Le train, d’abord une affaire de mécanique

.            La révolution industrielle des deux derniers siècles a été rendue possible par la vapeur et l’électricité que le chemin de fer a si bien su exploiter. Près d'un siècle avant que n'apparaisse l'automobile, il a donné une vigoureuse impulsion au transport de matières premières, de marchandises et de personnes. Il a unifié les territoires, désenclavé les zones rurales et aussi modifié la nature des guerres.

Jean Gabin dans La Bête humaine (film de Jean Renoir, 1938, d'après le roman éponyme d'Émile Zola, 1890)

Les premières « rails »

.            L'idée de faire rouler un véhicule sur un système de guidage est (presque) aussi ancienne que la roue elle-même. Le plus ancien exemple de transport par chariots sur roues guidées se trouve en Grèce. Il en reste des vestiges sur l'isthme de Corinthe. De -600 au milieu du Ier siècle, c'est-à-dire pendant environ 650 ans, un transport de bateaux de commerce et de guerre sur des chariots a fonctionné pour traverser l'isthme de Corinthe (6,5 kilomètres) : le diolkos. Ce chemin de pierre à écartement de 1,60 mètre était arrangé avec des bords surélevés de façon à ce que les chariots ne quittent pas la route.

Vestiges du diolkos. | Davide Mauro

La technique perdure et dès le Moyen Âge, on retrouve des chariots guidés dans les mines d'Allemagne, de Suisse, puis de Grande-Bretagne.

Le système évolue, les planches deviennent des sortes de rails rudimentaires. Ces rails improvisés furent donc d'abord en bois et les véhicules eux-mêmes étaient tirés par des chevaux. Dès les années 1700, des wagons avec roues à boudin sur rails en bois renforcé sont utilisés en Angleterre. Puis grâce au développement de la métallurgie, les roues deviennent métalliques afin de limiter l'usure. Les rails, d'abord en bois, puis garnis de bandes métalliques, sont plus tard entièrement en métal pour la même raison. Ceux-ci sont posés en Angleterre au milieu du XVIIIe siècle. Le système se développe très rapidement car, avec un cheval, on peut tirer des charges beaucoup plus importantes sur des rails que sur une route pavée, améliorant ainsi sensiblement les performances de la traction.

Traction hippomobile sur chemin de fer à Swansea (Pays de Galles) en 1865

Au pays de Galles où les fonderies ont des produits lourds à transporter, le transport sur voie ferrée apparut comme la solution idoine. En 1807, une compagnie dite Swansea & Mumbles Railway eut même l'idée de l'étendre aux voyageurs en utilisant des wagons initialement destinés au minerai de cuivre et tirés par des chevaux. Ce transport perdura jusqu'en 1896 !

.           Restait le problème de la traction : devait-on se limiter à des wagons ou chariots tirés par des chevaux ?

La vapeur au travail

.           Le premier à s'intéresser à la puissance de la vapeur est Héron d'Alexandrie (Ier ou IIe siècle après J.-C.), mathématicien et mécanicien de génie. Il fabrique une turbine à vapeur à réaction rudimentaire : l'éolipyle (« boule d'Éole », sphère de vent )

L'éolipyle de Héron d'Alexandrie, illustration de 1876.  Knight's American Mechanical Dictionary

(L'arrosage automatique, de nos jours, utilise le principe de la machine de Segner, un mathématicien autrichien, principalement connu pour sa communication sur l'effet de propulsion par réaction, qui remplaça, dans son éolipyle, la vapeur par de l’eau.)

.           Le prêtre jésuite flamand Ferdinand Verbiest (1623/1688), missionnaire et mathématicien à la cour de l'empereur de Chine, semble bien longtemps avant Joseph Cugnot (1725/1804) avoir imaginé le premier véhicule propulsé à la vapeur. Son invention est décrite dans son ouvrage Astronomia Europa de 1687, après une première évocation dans un livre chinois antérieur de vingt années.

Véhicule à vapeur à roue à aubes dessiné par Verbiest en 1672

.           C'est à Denis Papin (1647/1712), ingénieur mécanicien français, que revient la première tentative sérieuse de fabrication d'une machine à vapeur, en 1681. Cette première machine est plutôt un vérin à vapeur. Papin travaille sur de la vapeur sous pression avec des techniques insuffisamment sûres. Après plusieurs explosions, son mécène, le duc de Hesse, lui coupe les crédits.

L'invention de Denis Papin. | Biblioteca Europea di Informazione e Cultura

.           Thomas Savery (1650/1715), ingénieur mécanicien anglais, a l'idée de produire la vapeur dans un vase séparé. C'est ainsi qu'il invente la chaudière (brevet déposé en 1698). En 1702, sa première machine à vapeur industrielle est mise en marche dans une mine de Cornouailles : une pompe d'exhaure d'eau, surnommée « The miners' friend » (l'amie des mineurs). Cette machine, sans piston, est atmosphérique, c'est-à-dire qu'elle fonctionne avec la pression atmosphérique et la création d’une dépression par la condensation de la vapeur par refroidissement rapide.

La pompe de Savery

.           L'Anglais Thomas Newcomen (1663-1729) reprend les idées de Papin pour la machine à piston et de Savery pour la chaudière séparée. Vers 1712, il conçoit la première vraie machine industrielle à vapeur à piston. Il l’envisage en vue d’extraire l'eau des profondes mines de charbon et de faciliter ainsi l'exploitation de cette ressource devenue vitale pour l'Angleterre. Par crainte des explosions, c'est une machine où la pression atmosphérique pousse le piston, la vapeur étant refroidie et condensée pour créer une dépression. Le piston est ensuite remonté par un contrepoids. Malgré son faible rendement et sa tendance à s'arrêter, elle est très bien accueillie dans les mines.

La machine à vapeur à balancier de Newcomen, dans l'encyclopédie Meyers de 1890.

