De la difficulté grandissante de réaliser les méga-projets.
Le constat.
Il y a peut-être 10 à 15 méga-projets dans le monde en cours de réalisation simultanément. Ils nécessitent un investissement financier considérable de la part des clients (de quelques milliards de dollars à quelques dizaines) et sont donc reconnus comme des projets de classe mondiale en termes de taille et d’envergure. Ils sont naturellement complexes en terme d'ampleur mais aussi de technologie et de logistique. Et le temps qui s'écoule entre le concept et le démarrage prend généralement entre 5 et 7 ans, voire jusqu'à 10 ans, … si le projet se déroule peu ou prou dans les conditions prévues à son lancement, disons de manière satisfaisante. La plupart du temps, un partenariat est formé pour réaliser ces projets, parfois même avec des concurrents. Il peut s'agir d'une Joint-Venture, une nouvelle société créée pour les besoins de la cause, où les membres de la « JV » sont conjointement responsables de son exécution contractuelle (prix, délai, performance, …). Il peut aussi s'agir d'un Consortium, dans lequel chacun est responsable de ses propres activités et donc de la correction de ses manquements. Quel que soit l'arrangement, la confiance mutuelle est primordiale et indispensable, ce qui implique une grande fiabilité des estimations de coûts, des délais de réalisation, des performances des procédés industriels et de la gestion des technologies. Le succès repose sur 5 éléments : les personnes (compétence, motivation, foi en l’ouvrage, …), l’organisation du projet, les processus de travail, l’anticipation et le contrôle des risques, les prises de décisions claires et exécutoires.
Il existe tout au plus une quinzaine de sociétés d’ingénierie au monde (dont une française Technip EN) qui ont l’envergure, les compétences et les moyens d’assurer une maîtrise d’œuvre à la hauteur de tels projets. Leur métier d’ingénieur et entrepreneur date, bien souvent, de l'émergence des grandes compagnies pétrolières multinationales privées qui, très axées vers les résultats et la productivité, ont favorisé le développement d'une nécessaire maîtrise de la conception et de la construction de leurs installations industrielles, de plus en plus performantes et répondant à des cahiers des charges de plus en plus précis et exigeants.
Encore faudrait-il que les décideurs, souvent politiques, maîtres d’ouvrage en général pour les grandes infrastructures, fassent appel à elles ! Pourquoi la réalisation des grands projets publics, certes soumis à bien d’autres contraintes, ne serait-elle pas aussi performante que celles des donneurs d’ordre privés ?
Les compétences sont désormais diluées, voire perdues dans la masse des sous-traitances et des organismes de conseil et de contrôle ;
La confusion des rôles et responsabilités entre la maitrise d’ouvrage, la maitrise d’œuvre et l’exploitant est source de conflits et d’indécisions. La distinction des trois fonctions est fondamentale. (On notera que pour le projet de la centrale de Flamanville, EDF a cumulé les trois niveaux).
Les métiers (conception, études, réalisation, réception, …) ont des particularités, des savoir-faire et des moyens propres et non interchangeables. Ils doivent être mis en œuvre dans le cadre de leur expertise, avec des séquences logiques. Les manquements, désormais quasi-systématiques, dans cette organisation ne peuvent qu’entraîner des glissements de délais, sources majeures des dépassements de budget ;
La communication politique (ou électorale) contraint trop souvent les projets, annonçant des délais de réalisation invraisemblables. Avec comme effet d’aller très (trop) vite au démarrage des projets : les phases « approvisionnement » et « construction » sont à tort souvent lancées bien avant que les études de détail et les plans APC (approuvés pour construction) soient suffisamment développés. Les nombreuses modifications qui en résultent sont d’autant plus pénalisantes en terme de prix et délai qu’elles apparaissent tardivement ;
La sédimentation des normes, des procédures administratives, des enquêtes publiques, des consultations citoyennes, des recours en justice, parfois instrumentalisés, fait du « permitting » la gestion de toutes les étapes procédurales des grands projets et le cauchemar des entreprises, des maîtres d’ouvrage et d’œuvre ;
Le principe de précaution, qui prime sur tous les autres et toute prise de risque, qu’elle soit humaine, technique, environnementale, politique … sont désormais bloquantes ; qui ose se souvenir que les astronautes d’Apollo XI savaient qu’ils n’avaient que 50% de chance de revenir vivants de la Lune !
Les estimations réalistes de prix, connues des professionnels et des experts qui savent les appréhender relativement facilement, se doivent d’être occultées par des prix officiels de façade outrageusement minorés, ceci pour pallier le manque de courage politique des décideurs.
Si les « vrais » prix et délais étaient affichés officiellement à l’issue des premières études, la décision d’exécuter interviendrait-elle ?
L’EPR (European Pressurized Reactor), le réacteur (1.585 MWe) de la centrale de Flamanville 3 (Manche), est le 57e réacteur du parc nucléaire français et le 4e de ce type installé dans le monde. Après l’autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), il a été raccordé au réseau électrique le 21 décembre 2024, différents paliers de puissance étant programmés jusqu'à l'été 2025, qui solderont la phase d'essais. Il affiche 12 années de retard (durée totale du projet 17 ans), et un surcoût de 10 milliards € (environ 13,2 milliards € au total ; 19 milliards selon la Cour des comptes qui inclut les frais financiers). Ditto –prix et délai- pour la centrale de Olkiluoto (Finlande) -Annexe 1-. Une situation à comparer à l’EDF des Trente glorieuses qui n’a eu besoin que d’un emprunt de l’ordre de 82 milliards d’euros actuels pour parvenir à placer une soixantaine de réacteurs sur le réseau national, en guère plus de 20 ans.
Les deux réacteurs nucléaires EPR comparables, commandés en 2009 à Areva, construits par les Chinois sur leur site de Taishan ont démarré en 2018 et 2019. En décembre 2009, les Emirats Arabes Unis ont confié à un consortium sud-coréen la réalisation des 4 réacteurs de la centrale de Barakah ; ils ont été connectés au réseau entre 2020 et 2024.
