Détroits, canaux, porte-conteneurs, la bataille des transports maritimes

Le transport maritime, fleuron de la mondialisation

.            Cap sur les mers et océans à bord d'un navire-cargo, ces monstres des mers qui sillonnent le globe avec à bord des marchandises de toutes sortes : des vêtements aux fruits et légumes, des produits réfrigérés ou congelés, en passant par le matériel informatique, … jusqu'aux déchets ! Emblèmes de la mondialisation, ils ont mis le "monde en boîtes" et rapproché les continents. Le navire-cargo est le fleuron incontournable de la vitalité économique des multinationales, le vecteur indispensable des échanges de toutes sortes.

« Qui tient la mer tient le commerce du monde, qui tient le commerce tient la richesse, qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même. » disait l’explorateur et navigateur anglais Walter Raleigh (mort en 1618) dans son Histoire du monde, le récit inachevé de ses voyages.

.            Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en 1950, alors que le plan Marshall était déjà effectif, on transportait un peu plus de 500 millions de tonnes de marchandises par voie maritime. Aujourd’hui, plus de 10 milliards de tonnes transitent chaque année par la mer ! On parle beaucoup de « l’économie dématérialisée », mais jamais l’économie internationale n’a autant reposé sur des flux physiques et des biens matériels. Et c’est le transport maritime qui permet ces flux considérables : 80 à 90 % en volume du transport de marchandises à l’échelle internationale se fait par la voie maritime.

.            Le transport maritime est l’un des reflets de la mondialisation, un formidable thermomètre des fluctuations économiques et fatalement aussi le reflet des déséquilibres territoriaux et économiques que ces systèmes engendrent. La régulation et le contrôle des flux de navires est plus que jamais un enjeu stratégique majeur, aussi bien commercial que sécuritaire.

Les données satellites, actualisées en temps réel, permettent de suivre 120.000 cargos et pétroliers, tout comme l’activité des 1.378 principaux ports des cinq continents, sans compter les 13 goulots d’étranglement (choke points), tels les canaux de Suez et de Panama. De quoi couvrir 99 % du commerce maritime mondial, dont les flux représentent 14.000 milliards de dollars par an.

Simulation du trafic maritime par le réseau de satellites exactEarth. Chacun des 130.000 navires emporte sa balise d'identification. Photo © ExactEarth

Carte des routes maritimes mondiales. On note l'importance du trafic passant par le canal de Suez et le canal du Panama. Les glaces et la politique de régulation de la Russie limitent actuellement fortement le trafic maritime dans l'océan Arctique. © B.S. Halpern (T. Hengl ; D. Groll), Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0

.            Le fait maritime, c’est l’immensité des océans en réalité réduite à une série de quelques caps, détroits, canaux qui forment des goulets d’étranglement, et donc des positions stratégiques. Or, ces quelques points sur la route du commerce mondial sont de plus en plus nombreux à poser des difficultés.

.            Le canal de Panama, affecté par la sécheresse, rationne ses droits de traversée, et ne laisse passer que les deux tiers du trafic habituel entre l’Atlantique et le Pacifique. Le reste passe par le cap Horn. Le conflit au Proche-Orient fait craindre une escalade régionale. Au point de dégénérer au niveau du détroit d’Ormuz, stratégique pour l’approvisionnement de l’Asie et de l’Europe en pétrole et en gaz. À l’Est, les tensions en mer de Chine dans l’Indo-Pacifique sont de plus en plus fortes. Chaque jour, Pékin y revendique une influence plus grande, au risque d’un incident majeur avec une autre puissance navale.

À l’échelle planétaire, le nombre de mers jugées peu sûres augmente : la liste du Joint War Committee, qui fait foi dans l’assurance maritime, a récemment été allongée avecr la mer Noire et la mer d’Azov, puis les eaux du Guyana, et maintenant une part significative de la mer Rouge.

Il faut en effet noter que les attaques houthistes qui visent les navires au large des côtes du Yémen ayant des liens avec Israël (nov-déc 2023), témoignent également d’une contestation très contemporaine de l’ordre mondial, déstabilisante pour les acteurs traditionnels du commerce. Un acteur non étatique, doté de moyens militaires comparables à ceux d’un (petit) État, parvient ainsi, en s’appuyant sur une communication bien léchée déployée sur les réseaux sociaux, à déstabiliser les échanges internationaux et à semer l’inquiétude.

Les passages maritimes

.            Un détroit est un passage maritime exigu entre deux terres faisant communiquer deux mers. Il a une configuration identique à celle du canal mais s'en distingue car il est naturel, alors que le canal est artificiel. C'est, au même titre que l'isthme ou le canal, un axe à la fois stratégique et structurant des échanges maritimes mondiaux. Cet espace particulier et complexe de l'interface maritime et terrestre est devenu un enjeu majeur au XXe siècle avec la volonté des États riverains de se projeter de plus en plus loin vers le large et d'étatiser les espaces maritimes.

.            Qu’il s’agisse du détroit d’Ormuz, de Malacca, ou encore des canaux de Suez ou Panama, les passages maritimes constituent des zones stratégiques de première importance, qui ont un impact considérable sur les relations internationales.

Unir deux mers, deux océans, relève d'un projet prométhéen, qui renvoie l'Homme à son éternelle volonté de dompter la nature. Car déplacer l'eau, la faire sortir de son lit naturel, est un enjeu de survie : on retrouve les premières traces de canaux dès le Néolithique. L'humanité commencera par aménager les berges, détourner les cours d'eaux, avant de s'attaquer à des projets de plus en plus pharaoniques, parmi lesquels les barrages mais également les canaux, ou rivières artificielles.

La concentration du trafic maritime international dans les détroits, véritable "portes océanes" se renforce avec la maritimisation de l'économie mondiale. Le trafic maritime mondial qui augmente fortement avec la mondialisation des échanges achemine près de 90 % des volumes du commerce mondial. La forte croissance des échanges des biens manufacturés se traduit fatalement par l'essor du transport de conteneurs. Points de passage obligés, les détroits concentrent ces flux toujours croissants et constituent des maillons sensibles des routes maritimes.

Le Grand canal de Chine, le plus ancien canal au monde

.            Méconnu en Occident, le Grand canal de Chine, ou Grand Canal Pékin-Hangzhou est le plus vieux et le plus grand canal au monde. Âgé de près de 2.500 ans, il mesure 1.797 kilomètres et relie Beijing (Peking, Pékin), au nord de la Chine, à Hangzhou, au sud, en traversant 8 provinces et 18 villes. Sa construction aurait débuté autour du Ve siècle avant Jésus-Christ, sur les ordres de Fu Chai, souverain de l'Etat de Wu, qui mit alors en place ce chantier à des fins militaires.

Il faut cependant attendre le VIIe siècle pour que, sur ordre de la dynastie Sui, le canal soit achevé pour relier Pékin à Hangzhou. Il répond ainsi aux besoins d'approvisionnements de la métropole et des frontières stratégiques, au nord, grâce aux surplus de production du sud.

Au XIIIe siècle, le canal connaît un nouvel apogée avec la dynastie Yuan. Il relie alors cinq des plus importants bassins fluviaux de l'espace chinois : les fleuves Jaune, Haihe, Huaihe, Yangtsé et Qiantang. Le Grand Canal est devenu, au fil des chantiers, un élément clé de la stabilité de la Chine. Cette gigantesque rivière artificielle assure la communication et le transport des troupes au sein de l'empire, mais surtout il permet chaque année, dès le XIIIe siècle, le transit de plusieurs centaines de milliers de tonnes de céréales par voie fluviale.

.            Le Grand Canal permit aussi des échanges culturels entre le nord et le sud de la Chine. Le canal fit forte impression aux premiers visiteurs de l'empire. L'explorateur italien Marco Polo (1254/1324), qui voyagea en Chine sous la dynastie Yuan mentionna les ponts avec arches du Grand Canal, ainsi que ses importants entrepôts et le commerce qu'il engendrait. Le missionnaire catholique romain Matteo Ricci voyagea de Nankin à Pékin par le canal à la fin du XVIe siècle.

.            Au fil des dynasties, une série de chantiers gigantesques pour améliorer le canal a fait de ce projet titanesque l'ensemble de génie civil le plus important de l'ère pré-industrielle. Vers le milieu du XIXe siècle cependant, le développement du transport maritime et l'ouverture des voies de chemin de fer Tianjin-Pukou et Pékin-Hankou réduisirent grandement le rôle du canal comme artère majeure de transport en Chine. D'importantes parties cessèrent d'être entretenues, s'envasant rapidement. Avec l'avènement de la République populaire de Chine en 1949, d'importants travaux de réhabilitation furent engagés sur le Grand Canal pour lui redonner une importance économique première.

Le Grand Canal est depuis 2014 le 46e lieu classé au patrimoine de l'Unesco.

Le canal de Corinthe, un rêve antique

.            Le canal de Corinthe est un vieux rêve : l'empereur Néron, déjà, rêvait d'unir le golfe de Corinthe à la mer Egée. Il lança une première tentative, en l'an 67, en exploitant 6.000 prisonniers juifs : elle fut abandonnée à sa mort, à peine un an plus tard.

Il faut dire que pour éviter d'avoir à contourner la péninsule du Péloponnèse, les navires grecs utilisaient jusque-là des diolkos pour la traversée de l'isthme de Corinthe, qui relie le golfe de Corinthe et le golfe Saronique. D'après les traces archéologiques, ces chemins dallés permettaient le transport des navires à l'aide de bers roulants, des chariots pourvus de roues. La tâche étant lente et difficile, la perspective de créer un canal pour permettre aux navires de transiter par voie fluviale paraissait d'autant plus séduisante.

.            Ce n'est qu'au XIXe siècle pourtant que ce projet titanesque verra enfin le jour. En 1881, le gouvernement grec lance les travaux : une société française, la Société internationale du canal maritime de Corinthe, dirigée par le général et ingénieur hongrois István Türr, est diligentée pour accomplir ce tour de force. Les travaux débutent le 29 mars 1882 et devaient durer cinq ans, mais les difficultés vont faire douter les investisseurs de la solvabilité de l'opération financière. La société n'arrive plus à lever des fonds à la Bourse de Paris à la suite de la faillite … de la Compagnie chargée du canal de Panama, le 4 février 1889. La société est en banqueroute en juillet 1889.

Les travaux s'arrêtent alors que les trois quarts seulement (8.200.000 m3) ont été terrassés. Une nouvelle société grecque sera constituée et reprendra la construction en 1890, pour excaver les 2.600.000 m3 de terres restants.

"L'inauguration du canal de Corinthe", par le peintre Constantinos Volanakis.

.            Le 25 juillet 1893, le canal de Corinthe est inauguré. Le navire français Notre-Dame du Salut, long de 110 m pour 13 m de large, est le premier à effectuer la traversée de ce canal.

Creusé à travers l'isthme de Corinthe, en Grèce, pour relier le golfe de Corinthe, dans la mer Ionienne, à l'ouest, au golfe Saronique, dans la mer Égée, à l'est, le canal de Corinthe fait donc du Péloponnèse une île. Il mesure 6.343 m de longueur et 24,60 m de largeur. La tranchée atteint une hauteur maximale de 52 m pour une profondeur de 8 mètres. Plus de 2.000 ans après avoir été imaginé, le canal de Corinthe permet enfin aux navires d'emprunter un passage sûr pour traverser la Grèce, en leur évitant un détour de 400 km autour du Péloponnèse.

Il est principalement utilisé au XXI° siècle par des navires de tourisme, plaisanciers et petits paquebots de croisière. Environ 11.000 navires empruntent cette voie chaque année.

Le canal de Panama, entre deux océans

.            Avec ses 77 kilomètres de long, le canal de Panama traverse l'isthme de Panama, en Amérique centrale, et relie l'océan Pacifique à l'océan Atlantique. Non seulement cet incroyable projet lie deux océans, mais il coupe physiquement en deux le continent américain.