.           James Watt, ingénieur des mines écossais (1736-1819), dépose en 1769 le brevet de la machine à vapeur à piston à double action qui donne à cette première forme de motorisation une impulsion décisive. Il en améliore le rendement énergétique (condenseur séparé, double effet...) et développe des mécanismes pour l'adapter à tous usages industriels (métallurgie, textile...). Plus besoin de contrepoids: c'est toujours une machine atmosphérique à condensation, mais la pression agit alternativement sur les deux faces du piston. Cette machine bénéficie de plusieurs innovations qui seront essentielles pour la future locomotive : notamment la distribution et le régulateur à boules. Cette machine était toutefois lourde et d'un faible rendement.

La machine à vapeur conçue par Boulton & Watt, dessin de 1784.

Et la machine à vapeur devint motrice

.           Le Français Nicolas Cugnot (1725-1804) fabrique en 1769 un modèle réduit de véhicule routier à vapeur qu'il présente au ministre de la Guerre de l'époque, le comte de Choiseul.

Celui-ci lui commande un exemplaire apte à circuler, qui est réalisé l'année suivante: c'est le fardier. Destiné au transport des canons, il s'agit du premier véhicule automobile de l'histoire. Après de multiples accidents dus à l'absence de frein, à la méconnaissance de la conduite du véhicule, et à la disgrâce du comte de Choiseul, le projet est abandonné.

Le fardier de 1769 de Cugnot. Premier accident d'automobile, 1770

.           Un ingénieur cornouaillais Richard Trevithick, inventeur prolifique, s’est emparé de l'invention de Watt et la perfectionne pour la faire fonctionner sous haute pression. Mais le brevet déposé par Watt l'empêche de l'exploiter jusqu'en 1799. Il reprend alors l'idée de Cugnot, pour développer un véhicule routier à vapeur (sous haute pression, cette fois) destiné à tirer des remorques. Ce véhicule circulera entre 1800 et 1802. Mais à la suite d'un grave accident, et aussi en raison du très mauvais état des routes britanniques de l'époque, il sera également abandonné.

Vive les chevaux vapeur !

.           C'est alors qu'intervient assez naturellement désormais, après le rail, le deuxième apport décisif à l'invention du chemin de fer : la force motrice de la vapeur. Comme le rail, elle est issue de l'industrie minière.

.           Richard Trevithick, passionné par la motorisation à vapeur, qui connaît très bien la voie ferrée, est mis au défi par son ami Samuel Homfray, propriétaire des fonderies de Penydaren, de construire un engin capable de tracter 10 tonnes. Il conçoit la première locomotive à vapeur, avec une chaudière montée sur chariot. La vapeur sous pression actionne un piston, lequel fait tourner un grand volant extérieur. Après quoi, la vapeur est éjectée dans l'atmosphère, qui fait office de condenseur. Un premier prototype aurait roulé en 1802 sur la voie de la mine de fer de Coalbrookdale, dans le Staffordshire. Mais l'essai s'est terminé par un accident.

Puis sa « locomotive de Pen-y-Darren » est la deuxième locomotive ferroviaire jamais construite. A Pen-y-Darren, une région minière du pays de Galles, près de Merthyr Tydfil, elle tracte le 21 février 1804, un train de 5 wagons chargés de 10 tonnes de fer et de 60 personnes. L’assemblage effectue 16 km sur la ligne reliant la mine de fer de Pen-y-Darren à la localité d'Abercynon en 4 heures et 5 minutes, avec des pointes à 8 km/h. Et ce malgré des difficultés techniques, liées notamment au gabarit de la locomotive. Elle avait, en outre, avait un gros inconvénient : non suspendue, elle était très dure pour la voie. Les rails en fonte en forme de L, constitués de plaques de fonte à épaulement interne (c'est la voie et non la roue qui assure le guidage) et bois, cassaient très souvent sous le poids de la machine, provoquant des déraillements.

.           Ceci explique que cette locomotive ne parvint pas à supplanter la traction hippomobile, même après avoir tiré un train de 25 tonnes de fer le 4 mars 1804. Sans débouchés faute de voies capables de la supporter, la locomotive finira à Londres, parmi quelques autres réalisations de Richard Trevithick.

La machine de Richard Trevithick (1804)

.           Soucieux de relancer l'idée de la traction à vapeur, Richard Trevithick envisage un coup publicitaire, en installant à Bloomsbury, juste au sud de l'actuel Euston Square à Londres, une ligne circulaire protégée par une haute palissade. La voie était constituée de plaques à épaulement. Pour cette démonstration, il fit construire chez Hazledine et Rastrick à Bridgnorth, une nouvelle locomotive au nom provocateur de Catch me who can (M'attrape qui peut !). La locomotive, de type 011 (022 pour les britanniques ; un essieu moteur et un essieu arrière porteur), tire à une vingtaine de km/h un wagon en bois accueillant des passagers au prix de 5, puis 2 shillings la place. L'attraction est proposée du 8 juillet 1808 au 18 septembre 1808. Richard Trevithick affirmait que sa machine battrait n'importe quel cheval du royaume sur une course de 24 heures.

.           Mais ces premières machines à vapeur fonctionnant à une pression proche de la pression atmosphérique, avaient une puissance par unité de masse trop faible pour envisager de les embarquer sur roues. Richard Trevithick, inventeur dans l'âme, néglige d'exploiter son savoir-faire, et en abandonne à d'autres le passage du ferroviaire à la phase industrielle.

.           De fait, de nombreux ingénieurs anglais s'intéressent à ce moyen de transport révolutionnaire et l'améliorent. Le couple roue plate/rail en L en fonte est abandonné pour le couple roue à boudin/rail à champignon en acier doux, et les traverses en bois remplacent les assises de voie en pierre. Les nouvelles locomotives sont suspendues. William Hedley fabrique la  Puffing Billy en 1813, et George Stephenson la Blücher en 1814. L’exploitation industrielle est amorcée.

«Puffing Billy» de William Hedley, première locomotive à utilisation commerciale. Les roues plates seront rapidement remplacées par des roues à boudin. | FritzG

Le chemin de fer acquiert droit de cité, grâce aux mines et à Stephenson.