Dès 2024, les 6 réacteurs EPR2 prévus et annoncés initialement à 51,7 milliards €, sont "aussitôt" ré-estimés 67,4 milliards €.
Hinkley Point C, le projet d'extension de la centrale existante à Hinkley Point (Somerset, sud-ouest de l’Angleterre) a été lancé en 2012 avec EDF Energy. Les 2 nouveaux réacteurs de type EPR ne seront pas couplés au réseau au plus tôt avant 2029-2031, avec un coût de l’ordre de 35 milliards € (+ 50%, valeur 2015).
Toujours dans le nucléaire, le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure, dans la Meuse, va coûter au minimum 25 milliards d’euros contre 13 milliards prévus en 2012.
Le Grand Paris Express, lancé en 2011, est aujourd’hui le plus vaste projet de génie civil en Europe. Défini en 2013 pour un coût estimé alors à 22,6 milliards €. Prévision 2020 : 42 milliards €. Achèvement prévu après 2030
Ariane 6 : développement lancé en décembre 2014. Mais perte de savoir-faire entre deux générations d’ingénieurs et un lancement trop précipité ... Le coût du nouveau lanceur avec les installations au sol était estimé à 3,8 milliards € courant 2020 ; le vol inaugural était programmé pour juillet 2020.
Le retard du projet a nécessité de repenser en profondeur la stratégie européenne en matière de transport spatial : simultanément à Ariane 6, on visait fin 2024 pour la remise en service de la fusée italienne Vega C, clouée au sol depuis fin 2022 après l’échec de sa première mission commerciale. D’ici là, une sous-traitance temporaire obligée à SpaceX (180 millions $, pour le lancement de 4 satellites Galileo), et l'organisation météorologique européenne Eumetsat à faire lancer son satellite MTG-S1 avec Falcon 9, la fusée de SpaceX, bien que ce satellite n’était programmé partir avec Ariane 6 qu’en juin 2025.
Finalement, avec 4 ans de retard, le vol inaugural sera un succès le 09 juillet 2024, depuis Kourou en Guyane, avec à son bord, un lot de 16 petits satellites. Le 06 mars 2025, sa première mission commerciale mettra en orbite le satellite d’observation militaire français CSO-3.
Le TGV Lyon-Turin, lancé en 1992, dont l’achèvement prévu en 2032 prend beaucoup de retard. 8,3 milliards € budgétés pour le tunnel international, lors de l’accord franco-italien de septembre 2011. Ré-estimé à 26 milliards d’euros par la Cour des Comptes en 2017.
Le tunnel sous la Manche. Projet paraphé par Margaret Thatcher et François Mitterrand le 12 fév 1986. Coût final : 87,9 milliards francs, soit plus de 2 fois le budget initial, mais … une seule année de retard.
En Allemagne, le budget de la Philharmonie de Hambourg, inaugurée en 2017 avec 7 ans de retard, est passé de 77 à 865 millions d’euros L’aéroport Willy Brandt de Berlin-Brandebourg : ouvert (partiellement) en 2020 avec 9 ans de retard et un coût de 7 milliards €, près de 4 fois le devis initial.
Le programme Artemis : lancé en 2019, sous D.Trump, pour ramener des astronautes sur la Lune (pour la première fois depuis 1972) en 2024 avec la première femme à fouler le sol lunaire. Les déboires techniques s’accumulent encore en 2025 !
A son lancement, au milieu des années 90, le projet de la gare de Stuttgart devait à l'origine démarrer en 2005 et se terminer en 2012. Présenté comme futuriste, estimé à 2,5 milliards d'euros, sa terminaison était bientôt reportée en 2019. Mais les travaux ne sont toujours pas terminés et les coûts de construction sont prévus s’élever à 11 milliards. L'inauguration de la gare souterraine n’aura finalement pas lieu avant 2026, voire 2027.
Plus de 60 milliards de livres en 10 ans (71 milliards d'euros). C'est le montant de l'incroyable explosion des coûts de la HS2 (High Speed 2), la deuxième ligne à grande vitesse britannique, après celle qui relie le tunnel sous la Manche. Évalué à 37,5 milliards de livres en 2013, le projet ferroviaire, qui vise à relier Londres aux grandes villes du Nord de l'Angleterre, puis l'Ecosse, est désormais estimé (2023) à près de 100 milliards de livres, soit 115 milliards d'euros. Ce qui en fait « l'un des projets ferroviaires les plus chers du monde » au kilomètre. (En octobre 2023, la situation conduira à l’abandon d’un tronçon crucial, reliant Birmingham à Manchester).
Mose (Mosè, Moïse en italien), acronyme de Module expérimental électromécanique est un ensemble de 78 digues mobiles pour protéger Venise en cas de montée des eaux de l'Adriatique. Le projet a été conçu en 1984 et lancé en 2003. Alors qu'il devait être inauguré en 2016, le chantier a pris beaucoup de retard pour finalement être opérationnel en octobre 2020. Son coût final (5,5 milliards €) est deux fois celui de l’estimation initiale.
12 ans après le lancement officiel du projet, la nouvelle route du littoral de l’Ile de la Réunion, a enfin été ouverte à la circulation le 28 août 2022, … dans un sens, celui qui est achevé ! L’option choisie a été de réaliser un premier tronçon sous forme de viaduc et un second sous forme de digue, mais faute de matériaux pour la digue, cette partie du chantier a été abandonné en 2020, et la route s’arrête donc … dans la mer. La route complète ne sera pas livrée avant 2030. Le coût total de cette route, d’environ 12 km, était évalué à 2,4 milliards d’euros, en 2022, soit le « kilomètre routier le plus cher au monde ».
Le système de GPS européen Galileo : un déploiement qui tourne au fiasco financier. La facture de 3,4 milliards € a été multipliée par trois (10,2 milliards €) en une décennie. Lorsque le programme a été approuvé par le Conseil européen en 1999, Galileo devait être mis en service en 2008. Finalement, l'exploitation de Galileo avec sa constellation complète de 30 satellites (dont 6 en secours) ne sera pas achevée avant 2025.
