La “pierre du destin”

              La « pierre du destin » est l’une des pièces centrales du couronnement du roi Charles III le 06 mai 2023. Le roi a demandé qu’on la fasse transporter du château d’Edimboug en Écosse, pour la première fois depuis un quart de siècle, pour rejoindre l’abbaye de Westminster à Londres.

.            Le 27 avril 2023, une cérémonie s’est déroulée dans la soirée au château d’Édimbourg, en Écosse, en l’honneur de la « pierre du destin ». Il s’agissait de marquer le départ pour l’abbaye londonienne de Westminster de ce qui est bien plus qu’un simple bloc de grès rouge de 125 kilos, 67 cm de long, 24 cm de large et près de 27 cm de haut. Cette « relique » est devenue le symbole de la monarchie écossaise et constitue l’une des pièces centrales du couronnement du roi Charles III. Au terme d’un voyage sous haute sécurité, elle sera logée dans son emplacement sous la chaise du roi Édouard, un trône de chêne de plus de deux mètres de haut, au centre des couronnements depuis plus de 700 ans.

Transportée depuis la Terre sainte ?

             Selon la tradition, elle est censée être la pierre que Jacob aurait utilisée à Béthel comme oreiller (chapitre 28, verset 18 de la Genèse !). Les fils de Jacob auraient transporté cette pierre en Egypte. Plus tard, Gathelus, ancêtre des Scots, a été marié en Égypte à la fille du pharaon, Scota, qui donnera le nom Scotland à l'Écosse. La pierre aurait alors été apportée, via la Sicile puis l’Espagne en Irlande. Mais il est très probable qu’elle provienne en fait du royaume des Pictes écossais.

Dans la mythologie celtique, elle était supposée, à l'origine, avoir été utilisée comme pierre du couronnement pour les premiers rois écossais de Dal Riada (un royaume gaël comprenant une partie du Nord-Est de l'Irlande et de l'Ouest de l'Écosse) lorsqu'ils vivaient en Irlande. Quand ils envahirent la Calédonie (l'ancien nom de l'Écosse), le Lia Fàil était l’une des cinq pierres magiques rapportées d'Irlande ; celle qui rugissait de joie quand le roi légitime d'Irlande mettait ses pieds dessus.

La pierre était conservée dans l'abbaye de Scone, alors en ruine, située près de Perth. Depuis le couronnement de Kenneth Mac Alpin, autour de 847 (il est établi que les rois des Scots étaient intronisés à Scone avant 877), les rois écossais furent sacrés debout sur cette pierre.

Dans un premier temps, les rois écossais ne portaient pas de couronnes ni d'autres insignes. La pierre, l'un des rares objets présents lors des couronnements, est donc devenue un symbole important de la royauté écossaise, représentant un socle pour le royaume. Selon la tradition, aucun roi ne pouvait régner sur l'Écosse sans s'être assis sur la pierre de Scone, et selon une autre tradition, le royaume appartiendrait aux Écossais tant que la pierre resterait dans leur pays.

Une prise d’Édouard Ier

             Le dernier roi d'Écosse à être couronné sur la pierre de Scone fut John Balliol, le 30 novembre 1292. Pour triompher de ses compétiteurs, ce dernier avait dû prêter allégeance au roi d'Angleterre Édouard Ier qui en fit son suzerain. La volonté d'Édouard d’imposer de nouvelles sujétions aux Écossais provoqua un mouvement de révolte dont Balliol prit la tête en désavouant le serment fait à Édouard. La campagne militaire qui s'ensuivit vit le triomphe d'Édouard, qui se saisit entre autres symboles de la royauté écossaise, de la pierre de Scone en 1296. Butin de guerre, la pierre fut emportée à l'abbaye de Westminster et placée sous la King Edward's Chair (trône en bois doré du couronnement, commandé en 1308) sur laquelle depuis le roi du Wessex Henri IV en 1399, les souverains anglais s'asseyaient, afin de symboliser leur domination autant sur l'Écosse que sur l'Angleterre.

Par le traité de Northampton signé par Édouard III en 1328, celui-ci s'engagea à rendre la pierre, ce qu'il ne fit jamais.