.          George Stephenson (1781-1848)., un modeste mécanicien talentueux parvient à intéresser Lord Ravensworth, propriétaire des mines de Killingworth, au financement de ses recherches et ses essais. Stephenson est présenté aux propriétaires des houillères de Darlington pour lesquels Stephenson construit en 1814 la locomotive Blücher (ainsi nommée en référence au général prussien Gebhard Leberecht von Blücher, qui apporta une aide décisive à la Grande-Bretagne lors de la bataille de Waterloo), à transmission par engrenages placés sous la chaudière, et sur rails saillants, la norme de l'époque étant l'épaulement des voies et non des roues. La locomotive a été essayée avec succès le 25 juillet 1814 et tira son premier train de charbon le 27 juillet, 30 tonnes de charbon à plus de 6 km/h sur une rampe à 0,3 % ; des performances toutefois décevantes dues à la conception de la chaudière à tube-foyer.

.            Mais les engrenages, fragiles, posent des problèmes et Stephenson comprend qu’il faut bannir à jamais tout engrenage dans une locomotive, quitte à multiplier les cylindres et les roues motrices. Stephenson construit en 1815 la locomotive connue sous le nom de Killingworth Locomotive dont le fonctionnement est satisfaisant. Elle est sur deux essieux, reliés par une transmission à chaînes. Chaque essieu est entraîné par son propre cylindre à double effet placé sur le dessus de la chaudière et actionnant de longues bielles verticales. Peu connue, cette machine est pourtant dotée d’un système de transmission caractéristique et déterminant, celui de l’ensemble des locomotives à venir : tout est effectué par bielles, qu’il s’agisse de l’action des cylindres sur les roues et bientôt du couplage entre les roues. Les engrenages et chaînes ont définitivement terminé leur carrière ferroviaire.

La “Locomotion” de George Stephenson marque l’adoption de la voie de 4 pieds 8 pouces et demi (1.435 mm) comme futur écartement standard mondial.

.            La construction d’une ligne entre Stockton-on-Tees et Darlington, dans le comté de Durham (Midlands), longue de 40 km, débuta aussitôt son adoption par le parlement le 19 avril 1821, après deux premières tentatives infructueuses en 1818 et 1819. Ce chemin de fer était conçu pour une traction hippomobile, moyen de transport alors courant en Angleterre. Il s'agissait en fait de la transposition à l'air libre d'un chemin de fer minier, avec ses chevaux et ses machines à vapeur fixes qui tirent les wagonnets. Ce chemin de fer avait pour finalité de relier des mines du comté de Durham à Stockton, port situé dans l’estuaire du fleuve Tees, où la houille pouvait être transbordée sur des bateaux à destination des centres urbains et industriels. Outre le transport du charbon, elle s'accommodait aussi du transport de voyageurs.

Informé de ce projet de chemin de fer, George Stephenson, engagé comme ingénieur par la première compagnie de chemin de fer de l'histoire, la Stockton & Darlington Railway (nord de l'Angleterre), réussit à persuader les promoteurs de la ligne de l'y laisser expérimenter des locomotives à vapeur. En 1823, est voté un amendement à la loi afin de retenir le projet de George Stephenson qui suggéra, par ailleurs, d’y insérer explicitement la disposition autorisant l’emploi de locomotive à vapeur pour la traction des trains.

.            L'inauguration officielle de la ligne eut lieu le 27 septembre 1825. 12 wagons de charbon quittent Phoenix Row ; à St-Helens, un wagon supplémentaire chargé de farine est accroché au convoi ; à Shildon, l’ensemble est à son tour accroché au convoi en attente, déjà formé et prêt à prendre la voie vers Stockton, remorqué par une locomotive à vapeur, la Locomotion de George Stephenson. C’est.la première locomotive du monde à être engagée sur une ligne publique.

Ce premier train n'était pas rapide : il lui fallut deux heures pour parcourir les 19 km du trajet. Une seule voiture à voyageurs, expérimentale, qui ressemblait à une remise en bois munie de roues, faisait partie du train. Baptisée « The Experiment », elle transportait les personnalités et dirigeants de la compagnie.

Le train inaugural de la Stockton & Darlington Railway, le 27 septembre 1825. | John Dobbin / National Railway Museum

.      Sur cette ligne, une partie seulement des trains sera à traction vapeur, les autres trains, où les passagers étaient assis à l'air libre dans les wagons à charbon munis de bancs, étant tirés par des chevaux. Cette ligne d’une quarantaine de kilomètres avait un écartement de 4 pieds 8,5 pouces (1.435 mm) entre les rails, commun à beaucoup de réseaux houillers du Nord-Est anglais depuis le XVIIIe siècle qui deviendra par la suite le standard. Elle sera un terrain d'expérimentation, avant la décision de construire une première ligne ferroviaire commerciale entre Liverpool et Manchester.

.            Pour ce projet capital, les autorités locales des Midlands, soucieuses des besoins de la sidérurgie et des mines, organisèrent en 1829 un concours, avec une récompense de 500 livres sterling, afin de sélectionner un constructeur capable de faire rouler sur rails un engin de moins de 6 tonnes à la vitesse de 16 km/h.

Les concurrents devaient se prêter à une démonstration sur un circuit, à Rainhill, dans les Midlands. Le concours s'étala sur une semaine et attira des curieux de toute l'Angleterre. Parmi les concurrents, la « Sans Pareil » de Timothy Hackmorth atteignit la vitesse de 30 km/h. Son concepteur était un ingénieur qui travaillait sur la ligne du Stockton & Darlington. Il prit sur ses nuits pour construire la machine dans les ateliers de la ligne. Malheureusement, le jour du concours, il joua de malchance et essuya de nombreuses pannes, réussissant tout de même à tracter 19 tonnes sur 36 km à la vitesse de 22 km/h.

Le 06 octobre 1829, c'est finalement l'ingénieur Georges Stephenson et son fils Robert qui l'emportèrent avec leur locomotive, à la vitesse de 14 miles/h (22,5 km/h), avec une traction de 12 tonnes, et une vitesse de 18 miles/h (29 km/h) sans convoi. The Rocket (la « Fusée »), plus performante et ingénieuse, avait été construite pour l'occasion, avec des astuces techniques empruntées à (copiées sur) la « Sans Pareil » et à son ami français Marc Seguin, pour la conception de la chaudière tubulaire.