.            Dès 1524, le roi Charles Ier d'Espagne souhaite épargner à ses navires un trajet de 11.000 kilomètres contraints de contourner l'Amérique du Sud et d’affronter le Cap Horn. Il envisage donc de relier les deux océans en traçant une voie maritime à travers le passage le plus étroit d'Amérique centrale.

.            En 1534, Charles Quint reprend l’idée : un canal à Panama faciliterait le voyage des navires allant au Pérou et en Équateur.

.            En 1698, le royaume d'Écosse se lança dans le projet Darién (Note) destiné à créer une voie commerciale terrestre, mais il fut abandonné en 1700 en raison des conditions inhospitalières.

Pour assurer un trafic de plus en plus intense vers la Californie, en particulier lors de la ruée vers l'or de 1849, un chemin de fer inter-océanique, long de 77 km, avait été mis en service au Panama le 27 janvier 1855, après cinq années de travaux qui coûtèrent la vie de 5.000 à 10.000 personnes. Ce fut le premier chemin de fer transcontinental (avant celui des Etats-Unis inauguré en 1869), mais cependant sans présenter les avantages d’une ligne maritime de bout en bout.

.            Au XIXe siècle, c'est Ferdinand de Lesseps, auréolé du succès du canal de Suez, qui tente en 1882 de s'attaquer à ce défi : persuadé de la réussite de son entreprise et malgré des fonds insuffisants, il souhaite construire un canal au niveau de la mer, sans écluse. Mais, la roche volcanique, trop dure, les ouvriers du chantier frappés par la malaria et la fièvre jaune, un tremblement de terre, les crues fréquentes du Rio Chagres, l’opposition géo-stratégique des Etats-Unis vont conduire l'ingénieur français à envisager de changer le schéma de construction pour adopter un système avec 10 écluses, un concept de Gustave Eiffel, qui, à sa demande, avait accepté de réétudier le projet. Celui-ci n’y voyait-il pas un énorme marché avec la construction de ces écluses métalliques ! Mais il est déjà trop tard. D'autant que pour compenser les difficultés de financement de sa compagnie, Ferdinand de Lesseps a lancé une souscription publique qui, sur fond de corruption, ruine des milliers d'épargnants français ; de nombreux parlementaires, les fameux « chéquards », dont Clemenceau lui-même, furent éclaboussés et Gustave Eiffel sera emprisonné. Lorsque le scandale de Panama éclate, le projet de construction du canal est abandonné. Le gouvernement français et les actionnaires de la Compagnie nouvelle autorisent la vente bradée des actions aux Etats-Unis.

Un plan du Canal de Panama réalisé à la fin du XIXe siècle par William Mackenzie.• Crédits : Print collector - Getty

.            Après l’abandon d’une variante d’un canal au Nicaragua, ce sont finalement les Etats-Unis qui reprendront le chantier. Le 3 novembre 1903, le président Theodore Roosevelt affirme de cette façon son soutien à l'indépendance du Panama, alors encore province colombienne. Le 18 novembre 1903, à New York, est signé le traité Hay-Bunau-Varilla, faisant du Panamá un protectorat. Les États-Unis héritent d’une bande de 10 miles (16 km) de large des deux côtés du canal, pour sa construction et son exploitation à perpétuité. La souveraineté dans la zone du canal leur revient, le Panama étant « exclu de l’exercice des droits souverains, pouvoir ou autorité ». Il leur est également concédé un droit d’ingérence permanent dans les affaires intérieures panaméennes, et la possibilité d’intervenir militairement en cas d’atteinte à l’ordre public. Cette clause prend force de loi lorsqu’on l’inclut dans la Constitution, rédigée avec la participation du consul américain William I. Buchanan, et promulguée le 20 février 1904.

.            Cette fois, le projet se fonde sur une étude réalisée en 1879 par l’ingénieur français Adolphe Godin de Lépinay qui avait été rejetée par Ferdinand de Lesseps. Le canal est pensé à 26 mètres au-dessus du niveau de la mer, grâce à un système composé de trois écluses alimentées par le lac artificiel Gatùn de 425 km2, créé grâce à un barrage sur le fleuve Rio Chagres.

Après plus de 10 années supplémentaires de travaux et finalement 32 ans de travaux pharaoniques commencés par les Français et terminés par les Américains, le 15 août 1914, le canal est ouvert. Plus encore que les avancées technologiques, ce sont les progrès en matière sanitaire qui ont permis d'achever sa construction : le drainage des marais et la fumigation des habitations ont permis de faire reculer les cas de malaria et de fièvre jaune qui affectaient terriblement les ouvriers, même si la construction en tant que telle du canal coûta la vie à plus de 5.600 travailleurs durant la période 1881-1889, une source américaine en 1912 estimant qu'il y a eu en réalité plus de 22.000 décès.

.            Une fois achevé, le canal devient un enjeu politique conséquent entre Panama et les Etats-Unis. Au cours des années 50, les Etats-Unis ne reversent que 2 millions de dollars sur les 50 millions que leur rapporte annuellement le transit maritime. Après de nombreuses négociations, et la répression d’une émeute le 09 janvier 1964, qui fit 27 morts, le général Omar Torrijos réussit à renégocier en 1977 l’accord sur la zone du canal (traités Torrijos-Carter). Le canal sera finalement rétrocédé au Panama le 31 décembre 1999 ; en contrepartie, les navires battant pavillon américain ont la priorité sur les autres bateaux.

Rendus nécessaires par la taille de plus en plus imposante des navires, des travaux réalisés entre entre 2007 et 2016 ont permis d'élargir le canal grâce à de nouvelles écluses. Un chantier toujours en cours devrait permettre de porter la capacité maximale de celui-ci à 510 millions de tonnes par an en 2025.

Sa construction a été l'un des projets d’ingénierie les plus difficiles jamais entrepris. Son influence sur le commerce maritime a été considérable, puisque les navires n’ont plus à faire route par le cap Horn et le passage de Drake, à la pointe australe de l’Amérique du Sud. Un navire allant de New York à San Francisco par le canal parcourt 9.500 kilomètres, moins de la moitié des 22.500 kilomètres du voyage par le cap Horn.

L'USS Missouri dans les écluses de Miraflores, canal de Panama, le 13 octobre 1945, alors qu'il est en route du Pacifique vers New York City pour participer aux célébrations du Navy Day.

.            Les deux tiers du fret qui transite entre les ports de Colon (Atlantique) et Panama (Pacifique) proviennent ou sont à destination des États-Unis et sont essentiellement le fait des États-Unis, de la Chine et du Japon. Durant l’année fiscale octobre 2020 / septembre 2021, l’Autorité du canal a comptabilisé 516 millions de tonnes ayant traversé l’isthme à bord de 13.342 navires, soit 36, voire 39/40 par jour, ce qui représente le record de trafic pour Panama et environ 5 % du commerce maritime mondial. Une progression du tonnage qui s’explique surtout par le fait que la taille des bateaux a considérablement grossi.

La route maritime auparavant limitée aux Panamax, transportant « seulement » 5 000 conteneurs, autorise, depuis 2019, avec sa voie d’eau élargie et ses nouvelles écluses, les plus gros porte-conteneurs, de la classe Post-Panamax (14.000 conteneurs sur un navire). Ces monstres des mers peuvent mesurer jusqu’à 366 mètres de long et 46 mètres de large.

Comment fonctionne le canal de Panama. (cliquer ce lien ou l’image)

.            Présenté comme la huitième merveille du monde lors de son ouverture, en 1914, le canal de Panama dispose d’un système d’écluses gigantesques. Il s’agit d’élever les navires à 26 mètres au-dessus de la mer, contrairement au canal de Suez, qui a été creusé au niveau zéro. Les écluses nécessitent donc d’importantes quantités d’eau, 200 à 250.000 m3 à chaque passage de navire, parfois à raison d’une quarantaine par jour en temps normal. Mais contrairement au Canal de Suez qui utilise de l’eau de mer, il est alimenté par l’eau douce du lac Gatun et du lac Alhajuela en complément. Cette singularité, saluée en son temps comme une prouesse technique, est devenue un talon d’Achille avec le changement climatique.

En juillet 2023, face au manque d'eau dû à la sécheresse et au phénomène El Niño, malgré la construction de réservoirs spéciaux pour réutiliser une partie de l’eau des écluses, l'ACP (Autorité du canal de Panama) a calculé qu’elle devait affronter un déficit quotidien de 3 hm3 (1 million de mètres cubes). Elle a donc, fin juillet, réduit le tirant d'eau à 44 pieds (13,4 mètres) et décrété une première limitation drastique du trafic, qui est alors passé à 32 bateaux quotidiens, puis à 29. Il sera progressivement être ramené à 18 en février 2024. Ces restrictions, outre qu’elles contraignent des armateurs à faire passer une partie de leurs cargaisons par le rail pour diminuer le tirant d'eau des navires, ont fait allonger les temps de transit de six jours et donc exploser les délais pour le passage des bateaux, avec une file d'attente qui a atteint jusqu'à 163 navires en août.

Au-delà des pays d’Amérique centrale, l’activité portuaire du monde entier est touchée par ricochet. En France, par exemple, les ports de l’Atlantique et de la mer du Nord ont vu leurs flux sortants diminuer de près de 10 % en raison du stress hydrique dont souffre le Panama.

Note : Le projet Darién (Darien Scheme) est la plus connue des tentatives coloniales écossaises, visant à développer le commerce entre les deux océans, qui vit périr entre 1698 et 1700 la quasi-totalité des 2.500 Écossais s'étant installés dans l'isthme de Panama, là où les pirates se réunissaient chaque année pour gagner le Pacifique par les rivières avec les Indiens Kunas. L'argent englouti dans ce projet échafaudé depuis quinze ans par Sir William Paterson, négociant parlementaire whig, représentait un cinquième des revenus écossais et l'indemnisation des actionnaires fut négociée en échange du rattachement de l'Écosse et de l'Angleterre en 1707 et de la création de la Royal Bank of Scotland.

Les détroits turcs

Dardanelles et Bosphore, des détroits emblématiques

.            Les Dardanelles et le Bosphore, couloirs maritimes étroits et sinueux situés de part et d’autre de la mer de Marmara, relient la mer Noire au bassin méditerranéen et ont constamment été, à ce titre, l’objet de conflits et de rivalités au cours de l’histoire.

Ce sont des détroits emblématiques, les « Détroits » par excellence, et ont longtemps été désignés ainsi, avec une majuscule et sans qualificatif, du fait du rôle important qu’ils ont pu jouer dans les relations internationales de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle. Par leur configuration (enfilade de deux détroits successifs de part et d’autre d’une mer intérieure, la mer de Marmara) comme par leur position à la charnière de l’Europe et de l’Asie, ils constituent un objet géographique particulièrement complexe.

Les Détroits turcs apparaissent comme deux longs couloirs maritimes, étroits et sinueux, de part et d’autre de la mer de Marmara. Les courants marins complexes, les brouillards fréquents et les vents de secteur nord dominants imposent des conditions difficiles à la navigation et la grande taille des navires modernes rend plus périlleuse encore les manoeuvres dans ces couloirs maritimes sinueux et de profil transversal irrégulier.

.            Le détroit des Dardanelles (l’Hellespont de l’Antiquité), s’étire sur quelque 61 km, de la mer Egée au sud-ouest à la mer de Marmara au nord-est, est large de 1,2 à 6 km, avec une profondeur maximale de 103 m, pour une moyenne de 55 m. Il s’élargit ensuite en entonnoir vers la mer de Marmara, « petit bassin » maritime fermé.

La construction du pont suspendu Çanakkale 1915 (en référence à la victoire navale de Gallipoli), le plus long pont suspendu du monde (4.608 m) reliant Gelibolu (Europe) à Lapseki (Asie), avec une structure de 3.563 mètres, d’une portée de 2.023 mètres (une allusion à l’année du centenaire de la République turque), a débuté en mars 2017 pour franchir le détroit des Dardanelles. Il a été inauguré le 18 mars 2022 (date qui commémore la victoire navale des forces ottomanes, le 18 mars 1915, face aux Alliés dans la bataille des Dardanelles de Gallipoli). Ce pont est le premier à enjamber ce bras de mer, frontière naturelle entre l’Europe et l’Asie. Il vient s’ajouter aux trois autres ponts stambouliotes faisant le trait d’union entre les deux continents et permettra de relier la Thrace orientale à l’Anatolie en contournant Istanbul.