Le TGV San Francisco-Los Angeles : lancé en 2008, le projet de train à grande vitesse (HSR) en Californie (la première ligne à grande vitesse des Etats-Unis) pour relier San Francisco et Los Angeles, en construction depuis 2017, initialement budgété à 40 milliards de dollars, fait désormais face à des coûts estimés à 180 milliards. L’absence de planification initiale et le lancement rapide du chantier sans expropriation complète ni conception finalisée ont entraîné une hausse rapide des coûts. Un premier tronçon de 191 kilomètres (sur un total de 840) est prévu mis en service … entre 2030 et 2033, soit avec plus de 10 ans de retard.
En mai 2024, le second oléoduc canadien Transmontain entre l'Alberta et Westridge à Burnaby sur côte de la Colombie-Britannique, à travers les Rocheuses, est mis en exploitation. D’un diamètre compris entre 24" (60 cm) et 36" (90 cm), et d’une longueur de 992 km, il fait passer la capacité d’acheminement de pétrole non conventionnel des sables bitumineux de 300.000 baril/jour (le premier oléoduc, 1.150 km, en exploitation depuis 1953) à 890.000 bpd (de 48.000 à 141.000 m3/jour). Ceci, à l’issue de plus de 12 ans de processus réglementaire et de construction et un retard de 7 ans par rapport au planning initial. Ne parlons pas du coût, budgété à 5,4 milliards $ canadiens en 2012 pour atteindre in fine 34,2 $ canadiens.
Même l’industrie peut être concernée. Le télescope James Webb, a été lancé de Kourou par une fusée Ariane le 22 décembre 2021 … avec un retard de plus de 10 ans par rapport aux premières estimations ! Son coût a été multiplié par 10, mais, en revanche, sondant des zones du cosmos vierges d’observations, grâce à son miroir de 6,5 mètres de diamètre, le plus grand jamais déployé dans l’espace, et ses quatre instruments observant dans l’infrarouge, sa moisson scientifique est exceptionnelle.
Autre exemple industriel, 777X, le long-courrier phare de Boeing, version modernisée et remotorisée du gros-porteur historique américain aux 6 versions, censé incarner la nouvelle ère du constructeur, s’enlise dans les retards et devient peu à peu un gouffre financier pour le géant américain. A fin 2025, 20 milliards de dollars (avec un surcoût de 15 milliards $) ont été engloutis depuis le lancement du programme en 2013. Initialement prévu pour un premier vol le 13 mars 2019, reporté au 25 janvier 2020, avec une première livraison initialement programmée en 2020, l’appareil, après de multiples problèmes techniques, n’arrivera finalement pas avant 2027, avec un retard de 7 ans au calendrier déjà repoussé en 2026, soit 14 ans après le lancement commercial de l’avion.
Et le géant américain s’enfonce dans la crise, avec en 2024 une grève de 30.000 employés du secteur commercial pendant 7 semaines, puis, en 2025, les grèves dans sa division défense qui continuent d’entacher sa réputation. Peut-être la conséquence d’une incapacité à désormais organiser et gérer ses mégaprojets : problèmes industriels à répétition, contrôle qualité indigent, mise en cause de l’Agence américaine de la sécurité aérienne (FAA), enquêtes du Congrès, du FBI (turpitudes avouées), obligation de dédommagements contractuels, …
ITER, l’usine sur le site de Saint-Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône), pilote pour la fusion nucléaire (procédé Tokamak), avec 36 partenaires internationaux (accord de 2006) : elle affiche en 2023 un coût de 22 milliards € qui à triplé en 5 ans. En 2016, la construction de ITER avait déjà plus de 10 ans de retard et on prévoyait le premier plasma en décembre 2025, avec une performance 150 fois inférieure à celle qui devait être atteinte vers 2033.
Suite à la remise à plat du projet (erreurs de fabrication, pièces défectueuses, micro fuites, retards de construction, …), le 03 juillet 2024 la direction annonce un nouveau retard. La production du premier plasma est maintenant repoussée, au mieux, à 2034, avec 8 ans de retard sur le précédent calendrier de 2016 et 17 ans après les dates annoncées en 2006 ! Maigre consolation : la pleine puissance de la machine est attendue en 2040, avec un report de seulement 5 ans. Un surcoût de plusieurs milliards € est désormais fatal !
Un projet qui risque d’être dépassé par des procédés concurrents avant d’être opérationnel.
La technologie dite du confinement magnétique, est celle utilisée par le tokamak, et le modèle de réacteur le plus connu, dont le prototype ITER est en cours de construction (laborieuse).
Elle diffère de la méthode dite du confinement inertiel qui utilise des lasers, retenue par le Lawrence Livermore National Laboratory en Californie. Le 13 décembre 2022, au National Ignition Facility (NIF) du LLNL, l’expérimentation de fusion nucléaire par confinement inertiel (192 lasers bombardant une capsule de quelques millimètres de diamètre contenant du deutérium et tritium) a atteint le seuil du break-even, point au-delà duquel la fusion nucléaire contrôlée peut générer plus d’énergie qu’elle n’en consomme. Une énergie de 3.15 mégajoules a été produite alors que les lasers ont injecté 2.05 mégajoules à 150 millions de degrés, soit un gain de 1,10. Une première technologique, considérée comme la plus marquante.
Un autre procédé de la start-up américaine Helion, récupère directement l'énergie à l'intérieur du réacteur sans passer par la case vapeur, et son procédé ne produit pas de neutrons, ce qui évite les projections sur les parois et leur érosion.
Mais des études publiées récemment par des chercheurs du MIT et de la start-up Commonwealth Fusion Systems ont montré que la fusion était possible avec des aimants beaucoup plus petits que ce qui avait été imaginé initialement. Elle prévoit d'activer son réacteur de démonstration, le SPARC, en 2025, puis d'ouvrir sa première centrale au début des années 2030.
Les aléas sont encore nombreux, mais en cas de réussite, Commonwealth et Helion permettraient aux Américains d'arriver les premiers à la production commerciale d'électricité, étape qu'aucun autre pays ne vise avant 2035, au mieux.