The « Rocket »

.            The Rocket comportait un essieu moteur et un essieu arrière porteur (type 011) et pesait 4.318 kg avec des roues d’un diamètre de 1,435 m égal à l’écartement de la voie. Elle avait déjà l'apparence que l'on connaît aux locomotives à vapeur, avec sa chaudière horizontale, un foyer à l'arrière, une cheminée à l'avant et deux cylindres, situés de chaque côté de la locomotive, inclinés à 35°. Sa chaudière tubulaire (0.66 m3 d’eau) multiplie par 6 la production de vapeur par rapport aux simples chaudières. Le changement de sens de la marche est assuré par coulisse. Un « tender » contenant l'eau et le charbon est attelé à l'arrière de la locomotive. Elle atteindra 56 km/h en tirant une charge de 13 tonnes. C'est le premier record du monde de vitesse.

.            A la même époque, le français Marc Seguin met en service sa première locomotive à chaudière tubulaire de manière concluante lors d’essais en novembre et décembre 1829. Une deuxième machine sera achevée en juin 1830, après la prise d’un brevet.

.            Après cette expérimentation est lancée la première ligne ferroviaire commerciale entre Liverpool et Manchester, inaugurée le 15 septembre 1830 et équipée des Rockets de Georges Stephenson, sensiblement différentes du prototype de 1829. Le jour de l'inauguration, le parlementaire William Huskisson est tué … par la locomotive !.

Stephenson saura mettre au point une véritable fabrication industrielle de la locomotive et fournir l’ensemble des réseaux européens avec de nombreux types incessamment perfectionnés. Elle fait chuter de moitié le prix des marchandises lourdes vendues à Manchester. La ligne s'avère très rentable pour les actionnaires de la compagnie et le succès est tel que bientôt, Stephenson n'arrive plus à fournir. Si Trevithick a bien inventé le train (locomotive tirant des wagons sur des rails), c'est bien Stephenson le père du chemin de fer en tant que moyen de transport.

Le chemin de fer, une source de profit sans pareille

.           En France, une première voie ferrée a été ouverte en 1827 pour le transport des marchandises, entre Saint-Étienne et Andrézieux (18 km), deux villes du bassin industriel et minier de la Loire. Puis est ouverte en 1835 la ligne Saint-Étienne-Lyon (57 km) pour le transport de marchandises lourdes et de produits sidérurgiques. Il tire parti de la déclivité du terrain pour suppléer au manque de puissance de la traction à vapeur.

Notons que le chemin de fer est encore perçu à cette époque comme une alternative aux voies navigables pour le transport des pondéreux. C'est ainsi que les voies sont qualifiées de « canaux secs » et les gares de « ports secs » !

.           Le chemin de fer à vapeur n'a pas attendu pour traverser l'Atlantique. Dès mai 1830, un chemin de fer a été inauguré entre Baltimore et Ellicott's Mills.En 1835, c'est à une locomotive fournie par les établissements Sharp & Roberts que revient la gloire de franchir la barre des 100 km/h. La nouvelle fait sensation et commence à inquiéter les professionnels du transport (diligences, coches d'eau, etc…). Dans les années qui vont suivre, ils ne vont avoir de cesse de multiplier les obstacles à la construction de lignes, voire de saboter les chantiers, en Angleterre comme ailleurs.

Mais rien n'y fait. Il faut dire qu'en dépit d'investissements importants, les promoteurs du chemin de fer réalisent des profits colossaux, jusqu'à 50% par an, tant dans le transport de marchandises que dans celui de voyageurs. Les investisseurs et les épargnants se laissent griser par ce secteur aux allures d'eldorado. Il s'ensuit même une bulle spéculative dans les années 1830-1850 à la Bourse de Londres, autour des actions des compagnies.

.           Déjà la technologie ferroviaire franchit la Manche et atteint le Continent. Des lignes à usage minier ou de démonstration sont réalisées en Belgique et en France.

Les Belges inaugurent une première ligne pour le transport des voyageurs entre Bruxelles et Malines, le 5 mai 1835. La même année, le 7 décembre 1835, une première ligne de 6,4 km est ouverte en Allemagne, entre Nuremberg et la ville voisine de Fürth.

Inauguration de la ligne Nuremberg-Furth (1835)

Prophètes mal inspirés

            Le transport ferroviaire émerge donc en une demi-douzaine d'années et, immédiatement, suscite l'engouement du public ... malgré les mises en garde de quelques esprits supérieurs.

C'est ainsi que le savant astronome François Arago, homme de grand mérite par ailleurs, met en garde les Français contre « les illusions que peuvent donner deux tringles de fer ». Plus fort encore, l'Académie de médecine de Lyon énonce en 1835, dans un mémoire resté célèbre : « La translation trop rapide d'un climat à un autre produira sur les voies respiratoires un effet mortel... L'anxiété des périls constamment courus tiendra les voyageurs dans une perpétuelle alerte et sera le prodrome d'affections cérébrales. Pour une femme enceinte, tout voyage entraînera infailliblement une fausse couche avec toutes ses conséquences ».

Adolphe Thiers n'est pas mieux inspiré. Aux frères Péreire, des banquiers qui veulent financer la ligne Paris-Saint-Germain-en-Laye, le Président du Conseil affirme avec son assurance coutumière : « Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage ! ».

Zigmund Ajdukiewicz, Un train arrive, Munich 1885, coll. part.

Le monorail gyroscopique de Louis Brennan

            1910. Londres accueille un drôle d'événement : The Japan-British Exhibition. Parmi plus de 2.200 exposants c’est celui avec un drôle de train, qui n’a rien d’extrême-oriental, qui retient l’attention de tous.

Ce véhicule, c’est le monorail gyroscopique inventé par l'ingénieur irlando-australien Louis Brennan. Ce jour-là, cet inventeur fait circuler son étonnante machine à 20 miles/heure (32 km/h), sur une piste circulaire. 50 personnes se trouvent alors à son bord dont … Winston Churchill.