Toutefois, il y a un doute sur l'authenticité de la pierre prise par Édouard ; on a suggéré que les moines de Scone auraient caché l'originale dans la rivière Tay ou bien l'auraient enterrée sur la colline Dunsiane. Si cela est avéré, il est possible que les troupes anglaises aient été trompées par une autre pierre, ce qui pourrait expliquer pourquoi les descriptions de l'époque ne concordent pas. Si les moines cachèrent la pierre originelle, ils le firent bien car elle n'a jamais été trouvée.

Cependant les chevaliers du Temple ont prétendu également que la pierre était en leur possession. Mais d’après Historic Environment Scotland, l’organisme gardien de la pierre, des analyses scientifiques ont confirmé que cette dernière était bien celle-là même qui avait été prise à Scone par le roi Édouard Ier.

Volée par des étudiants écossais

.            La pierre est restée à l’abbaye de Westminster pendant l’essentiel des 650 ans qui ont suivi. Il est arrivé que la pierre disparaisse ou soit endommagée. Au début du XXe siècle, des femmes militant pour le droit de vote dans le pays, ont fait exploser une bombe près de la chaise, ce qui a endommagé à la fois la chaise et la pierre.

            Le jour de Noël 1950, un groupe d'étudiants patriotes écossais décida de s'approprier la pierre. Dans l'action, ces derniers la laissèrent tomber et elle se brisa en deux morceaux. Après l'avoir cachée dans le Kent pendant quelques semaines, ils risquèrent les barrages routiers jusqu'à la frontière et retournèrent en Écosse, avec la pierre cachée dans le coffre d'une voiture empruntée.

Une chasse à l’homme avec barrages à la frontière anglo-écossaise avait été déclenchée, mais les voleurs avaient déjà réussi à faire passer la pierre au nord. Ils racontèrent ensuite qu’ils avaient dû ensuite recourir secrètement aux services d’un tailleur de pierre professionnel pour rassembler les deux parties, cassées après une chute survenue en la transportant à leur voiture.

La pierre a ensuite été déposée sur l'autel de l'abbaye d’Arbroath, l'édifice depuis longtemps associé à l'indépendance écossaise, puisque c’est là que fut proclamée la nation écossaise en 1320 sous le roi Robert Ier d’Écosse.

Salués comme des héros nationaux

           Un des quatre étudiants, Ian Robertson Hamilton, commença à éveiller les soupçons de la police quand les enquêteurs découvrirent qu’il avait pris tous les livres sur l’abbaye de Westminster qu’il avait trouvés dans une bibliothèque de Glasgow.

Une grande recherche pour la retrouver fut ordonnée par le gouvernement britannique, mais en vain. Au début du mois d'avril 1951, les Écossais, estimant que le gouvernement anglais plierait face à l'opinion publique et n'oserait donc pas la réclamer, la placèrent symboliquement sur l'autel de l'abbaye d'Arbroath, site de la signature de la Déclaration d'Arbroath. Mais lorsque la police londonienne en fut informée, en 1951 la pierre fut rapidement et discrètement rapportée à Londres où elle retrouva sa place sous le trône de Westminster, dégradant un peu plus les relations entre les deux communautés.

Les quatre étudiants écossais furent salués comme des héros nationaux et ne seront jamais poursuivis. Ian Hamilton, qui sera l’un des avocats les plus respectés en Écosse, est mort en 2022 à l’âge de 97 ans. Son livre, intitulé La prise de la pierre du destin, a été porté à l’écran dans Stone of Destiny.

Un « moment historique »

             En 1953, la "pierre du destin" (dite encore de "Scone" ou du "couronnement")fut utilisée pour le couronnement d'Élisabeth II. En 1996, le gouvernement britannique décida de rétrocéder la pierre de Scone à l'Écosse. Le 15 novembre 1996, après une cérémonie de transmission, elle fut placée dans la Crown Room, du château d'Édimbourg. Toutefois, elle continuera à être temporairement envoyée à Westminster pour les cérémonies de couronnement. En 2020, la première ministre Nicola Sturgeon annonça que la pierre serait déplacée à Perth, toute proche, en 2024.

Après la cérémonie du départ de la pierre pour le couronnement de Charles III, son successeur, le Premier ministre écossais Humza Yousaf, qui ambitionne de mener l’Écosse à l’indépendance et de quitter le giron de la monarchie britannique, a néanmoins salué un « moment historique » auquel il s’est dit « ravi » de prendre part.