Le 01 décembre 2023, l’Institut national de la science et de la technologie quantique (QST) de Naka, au Japon, est parvenu à produire et à maintenir pendant 12 secondes quelque 160 m3 du plasma nécessaire pour amorcer la réaction de fusion au sein du tokamak JT-60SA. Un record. Ce tokamak qui doit permettre d’étudier les conditions de stationnarité des réactions de fusion nucléaire n’est, en réalité, pas concurrent de ITER, mais complémentaire. En 2006, ce type de réacteur fut le premier à avoir atteint le break-even.
Les scientifiques de l'institut coréen de l'énergie de fusion (KFE), entre décembre 2023 et février 2024, sont parvenus à maintenir le dispositif de recherche KSTAR à une température de 100 millions de degrés durant 48 secondes. Ils dépassent ainsi leur précédent record qui avait permis de maintenir cette chaleur durant 30 secondes. Cet outil de recherche constitue un enjeu crucial pour le développement de la fusion nucléaire.
Toutefois, début 2024, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui exploite le réacteur à fusion West (autrefois nommé Tore Supra) à Cadarache, tout près du projet ITER, a réussi à entretenir un plasma durant 6 minutes, une durée record pour une chauffe à 50 millions de degrés. Ce réacteur de type tokamak, qui a la particularité d'avoir une couche interne recouverte de tungstène, a ainsi généré 15 % d'énergie supplémentaire grâce à un plasma deux fois plus dense qu'au cours des précédents essais.
La solution ?
Et si la solution était l’adhésion populaire, l’argent et la volonté et le courage politique.
Sans remonter au projet "Manhattan", il est quand même quelques exemples de réussites.
La cathédrale Notre-Dame de Paris a été détruite par un incendie majeur les 15 et 16 avril 2019 (durant la semaine sainte !) Le chantier de restauration a été mené à bon terme, dans des délais exigeants et pour un coût maîtrisé.
Il faut dire que l’argent pour la restauration a été disponible dès les premiers jours (846 millions d’euros, versés par 340.000 donateurs du monde entier), et que le délai très volontaire de 5 ans (décision politique) a poussé tout le monde à mettre les bouchées doubles. Et ce chantier, hors normes, a attiré les meilleures entreprises de restauration de France. La création d’un nouvel établissement public ad-hoc (décision politique) a été judicieuse.
Le respect du calendrier très resserré a été rendu possible par la mobilisation des équipes de l’établissement public, des entreprises et de l’État et l’étroite coordination entre les travaux sous maîtrise d’ouvrage de l’établissement public et ceux conduits par le diocèse de Paris.
Autre exemple : la construction des villages JO de Paris 2024 fut une réussite.
Le village des athlètes (15.000 athlètes ; 50 hectares), le village des médias (1.500 journalistes ; 70 hectares) et le centre aquatique olympique ont été livrés à temps. Même si les dépenses publiques sont chiffrées à 6,65 milliards d’euros : 3,02 milliards pour l’organisation (dont 1,7 milliard pour la sécurité) plus 3,63 pour les infrastructures, ce qui est 3 fois plus que ce qu’avait prévu le Comité d’organisation (Cojop)
Bien que les Jeux olympiques et paralympiques aient pu être critiqués par des mouvements citoyens en raison de leur coût, de l’absence de garantie gouvernementale sur les risques des projets ou de leur empreinte carbone liée aux déplacements des visiteurs et à la construction de nouvelles infrastructures, le contrat de ville hôte engageait la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) à livrer l’ensemble pour la date des JOP.
Pourtant, le village des médias a fait l’objet de deux recours par deux associations locales pour des raisons environnementales. La construction des ouvrages a été exposée à l’arrêt et au ralentissement de l’activité pendant la pandémie de Covid-19. D’autres incertitudes pouvaient impacter le planning, comme des délais allongés pour obtenir les permis de construire ou d’exproprier.
Peut-on imaginer les effets d’un échec : les JOP bénéficient d’une couverture médiatique mondiale ; la ville et le pays hôtes mis en valeur à l’échelle internationale ne peuvent pâtir d’un risque réputationnel ; le coût de 4,5 milliards d’euros est couvert à hauteur de 2 milliards par le secteur privé, dont les enjeux financiers liés aux droits de retransmission télévisés sont particulièrement importants.
Les moyens de la réussite de ce mégaprojet urbain : la volonté politique.
La réalisation a bénéficié de la loi olympique et paralympique votée en 2018. Elle a permis de réduire les délais et de sécuriser juridiquement la réalisation des projets pour la date des JOP par rapport aux procédures habituelles du code de l’urbanisme. Ont ainsi été mis en place :
- Une procédure d’expropriation d’extrême urgence.
- Des consultations publiques par voie électronique dans le cadre de la concertation qui ont supprimé de fait les réunions publiques de discussion sur le projet, plus longues à mettre en place dans le cadre d’une concertation classique.
- L’innovation juridique du permis de construire à double état. En une seule fois, le maire donne un permis de construire pour les deux usages des bâtiments des villages : (i) la construction des logements et (ii) leur transformation en quartier d’habitations, de bureaux et de commerces classique lors de la phase héritage des JOP.
- La cour administrative de Paris, censée être plus rapide pour statuer, jugerait les éventuels recours en lieu et place du tribunal administratif.
Annexe 1 : les cas EPR 2 « français ».
Chez EDF, l’EPR de Flamanville n’est pas aimé : c’est un produit d’Areva et de Siemens, pas un réacteur « maison ». Dès le départ, les prises de paroles des dirigeants d’EDF se multiplient pour dénoncer une technologie jugée trop complexe.
Toutefois, en 2006, , EDF annonce que le coût d'investissement de l'EPR de Flamanville (Manche) est « estimé à 3,3 milliards € » et que la construction durerait « environ 54 mois », une fois le premier béton nucléaire -le socle de la centrale, le radier- coulé (dans le petit monde de l’atome, c’est le départ de la course. !)