.            Le détroit du Bosphore (Bosporos [le passage de la vache] dans l’Antiquité) relie la mer de Marmara à la mer Noire. À son entrée méridionale, il reçoit à l’ouest un vaste bras de mer, puis se rétrécit peu à peu jusqu’à son point le plus étroit et décrit ensuite deux coudes avant de s’élargir jusqu’à son débouché sur la mer Noire. Long de 32 kilomètres pour une largeur allant de 698 à 3.000 mètres, il sépare les deux parties anatolienne (Asie) et rouméliote (Europe) de la province d'Istanbul.

En juin 2021 a été lancé le projet « Canal Istanbul », gigantesque canal de 45 km parallèle au détroit du Bosphore, pour une profondeur de 21 mètres et une largeur de 275 mètres. Il permettra le passage quotidien de 160 navires de fort tonnage. Un autre intérêt est dans la construction associée de projets urbanistiques devant permettre d'« accroître l'attractivité d'Istanbul comme métropole globale ».

.            Du fait de leur configuration physique, les Dardanelles et le Bosphore conjuguent deux rôles dans la circulation générale : une circulation maritime longitudinale par le seul débouché de la mer Noire sur le bassin méditerranéen, mais aussi une circulation terrestre transversale, au prix d’une brève traversée, entre l’Europe et l’Asie dont ils marquent depuis l’Antiquité la limite à forte charge symbolique.

Plutôt que d’un trafic, il faut donc parler de plusieurs trafics qui interfèrent. D’abord le trafic national de cabotage, le trafic de desserte du port d’Istanbul, et aussi le trafic local de traversée des détroits. Chaque matin, environ un million d'habitants de la rive anatolienne, soit près du quart de sa population, empruntent quelque 150 navires, publics ou privés, pour aller travailler dans l'Istanbul européenne.

Mais le Bosphore et les Dardanelles constituent surtout une voie maritime internationale dont le trafic croissant est perçu à la fois comme une richesse par les acteurs économiques et comme une menace par les riverains. Sans parler du trafic militaire, le trafic marchand de transit est de plus en plus dense, surtout depuis l’ouverture en 2001 d’un nouveau terminal russe sur la mer Noire (à Novorossisk). 520 millions de tonnes ont transité en 2019, avec un nombre de bateaux de haute mer atteignant 41.000.

Une circulation difficile et dangereuse

.            Cette augmentation notable du trafic et le changement de nature de celui-ci depuis 1936, avec la part prise par les tankers et autres méthaniers (que l’on peut estimer à la moitié du tonnage total), fait de ce trafic une réelle source de menaces pour les riverains. Avec le développement des pays riverains de la mer Noire, ces détroits arrivent souvent à saturation. Ils constituent un risque permanent de congestion du trafic et surtout de pollution en cas d'accident, pour les 60.000 navires environ qui y passent chaque année. Le danger est aggravé par la nature des millions de tonnes d'hydrocarbures qui y transitent chaque année.

La menace constituée par le trafic de transit « sensible » n’est pas seulement potentielle, elle est effective. Le risque d’accident est réel (une cinquantaine par an). La circulation est notamment interdite la nuit, la taille des navires est limitée et l’Organisation maritime internationale (OMI) conseille expressément l'embarquement d'un pilote, et pour les grands navires, l'utilisation d'un remorqueur d'escorte. Ceci ne concerne toutefois que les navires de commerce effectuant un transit sans escale ou mouillage. Pour les navires à destination d'un port ou d'un mouillage dans la zone des détroits, l'accès est soumis à la réglementation Turque, et le pilotage est donc obligatoire.

Pour soulager le passage annuel de quelque 10.000 pétroliers, une solution alternative serait envisagée : un pipeline sous la mer Noire passant par la Bulgarie et la Grèce, vers la mer Egée.

Des détroits disputés au cours de l’histoire

.            Originellement, le termes de « Dardanelles » (et d'« Hellespont ») désignait les régions situées de part et d'autre du détroit. Par extension, le mot désigne aujourd'hui le détroit lui-même.

.            La théorie liant le déluge à la mer Noire (publiée en 1997 par William Ryan et Walter C. Pitman, de l'Université Columbia) fait valoir que le Bosphore aurait été formé autour de 5600 av. J.-C.

.            En 667 av. J.-C., des colons de Mégare fondent la cité de Byzance sur le détroit. En 481 av. J-C., Xerxès Ier, roi de Perse, fit relier les rives du détroit par un pont de bateaux pour permettre à son armée d'envahir la Grèce. Ce pont de bateaux fut jeté depuis la ville d'Abydos, en un point où le détroit se réduit à 7 stades (environ 1.200 mètres). La construction nécessita l'utilisation de 674 bateaux maintenus ensemble par des cordes et formant deux bras obliques de 314 et 360 navires.

.            Il n’est pas étonnant que les détroits aient accueilli d’importantes agglomérations urbaines. Le premier site majeur fut celui de Troie, sur la rive asiatique au débouché des Dardanelles sur la mer Égée. La composante terrestre de la situation de Byzance l’a ensuite emporté avec la conquête romaine, et encore plus nettement à partir du IVe siècle de notre ère, quand l’empereur Constantin décida en 324 d’y établir sa capitale, la Nouvelle Rome à laquelle la postérité donna le nom de Constantinople. Pendant 16 siècles, la cité du Bosphore se trouvera successivement à la tête de trois vastes empires continentaux.

.            Après la chute de Constantinople, les rives asiatiques des détroits du Bosphore et des Dardanelles passèrent sous domination de l’Empire ottoman. Après Byzance et Constantinople, en 1453 la capitale fut appelée Istanbul. Puis les Ottomans prirent pied sur la rive nord européenne des Dardanelles. Désormais, fut appliquée une règle fondamentale du droit public ottoman, à savoir la fermeture à la navigation étrangère de la mer Noire, considérée comme une mer intérieure par le pouvoir ottoman. Toutefois les Vénitiens furent autorisés à y circuler pour commercer (en 1479, 1482, 1513 et 1521) mais l'autorisation fut révoquée en 1540.

           Tant que la mer Noire fut plus ou moins un « lac ottoman », le rôle militaire des Détroits passa au second plan. La décision de fermeture de la mer Noire commença à être compromise à partir du début du XVIIIe siècle à la suite de l'expansion de la Russie vers la mer Noire. Avec le traité de Karlowitz du 26 janvier 1699, la Sublime Porte accepta de céder à la Russie le littoral de la mer d'Azov. La persistance de la poussée de l’Empire russe au cours du XVIIIe siècle, aboutit au traité de Kutchuk Kaynardji de 1774 par lequel, d’une part, l’Empire ottoman abandonnait toute la rive septentrionale de la mer Noire et, d’autre part, la Russie obtenait la liberté de navigation pour ses navires marchands dans la mer Noire et à travers les Détroits.

.            Le traité des Dardanelles, signé le 5 janvier 1809 entre l’Empire ottoman et l’Angleterre, constitue un tournant dans l’histoire des détroits. Par son article 11, la couronne britannique promettait de respecter le principe, connu sous l’appellation d’« ancienne règle de l’Empire ottoman », selon lequel les détroits du Bosphore et des Dardanelles sont fermés aux bâtiments de guerre étrangers, « tant que la Sublime Porte se trouve en paix ».

La bataille des Dardanelles (bataille de Gallipoli) opposa l'Empire ottoman, allié de l’Empire allemand, à la Triple Entente (France, Empire russe et Royaume-Uni avec, en particulier, les troupes australiennes et ANZAC) en 1915. Pour pouvoir ravitailler la Russie alliée, le contrôle des Détroits était indispensable. Les occidentaux perdirent cette bataille. L'affrontement est resté célèbre car il marqua le début de l'ascension de Mustafa Kemal, le premier président du pays et fut également un élément fondateur de l'identité nationale turque. La Russie finira par sortir du jeu à la suite de la révolution de 1917, laissant le champ libre au projet d’une internationalisation et d’une démilitarisation desdits détroits, qui furent entérinées par le traité de Sèvres en 1920.

La Première Guerre mondiale conduit à l’internationalisation des détroits turcs

.            À l’issue de la Première Guerre mondiale, et la défaite de l’Empire ottoman, les Détroits furent placés sous le contrôle d’une Commission internationale des Détroits. Puis, après la victoire turque dans la guerre gréco-turque de 1920-1922, le traité de Lausanne de 1923 conservera le principe de l’internationalisation et de la libre circulation associée, mais en rétablissant toutefois la souveraineté turque, ainsi que la possibilité d’une remilitarisation en temps de guerre.

A noter que le traité de Lausanne du 24 juillet 1923 (qui remplace le traité de Sèvres du 10 août 1920 qui mettait fin à la Grande Guerre en ce qui concerne l’Empire ottoman) fixe également les frontières de la nouvelle Turquie et solde la « question d’Orient », l’expression utilisée par les diplomates du XIXe siècle pour désigner l’implication des puissances européennes dans le démembrement de l’Empire ottoman, depuis l’échec de la prise de Vienne par les armées du sultan en 1683.

.            En 1936, la convention de Montreux, signée en 1936 par, la Bulgarie, la Grèce, le Japon, la France (qui en est la dépositaire), la Roumanie, le Royaume Uni, la Turquie et les défuntes URSS, et Yougoslavie, remplace le traité de Lausanne pour la gestion des détroits et définit les bases du système actuel : la Turquie retrouve la pleine souveraineté sur les deux rives, donc le contrôle des Détroits. La Commission internationale est supprimée; les navires de commerce ont le droit de libre circulation de jour comme de nuit, tandis que le passage des navires de guerre en temps de guerre est interdit, sauf en exécution d’une décision de la Société des Nations ou d’un accord auquel la Turquie serait partie prenante.

La France et la Grande-Bretagne n’ayant pas pris le risque de pousser la Turquie dans les bras de l’Allemagne en cas de conflit, ont par ce traité fait d’Ankara la seule maîtresse des Détroits, avec la possibilité de les remilitariser, même si la libre circulation reste la règle. Elle permet par ailleurs à la Turquie de fermer les détroits à tout bâtiment étranger en cas de conflit, ainsi qu’à tout navire d’une puissance avec laquelle elle serait en guerre.

.            Dès l’émergence de la Russie en tant qu’empire, la question de l’accès aux mers chaudes, c’est-à-dire libres de glaces toute l’année, s’imposait en effet comme cruciale. Il s’agissait de faire jeu égal avec les grandes thalassocraties, à commencer par l’Angleterre. À cette fin, l’objectif ultime a longtemps été la conquête des détroits turcs, qui lui auraient donné un accès libre à la Méditerranée.

Après la Seconde Guerre mondiale, prenant le prétexte de la visite du cuirassé américain USS Missouri en 1946, l’Union soviétique va tenter à son tour d’obtenir une révision de la convention de Montreux en sa faveur, provoquant la crise des détroits turcs. Cet épisode se solde par l’entrée de la Turquie, neutre jusque-là, dans l’OTAN en 1952. Moscou renoncera à ses revendications en 1953.

Les détroits turcs, plus stratégiques que commerciaux

.            Les détroits turcs sont stratégiques pour l’accès à la mer Noire. Ils sont considérés comme des eaux internationales pour les navires de commerce, et la Turquie n'a pas le droit de restreindre leur usage en temps de paix. Les autorités maritimes turques peuvent inspecter les navires pour des raisons sanitaires ou de sécurité, imposer des droits de passage, mais n'ont pas le droit de leur interdire le franchissement du détroit. Toutefois, en temps de guerre, la Turquie peut restreindre l'accès au détroit.

La convention à l’épreuve des conflits armés

.            La période de la guerre froide a redonné une grande importance stratégique aux Détroits, car la Turquie, base avancée de l’alliance atlantique face à l’Union Soviétique, a installé de vastes zones militaires à l’entrée nord du Bosphore de façon à en faire un véritable verrou de la Méditerranée.