Louis Brennan n’en est pas à sa première invention. Déjà à l’origine de ce qui est considéré comme l’une des premières torpilles guidées au monde, il planche sur ce train monorail depuis plusieurs années. Pourquoi un rail unique ? Parce que l’ingénieur a constaté l’immense difficulté que représente la construction de rails traditionnels dans des paysages aussi accidentés que ceux de certaines régions australiennes. Il pense donc que son système pourrait grandement faciliter les choses et prévoit même qu’il soit capable de circuler à une vitesse deux fois supérieure à celle des trains de l’époque. Bien évidemment, avec un rail unique, le véhicule de Louis Brennan risque de sortir de son axe à chaque virage. L’ingénieur l’équipe donc de deux systèmes gyroscopiques pour le stabiliser, sorte de « super toupie », inventée par Léon Foucault (le pendule) qui permet de maintenir l'orientation et la vitesse angulaire d'un objet, en l'occurrence, ce train.

Après d’intenses recherches, Louis Brennan déposa le brevet en 1903, puis fit la démonstration de sa technologie en 1907 devant la Royal Society, en faisant circuler un modèle réduit sur un câble. Deux ans plus tard, en 1909, le véhicule fait sa première sortie publique à Gillingham, dans le Kent, où il circule autour de son lieu de production.

Cette version-là du véhicule mesure un peu plus de 12 mètres de long et 3 mètres de large. Il est équipé d’un moteur à essence de 20 CV entraînant un générateur électrique avec des moteurs électriques situés sur les deux bogies, avec ses gyroscopes placés dans la cabine. Seul problème, un autre homme travaille alors sur un monorail gyroscopique : August Scherl, vient de dévoiler sa machine. Louis Brennan n’a donc pas le luxe d’attendre et fait sa démonstration plus tôt que prévu.

Pourtant l’incroyable véhicule de Louis Brennan ne sera jamais développé à échelle industrielle. On lui reproche … de n’avoir qu’un seul rail ; un tel système ne suscitera jamais la confiance du public ! Une analyse bien peu visionnaire puisque, même s’ils sont loin d’être majoritaires, de nombreux monorails circulent ou ont circulé dans différents coins de la planète.

Comme l’aérotrain de Jean Bertin, le monorail gyroscopique de Louis Brennan et ceux de August Scherl et de Piotr Shilovsky font partie de ces inventions qui ont contribué à l’évolution de la technologie ferroviaire.

Le chemin de fer au service de l’action politique

.           Le 24 août 1837, en avance de quelques mois sur le roi Louis 1er de Bavière, la reine Marie-Amélie, épouse de Louis-Philippe 1er, inaugure la première ligne française dédiée au transport de voyageurs. Cette ligne relie Paris à Le Pecq (18 km). Elle est dix ans plus tard prolongée jusqu'à Saint-Germain-en-Laye, de l'autre côté de la Seine ...

Le 8 mai 1842, à Meudon sur la ligne Paris-Versailles se produit le premier drame ferroviaire de l'Histoire : les dix-huit voitures en bois déraillent et prennent feu. Les voyageurs succombent sans pouvoir sortir des compartiments, fermés à clé de l'extérieur selon l'usage de l'époque. 55 morts sont déplorés parmi les Parisiens venus passer la journée à Versailles pour le spectacle des grandes eaux. Malgré son caractère spectaculaire et inédit, il ne remet pas en cause la confiance des banquiers et de l'opinion publique dans ce nouveau mode de transport.

Un mois plus tard, le 11 juin 1842, François Guizot, mieux inspiré qu'Adolphe Thiers (« Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage ! »), promulgue une loi décisive sur les chemins de fer destinée à remédier à l'insuffisance de capitaux : l'État promet des monopoles avec des concessions à long terme aux compagnies privées qui voudront se lancer dans l'aventure. La loi projette sept réseaux en étoile au départ de Paris, vers la Manche, l'Atlantique, les Pyrénées, la Méditerranée et le Rhin, ainsi que deux réseaux transversaux de la Méditerranée au Rhin et de l'Atlantique à la Méditerranée. Sa mise en oeuvre va être retardée par les crises économiques et politiques et ne démarrer vraiment que sous le Second Empire (1852/04 sep 1870).

.           Ainsi le chemin de fer va-t-il concourir au désenclavement des territoires, à l'unification du pays et à la centralisation de l'État. Alors que les diligences ont une vitesse moyenne de 4,5 km/h, les trains vont atteindre très vite une vitesse moyenne de 65 km/h et Napoléon III pourra rouler en train spécial vers Biarritz et Marseille à une moyenne de 100 km/h ! L'empereur lui-même, quelque peu effrayé, va limiter la vitesse des trains à 120 km/h et cette limitation perdurera jusque dans les années 1950.

En 1848, avec moins de 3.000 km, la France est encore très en retard par rapport à l'Angleterre et aux États-Unis qui en possèdent déjà 10.000 chacun et même par rapport à la Belgique, dont le réseau déjà très dense attire une grande partie des marchandises en transit en Europe occidentale. Le rattrapage s'effectue sous le règne de Napoléon III. À sa chute en 1870, le pays comptera déjà 17.000 km fréquentés par 5.000 locomotives, soit à peu près autant que l'Allemagne ou le Royaume-Uni.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, comme les compagnies privées s'essoufflent, les États viennent à leur rescousse en leur offrant des obligations garanties par eux-mêmes. Le capital des compagnies se répartit de la sorte entre des actions qui offrent aux fondateurs des dividendes généreux et des obligations proposées aux petits épargnants avec un rendement beaucoup plus modeste mais garanti par l'État.

Le chemin de fer bouleverse les campagnes en accélérant l'exode rural mais aussi en facilitant le transfert sur longue distance des produits agricoles vers les marchés de gros de Paris et des métropoles. C'est ainsi qu'apparaît dans les villes un marché des primeurs, inconcevable au temps de la diligence. En France, le train accélère le développement de l'axe Lille-Paris-Lyon-Marseille, desservi par un réseau rapide, au détriment de l'Ouest atlantique.