L'avenir va vite trahir EDF et les politiques. Le chantier, qui s'est achevé à l'automne 2024 au lieu de juin 2012, aura finalement duré plus de 200 mois au lieu des 54 prévus. Soit un délai de construction multiplié par 3,8. Son coût, lui, est évalué à 13,2 milliards d'euros, selon la dernière estimation d'EDF publiée en 2022, soit une ardoise finale multiplié par 4. Et même par plus de 7, si on se base sur le rapport de la Cour des comptes, publié le 14 janvier 2025, qui met en évidence des coûts dépassant les prévisions : 23,7 milliards €, cette somme prenant en compte les frais de construction (15,6 milliards d’euros en euros 2023), les dépenses liées à la première phase d’exploitation et les provisions pour démantèlement.
Les principales origines des surcoûts, selon le rapport Folz-2019 : 25%, l’effet prototype (FOAK-First of a Kind) ; 23%, la non maturité des études ; 22%, la sous-estimation initiale, 22%, les retards des études et de la construction, 8%, les évolutions de la régulation et les directives politiques.
En cause, outre des anomalies en pagaille, une perte de compétence industrielle et des tentatives de dissimulations, une énorme carence du management « amateur » de ce méga-projet, pseudo-piloté par un détenteur de procédé et un exploitant, qui non seulement n’ont pas les capacités d’une ingénierie-constructeur, mais aussi n’ont pas su (voulu ?) faire la distinction entre les rôles de maître d’ouvrage et le maître d’œuvre.
Des plannings annoncés totalement irréalistes
Dans la soirée du 03 décembre 2007, le coulage du béton commence pour une durée de 36 heures, sans interruption. Plus de 10.000 tonnes de béton sont déversées sur le ferraillage mis en place durant les semaines précédentes. L'objectif est de réaliser le radier du futur réacteur, c'est-à-dire la première dalle du plancher : un cercle de 55,60 mètres de diamètre sur 1,75 mètre d'épaisseur.
On est parti pour un chantier de 54 mois (4,5 ans), « un planning ambitieux mais que nous considérons comme réaliste et soutenable », dixit EDF, une aberration quand on sait que la durée moyenne de construction d'un réacteur nucléaire dans le monde a été de 121 mois entre 1996 et 2000.
Le chantier est de fait lancé de manière précipitée, sur la base de références techniques parfois erronées et d'études détaillées non matures : la construction débute avec moins de 50% des études approuvées pour construction, une erreur de novice ! Il est vrai qu’en arrière-plan, il y avait une pression politique très forte ; à l'Elysée, où Nicolas Sarkozy vient de s'installer, on pousse pour que l'énergéticien français présente au plus vite sa nouvelle vitrine du nucléaire au monde entier.
Comment un tel bluff ?
À la fin des années 1990, faute de besoin immédiat en France et de soutien politique, l'électricien français n'obtient pas d'accord des pouvoirs publics pour construire un EPR dans l'Hexagone. Donc le nucléaire devient une activité de marché et on va chercher des relais de croissance à l'international.
Mais deux visions s'affrontent, celle de « la jeune (2001) » Areva de A. Lauvergeon qui promeut un modèle de vente "clés en main" et celle de « la vieille » EDF qui veut rester fidèle à son modèle d'architecte-ensemblier qui supervise les chantiers.
Résultat : les rivalités entre les deux groupes publics nationaux, non arbitrées par les autorités politiques de l'époque, se sont traduites par une surenchère dangereuse.
EDF promet un réacteur dernier cri à prix cassé
En 2003, Areva a gagné une première manche en remportant l'appel d'offres d’Okiluoto face aux Russes et aux Américains. Associée à Siemens (l’alliance de 1999-2001 sera rompue par Siemens en 2009), Areva se propose ainsi de construire un EPR "clés en main" en 48 mois et pour 3 milliards €. Des conditions mirobolantes (qu’un client majeur averti n’aurait certainement pas considérées !) font que ce succès commercial est d’emblée perçu comme un risque majeur, nonobstant le cahier des charges contraignant imposé par le régulateur finlandais.
Dans ce contexte, après la défaite de la gauche en 2002, EDF décide de profiter d'une majorité politique plus favorable au nucléaire pour tenter d'implanter un EPR "tête de série" en France. En 2004, le site de Flamanville est retenu et la décision de lancer la construction d'un EPR à Flamanville sera finalement prise en 2006. On va construire un réacteur dernier cri qui puisse servir de vitrine à l'international.
"Too big to fail"
Mais face à l'offre très agressive d'Areva en Finlande, EDF doit se positionner au même niveau. Le projet est donc estimé à 3,3 milliards €, pour un chantier de 54 mois. On n’affronte plus un réalisme technique et industriel, mais un réalisme politique ! L'offre d'EDF est positionnée au niveau nécessaire pour garantir l'adoption de la décision … tout en sachant très bien que l'Etat couvrira la différence.
C'est la stratégie du "too big to fail". Une fois le projet lancé, personne n’osera revenir en arrière … quoiqu’il en coûte !
Immaturité de la conception
EDF a commencé la construction de l’EPR à Flamanville avec un niveau de maturité de conception aussi faible qu’à Olkiluoto, entraînant de nombreuses modifications pendant les approvisionnements et la construction. A peine 40 % des études d’ingénierie de détail étaient terminées lorsque la construction a commencé. De plus les écarts entre les exigences des autorités françaises et finlandaises ont conduit à ce que les deux conceptions, réalisées pratiquement en parallèle, n’ont pas permis de « mutualiser » les enseignements.
À l’inverse, la construction des deux EPR à Taishan, en Chine, qui a débuté quelques années plus tard en 2009, a pu bénéficier des enseignements tirés de nos deux projets « pilote ».
Un savoir-faire et une expertise à reconquérir
Le réseau des sous-traitants, tout comme les concepteurs, ont eu peine à retrouver, dans un délai aussi court, malgré l’importance des efforts réalisés en ce sens, l’intégralité des compétences et des moyens qualifiés perdus pendant les années de gel gouvernemental du programme nucléaire. Le manque de professionnels du secteur est également à pointer. Pour former un soudeur qualifié « nucléaire » avec toutes les habilitations, il faut une pratique de 6 à 7 ans. Désindustrialisation de la France !
On peut également s’interroger sur la qualité des relations entre les autorités, les maîtres d’ouvrage et d’œuvre, les fournisseurs et les entreprises, ces derniers sans doute plus sous-traitants que partenaires, cet esprit coopératif que maitrisent si bien les concurrents coréens voire américains.