Quant à l’utilisation des Détroits en cas de conflit armé, le principal précédent qui existe est celui du conflit en Géorgie survenu en 2008, l’épisode criméen de 2014 n’ayant pas eu d’incidence en la matière. La Turquie, qui ne s’était pas encore rapprochée de la Russie, avait alors bloqué le passage des navires américains dont le tonnage excédait les limites prévues par la convention (un État non riverain ne peut maintenir, sur la mer Noire, qu’une flotte de 45 000 tonnes au maximum).

Dans le cas de l’invasion de l’Ukraine (2022), la fermeture du détroit semble avantager par défaut la Russie, dont la marine peut opérer en mer Noire sans être gênée par d’autres, même si elle n’a plus la possibilité d’envoyer de renforts depuis la Méditerrannée. Cette situation n’est pas sans rappeler, toute proportion gardée, celle de la Seconde Guerre mondiale, où la Turquie avait fait de même, ce qui avait limité fortement les possibilités pour les forces de l’Axe d’attaquer l’URSS.

Le canal d’Istanbul, un potentiel trouble-fête

.            Le projet du canal d’Istanbul, lancé en 2011 pourrait entrer en conflit avec la convention de Montreux, notamment au sujet de la libre circulation qui induit l’absence de péages. Son intérêt premier reste de créer un passage alternatif au Bosphore, qui constitue une zone à risque où les accidents sont fréquents, l’un des plus spectaculaires de ces dernières années étant la destruction accidentelle en 2018 d’une villa ottomane par un vraquier.

Par ailleurs, ce projet divise énormément en Turquie. Ainsi, plusieurs amiraux ont été arrêtés en avril 2021 pour avoir signé une tribune dénonçant l’idée de ce canal et mettant en doute sa compatibilité avec les dispositions de la convention. Mais en réalité, il est pour l’instant peu probable qu’il voie le jour dans un futur proche, la crise économique que subit la Turquie risquant certainement d’avoir raison de ce projet pharaonique, sur lequel pèsent par ailleurs de nombreuses hypothèques techniques, à commencer par celle du risque sismique.

Du reste, en matière militaire, il n’aurait pas d’incidence directe dans la mesure où les navires seraient toujours obligés de passer par les Dardanelles, et n’échapperaient donc pas à la convention, quelle que soit l’interprétation du texte appliquée au canal d’Istanbul.

Du Canal des Pharaons au Canal de Suez

Son histoire ancienne

.            Les pharaons avaient leur canal qui a disparu au fil des siècles. Peu de sources subsistent, mais dès l'Egypte antique, vers 1850 av. J.-C., selon Aristote, le pharaon Sésostris III aurait ainsi fait creuser un canal permettant de relier la mer Rouge au Nil, et donc à la Méditerranée pour commercer avec le pays de Pount, « le pays du dieu », à la localisation encore incertaine, des confins de l’Érythrée et du Soudan au nord de la Somalie. Ce premier projet donna naissance à une voie d’irrigation reliant le golfe de Suez à l’un des bras du delta du Nil. Régulièrement ensablé, le canal sera restauré à plusieurs reprises par différents pharaons, avant de disparaître.

Durant l’occupation perse et le règne de Darius Ier, de -521 à -486, il est recreusé. Puis Ptolémée II Philadelphe, roi d’Egypte de -283 à -246, va l’élargir et permettre aux eaux du Nil et de la mer Rouge de se rejoindre.

Plus tard, appelé "fleuve de Trajan", il fut très utilisé par les Romains dans le commerce maritime avec le monde arabe, les Indes et la Chine. A la chute de l’Empire romain, le canal est délaissé, ensablé et presque détruit. Il sera restauré en 639 par le gouverneur d’Égypte Amr ibn al-As, qui s’en sert pour ravitailler les villes saintes de La Mecque et de Médine et permettre aux Arabes de conquérir l'Égypte. Au VIII° siècle, pour isoler Médine qui, se révolte contre Abou Djafar al-Mansûr, calife abbasside de 754 à 755, fondateur de Bagdad, celui-ci ordonne de faire combler le canal, qui disparaît sous des tonnes de sable.

Huit cents ans plus tard, le sultan ottoman Murad III (1546-1595) envisagea de lancer un chantier de reconstruction, mais y renonça faute de moyens.

Lorsque, entre 1789 et 1801, lors de sa campagne d'Egypte, Napoléon Bonaparte envisage de percer à son tour l'isthme de Suez, il charge l'un de ses ingénieurs de vérifier l'existence de ces anciennes voies d'eau. Trait d'union entre l'Occident et l'Orient, la perspective de ce canal devient un enjeu stratégique convoité.

Sa construction

.           Le Français Ferdinand de Lesseps est nommé vice-consul en 1832, puis consul général à Alexandrie, en 1835, Dès cette époque, adepte des idées du philosophe Saint-Simon (1760-1825) pour qui le progrès technique est facteur de progrès humain, Lesseps se prend de passion pour le creusement de ce qu’on appelait alors le « Canal des deux mers », qui fait l’objet de plusieurs projets.  Ce fils de diplomate s’est lié d’amitié avec Méhémet-Ali, alors vice-roi d’Egypte, province ottomane indépendante, au point que ce dernier lui confie l’éducation d’un de ses fils, Saïd.

En 1854, Saïd Pacha devient gouverneur de l'Egypte. De grande culture occidentale, il appelle l’entrepreneur Ferdinand de Lesseps. Le 7 novembre de cette même année, celui-ci débarque à Alexandrie et présente un mémoire sur le canal de Suez qu’il fait traduire en arabe. C’est alors tout naturellement que Said accorde le 30 novembre 1854 à « son ami Ferdinand de Lesseps » le pouvoir de constituer une compagnie « pour le percement de l’isthme de Suez et l’exploitation pendant 99 ans d’un canal entre les deux mers ».

.           Mais Lesseps n’est pas au bout de ses peines. Quatre ans vont s’écouler avant le premier coup de pioche ! Deux alliés font en effet tout pour faire capoter le projet : les empires ottoman et britannique. Le sultan Abdul-Medjid a d’abord toutes les raisons d’être vexé : son vassal, le vice-roi d’Egypte, a autorisé le creusement du canal sans son accord express. Le Turc conteste donc la valeur de son édit (ou firman). La Grande-Bretagne, qui a jusqu'ici privilégié le développement d'un réseau ferré, agit, elle, en sous-main pour empêcher la présence de la France dans cette région stratégique sur la route des Indes. S’ajoute l’inconnue financière : Lesseps n’a pas un sou et doit faire appel à l’épargne universelle.

Diagramme du Canal de Suez dessiné en 1869.• Crédits : "Appleton's Journal of Popular Literature, Science, and Art"

.        Ferdinand de Lesseps crée donc la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, dont l’Égypte détient 44 % des parts. Les 400.000 actions mises sur le marché en novembre 1858 au prix de 500 francs trouvent preneur en quelques jours parmi les petits porteurs français qui en achètent la moitié, le reste revenant en partie à des actionnaires britanniques.

.        Le chantier démarre le 25 avril 1859. Dès le mois de juin, encouragé par les Britanniques, le sultan ottoman Abdul-Medjid ordonne leur suspension. Appuyé par Napoléon III, Lesseps passe outre. Le dragage des sols débute près du lac Menzaleh, au milieu d’une terre aride où doit s’élever Port-Saïd, ainsi nommé en l’honneur du vice-roi d’Egypte. Flatté, ce dernier brave son suzerain en fournissant 10.000 hommes de corvée, auxquels s’ajoutent des travailleurs libres recrutés dans les villages, payés 40 centimes le mètre cube déblayé.

Au total, 25 000 ouvriers fellahs arrachés à leurs terres peinent journellement sur les flancs du futur canal. Soumis à la « corvée », ils souffrent sous le coup des fortes chaleurs et des épidémies, pour creuser en plein désert ce trait d’union entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

Les ouvriers creusant à l’aide d’outils rudimentaires la terre argileuse sur le chantier du canal, qui a commencé en 1859 pour s’achever en 1869. La vie de milliers d’hommes a été sacrifiée à ce projet.

.            A la mort de Saïd en 1863, le nouveau vice-roi Ismaïl Pacha, plus enclin que son prédécesseur à obéir aux Turcs, exige la rétrocession des terrains concédés par son prédécesseur. Deux ans de procès et de négociations s’ensuivent, aggravés par les manoeuvres dilatoires du Foreign Office. En avril 1865, un compromis est en vue : la Compagnie de Suez rendra les terrains et ne fera plus appel à la corvée, moyennant une indemnité et la conservation de 10.000 hectares pour l’exploitation du canal maritime. Las ! En juin de la même année, le chantier doit faire face à une épidémie de choléra qui décime 200 personnes, dont un des fils de Lesseps.

Pour couronner le tout, le manque d’argent oblige le Français à se lancer dans une tournée de conférences épuisantes pour convaincre des actionnaires désormais frileux. Car si la compagnie génère un modeste revenu en faisant transiter des petits navires par le canal qui sert à alimenter le chantier en eau douce, les gains sont loin de couvrir les dépenses colossales. Les catastrophes se sont enchaînées. La dernière en date : la présence d’un banc rocheux qui réduit la profondeur au kilomètre 93 et interdit la traversée aux gros tonnages. L’info s’ébruite : de 600 francs, l’action de la compagnie s’effondre à 300 !

.            Malgré tout, le canal, d'une longueur de 175 km, 52 mètres de large et 14 mètres de profondeur est achevé en 1869, dix ans après le début des travaux. Près de 1,5 million d'égyptiens, mettant en œuvre de nouvelles méthodes de terrassement, de percement, de remblaiement, d'élargissement …, ont participé à ce chantier, dont la propriété est partagée entre l'Egypte et la France.

.            Le rêve pluri-centenaire de relier la Méditerranée à la mer Rouge est enfin réalisé. Du 17 au 20 novembre 1869, le canal de Suez est inauguré en grande pompe sur fond de rivalités entre les Britanniques et les Français. A Ismaïlia, la ville-champignon qui a poussé à l’entrée du canal, on fait un triomphe au « Français Lesseps ». Les festivités sont présidées par l’impératrice Eugénie. Elle vogue sur le navire l’Aigle qu’accompagnent une cinquantaine de yachts bourrés de têtes couronnées : l’émir Abl el-Khader, l’empereur d’Autriche François-Joseph, le prince et la princesse des Pays- Bas … Un bal avec 5.000 personnes a été organisé, accompagné d’un dîner préparé par 500 cuisiniers venus d’Europe. Furieuse, la Grande-Bretagne a boudé les cérémonies en ne s’y faisant représenter par aucun membre de sa dynastie.

Pour l’occasion, le khédive égyptien, Ismaïl Pacha a commandé l’opéra Aïda à Giuseppe Verdi. Il a été représenté pour la première fois, le 24 décembre 1871, au nouvel opéra du Caire, construit pour l'occasion. Verdi estimant que le public ne serait pas populaire (pas d’Égyptiens) et allait être constitué par une sorte d'aristocratie à l'allure mondaine n’y participa pas ! Le théâtre avait été inauguré le 1er novembre 1869, par une représentation de Rigoletto.

La cérémonie d’ouverture du canal de Suez, le 17 novembre 1869, à Port-Saïd, en Égypte.

.Son histoire moderne

.           L’Égypte, surendettée, fait banqueroute en 1875, et l’Angleterre en profite pour occuper le pays en 1882. Ismaïl devra céder ses parts au Royaume- Uni, au prix d’aubaine de 4 millions de livres, soit dix fois moins que leur valeur réelle ! Par cet incroyable tour de passe-passe orchestré par le Premier ministre Disraeli, le canal de Suez, financé en partie par les actionnaires français et dont l’Etat britannique a tout fait pour entraver le percement … devient sa propriété à vil prix ! Pour tenter de régler ce différend, la convention de Constantinople affirmera le 29 octobre 1888 la neutralité du canal, déclaré "libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon"

.           Le roi Fouad Ier meurt en 1936 et Farouk lui succède le 28 avril. Alarmé par l’invasion de l'Éthiopie par l'Italie fasciste le 05 mai 1936, il accepte de signer le traité anglo-égyptien le 26 août 1936. L’Egypte qui depuis 1922 était un royaume avec une autonomie limitée accède ainsi à une quasi-indépendance. Il fut ainsi établi que le Royaume-Uni évacuerait toutes les troupes britanniques présentes sur le sol égyptien, à l'exception des dix mille hommes nécessaires à la protection du canal de Suez et de ses rives, quand bien même il était administré par une compagnie française.