La plupart des capitales européennes se dotent de grandes gares monumentales, cathédrales des temps modernes. Ainsi Paris avec ses sept grandes gares têtes de réseau (Saint-Lazare en 1837, Montparnasse et Austerlitz en 1840, la gare du nord en 1846, les gares de l’Est et de Lyon en 1849, la gare d’Orsay a été construite dès 1898 en prévision de l'Exposition Universelle), lieux d'une nouvelle urbanité autour desquels se réorganise la vie citadine. Chacune de ces gares est la tête de ligne d’une des grandes compagnies qui structurent désormais le territoire. En 1862 la communication entre compagnie et circulation est enfin possible grâce à la création d’une nouvelle ligne, appelée « petite ceinture ».

La gare Saint-Lazare (1877, Claude Monet, Musée d'Orsay)

Le chemin de fer, logistique de guerre

.           Dès 1859, en Italie, lors des campagnes militaires franco-italiennes contre l'Autriche, le chemin de fer contribue pour la première fois au transport des troupes. En amenant au plus vite les soldats sur le champ de bataille, il va s'avérer décisif dans la guerre de Sécession comme dans la victoire de la Prusse sur l'Autriche en 1866 puis dans la victoire de la Prusse et de ses alliés sur la France en 1870.

A contrario, le gouvernement russe attribue à ses carences ferroviaires sa défaite dans la guerre de Crimée en 1856. C'est pourquoi il lance un grand programme d'équipement dès 1857. En 1890, l'immense empire comptera 30.000 km. Grâce aux capitaux français et à l'Alliance franco-russe, il doublera ce réseau à l'aube de la Première Guerre mondiale mais avec avant tout des préoccupations stratégiques. De fait, à la déclaration de guerre, en août 1914, les Russes vont pouvoir mobiliser les conscrits et les transporter sur le front beaucoup plus vite que prévu, obligeant les Allemands à dégarnir leur front de l'Ouest... Ainsi permettront-ils aux Français d'échapper à une défaite prématurée !

Aux États-Unis, comme en France, le souci d'unification politique et d'aménagement territorial préside au développement du chemin de fer. Le 10 mai 1869, l'achèvement de la première ligne transcontinentale, entre New-York et San Francisco, consacre l'unité du pays, de l'Atlantique au Pacifique.

Construction d'un pont en pierre sur la Green River (Citadel Rock, Wyoming) par l'Union Pacific Railway

Le chemin de fer est le maître du temps

Le chemin de fer a révolutionné le temps. Avant lui, chacun vivait à son heure et voyait midi à sa porte. Compte tenu de la rotation de la Terre autour du Soleil, il pouvait y avoir près d'une heure de différence entre les montres des Strasbourgeois et des Brestois. Cette différence était sans conséquence dans un monde où l'on se déplaçait à la vitesse du cheval... Mais avec l'ouverture de lignes ferroviaires sur de longues distances, il fallut bien songer à unifier les horloges.

Pour ne pas à avoir à changer d’heure dans chaque localité, les compagnies de chemins de fer britanniques décidèrent dès les années 1840 de régler toutes leurs horloges sur l’heure moyenne de l'Observatoire royal de Greenwich (Greenwich Mean Time, en abrégé GMT), dans la banlieue de Londres. Très rapidement, les Anglais prirent l’horaire des chemins de fer comme référence et abandonnèrent les heures locales si bien qu’en 1855 la quasi-totalité de leurs horloges publiques était passée à l’heure de Greenwich.

S’inspirant de l’exemple britannique, les compagnies de chemin de fer françaises choisirent l’heure de Paris et dans chaque gare, on installa deux horloges, l'une avec l'heure locale, l'autre avec celle de Paris ! C'est seulement le 14 mars 1891 que le gouvernement imposa pour la France une heure unique, celle du méridien de Paris.

Dans le même temps et pour les mêmes raisons, l'ouverture de lignes transcontinentales aux États-Unis conduisit les compagnies américaines à définir de façon stricte des fuseaux horaires. Ils furent adoptés au plan international en 1884 par l'International Prime Meridian Conference, à Washington. La planète fut ainsi découpée virtuellement en 24 fuseaux horaires. Le passage de l'un à l'autre conduit à retarder ou avancer sa montre d'une heure pour s'ajuster à la rotation de la Terre.

Le chemin de fer au service des milliardaires et des diplomates

.           Un homme d'affaires américain, George Pullman, conçoit un train de luxe et va le promouvoir à la faveur de l'assassinat de Lincoln, en 1865, l'un de ses wagons ayant transporté la dépouille du président sur une voie spéciale, de Washington à Springfield (Illinois). Sa compagnie va très vite compter jusqu'à 10.000 voitures.

En 1872, l'homme d'affaires belge Georges Nagelmackers fonde sur le même modèle la Compagnie internationale des wagons-lits. Il inaugure en 1883 un train de luxe entre Paris, Vienne, puis Venise, Constantinople et Londres. C'est l'Orient-Express, destiné à resserrer les liens entre la République française et ses partenaires plus ou moins lointains.

Le crime de l'Orient Express (un film de Sidney Lumet, 1974, d'après le roman d'Agatha Christie, 1934)

À défaut de président assassiné, il va bénéficier pour sa renommée d'un crime de polar, celui que raconte Agatha Christie en 1934.

Un peu plus tard, en 1903, l'Allemagne promeut un projet ferroviaire Berlin-Constantinople-Bagdad (1.600 km) mais les guerres mondiales le réduiront à néant. Le Britannique Cecil Rhodes n'aura guère plus de chance avec l'utopie d'une liaison Le Caire-Le Cap qui traverserait l'Afrique de part en part sans jamais quitter les territoires sous tutelle britannique !

Notons que deux pays européens, l'Espagne (avec 1.668 mm) et la Russie (avec 1.520 mm), se singularisent, quelque peu isolés, en adoptant un écartement de voies plus large que l'écartement standard UIC de 1.435 mm (soit 4 pieds 8,5 pouces ou 56,5 pouces), définissant la voie normale, est le plus utilisé à travers le monde (60 % des lignes).