La fissure originelle
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le 29 avril 2008, annonce avoir relevé plusieurs "anomalies" sur le chantier. Parmi elles, des fissures ont été détectées dans la coulée du béton du radier en décembre 2007 et des armatures de fer ont été jugées non conformes. Le 26 mai, l'ASN demande à EDF de suspendre les travaux. Le premier arrêt d'une longue liste.
Car si le groupe français a pu rapidement traiter les fissures en injectant une résine sous pression, l'ASN s'inquiète surtout d'un manque de rigueur chez les prestataires sous-traitants pour la construction et aussi des insuffisances du système de management de la qualité d'EDF : défaillances dans le pilotage du chantier et culture du fait accompli, deux faiblesses qui s'avéreront récurrentes.
Avec un plan révisé d'actions d’EDF, le chantier reprend le 17 juin 2008.
Des tensions jusqu'au drame
Bouygues est en charge des principaux travaux. Le site se transforme en une fourmilière de 3 à 4.000 ouvriers. Face aux besoins de main-d'œuvre, les entreprises du chantier font appel à de nombreux travailleurs détachés, venus de toute l'Europe (plus de 460 détachés polonais et roumains seront fournis par deux sociétés coupables de travail dissimulé). En 2019, on évoque des "relations insatisfaisantes" entre EDF et les entreprises et un manque d'"atmosphère collaborative".
Dans ce contexte, les tensions sociales ne tardent pas à ébranler le chantier. Plusieurs centaines de Polonais et de Roumains sont privés de leurs droits sociaux et de nombreux accidents du travail ne sont pas déclarés ... jusqu'au drame. Le 24 janvier 2011, une grue (le grutier avec un taux élevé de cannabis !) percute la plateforme d'un soudeur intérimaire qui fait une chute mortelle.
Les répliques françaises de Fukushima
Le 11 mars 2011, un tremblement de terre et un tsunami détruisent une partie de la centrale japonaise de Fukushima. Il s'agit du plus grave accident nucléaire depuis la catastrophe de Tchernobyl le 26 avril 1986. Et les répliques sur l'EPR de Flamanville, situé lui aussi en bord de mer, ne tardent pas à arriver : des combinaisons d'aléas naturels pouvaient neutraliser les sources électriques et donc le refroidissement du réacteur sur une durée très longue.
Malgré son avance technologique sur le reste du parc français, l'EPR –qui a été conçu à partir de 1989, peu après l'accident de Tchernobyl– doit faire ses preuves lors d'un stress test européen décrété après Fukushima. Résultat : de nouveaux moyens d'alimentation en eau sont finalement décidés pour consolider encore la sécurité. A l'été 2011, EDF annonce, dans un climat de défiance de plus en plus important, que le chantier ne sera pas achevé avant 2016 (déjà au moins 5 ans de retard),
Une cuve qui renferme des secrets
Le 07 octobre 2013, après un long périple depuis l'usine du Creusot (Saône-et-Loire) en passant par le détroit de Gibraltar, la cuve du réacteur (11 mètres de long et 425 tonnes) débarque enfin à Flamanville. Le défi logistique est relevé avec brio, quelques mois seulement après la pose du dôme du bâtiment réacteur, autre symbole de l'avancée des travaux.
Mais cette cuve va rapidement devenir l'un des problèmes majeurs du chantier. En 2015, l’ASN dénonce un excès de carbone dans la composition de l'acier pouvant altérer à terme les propriétés mécaniques de la cuve.
En 2018, le verdict de l’ASN tombe : la cuve peut être installée, mais son couvercle devra être remplacé lors du premier arrêt du réacteur, programmé environ un an après sa mise en service. Cette mésaventure laisse une ardoise conséquente au constructeur et retarde encore le chantier. Pire : elle révèle des tentatives de dissimulations d'EDF et d'Areva. En effet, les deux entreprises avaient été alertées dès 2005 des dysfonctionnements de la forge du Creusot, où a été fabriquée la cuve à partir de 2006.
Ces graves malfaçons mettent également au jour l'état de délabrement de la filière industrielle française après un long "hiver nucléaire", durant lequel aucun réacteur n'a été construit pendant près de 20 ans. On pointe aussi la responsabilité de la forge du Creusot, dont la dégradation du savoir-faire est illustrée par une succession d'incidents majeurs, aggravée par la production de documents techniques falsifiés. Et donc le manque de « professionnalisme » des services d’inspection d’EDF.
Des soudures qui tournent au casse-tête
Cette érosion des compétences et cette tentative de dissimulation des complications se retrouvent également aux racines des irrégularités de soudures qui ont émaillé le chantier. En 2017, EDF informe l'ASN de l'existence de "non-conformités" sur 66 soudures des tuyauteries de vapeur principales. Or, dans le projet présenté, celles-ci sont censées être "en exclusion de rupture", c'est-à-dire que l'hypothèse d'une rupture n'est même pas envisagée. Ce choix a une contrepartie : des exigences extrêmement hautes en termes de conception.
Il y a eu principalement deux anomalies : un écart dans les exigences qui ont été transmises aux entreprises sous-traitantes et des défauts lors de la réalisation des soudures, en usine et sur le chantier. De plus, 8 de ces soudures sont très difficiles d'accès car elles se situent entre l'enceinte interne et externe de confinement du réacteur. Ce n'est qu'en 2021 qu'EDF trouvera une solution grâce à un robot-soudeur spécialement conçu
Cet énième retard, évalué à 11 années dès 2019, aurait pu être largement évité. En effet, dès 2013, un écart sur ces soudures avait déjà été détecté par le sous-traitant de Framatome. EDF n'a fait état de ces difficultés qu'une fois que tout était « achevé » !
Et que dire de la logistique chantier !
Comme si les retards qui coûtent une fortune (les intérêts intercalaires grimpent, mais pas que), tout comme les modifications techniques opérées en cours de réalisation et les réclamations des entreprises qui attendent les instructions, ne suffisaient pas, les travaux préparatoires si essentiels n’ont pas été à la hauteur du projet. Avant de lancer le chantier, tout aurait dû être prêt, depuis les plans dans leur moindre détail, jusqu’aux logements des salariés qui viendront travailler sur le site.