.           Devenue indépendante le 18 juin 1953, le deuxième président de la république Gamal Abdel Nasser, nationalise, le 26 juillet 1956, le canal symbole de la fierté nationale retrouvée. Le Royaume-Uni, la France et Israël s'estiment floués : nombre de leurs ressortissants étaient actionnaires de ce canal. Trois mois plus tard, les trois nations lancent conjointement une opération militaire baptisée "Opération mousquetaire", dans l'espoir de récupérer le Canal de Suez. Mais, sans le soutien des États-Unis, de la Russie et de l’Onu, elle se solde par un échec.

En juillet 1956, l’Égypte fête le général Nasser, qui vient d’annoncer la nationalisation du canal et la mise sous séquestre des biens de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez fondée par Ferdinand de Lesseps.

.           Après que l’Égypte eut décrété le blocus des navires israéliens dans le détroit de Tiran, Israël déclenche une offensive : c’est la guerre des Six-Jours (05 / 10 juin 1967), au terme de laquelle l’armée israélienne occupe, dans le Sinaï, sa rive orientale. L’armée égyptienne tente la reconquête avant de rebrousser chemin lors de la guerre du Kippour (06 / 24 oct. 1973).

La navigation sera ainsi gelée de 1967 à 1975. 14 navires de différentes nationalités se retrouvent ainsi pris au piège sur le Grand Lac Amer que traverse le canal. Une immobilité forcée qui verra les bateaux se couvrir du sable apporté par le vent et vaudra à cette armada le surnom de "flotte jaune". Il aura fallu attendre huit ans pour que la navigation puisse reprendre sur le canal après le déminage en juin 1975.

Carrefour stratégique, tant sur le plan militaire que politique et économique, le canal revient sur le devant de la scène en 2015, quand le président al-Sissi lance un chantier titanesque pour doubler sa capacité de navigation. Une nouvelle voie, longue de 72 kilomètres, large de 320 mètres et profonde de 24 mètres est créée. Grâce à elle, le temps de traversée passe de vingt-quatre heures à douze heures.

Le porte-avions américain «USS Dwight D. Eisenhower » sur le canal de Suez, zone hautement stratégique sur le plan militaire.

Suez, un canal irremplaçable ?

.            A sa construction au milieu du XIXe siècle, le canal de Suez constitue un exploit technique et une hypothèse sur l’essor de la navigation à vapeur entre la Méditerranée et la mer Rouge. Le canal est en fait un pari d'envergure : il est avant tout pensé pour les navires à moteur alors que seulement 5 % des bateaux fonctionnent alors à la vapeur.

.            Aujourd'hui, sa longueur est de 162 km, entre Port Saïd (côté Méditerranée) et Suez (côté Mer Rouge) et 193 km en tenant compte des chenaux d'accès, sa largeur entre 280 et 345 mètres (navigable entre 150 et 260 m) et sa profondeur de 22,5 mètres (navigable de 14,5 à 23,5 m). Ce canal à niveau (sans écluse) relie donc la Méditerranée à l'isthme de Suez en passant par trois lacs naturels. La vitesse de transit est de 6 à 9 noeuds (11 à 16 km/h) et la durée de transit varie de 12 à 16 h, en tenant compte des temps de mouillage pour le croisement des convois.

La route entre l'Europe du Nord et l'Asie est ainsi raccourcie d'environ 4.300 milles (soit 7.000 km) en épargnant aux navires le contournement de l'Afrique au large du Cap de Bonne-Espérance. Ce gain se traduit par une réduction du temps de navigation sur la totalité de la route de l’ordre de 7 à 8 jours pour un porte-conteneur ou un pétrolier géant, dont la vitesse moyenne est de 25 noeuds (25 milles/h).

Le canal est devenu une route maritime commerciale incontournable. : les trois quarts des marchandises échangées entre l’Europe et l’Asie l’empruntent et il concentre de 10% à 12% du commerce maritime international. Le tonnage transporté entre 1980 et 2017 a presque été multiplié par quatre, bien que le nombre de navires ait légèrement diminué. Selon les statistiques de navigation de l'Autorité du canal de Suez, 18.880 navires, d'un tonnage total de 1,2 milliard de tonnes, ont franchi le canal en 2019, dont 5.163 pétroliers (240 millions de tonnes), 750 navires GNL (85 millions de tonnes), 4.200 vraquiers (160 millions de tonnes), 1.499 transporteurs de marchandises diverses (17 millions de tonnes), 5.375 porte-conteneurs (635 millions de tonnes), 222 navires Ro-Ro (6,5 millions de tonnes), 881 transporteurs de voitures (56 millions de tonnes), 105 navires à passagers (5,5 millions de tonnes) et 685 autres navires divers (4,5 millions de tonnes). Ainsi, les porte-conteneurs (30% du volume mondial des conteneurs maritimes), les pétroliers et les vraquiers ont représenté la majeure partie des navires ayant franchi le canal de Suez en 2019.

.            En moyenne, le ticket de transit par le canal de Suez est estimé à 420.000 euros, faisant tout de même économiser environ 210.000 euros par voyage, et rapporte annuellement à l’Etat égyptien plus de 7 milliards de dollars de recettes, la troisième source (20%) de revenus du pays. Un montant que l'Égypte espère voir bondir d’ici à 2023, grâce aux travaux d’agrandissement.

.            Les nouvelles infrastructures permettent de franchir le canal en onze heures, des améliorations indispensables pour s’adapter à des bateaux de plus en plus imposants. Un chemin qui devient de plus en plus périlleux dont seuls les mille pilotes égyptiens de l’Autorité du canal, qui prennent les commandes de chaque bateau, savent éviter les pièges.

La mondialisation à l’épreuve des canaux

.            75 incidents de navigation, dont 25 échouements et 21 pannes de machine, ont été signalés dans le canal de Suez au cours de la dernière décennie. Plus d'un tiers (28) impliquent des porte-conteneurs.

.            L’Ever-Given, est un porte-conteneurs appartenant à la compagnie taiwanaise Evergreen Marine Corporation (EMC), immatriculé au Panama, avec un équipage enrôlé par une entreprise allemande. Ce navire de 220.000 tonnes, long de 400 mètres, construit en 2018 au Japon avec 11 autres, était chargé de 18.300 conteneurs, dont la valeur des marchandises transportées transportées (thé, meubles, ordinateurs, …. 130.000 moutons, …) était de 750 millions de dollars. Le 23 mars 2021, il a encastré sa proue dans la rive est du canal pendant une tempête de sable et s’est retrouvé en travers du canal, le bloquant pendant 10 jours et immobilisant 422 navires chargés de 26 millions de tonnes de marchandises. Le sauvetage nécessita le dragage de 30.000 m3 de sable, l’aide de 13 remorqueurs et une marée montante. Chaque jour d’immobilisation a entraîné (selon l’assureur !) des pertes de 6 à 10 milliards de dollars. L’Égypte de son côté aurait perdu entre 12 et 15 millions de dollars par jour de fermeture du canal. Cette mésaventure aura bouleversé pendant deux semaines le cours du commerce international.

.            Il a donc suffi d'un navire pour empêcher 12 % du commerce mondial avec des conséquences économiques dommageables importantes quand, paradoxalement, ces canaux creusés de main d'homme ont toujours eu vocation à faciliter le transport maritime. Le blocage du canal a fortement désorganisé les approvisionnements occidentaux, en particulier la livraison des composants électroniques dont les marchés sont à flux tendu et à sens unique d’est en ouest. Cette affaire de porte-conteneurs ensablé met en évidence l’un des risques de la mondialisation avec sa dépendance au commerce maritime mondial et des voies maritimes étroites que sont les canaux et certains détroits.

           La maîtrise de la fiabilité de la chaîne risque de devoir être revue. Certains armateurs y pensent déjà. Deux des premiers opérateurs mondiaux de porte-conteneurs, le danois Maersk et l'allemand Hapag-Lloyd envisagent de reconsidérer pour les trajets Asie / Europe le contournement du continent africain pour éviter les risques du canal même si le trajet est rallongé de deux semaines.

.            La route Arctique, un raccourci stratégique de 4.500 km, qui se dégage peu à peu, va devenir des plus stratégiques.

 

L’Arctique

.            La fonte de la calotte arctique, ce changement environnemental négatif, pourrait cependant avoir un impact positif sur le commerce maritime, avec l'ouverture de nouvelles routes navigables bien plus courtes, réduisant dans le même temps le bilan carbone de ce type de transport.

D'ici 2065, la navigation dans les eaux de l'océan Arctique sera très probablement grandement facilitée, avec notamment l'ouverture de nombreux passages qui permettront aux navires de passer plus librement par le nord au lieu d'emprunter le canal de Suez ou celui du Panama. Un passage par les eaux arctiques raccourcirait considérablement le chemin par rapport à ces routes maritimes habituelles. Passer par l'Arctique réduirait en effet de 30 à 50 % la longueur du trajet face aux routes passant par Suez ou Panama, le temps de trajet étant ainsi réduit de 14 à 20 jours.

Qui dit chemin plus court, dit coût de transport réduit, mais également bilan carbone plus faible. Du point de vue de l'émission des gaz à effet de serre, elle pourrait être diminuée de 24 % pour chaque trajet.

.            Mais la diversification des routes navigables va nécessiter que soit rapidement mis en place un cadre légal et environnemental pour la navigation dans les eaux arctiques. Car l'ouverture de cet océan pourrait également avoir de fortes implications géopolitiques.

.            Actuellement, il existe bien un passage par le nord, contrôlé par la Russie, qui a autorité pour réguler le passage au large de ses côtes. L'article 234 du Droit de la mer, établi en 1982 par l'ONU, stipule en effet que, pour assurer la prévention, la réduction et le contrôle de la pollution marine par les navires, les pays ayant une ligne de côte à proximité des routes maritimes arctiques ont la capacité d'y réguler le trafic maritime, du moins tant que la région reste couverte par les glaces la majorité de l'année.

Or, la Russie utilise depuis longtemps ce droit dans son propre intérêt politique propre, en demandant notamment aux navires de payer un droit de passage et en appliquant une très forte régulation. Ces contraintes font que le passage par le nord n'est actuellement que très peu emprunté, les compagnies préférant passer par les canaux de Suez et de Panama, un trajet beaucoup plus long mais revenant moins cher.

.            La route Arctique, un raccourci stratégique de 4.500 km, qui se dégage peu à peu, va devenir des plus stratégiques. La Russie pourrait à terme perdre son contrôle sur cette région du monde.

 

Le détroit de Malacca

.            Le détroit de Malacca est l’étroite étendue d'eau située entre la péninsule malaise (Malaisie péninsulaire) et l'île indonésienne de Sumatra, au carrefour des océans Indien et Pacifique et des mers d'Andaman, de Chine méridionale et de Java. Il mesure 940 kilomètres long, et 3 kilomètres de large à 393 kilomètres dans sa partie la plus large. Il s'agit d'une des plus importantes voies de navigation au monde et l'une des plus fréquentées, un tiers du trafic mondial, et il abrite notamment le second plus grand port à conteneurs du monde, le port de Singapour. En tant que principal canal de navigation entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, c'est l'une des voies de navigation les plus importantes au monde.

