opposition par des grèves et des actes de résistance au quotidien, et pour une partie, un engagement dans la lutte armée par des actes de sabotage et de renseignement.

Dans le cadre des reconstructions d’après-guerre, la remise en état et l’électrification du réseau ferré, qui a perdu 20% de ses moyens, est l’une des priorités du gouvernement. Il faut également former de nouveaux apprentis pour répondre aux besoins de main d’œuvre. Reste à améliorer la vitesse des trains en travaillant sur la modernisation du système roue-rail.

L’après-guerre et les Trente Glorieuses poursuivent le programme de coordination (1941-1968), avant la contraction du réseau local et le désengagement de l’État au profit des régions. En effet à partir des années 60 avec le libéralisme et la concurrence, le train va vite devenir « ringard » … et « gréviste ». Il faudra des trains rapides pour sauver le chemin de fer.

En 1967, la SNCF se lance dans un service à grande vitesse avec le Capitole, qui atteint les 200 km/h, pour relier Paris-Austerlitz à Toulouse. À partir de 1974, le projet d’un train à grande vitesse est officiellement lancé. Après plusieurs années de tests, le TGV bat des records mondiaux de vitesse en atteignant en 1981 les 380 km/h. Une deuxième étape est franchie en septembre 1989 avec l’inauguration du TGV Atlantique conçu pour rouler à 300 km/h en service commercial. L’Eurostar est mis en service en 1994, le Thalys et les TGV Duplex deux ans plus tard.

Le 22 septembre 1981, la première ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon est inaugurée. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la LGV Sud-Est est la deuxième ligne construite depuis 1928 ! Forte de ces succès à l’échelle nationale, la SNCF et les autorités concernées étendent les dessertes TGV aux différentes capitales européennes au cours des années 1990. Jusqu’alors, le TGV ne dépassait les frontières hexagonales que pour aller en Suisse. Le 14 novembre 1994, Eurostar voit le jour ; Paris-Londres s’effectue désormais à grande vitesse.

Parallèlement, en réponse à la politique de décentralisation, les Trains Express Régionaux (TER) et les voitures Corail sont mis en service afin de mieux desservir le territoire français.

 

.            Ces réorganisations successives s’accompagnent de restructurations des pratiques tarifaires. Historiquement, la réglementation des prix par l’État était fondée sur un double système de péréquation : une péréquation spatiale (il existe un tarif kilométrique uniforme pour l’ensemble du réseau) et une péréquation temporelle (il existe un tarif kilométrique uniforme quels que soient l’horaire et la période de l’année). Un aller simple au tarif normal entre Paris et Lille, selon l’indicateur Chaix, vaut ainsi 1.280 francs (soit 28 euros en euros constants de 2020) pour 204 kilomètres parcourus en 2h32 ; en 2021, le même trajet vaut entre 25 et 63 euros, selon l’horaire de départ, parcourus le plus rapidement en 1h et 6 minutes. Face à l’unicité d’un tarif qui paraissait relativement modique, la multiplication des prix en 2021 rend la comparaison difficile, des trajets pouvant être moins chers, d’autres largement plus onéreux.

.            Ce système n’a eu de cesse d’être remis en cause depuis l’après-guerre, pour arriver aujourd’hui à un dispositif de tarification de type yield management (prix fonction de la demande) dans lequel le train ressemble de plus en plus à l’avion dans ses modalités de tarification et de réservation, ce qui renouvelle en partie le profil des usagers.

Le rôle du chemin de fer dans la mobilité de longue distance des Français est et reste essentiel. En 2008, par exemple, 27,4 % des Français ont eu recours au train, pour faire un trajet de plus de 100 kilomètres ; sur les 332 milliards de kilomètres parcourus dans leurs voyages, 45 l’ont été en train.

L’indicateur Chaix

.            Napoléon Chaix, né en 1807 à Châteauroux, apprenti imprimeur dans sa ville natale jusqu’en 1833, se rend à Paris pour se perfectionner et fonde en 1845 l'Imprimerie centrale des chemins de fer qui, dès l’année suivante, sortira le premier Livret indicateur des horaires des trains.

.            A l’instar du Bradshaw en Angleterre, le Livret Chaix reprend les horaires et les tarifs des trains sur les 1.300 km de lignes existantes. Il sut profiter de la railway-mania ambiante, et pariant sur le développement prometteur des chemins de fer, il réussit les publications des livrets horaires et des guides touristiques, malgré la concurrence de Hachette et les difficultés propres à l’édition délicate d’horaires et tarifs sans cesse modifiés. En 1847, le livret est appelé « l'indicateur Chaix » puis, par simplification, « le Chaix ». Des Livret-Chaix Nord, Est, Ouest … complètent l’édition nationale.

En 1849, sous format d’un journal, parait le dimanche un Indicateur-Chaix hebdomadaire. Le 1er de chaque mois, il édite le Livret-Chaix spécial pour la France, le guide officiel des voyageurs sur tous les chemins, le bréviaire des voyageurs. En 1858, parait pour la première fois un Recueil général des tarifs de chemin de fer, ce qui permet de faire le calcul complexe des prix.

En 1858, parait pour la première fois un Recueil général des tarifs de chemin de fer pour le trafic marchandises. Trimestriel, c’est d’abord un volume de près de 900 pages, séparant plus tard en deux volumes les tarifs GV et PV.

Le dernier Indicateur Chaix est paru en 1975, pour la période allant du 1er juin au 27 septembre 1975. Pourtant, ce n’est qu’en 1981 qu’il en sera fini des Editions Chaix, après plus de 5 ans d’occupations des locaux de Saint-Ouen qui seront vendus aux enchères avec le matériel de l’imprimerie.