Il faut de l’espace pour les installations temporaires, les centrales à béton, la préfabrication mécanique, etc … afin de mener la construction sans être à l’étroit.
Les bases-vie auraient nécessité davantage de campings avec des mobile homes quatre saisons et des logements provisoires démontables ou modulables. Les cantines et toilettes auraient pu être positionnées plus judicieusement.
Avec les surplus de circulation engendrés par l’afflux de personnel, les parkings auraient dû être mieux anticipés, pour minimiser les pertes de temps. A Flamanville 3, « les personnels se garaient le long de la route, marchaient une demi-heure, souvent sous la pluie… Fatalement, ils arrivaient de mauvaise humeur », Avec des trajets inclus dans le décompte des heures, le temps de travail quotidien effectif – le fameux temps métal ou lead time cher aux deux derniers PDG d’EDF – était de 3h50 !
Un bilan catastrophique
Après 17 années de travaux sans fin et une facture colossale, la construction de l'EPR de Flamanville aura accumulé tant de surcoûts et de délais qu'elle ne peut être considérée que comme un échec pour EDF et une légèreté d’Areva.
Et ensuite !
Après le chargement du combustible au printemps 2024, la première réaction nucléaire le 03 septembre (divergence), la première injection d’électricité (couplage) le 21 décembre, le dernier-né des réacteurs français a enchaîné les arrêts et les contretemps.
Et effectivement, malgré le retour d’expérience des EPR chinois de Taïshan et de celui d'Olkiluoto en Finlande, et les longues années de préparation des équipes, le démarrage de l’EPR de Flamanville ne se passe pas tout à fait comme prévu. Car EDF fait face a des arrêt "fortuits", comme celui déclenché le 15 février 2025 qui a immobilisé le réacteur durant deux mois en raison de la mauvaise performance d’un circuit de refroidissement. Rien de grave a priori. Si ce n’est que depuis, d’autres défaillances ont été identifiées : sonde de température, échauffement anormal du groupe turbo-alternateur, maintenance supplémentaire sur un matériel situé sur la partie nucléaire.
Et le groupe reste très prudent sur la suite des opérations, d’autant qu’EDF prend soin de préciser que « dans les semaines et mois à venir, des arrêts du réacteur, des redémarrages et des reconnexions au réseau seront répétés à plusieurs reprises ». Des actions considérées comme « normales dans le cadre d’un premier démarrage » !.
Durant ses 100 premiers jours de mise en service, le réacteur nucléaire aura connu 76 jours de maintenance. Une partie était prévisible. Des dizaines d’arrêts et redémarrages étaient prévus au planning pour réaliser plus de 1.500 tests dans différents scénarios, avec des paliers à 20%, 60% et 80% de la puissance nominale du réacteur de 1.600 MW. Après 7 reports, l'EPR n'a repris sa montée en puissance que le 19 avril 2025. Deux mois plus tard, un problème d'étanchéité sur les soupapes du circuit primaire immobilise le réacteur plus de trois mois... EDF a déjà six mois de retard sur son calendrier initial. L'atteinte de la pleine puissance est désormais repoussée à la fin de l'automne 2025.
Le sujet est d’autant plus préoccupant que ces reports décalent une autre opération qui fera elle aussi l’objet de toutes les attentions : le changement du couvercle de la cuve du réacteur. En 2014, une anomalie avait été détectée sur cette pièce. Il a été décidé que le couvercle serait changé après 18 mois de fonctionnement du réacteur. Ce qui aurait dû être le cas en 2025… Mais chaque arrêt repousse cette opération qui devrait désormais avoir lieu avant la fin 2026. Une difficulté de plus sur le long chemin de la normalité pour cet EPR.
Il n’y a pas eu tous ces soucis en Chine et en Finlande, les deux autres pays qui ont installé des EPR !
Un fiasco qui servira de leçon à la filière nucléaire française ? 6 nouveaux EPR 2 sont projetés ! Espérons que les leçons de cet échec seront exploitées. Le temps c’est de l’argent ; et il risque de se faire rare, puisque les estimations de prix augmentent déjà avec le temps qui passe ! Un gain de 6 ou 7 années pour la réalisation des prochains EPR devrait laisser espérer une économie d’au moins 30% sur les prochains projets.
Et pourtant. Le premier béton nucléaire, qui sonnera le véritable coup d’envoi du chantier de Penly (Seine-Maritime), est, mi-2025, désormais attendu en 2029 et non plus en 2027 comme initialement prévu. Adieu aussi à l’idée d’une première mise en service en 2035, même la date de 2038 est mise en question par certains. 2040 semble désormais plus probable. L’enjeu pour EDF sera d’accélérer la cadence de constructions des EPR 2 suivants pour arriver à l’objectif fixé par son PDG : construire un réacteur en 70 mois. Une accélération indispensable pour rester dans la compétition mondiale. Le délai de construction de 70 mois, est le benchmark international. Les Coréens, les Chinois, Les Russes le font !
Où est l’erreur ? Eté 2025, Chine 58 – France 57. La France ne possède plus le deuxième parc nucléaire civil derrière les États-Unis (94 réacteurs en service), mais le troisième, derrière la Chine, en nombre de réacteurs installés. Toutefois, en puissance installée, la France reste deuxième. Mais pour combien de temps ? Quand l’Hexagone en est à programmer la construction de 6 EPR2, avec pour objectif de lancer le chantier du premier en 2027, dans l’empire du Milieu, 33 réacteurs sont en train de sortir du sol. Soit autant que ce que le reste du monde bâtit. Mieux, le pays a prévu d’en construire 150 entre 2020 et 2035, soit une capacité installée supplémentaire de 200 gigawatts (quand la France dispose de 63 GW). Les Chinois ont atteint leur rythme de croisière. Il leur faut désormais entre 5 et 7 ans pour faire sortir un réacteur de terre. Le chantier de l’EPR de Flamanville s’est étalé sur 17 ans !