Singapour - Le SkyPark du Marina Bay Sands

Histoire

    .            Les premiers commerçants venus d'Arabie, d'Afrique, de Perse et des royaumes indiens du Sud ont atteint Kedah (Malaisie) avant d'arriver à Guangzhou (Canton, Chine). Kedah servait de port occidental sur la péninsule malaise. Ils échangeaient de la verrerie, du camphre, des articles en coton, des brocarts, de l'ivoire, du bois de santal, des parfums et des pierres précieuses. Ces commerçants se rendaient à Kedah grâce aux vents de mousson entre juin et novembre. Ils revenaient entre décembre et mai. Kedah fournissait l'hébergement, les porteurs, les petits bateaux, les radeaux de bambou, les éléphants, ainsi que la collecte des taxes pour le transport terrestre des marchandises vers les ports de l'est de la péninsule malaise, comme Langkasuka et Kelantan. Kedah et Funan ont été des ports célèbres tout au long du VIe siècle, avant que la navigation ne commence à utiliser le détroit de Malacca lui-même comme route commerciale.

Au 7e siècle, l'empire maritime de la cité-état Srivijaya (île de Sumatra) est monté en puissance et son influence s'est étendue à la péninsule malaise et à Java. L'empire a acquis un contrôle effectif sur deux goulots d'étranglement majeurs en Asie du Sud-Est maritime : le détroit de Malacca et le détroit de la Sonde. En lançant une série de conquêtes et de raids sur les ports rivaux potentiels des deux côtés du détroit, Srivijaya a assuré sa domination économique et militaire dans la région, qui a duré environ 700 ans. Srivijaya a tiré de grands avantages du lucratif commerce tributaire avec la Chine, et les marchands indiens et arabes. Le détroit de Malacca est devenu une importante route commerciale maritime entre l'Inde et la Chine.

Après le Xe siècle, des navires en provenance de Chine ont commencé à commercer dans ces comptoirs et ports orientaux. L'importance du détroit de Malacca dans les réseaux commerciaux mondiaux s'est maintenue jusque dans les siècles suivants, avec l'émergence du sultanat de Malacca au 15e siècle, du sultanat de Johor (sud de la Malaisie) et de ce qui deviendra la cité-état moderne de Singapour.

Dans les années 1420, le Portugal se lance dans une véritable politique navale avec recrutement de géographes et construction d'un nouveau type de bateau : la caravelle. Les Açores sont découvertes en 1427, le cap Vert et le fleuve Sénégal sont atteints en 1444. Bartolomeu Dias franchit le cap de Bonne-Espérance en janvier 1488 et ouvre ainsi la route maritime de l'Inde, atteinte par Vasco de Gama en mai 1498, lorsqu'il accoste sur la côte ouest près de Calicut et Goa. Les Portugais vont multiplier les explorations pour tisser un réseau entre le cap de Bonne-Espérance et les escales africaines de Mozambique, Zanzibar, Mogadiscio, vers la mer Rouge et le golfe Persique. Le navigateur Afonso de Albuquerque s'empare de Malacca en 1511, contrôlant le passage entre Sumatra et la Malaisie. En 1516, les Portugais inaugurent le premier comptoir européen en Chine, à Macao. La voie maritime vers les îles aux épices, les Moluques, est ouverte : dès 1512, le Portugal y impose un monopole commercial incontesté jusqu'à l'arrivée des Hollandais au début du XVIIe siècle.

Depuis le XVIIe siècle, le détroit est le principal canal de navigation entre l'océan Indien et l'océan Pacifique. Plusieurs grandes puissances régionales ont géré le détroit au cours de différentes périodes historiques. Au début du XIXe siècle, les empires néerlandais et britannique ont tracé une ligne de démarcation arbitraire dans le détroit et ont promis de chasser les pirates de leurs côtés respectifs ; cette ligne est devenue la frontière actuelle entre la Malaisie et l'Indonésie.

D'un point de vue économique et stratégique, le détroit de Malacca est l'une des voies de navigation les plus importantes au monde.

Trafic

.            Le détroit est le principal canal de navigation entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, reliant les principales économies asiatiques telles que l'Inde, la Thaïlande, l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Chine, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud. Le détroit de Malacca fait partie de la route de la soie maritime qui va de la côte chinoise à la pointe sud de l'Inde jusqu'à Mombasa, puis traverse la mer Rouge via le canal de Suez jusqu'à la Méditerranée, puis la région de la Haute Adriatique jusqu'au centre de l'Italie du Nord, Trieste, avec ses liaisons ferroviaires vers l'Europe centrale et la mer du Nord.

Avec près de 50 % du fret maritime mondial y transitant, le détroit de Malacca est aujourd’hui le centre névralgique des échanges commerciaux. Plus de 75.000 navires marchands (70% du trafic total) sont passés par le détroit en 2008. Ce nombre approche les 100.000 en 2020, ce qui en fait le détroit le plus fréquenté du monde, transportant environ 25 % des marchandises échangées dans le monde, notamment du pétrole (850 millions de tonnes par an, pratiquement 90% du détroit d’Ormuz), des produits manufacturés chinois, du charbon, de l'huile de palme et du café indonésien. 80 % des importations en hydrocarbures japonais et 40 % des importations totales de l’archipel nippon traversent cet « angle de l’Asie » par cette unique voie. Pas étonnant que ce soit l'un des points d'étranglement maritime les plus encombrés au monde, car sa largeur n’est que de 2,8 km (1,5 miles nautiques) au niveau du canal Phillip (près du sud de Singapour).

Singapour, le second port de conteneurs au monde

Risques liés à la navigation

.            Le tirant d'eau de certains des plus grands navires du monde (principalement des pétroliers) dépasse la profondeur minimale du détroit, qui est de 25 mètres (82 pieds). Ce point peu profond se trouve dans le détroit de Singapour. Le passage le plus proche à l'est, le détroit de la Sonde entre Sumatra et Java, est encore moins profond et plus étroit, ce qui signifie que les navires dépassant le Malaccamax (la taille maximale d'un navire qui peut passer par le détroit) doivent faire un détour de quelques milliers de miles nautiques et emprunter, plus à l’est, le détroits de Lombok et de Makassar.

.            Il y a 34 épaves, dont certaines datent des années 1880, dans le chenal local TSS (le chenal pour les navires commerciaux dans le cadre du plan mondial de séparation du trafic). Celles-ci constituent un risque de collision dans le détroit étroit et peu profond. Le 20 août 2017, dix membres de l’équipage du destroyer américain USS John S. McCain ont perdu la vie lors d'une collision avec le navire marchand Alnic MC à une courte distance à l'est du détroit.

.            Un autre risque est la brume annuelle due aux feux de brousse à Sumatra, en Indonésie. Elle peut réduire la visibilité à 200 mètres (660 pieds), obligeant les navires à ralentir dans le détroit très fréquenté.

.            Enfin, le plus grand risque potentiel est dû à un manque de cohésion parmi les acteurs étatiques (Malaisie, Indonésie, Singapour), confinant à la rivalité. Cette dernière se manifeste notamment par l'inefficacité des structures de coopération (et une course à l'armement préoccupante !) L’intrusion de la Chine bouleverse par ailleurs le jeu sécuritaire local. En 2013, Singapour, l’Indonésie, la Malaisie, le Vietnam et la Thaïlande pesaient pour près de 90 % des dépenses militaires dans la région. Singapour, cité-État à la mentalité d’assiégé a dépensé cette année-là près de 10 milliards de dollars pour sa défense et disposait en 2016 de 148 avions militaires.

 

Le détroit de Taïwan

.            Contrairement aux autres détroits, le détroit de Taïwan, est d’une importance capitale pour le monde, non pas en tant que voie navigable commerciale, mais en raison de son environnement géopolitique particulièrement sensible.

.            Le détroit de Taïwan ou détroit de Formose d’une largeur de 180 km (130 km dans sa plus petite portion) est situé entre la Chine continentale et l'île de Taïwan (ou Formose). Ce détroit fait partie de la mer de Chine méridionale et relie celle-ci à la mer de Chine orientale située au nord-est.

On y trouve les archipels de Jinmen et Matsu placées sous la souveraineté de la République de Chine (Taïwan) et qui forment la province taïwanaise du Fujian. À l'est se trouvent également les Pescadores. Ces îles sont revendiquées par la République populaire de Chine, qui ne reconnaît pas l'indépendance de facto du régime taïwanais. Leur valeur symbolique demeure. La République de Chine (Taïwan) les inscrit dans sa province du Fujian. La province du Fujian en République populaire de Chine les inscrit dans la liste de ses circonscriptions.

.            Le détroit a été le théâtre d’au moins trois crises avec confrontations militaires (1954-1955 ; 1958 ; 1995-1996) entre la République populaire de Chine et la République de Chine (Taïwan) depuis les derniers jours de la guerre civile chinoise, en 1949, quand les forces du Guomindang dirigées pas Tchang Kaï-chek se réfugièrent sur l'île de Taïwan, en s'accrochant aux îles côtières de Jinmen et Matsu. La menace d'une intervention militaire des États-Unis a pour l’instant empêché la République populaire de Chine de tenter un débarquement sur ces îles.

Le détroit de Taïwan est une zone éminemment sensible, Pékin considérant Taïwan, île démocratique et autonome, comme faisant partie de son territoire et ayant exprimé sa volonté de s'en emparer un jour, par la force si nécessaire. Les États-Unis, principal allié de Taïwan, considèrent le détroit comme une zone maritime internationale et envoient des navires de guerre dans le secteur pour y mener des opérations de défense de «la liberté de navigation».

Les mouvements de navires de guerre dans le détroit de Taïwan ne sont ainsi pas rares. Les navires de la marine américaine ont traversé le détroit environ une fois par mois en 2021. Récemment, le destroyer USS Ralph Johnson a conduit une patrouille de «routine» dans «ces eaux internationales» le 17 mars 2022, aussitôt qualifiée «d’acte provocateur» par Pékin. Le lendemain, le porte-avions Shandong croisait majestueusement dans les parages, affirmant la souveraineté chinoise. Ce même Shandong avait déjà navigué dans le détroit en décembre 2020, … précisément le lendemain du passage d'un navire de guerre américain. Ce même porte-avions avait aussi traversé le détroit en décembre 2019, quelques semaines avant des élections à Taïwan.

.            Jeudi 4 août 2022, Pékin organise un "blocus" de Taïwan pendant plusieurs jours via des exercices militaires autour de l’île. Plusieurs missiles ont survolé Taïwan, obligeant l'Administration chinoise de la sûreté maritime à interdire aux navires de pénétrer aux abords du détroit de Taïwan. Les porte-conteneurs du monde entier se sont retrouvés contraints de fuir le détroit de Taïwan.

À ce stade, les conséquences sur les chaînes d'approvisionnement mondiales seraient minimes avec seulement quelques jours de retard pour les navires bloqués. Mais sur le long terme, les cargos n’auraient d’autre choix que de changer leur itinéraire en passant par l’Est de Taïwan et par la mer des Philippines.

À noter que les manœuvres chinoises ont également eu des conséquences sur le transport aérien. Les autorités taïwanaises ont en effet expliqué que les exercices militaires perturberaient 18 liaisons aériennes internationales traversant la zone. Au total, plus de 400 vols ont été annulés en deux jours dans les principaux aéroports du Fujian, la province chinoise la plus proche de Taïwan.

Les autres passages

.            .            Dans le reste du monde, il n'y a pas d'autres problèmes majeurs d'encombrement. Dans le détroit d'Ormuz, au sortir du golfe Persique entre Oman et l'Iran, le risque est plus politique et dans celui de Bab-el-Mandeb, entre Djibouti et le Yémen, il est plutôt lié à la piraterie, alors que celle-ci s’oriente de plus en plus vers le trafic atlantique ouest-africain. Enfin en Europe, le passage du Pas de Calais en mer du Nord représente une zone de circulation difficile, intense, entre les navires marchands, les bateaux de pêche et les car-ferrys, mais le trafic y reste fluide.