Le chemin de fer sous la surveillance des comptables

.           En France, l'extension du réseau ferroviaire se poursuit sous la IIIe République.

Le grand programme d'infrastructures lancé en 1878 par le ministre des Travaux Publics Charles de Freycinet ajoute près de 9.000 km de lignes d'intérêt local aux 24.000 km déjà existant (de même que de nombreux canaux à petit gabarit, le « gabarit Freycinet »), avec l'objectif d'amener le train dans tous les chefs-lieux d'arrondissement, au plus près des villages. 140 ans plus tard, ce sont ces lignes qui seront les premières menacées de fermeture, les successeurs de Freycinet au gouvernement étant davantage soucieux d'équilibre comptable que d'équilibre territorial.

Le viaduc de Garabit (Cantal) (DR)

Le plan Freycinet entraîne la construction de remarquables ouvrages d'art comme le viaduc en acier de Garabit, construit en 1880-1894 par Gustave Eiffel pour le franchissement de la Truyère, dans le Cantal, sur la ligne des Causses (Béziers-Neussargues).

.           Pour les travaux d'infrastructure et l'exploitation des lignes et des gares, les compagnies embauchent à tour de bras des paysans du cru. Elles les forment à des tâches très techniques (mécaniciens, aiguilleurs, lampistes, brigadiers de la voie...) et craignent plus que tout de les voir partir prématurément, d'autant que les conditions de travail sont souvent éprouvantes (intempéries, accidents...) et les contraintes pesantes (réquisitions de nuit...).

Pour les dissuader de quitter leur entreprise et rentrer chez eux à l'époque des moissons ou des labours, elles leur accordent avantage sur avantage : garantie de l'emploi, caisses de secours en cas d'accident ou de maladie, promesse d'une aide pour l'épouse et les enfants, mais aussi droit à la retraite, dans certains cas dès l'âge de 50 ans. Pour le renouvellement des effectifs, elles créent des filières d'apprentissage ouvertes en priorité aux enfants de leurs agents, accoutumés au monde ferroviaire et à ses contraintes.

« En se montrant ainsi humaines et généreuses, les compagnies ne remplissent pas seulement un devoir. Elles font aussi un bon calcul, car c'est pour elles le meilleur moyen d'obtenir des employés un dévouement qu'ils refuseraient à des compagnies avares et égoïstes », déclare un administrateur de compagnie en 1859. Ainsi émerge, en France et dans les autres pays d'Europe, une aristocratie ouvrière, les cheminots, avec un statut qui ne doit rien aux luttes syndicales et, encore aujourd'hui, fait des envieux.

.           Déficitaires, les différents réseaux français sont progressivement nationalisés par l'État français, à commencer par le réseau Ouest en 1908. L'ensemble est nationalisé le 1er janvier 1938 par le gouvernement du Front Populaire qui regroupe les activités ferroviaires dans la Société Nationale des chemins de fer français (SNCF).

À vrai dire, la France ne fait que suivre un mouvement européen qui a débuté en Suisse en 1898 avec un mot d'ordre : « Le train suisse pour le peuple suisse ». L'Italie nationalise à son tour son réseau en 1905 etc.

Même cheminement au Royaume-Uni où les 123 compagnies ferroviaires sont nationalisées le 1er janvier 1948 sous le nom de British Rail. L'entité sera démantelée et re-privatisée en 1994-1997 par le gouvernement conservateur de John Major. En Allemagne, c'est sous le IIIe Reich, en février 1937, qu'ont été nationalisés les chemins de fer sous le nom de Deutsche Reichsbahn (aujourd'hui Deutsche Bahn ou DB).

Stimulée par le président Pompidou, la SNCF, fière de sa culture d'ingénieur, s'est flattée d'être à l'avant-garde mondiale en matière de technicité. En 1981, elle ouvre une ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon plus rapide que le Shinkansen japonais et le 18 mai 1990, remporte le record du monde de vitesse sur rail avec une pointe à 515,3 km/h. Mais, contraintes européennes aidant, l'État français a depuis lors sacrifié le chemin de fer aux équilibres budgétaires. Depuis l'ouverture en 2010 de la ligne Madrid-Valence, l'Espagne détient devant la France le plus long réseau à grande vitesse d'Europe.

Le chemin de fer met en évidence les politiques publiques.

.           Depuis deux siècles, le chemin de fer reflète donc les priorités politiques des gouvernants, du transport des matières premières à la réduction des dépenses publiques en passant par les cases désenclavement des territoires, unité nationale et enjeux militaires.

Le train Shinkansen et le mont Fuji, au Japon (DR)

En ce début du XXIe siècle, les dirigeants européens ont ainsi fait le choix de privilégier le transport automobile et aérien, avec un prix du carburant en chute libre depuis le choc pétrolier de 1978. Comme aux États-Unis, le chemin de fer est peu à peu réduit aux liaisons entre métropoles, assurées d'une excellente rentabilité grâce à une clientèle bourgeoise et professionnelle ... Plaignons les Suisses, arriérés à souhait (sic !), qui persistent à entretenir un magnifique réseau lourdement déficitaire pour que chaque village et col de montagne soit accessible par le rail.

L’avenir du rail : en Asie ? en Amérique ?

.           L'Inde a été dotée d'un réseau de chemin de fer par les colonisateurs anglais à partir de 1853 mais c'est surtout au Japon, vingt ans plus tard, que s'est épanouie cette nouvelle technique de transport. Nationalisés en 1949, les chemins de fer japonais sont sans doute aujourd'hui les meilleurs du monde (et les plus rapides). La JR japonaise détient le record de vitesse sur rail, à 581 km/h, soit 6,2 km/h de plus que le TGV !

.           La Chine, arrivée tardivement dans la compétition et handicapée par les guerres civiles et l'incurie du régime maoïste, relève aujourd'hui le défi avec des liaisons à grande vitesse entre les principales métropoles du pays, notamment une ligne de 1.300 km entre Pékin et Shanghai, la plus longue du monde, avec des trains roulant à 350 km/h. En 2021, un prototype de locomotive, d’un poids de 12 tonnes, basé sur la technologie Maglev a réalisé ses premières « glissades » sur une ligne de 165 mètres en Chine à Chengdu. Avec sa technologie de sustentation magnétique, il serait capable d'atteindre une vitesse de pointe de 620 km/h.