Entre autres sources : FranceInfo – Robin Prudent – 20 déc 2024 / L’Usine Nouvelle - Aurélie Barbaux – 10 avril 2025
Annexe 2 : L’Amérique ne sait plus construire

“Not lifting a finger” - Photograph: Getty Images
L'industrie qui a façonné l'Amérique est en panne. Alors que le pays a besoin de nouvelles usines, de data centers et d'infrastructures, la construction patine. Sous-règlementée ? Non : asphyxiée par de nouvelles normes contradictions, une main d'oeuvre en fuite et une révolution technologique qui n'a jamais vu le jour.
L'Empire State Building a été achevé en 410 jours, le barrage Hoover en à peine cinq ans… Le siècle dernier a vu les États-Unis écrire les plus belles pages de l'histoire du BTP. Mais l'ère des chantiers pharaoniques menés à marche forcée semble révolue. Aujourd'hui, la moitié des entreprises de construction américaines rapportent des retards ou des abandons sur leurs projets commerciaux. La ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Los Angeles à San Francisco, lancée en 2008 et censée être achevée en 2020, est déjà retardée d'une décennie.
Cette incapacité à construire rapidement et à moindre coût a un prix. Le défi est double : le pays doit non seulement accélérer la construction d’usines, d’entrepôts et d’infrastructures énergétiques, mais aussi rivaliser dans la course à l’intelligence artificielle. Un enjeu qui exige, là encore, des centres de données toujours plus nombreux, et donc une filière de construction capable de répondre à cette demande effrénée.
L'industrie du BTP, au même titre que la navale (Note), souffre de problèmes endémiques et structurels profonds. D'abord, elle est extrêmement fragmentée : quelque 750.000 entreprises s'y côtoient, soit près de trois fois plus qu'en fabrication, un secteur qui génère pourtant deux fois plus de richesses. En outre, le secteur manque d'intégration verticale. De grandes entreprises telles Turner ou Bechtel supervisent de grands projets, mais sous-traitent pourtant la majeure partie des travaux à de multiples petites entreprises, qui peuvent elles-mêmes sous-traiter, compliquant la coordination et retardant nombre de chantiers.
Ce tableau presque catastrophique s’est encore dégradé sous l’effet d’une lourde sur-réglementation, qui s'est épaissie depuis les années 1970. Les règles de construction varient selon les États et dans certains cas, les municipalités, obligeant à une expertise locale fine que seules les petites entreprises possèdent souvent. En définitive, le secteur souffre d'une pénurie chronique de main d'œuvre : de nombreux travailleurs sans papiers sont employés sur les chantiers, et leur expulsion compromettrait encore davantage la capacité du secteur à livrer des projets dans les temps.
Ce climat économique et les marges réduites enterrent le secteur du bâtiment dans un cercle vicieux. Les entreprises, étranglées financièrement, peinent à moderniser leurs outils, malgré la demande erratique. Conséquence : la productivité par travailleur a chuté de 8% depuis 2000, quand elle progressait de 54% dans le reste du privé.
L'adoption des technologies reste en outre très marginale : logiciels de planification, robots de chantier, intelligence artificielle ... Tous peinent à pénétrer un secteur encore largement artisanal. Avec seulement 6 robots pour 100.000 ouvriers, contre près de 3.000 dans l’industrie, le secteur accuse un retard criant. Pourtant, des solutions existent pour automatiser des tâches répétitives : maçonnerie, soudage ou manutention pourraient déjà être optimisées. Mais sans investissements massifs, la fracture avec les autres secteurs risque de creuser un trou sans fond.
Le secteur tente bien de se restructurer, notamment par une vague de fusions-acquisitions. Les mariages entre géants comme Flatiron et Dragados, ou le rachat à 11 milliards de Beacon Roofing Supply par QXO, créent des mastodontes capables d'investir dans la modernisation. Mais cette concentration ne va-t-elle pas accroître les prix pour les petits acteurs déjà asphyxiés ? Brad Jacobs, PDG de QXO, vante les mérites des chaînes logistiques. Une vision séduisante, mais qui ressemble davantage à un pansement sur une jambe de bois tant que persisteront les vrais problèmes structurels du secteur.
Note : La navale américaine en déclin depuis des décennies
Si les États-Unis s’inquiètent tant, c’est parce qu’ils semblent en mauvaise posture pour relancer leur propre industrie de construction navale.
Depuis les années 1950, la production navale américaine a ainsi chuté de 85%, et le nombre de chantiers capables de construire de grands navires a fondu de plus de 80%. Aujourd’hui, les États-Unis ne pèsent plus que 1% du tonnage brut mondial, loin derrière la Chine, la Corée du Sud et le Japon.
Leur flotte marchande, qui comptait 1.248 navires en 1946, n’en alignait plus que 275 en 2016. En outre, cette industrie souffre d’une pénurie de 20% de ses effectifs, accentuée aussi par des départs à la retraite et un manque d’attractivité face à des industries mieux rémunérées.
Les États-Unis ont cessé de produire des navires commerciaux en quantité depuis les années 1970. Le secteur américain est désormais concentré sur la construction militaire (avec un budget de la Défense estimé à 884 milliards de dollars), manquant alors de capacités pour produire des navires marchands modernes.
Sources : The Economist – 10 jul 2025 / Geo - Jade Hin-Cellura – 15 jul 2025
Pour l’histoire !
Le 29 mai 1861, Charles Garnier remporte à l’unanimité du jury la construction de l’opéra de Paris. Le chantier phénoménal de ce qui sera appelé le palais Garnier fit travailler entre 10.000 et 20.000 personnes selon les périodes. Le budget prévisionnel alloué en francs or fut de 15 millions, au lieu des 29 demandés initialement. Un an plus tard, le 5 mai 1862, la première pierre est posée. Le 30 décembre 1874, 12,5 ans plus tard, Charles Garnier peut remettre les clés de son monument qui sera inauguré 6 jours plus tard. Le projet sera in fine réalisé pour 36 millions de francs or (environ 150 millions € 2024).

Le palais Garnier au milieu du bouleversement du quartier opéré par Haussmann.