La piraterie

.            La piraterie a toujours été un problème dans le détroit de Malacca. La piraterie y est quasiment une activité traditionnelle ... au même titre que la pêche ! Cette permanence peut s’expliquer par les caractéristiques géo-environnementales de l’Insulinde : archipels et îlots pour se dissimuler, bancs de sable sur lesquels dévier des bateaux et passage ininterrompu de navires, autant de proies dont la cargaison et le matériel constituent l’appât des pirates. La piraterie fut importante dans les années 2000, en particulier après les événements du 11 septembre 2001. Après que les attaques aient à nouveau augmenté au cours du premier semestre 2004, les marines régionales ont intensifié leurs patrouilles dans la zone en juillet 2004. Par la suite, les attaques contre les navires dans le détroit de Malacca ont diminué. En 2013, le Bureau Maritime International recensait 128 attaques de pirates ou tentatives rien que pour l’Asie du sud-est, la plupart au large de l'Indonésie (contre 104 en 2012 et 80 en 2011). 2015 a vu une augmentation au niveau mondial des actes de piraterie graves, près de 54, dont 38 rien qu’en Asie du Sud-Est. 40 % des cas de piraterie dans le monde ont eu lieu dans les eaux indonésiennes, dont une partie significative dans le détroit de Malacca.

.            Alors que les années les plus intenses en matière de piraterie, d’une manière générale dans le monde, se situent entre 2010 et 2011, le nombre d'attaques de pirates a augmenté de près de 20 % entre 2019 et 2020. La piraterie incite les entreprises exportatrices à passer du transport maritime au transport aérien afin d'en éviter les risques. Pour la même raison, les navires modifient leur itinéraire et augmentent leur vitesse de croisière. Malgré ces ajustements, le commerce global diminue. Sur les routes reliant la Chine à l'Europe, la piraterie a réduit les exportations chinoises de 2,3 % en moyenne. L'impact est donc assez important. On estime même que la piraterie le long des côtes somaliennes a réduit le trafic par le canal de Suez de 30 %, entraînant une perte estimée à 30 milliards de dollars.

La plupart des activités de piraterie ont lieu près des côtes, essentiellement dans la mer de Chine méridionale, l'océan Indien ainsi que dans le détroit de Malacca. Le détroit de Malacca est un véritable goulot d'étranglement, car il s'agit de la principale voie de navigation entre l'océan Indien et le Pacifique. Il n'y a pas de moyens faciles pour les navires de le contourner car le détour s'élève pénalise de 1.000 miles nautiques. Les côtes de l'Afrique (en particulier l'Afrique de l'Ouest en ce moment) sont aussi fréquemment sujettes à des attaques de pirates.

La drogue

             En plus des voiliers et des vraquiers, il y a désormais un troisième instrument de trafic dont l'usage a explosé au cours des dix dernières années : le conteneur. Ainsi dans certains ports des Caraïbes ou asiatiques, où l'on entre comme dans un moulin, le réseau glisse un ou plusieurs sacs de sport bourrés de drogue dans un conteneur ; c’est le « rip on ». Il le referme, y remet les scellés (qui sont des faux), et note le numéro du conteneur. La drogue va donc voyager sur un flux légal, dans un conteneur légal. À l'arrivée au port, par exemple Anvers ou Rotterdam, une autre équipe criminelle effectue le « rip off », la récupération de la cocaïne. Dans les ports d’arrivée, les mafias ciblent les dockers les plus fragiles, puis vont les « acheter » pour prêter pendant une heure ou deux leur badge biométrique permettant l'accès aux hangars. Ensuite ces mêmes dockers sont sommés de maintenir leur coopération, par menace de dénonciation ou de représailles sur leurs proches.

La primauté de la Chine dans le commerce maritime.

.            L’évolution du top 10 des principaux ports dans le monde est, à cet égard, révélatrice. En 1990, la moitié des ports était asiatique mais aucun n’était chinois, l’autre moitié comprenait les ports européens et américains. On estime désormais que la Chine et ses ports traitent environ un quart des conteneurs dans le monde, témoignant de sa puissance industrielle et commerciale.

Depuis les débuts de la conteneurisation du fret maritime dans les années 1970, dans un contexte d’augmentation générale des flux liée à la mondialisation, la part du volume transporté par conteneur n’a cessé d’augmenter, atteignant 90 % du transport maritime en volume en 2019. Les chiffres pour 2020, impactés par la pandémie Covid 19, montrent cependant une baisse significative mais à peine plus prononcée que celle qui a suivi la crise économique de 2008.

Trafic de conteneurs dans les ports (TEU : unités équivalents 20 pieds)

Flux de conteneurs (TEU-EVP) passant du mode de transport terrestre au transport maritime et vice-versa. Les données font référence aux expéditions côtières ainsi qu'aux envois internationaux. Le trafic de transbordement est compté comme deux opérations dans le port intermédiaire (une pour décharger et une pour recharger) et inclut les unités vides. EVP :, volume standard du conteneur de longueur 20 pieds (6,1 m). –Voit infra-

.            Le classement des ports à conteneurs en 2020 révèle la centralité des façades maritimes asiatiques, et particulièrement chinoise, dans le commerce mondial. L’évolution du classement montre que c’était encore l’Europe, et dans une moindre mesure les deux façades de l’Amérique du Nord, qui occupaient cette place centrale il y a un demi-siècle.

(Long Beach et Los Angeles comptés ensemble (ils sont contigus) sont passés devant Rotterdam en 2020).

.            Le port de Yantian à Shenzen, voit passer plus de 10% des conteneurs utilisés dans les échanges internationaux de la Chine.

La place de Rotterdam reflète particulièrement bien ces évolutions. 3e port à conteneurs mondial en 1970 (à une époque où ce mode de transport était une innovation toute récente), il a cédé le pas devant les ports asiatiques, mais il est le seul port hors d’Asie à s’être maintenu dans les 10 premières places du classement jusqu’en 2019. Il reprenait ainsi une place qui lui avait été ravie au cours de la décennie 2010 par Jebel Ali (Dubaï). En 2020, il perd à nouveau une place, cédant la 10e place à Los Angeles-Long Beach. Les neuf premières places sont asiatiques et même chinoises à l’exception de deux d’entre elles : Singapour (2e) et Busan en Corée du Sud (7e place). Cette hégémonie reflète le poids de la Chine comme atelier du monde et comme foyer de consommation, dans la mesure où le transport par conteneur est particulièrement adapté aux machines, aux biens manufacturés et aux produits de consommation. Cela dit, les ports chinois occupaient aussi sept des dix premières places du tonnage transporté hors conteneurs en 2017.

Le port de Rotterdam.

La route de la soie ferroviaire : une concurrence ?

.            1 million. C’est la barre symbolique franchie en 2021 par le nombre de conteneurs transportés par voie ferroviaire entre la Chine et l’Union européenne, confirmant l’essor des « nouvelles routes de la soie ».

Ces conteneurs ont été transportés par 14.000 trains, soit en moyenne 38 convois par jour. Et ce, 10 ans seulement après le lancement des premiers wagons sur les rails. On compte même depuis 2018 quelques dizaines de camions par semaine qui réalisent le trajet via la Biélorussie, la Russie, le Kazakhstan depuis la Chine. Cette politique s’inscrit dans le plan de rééquilibrage de l’économie chinoise engagée par le gouvernement dans les années 2000 au profit des trois villes intérieures qui forment le « triangle de croissance » : Chongqing, Chengdu (spécialisée dans l’électronique) ou Lanzhou respectivement situées à 1.400, 1.600 et 1.700 km de Shanghai.

En 2013 un train chinois, en association avec la Deutsche Bahn a été le premier train de marchandises à avoir relié directement Zhengzhou, capitale de la province du Henan au centre de la Chine, à Hambourg (durée du trajet : 20 jours). Les Européens, et plus particulièrement les Allemands, avaient affrété le premier train par-delà le continent dès 2008, sous la houlette de la Deutsche Bahn, pour l’acheminement de matériel informatique. Suite à la crise de 2009, le projet de pérenniser ce service régulier a été abandonné ; il avait toutefois été repris en 2011.

Dans le monde, la Chine, c’est chaque année depuis 2007 en moyenne 2.600 km d’infrastructures ferroviaires nouvelles (contre 200 km en Europe) sur lesquelles les convois peuvent rouler à plus de 200km/h (plan « One Belt, One Road »). L’Europe étudie cependant son projet alternatif « Global Gateway ».

Le terminal ferroviaire de Zhengzhou est le point de départ de la route de la soie en Chine à destination de l’Europe. LIU XIANG/Xinhua via AFP

.            Les géants du transport international empruntent cependant de plus en plus une voie encore peu usitée pour importer en Europe des produits « made in China », le « middle corridor », où le trajet se fait majoritairement en train, mais qui comporte quelques traversées en bateau, avant que le train assure la dernière étape, le plus souvent jusqu’à Duisbourg, en Allemagne. Un périple, qui prend 30 jours et où il faut plusieurs fois décharger les marchandises d’un train pour les mettre sur un bateau. Ceci plutôt que la voie traditionnelle qui ne nécessite que 20 jours de transport, en passant plus au nord par le Kazakhstan, la Russie et la Pologne. Et pourtant, faire venir un conteneur de Chine par ce train coûte 13.000 euros, contre 10.000 euros par bateau.

.           Sur la portion du parcours qui se fait en Russie, ce sont ses conducteurs qui convoient les trains Et depuis la guerre en Ukraine (fév 2022), la route septentrionale traditionnelle, qui passe par la Russie et la Biélorussie est bannie. On estime qu’on est passé de 18 trains par jour à moins de 10, mi 2022, sur la voie du Nord. Ainsi la filiale de la SNCF Forwardis, qui faisait circuler depuis juillet 2021 deux trains par mois reliant Xian à la région parisienne (Valenton) via la Russie, a suspendu cette liaison faute de clients.

Les transitaires ont besoin d’une alternative au transport maritime, qui a montré ses limites depuis la pandémie, avec des ports saturés et des navires qui ne respectaient plus les délais de livraison à cause d’une demande toujours croissante. Le « middle corridor », même avec un trajet rallongé, reste alors plus court qu’avec un navire, qui prend deux mois porte à porte.

 

Conteneurs et porte-conteneurs

Les conteneurs

.            De plus en plus, les marchandises sont donc « mises en boite », transportées dans des conteneurs, la grande révolution du transport maritime des dernières décennies. Cette idée de génie, on la doit à l’américain Malcom McLean. Ancien routier, devenu entrepreneur, le fondateur de Sealand, l’entreprise pionnière des transports inter-modaux, qui, en 1956, fut le premier à imaginer des remorques de camions détachables, donc directement transférables sur les navires. Il reconstruisit le pétrolier Ideal X de la Pan-Atlantic Steamship, et commença à expédier par bateau des remorques de camions sans leur châssis entre New-York et Houston.

.            Aujourd'hui, le conteneur, dont trois groupes chinois fabriquent l'essentiel, règne en maître absolu sur le commerce mondial, stigmatisant la mondialisation. Les raisons de ce succès sont évidentes : la simplicité du système, une bonne garantie contre les risques de vols ou d'avaries et la standardisation mondiale dont il fait l'objet. Il a permis d'automatiser la quasi-totalité des opérations de transport. Multimodal, il permet de passer du navire au camion et au train en quelques minutes, avec ses dimensions standardisées qui permettent une manutention facilitée et une meilleure productivité ; c’est le mode de transport idéal pour le porte-à-porte.

.            Le mode maritime présente l’énorme avantage de massifier le transport de conteneurs : 22.000 sur les plus gros navires contre environ 90 pour un train. Chaque conteneur pouvant contenir 4.000 boites de chaussures, ce sont 88 millions de paires de chaussures qui peuvent être transportées par un navire contre moins de 400.000 pour un train.

.            D’un volume unitaire de 33 m3 utiles (largeur 2,44 m ; hauteur de 2,59 m ; 2,2 tonnes à vide) les longueurs de 20 pieds (6,1 m) -TEU (twenty foot equivalent unit) ou EVP (équivalent vingt pieds)- se sont imposées au niveau international, de même que les 40 pieds (12,2 m) de 67 m3 utiles (3,7 tonnes à vide). A l'intérieur des États-Unis on trouve aussi des conteneurs de 53 pieds (16,15 m ; 90 m3), dimension qu’autorise la longueur des châssis de remorque (contrairement à l'Europe).