Ce prototype n'est cependant pas le premier du genre. Dès 2003, la Chine avait mis au point un train à grande vitesse Maglev, le Transrapide, qui assure la liaison entre le centre-ville de Shangaï et son aéroport de Pudong à une vitesse de pointe de 430 km/h. Il s'agissait alors d'une technologie allemande.

.           L’Hyperloop, parfois stylisé Hyperl∞p, est un projet de recherche industrielle, proposé en 2013 par Elon Musk. Dans son concept initial, l'Hyperloop est un « vactrain » consistant en un double tube, en dépression à l’intérieur pour limiter les frictions de l'air., dans lequel se déplacent des capsules suspendues électro-magnétiquement pour transporter des voyageurs et/ou des marchandises. On pense pouvoir dépasser les 1.000 km/h, avec une accélération maximale qui serait de 1 g. Depuis 2015, quelques tests embryonnaires ont été effectués dans le Nevada.

Quelles innovations feront le train du futur?

.            Très rapide, confortable, peu polluant, sécurisé, le train semble avoir tout pour lui. C'est une ancienne technologie à laquelle semble appartenir l'avenir du transit de masse, et nombre de personnes travaillent à la rendre plus performante encore. Le chemin de fer pourrait se voir transformé par de nombreuses petites améliorations.

.            L'une des causes contraignant un train à ralentir réside dans les virages. Un convoi ne peut pas rouler trop vite sur une voie courbée ; il risquerait le déraillement, ou au minimum bringuebalerait ses passagers dans un inconfort inacceptable.

Les suspensions utilisées par les véhicules modernes fonctionnent comme des ressorts qui ajustent la distance entre les roues et les wagons afin d'atténuer les cahots de la route. Des systèmes plus précis sont donc en cours de développement, en parallèle d'améliorations de la technologie pendulaire déjà bien connue, qui permet d'incliner le train en même temps qu'il tourne.

Une autre façon d'accélérer la vitesse dans les virages serait de jouer avec le parallélisme des roues. Les paires de ces dernières sont reliées par un essieu qui les fait tourner de manière strictement identique. Dans une courbe, la vitesse du convoi ne doit pas être trop élevée afin que les roues puissent suivre les rails sans causer de vibrations trop importantes.

Des ingénieurs travaillent donc à la création de roues tournant de manière indépendante, qui pourraient suivre les rails courbes de manière optimale.

.            Il est aussi possible d'améliorer les performances d'un train en optimisant son approvisionnement en énergie. Cela pourrait être possible grâce à des pantographes (la structure métallique qui connecte le train aux caténaires) d'un nouveau genre, tel que les pantographes réactifs qui contrebalanceraient d'eux-mêmes les éléments extérieurs comme le vent ou le brusque changement de la hauteur des caténaires.

.            Autre domaine sur lequel des progrès peuvent être réalisés: l'interaction des trains entre eux. Aujourd'hui, le trafic est contrôlé par un système de signalisation divisé en blocs. Un seul train peut circuler sur chaque bloc, ce qui implique que les convois se maintiennent à une distance de sécurité minimale les uns des autres. Lorsqu'un train s'arrête, la signalisation des blocs suivants impose aux autres de faire de même.

Un autre système consisterait à coupler virtuellement les trains qui se suivent sur une même voie, afin que chaque freinage ou accélération de l'un réagisse sur les suivants en temps réel. Cela permettrait théoriquement de réduire l'espace entre deux trains, sans pour autant sacrifier à la sécurité.

.            Un train qui échappe aux contraintes des tremblements de terre ; telle est l'une des promesses du N700S. Ce train qui circule depuis 2020 (plus de 70 par jour) entre Tokyo et Osaka peut atteindre 360 km/h, avec la plus forte accélération (2,6 km/h/s), lui permettant d’atteindre les 270 km/h en 3 minutes.

Visuellement, le N700S ne semble pas si différent des anciens modèles. Une limite à la vitesse est d'ordre aérodynamique, la trainée (en gros, la résistance de l’air à l’avancement) augmente comme le carré de la vitesse. Si les tunnels n'ont pas été conçus pour la très grande vitesse, cela risque de causer des soucis. Le nez si particulier des bullet trains japonais a ainsi été dessiné pour éviter d'inconfortables bangs soniques. La tranquillité des passagers serait également perturbée par les importants changements de pression ou le bruit.

.            Un nouveau système de suspension qui absorbe les chocs (pas forcément sismiques) rend les trajets plus confortables. Le train dispose aussi d'un système amélioré de contrôle automatique et de freinage, pour s'arrêter plus rapidement en cas d'urgence. Il comprend aussi davantage de caméras de surveillance, jusqu'à 6 par compartiment.

Toujours en cas de pépin, et pour la première fois au monde, le N700S embarque des batteries lithium-ion. En cas de coupure du courant, comme on le constate lors d'un séisme, il peut ainsi se mettre à l'abri plutôt que de rester bloqué à un emplacement dangereux, tel un pont ou un tunnel.

Le N700S est aussi moins énergivore. C’est peut-être là un frein à l’évolution du train. La quantité d'électricité nécessaire pour pousser la vitesse des trains croît en effet à peu près comme le carré de la vitesse. Ces milliers de wattheures supplémentaires représentent un coût financier important et un bilan énergétique qui peut ne rien avoir de vert.

.            Reste que la limite que pourrait rencontrer le TGV est d’ordre financier. Par exemple, en Chine, la Railway Corporation est en difficulté, plombée par une dette ahurissante de 520 milliards d'euros. Ou encore, en Allemagne, la rénovation de la ligne entre Stuttgart et Munich a en moyenne fait gagner 36 minutes sur le trajet, mais chacune de ces minutes aurait coûté 369 millions d'euros

Herodote.net - André Larané –sep 29 2020/ Slate Quora - Philippe Château – 2021 18 déc 2021 / https://trainconsultant.com / https://midnight-trains.com