.            En 2021, 24 millions d’unités sont en circulation dans le monde, et l’on (en particulier la Chine) manque de boites vides ! Presque 800 millions de manipulations de containers TEU (équivalent 20 pieds) sont effectuées dans les ports chaque année (chaque unité y est manipulée en moyenne 3,5 fois), soit autant de charges de 20 à 30 t à soulever et déposer. Des opérations réalisées au moyen de portiques de manutention et de grues mobiles.

.            Les conteneurs sont empilés de manière plus ou moins savante (et satisfaisante !) sur les porte-conteneurs. Ceux du dessous sont directement accrochés au navire et solidarisés entre eux par des barres de fer disposées en diagonale ; ceux du dessus, sur 15 à 20 niveaux, sont encastrés les uns dans les autres verticalement mais pas attachés horizontalement. Le tout en veillant, du moins théoriquement, à une répartition judicieuse des poids pour positionner au mieux le centre de gravité.

En réalité, ces empilements ne sont pas organisés en fonction de leur seule stabilité. D’autres contraintes existent. Ainsi, les containers censés débarquer aux premières escales d’un voyage seront souvent (naturellement) placés de manière à être facilement atteignables, même si leur poids devrait idéalement les imposer ailleurs. Quant à leur poids, justement, encore faudrait-il qu’il soit connu ! Nombre de caissons ont un poids réel supérieur à leur poids officiel. Résultat : des piles penchent, pèsent sur d’autres, qui s’appuient à leur tour sur leurs voisines à la façon d’un immense jeu de dominos. Et des boîtes finissent à la mer..          

Le port de Qingdao, dans la province du Shandong (Chine)

Les conteneurs perdus en mer, une plaie

.            En douze ans, de 2008 à 2019, le WSC (World Shipping Council) estime que, en moyenne annuelle, 1.382 boites ont été perdues en mer. Mais obtenir une évaluation précise de ce nombre reste spéculatif. Selon que l’on est assureur, société de classification, courtier, armateur ou défenseur de la nature, les estimations échappent à tout entendement, oscillant entre 1.000 et 100.000 par an !

Ils deviennent alors des ofnis (objets flottants non-identifiés), difficiles à détecter au radar et potentiellement dangereux. Soit ils coulent directement, soit ils restent trois à quatre mois en flottaison. Sur les routes maritimes qu’empruntent les bateaux, il y a un risque certain de collision, voire de sur-accident. Leur présence dans l’eau est aussi un important facteur de pollution.

Spectaculaire, le phénomène des conteneurs qui passent annuellement par dessus bord est pourtant qualifié de « marginal » par le WSC : en moyenne 1.382 conteneurs perdus annuellement … pour 226 millions acheminés chaque année par les 6.000 porte-conteneurs qui naviguent sur les grandes lignes maritimes. Ce chiffre, basé sur des informations déclaratives des armateurs, (d'autres sources indépendantes avancent des chiffres bien plus élevés pouvant aller jusqu'à 10.000 par an) n’est certainement qu’une estimation biaisée car tous les conteneurs mal arrimés tombés à l’eau ne sont pas forcément déclarés par les bords et les armateurs.

.            Le One Apusa, un porte-conteneurs sous pavillon japonais de 14.000 EVP, a connu la perte récente la plus importante avec 1.816 boîtes (dont au moins 64 serait des conteneurs de marchandises dangereuses) perdues dans le Pacifique au large d'Hawaii le 30 novembre 2020 en raison de ce qu’ils ont dit être de la haute mer. Sur les 22 baies sur le pont, seulement six semblaient avoir survécu intactes. Avec 20 rangées par baie et des hauteurs de pile de 6 à 8 niveaux, on estime qu’environ 2.250 conteneurs furent potentiellement touchés soit environ 4.500 EVP.

Le "One Apus" a perdu 1.816 conteneurs lors de son naufrage au large de Hawaii © Connor Helm

Parmi les autres pertes les plus spectaculaires on peut relever celles du Rena en 2011 dans une baie touristique de Nouvelle-Zélande (900 conteneurs perdus) ; du Mol Comfort en 2013 (4.293 conteneurs perdus dans l'océan Indien) ; du Svendborg Maersk (517 conteneurs) en février 2014 au large de la Bretagne ; de l’El Faro en 2015 au large des Bahamas (517 conteneurs mais surtout 33 marins morts) ; du MSC Zoe (342) début 2019 en mer du Nord ; du Maersk Essen (750) le 16 janvier 2021, 430 miles au nord-est de Honolulu; du Maersk Eindhoven en février 2021 qui en a vu passer par-dessus bord quelque 260 boites, alors qu’il quittait le port chinois de Xiamen pour Los Angeles.

.            Si le nombre de conteneurs perdus en mer reste infime au sens du WSC, il n'a pourtant jamais été aussi élevé que depuis quelques années. Aussi le CEDRE (Centre de documentation de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux) estime-t-il les pertes totales à 15.000 conteneurs par an, contestant ainsi les statistiques du WSC, tout comme plusieurs ONG. D’autant que au-delà des chiffres officiels, il y a toutes les autres boîtes qui ne sont pas déclarées. Celles-ci tombent au fond de l'eau et on n'en parle plus : "pas vu, pas pris".

En effet, c'est souvent au moment du déchargement qu'on se rend compte qu'il manque des boîtes. En général, les navires sont tellement grands qu'on ne voit pas (ou que l’équipage ne veut pas voir) que les boîtes partent à l'eau. Là où les choses deviennent plus inquiétantes, c'est que sur les 226 millions transportés, 6 millions de conteneurs contiennent des matières dangereuses dont, au bas mot, un quart mal déclarées ! Les armateurs se joignent aux les ONG pour dénoncer les mauvaises déclarations du contenu des boîtes. Les services américains les estiment trompeuses dans 15 à 20 % des cas, qu'il s'agisse du poids, du contenu, ou des deux.

Sans doute cette problématique restera-t-elle difficile à résoudre alors que le commerce mondial repart en flèche. Mais il faudra tôt ou tard imposer un meilleur remplissage du conteneur avec de bonnes fixations, optimiser son positionnement sur le navire en fonction de son poids et de la nature du chargement, éviter les zones de tempêtes, quitte à rallonger le parcours, …  et aussi garantir le repos et les détentes du personnel naviguant : l’assureur Allianz Global Corporate & Speciality (Agcs) estime que l'erreur humaine est à l'origine des trois quarts des accidents maritimes

Les porte-conteneurs

.            Ils sont apparus dans les années 1950 et se sont multipliés à la faveur de la globalisation des échanges et de l’explosion du trafic maritime. Toujours plus nombreux, ils sont devenus parallèlement toujours plus gigantesques. A double coque de deux mètres d'épaisseur, leur taille ne cesse d'augmenter mais cependant limitée par le tirant d'eau des ports et la largeur est souvent contrainte par les grues et portiques portuaires.

.            La flotte mondiale conteneurisée (2.617 navires en 2000) a doublé en 2018, et 5.192 sont répertoriés en 2021. Toutefois, depuis 2012, la flotte mondiale n'a progressé que de 109 navires (2,1 %), cependant que la capacité totale s’accroissait de 5,6 millions d'EVP (37%) au cours de la même période (effet de taille), pour atteindre 24 millions d’EVP, à fin 2020.

.            L’armateur danois Moller-Maersk, géant des mers et leader mondial, qui réalise les deux tiers de son chiffre d’affaires dans le transport maritime, exploite 20 % de la flotte mondiale de porte-conteneurs et compte 70.000 clients : constructeurs automobiles, importateurs de vêtements, d’électronique, … Son concurrent français CMA-CGM, le 3ème mondial (à égalité avec le chinois Cosco, derrière MSC) dispose de 580 navires et de 3 millions d'EVP et dessert 420 ports d'escales dans 160 pays,

.            CMA CGM possède depuis octobre 2020, sous pavillon français, le Champs-Élysées, parmi les plus gros porte-conteneurs au monde, deuxième (après le Jacques Saadé, livré un mois plus tôt) d’une série de 9 unités en construction dans deux chantiers navals chinois. Les chiffres sont impressionnants : 399 mètres de long ; 78 m de haut ; 15,5 m de tirant d’eau ; 61 mètres de large ; un poids brut de 236.600 t ; une charge nette de 216.900 t ; une capacité de 23.000 conteneurs équivalents 20 pieds, dont 2.200 réfrigérés connectables.

Équipés d'une cuve de 18.600 m3 de GNL (Gaz naturel liquéfié), ces Mégamax 24, les premiers avec cette énergie de propulsion, peuvent effectuer avec leur moteur de 87.000 chevaux (63,84 mW), la rotation Asie-Europe avec un seul chargement de LNG, en dégageant 80% de CO2 de moins que le fuel lourd habituel (bunker).

Le nombre 24 signifie que ces bâtiments sont suffisamment larges pour accueillir 24 rangées de conteneurs au-dessus du pont. Sous l’écoutille de pont, ce nombre est limité à 22 par le fait de la place prise par la double coque. Ces navires ont également 24 rangées de boîtes dans le sens de la longueur. Enfin, il est possible d’empiler jusqu’à 12 rangées de conteneurs dans les cales et 10 en pontée.

Covid 19 : des prix et des délais de livraison par mer au plus haut

.            La crise de la Covid 19, dont les impacts sur le transport maritime ont été aggravés par le porte-conteneurs Ever Given qui a bloqué le canal de Suez pendant cinq jours en mars 2021 et la fermeture durant deux semaines en mai du plus gros port chinois (Yantian, à côté de Shenzhen) à cause d’une résurgence de la Covid, a agité le transport maritime et perturbé les économies mondiales. Prix des liaisons transatlantiques et transpacifiques qui n’en finissent pas de grimper, délais de livraison qui s’allongent… ces dysfonctionnements jouent un rôle majeur dans les ruptures de stock de matériaux en tous genres et de produits finis.

Le trafic a repris début avril 2021, suite au boom de la demande pour les produits fabriqués en Chine et en Asie. Ainsi les ports des États-Unis traitent des volumes toujours plus importants. En mai, ils ont battu le record de conteneurs déchargés (2,33 millions) établi en mars (2,2 millions). Au premier semestre, la hausse a été de 35,6 %. Beaucoup de navires sont ar­rivés en même temps, créant des embouteillages dans les ports. Une désorganisation qui fait perdre encore plus de temps aux importateurs de produits finis.

Les prix du fret maritime ont donc été multipliés par 4 sur les 8 routes maritimes mondiales les plus fréquentées : en un an, ils ont flambé en raison du déséquilibre entre l’offre et la demande, les conteneurs et les porte-conteneurs ayant manqué pour répondre à la reprise économique mondiale. Une taille standard de 20 pieds pour un voyage Asie-Europe coûtait début 2021 entre 3.500 et 4.500 euros, (0,40 € / kg, contre 0.10 € en 2019 !) et une taille de 40 pieds jusqu'à plus de 8.000 euros.

.            Courant 2021, la reprise post Covid 19 et le manque de chauffeurs routiers empêche, dans le monde entier, des centaines de porte-conteneurs de décharger leurs marchandises La situation est particulièrement critique aux États-Unis et en Grande-Bretagne ; 300 porte-conteneurs sont à l’arrêt à l’extérieur des ports fin 2021, entrainant de surcroit des surrestaries. Tout ceci fait que le transport d’un conteneur 20' standard entre Shanghaï et Rotterdam coûtait 13.400 dollars le 18 novembre 2021, contre… 1.564 dollars le 21 novembre 2019 ! 

24 février 2022, l'armée russe envahit l'Ukraine. Nouveau casse-tête pour les armateurs : gérer leurs salariés ukrainiens et russes qu’il devient difficile de payer ou de rapatrier chez eux quand la navigation est terminée. Une question majeure, car ils représentent 14,5 % des effectifs de la marine marchande mondiale.

Cependant, en 2022, le net ralentissement de l’économie mondiale et des échanges commerciaux, entraîne à la baisse le coût du fret maritime qui tend vers la normalisation, le Drewry World Container Index chutant de manière régulière de 9.478 US$/40ft le 24 fév, à 2.404 US$/40ft le 24 nov.