Le nombre “e”, les Logarithmes

Genèse

.            Un nombre qui ne connaît pas la célébrité du nombre Pi et pourtant on lui trouve de très nombreuses ressemblances. Comme son congénère, e est un nombre irrationnel, c'est à dire qu'il s'écrit avec un nombre infini de décimales sans suite logique. Il est également un nombre transcendant, car solution d’aucune équation à coefficients entiers.

.            L’écossais John Napier (1550-1617), plus connu sous le nom francisé de Neper publie « Mirifici logarithmorum canonis descriptio ». Dans cet ouvrage, qui est la finalité d’un travail de 20 ans, Neper présente un outil permettant de simplifier les calculs opératoires : le logarithme. Ceci peut paraître dérisoire aujourd’hui, mais il faut comprendre qu’à cette époque, les calculatrices n’existent évidemment pas, les nombres décimaux ne sont pas d’usage courant et les opérations posées telles que nous les utilisons ne sont pas encore connues. Et pourtant l'astronomie, la navigation ou le commerce demandent d’effectuer des opérations de plus en plus complexes.

Mais si Neper s’est lancé dans cette folle aventure, c’est au départ pour simplifier les calculs de trigonométrie utiles en astronomie. Il donne ainsi une première table des logarithmes des sinus d’angles (en 1616, le sinus SIN n’est pas le même que le sinus (sin) actuel SIN(x) = R sin(x))

.            Il est à noter qu'un suisse du nom de Joost Bürgi (1552-1632) invente les logarithmes au même moment et de façon indépendante de Napier, mais sa publication lui est postérieure.

.            Dans « Rabdologiae, seu numerationis per virgula libri dur » publié en 1617, Neper développera ses méthodes et expliquera le fonctionnement de baguettes de calculs appelées "Os de Napier", qu’il a inventées. Mises côte à côte, elles permettent d’effectuer les tables de multiplications.

.            Toutefois les logarithmes ne trouveront leur essor qu’après la mort de Neper. Les mathématiciens anglais Henri Briggs (1561-1630) et William Oughtred (1574-1660) reprendront et prolongeront les travaux de Neper. Briggs publie successivement plusieurs tables de logarithmes et Oughtred invente une nouvelle règle à calcul qui repose sur les calculs de logarithmes.

Calcul mathématique

.            Le nombre e est la base des logarithmes naturels, c'est-à-dire le nombre défini par

Ln (e) = 1, aussi noté exp (x) = ex.

Cette constante mathématique, dont le logarithme vaut 1, a été découverte par le mathématicien Jacques Bernoulli (1654-1705), qui réfléchissait au calcul des intérêts composés. Elle a été définie à la même époque, dans une correspondance entre l’allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) et le néerlandais Christian Huygens (1629-1695), comme étant la base du logarithme naturel.

Tirant son abréviation de la lettre initiale du mot "exponentiel", appelée nombre d'Euler ou constante de Néper, en référence aux mathématiciens suisse Leonhard Euler (1707-1783) et John Napier, elle vaut environ

2,718 282.

Le nombre de décimales connues n'a cessé d'augmenter, lui-même de façon exponentielle. Celui-ci est en effet passé de 18 décimales connues en 1748 à 2.010 en 1949, puis à 116.000 en 1978, à 10 millions en 1994, à 1,25 milliard en 1999, pour atteindre 5.000 milliards de décimales en 2016.

.            La décomposition de cette fonction en série entière mène à la définition de e par Euler, comme la somme de la série :

Parmi les rationnels de numérateur et dénominateur inférieurs à 1 000, le plus proche de e est

878 / 323 ≈ 2,718 266 ; ou encore : 2721 / 1001 ≈ 2,7182817

La valeur numérique de e tronquée à 15 décimales est :  2,718 281 828 459 045.

Ce nombre apparait dans de nombreuses formules en analyse telles que la très célèbre identité d'Euler

e i π + 1 = 0

une formule qui intègre alors à la fois le nombre Pi, le nombre e mais aussi l’imaginaire i, trois nombres qui font partie des nombres remarquables, ou la formule de l’écossais Stirling (1692-1770) :

qui donne un équivalent de la factorielle. Il intervient aussi en théorie des probabilités ou en combinatoire.

.            Euler démontre en 1737 que e est irrationnel, donc que son développement décimal n'est pas périodique, et en donne une première approximation avec 23 décimales. Il explicite pour cela son développement en fraction continue. Le nombre de décimales connues de la constante e a beaucoup augmenté au cours des dernières décennies ; on en est à plus de 8.000 milliards en 2019.

En 1873, le français Charles Hermite (1822-1901) montre que le nombre e est même transcendant, c'est-à-dire qu'il n'est racine d'aucun polynôme non nul à coefficients entiers.

Logarithme népérien

.            Au début du XVIIe siècle, John Napier construit les premières tables de logarithmes, qui permettent de simplifier des calculs de produits et quotients mais aussi racines carrées, cubiques et autres. Elles consistent à associer à chaque nombre d'une liste un autre nombre (appelé logarithme), de façon qu'une relation de proportionnalité entre quatre termes de la première liste se traduise par des différences égales entre les termes correspondants de la seconde liste.

Logarithme décimal

.            En 1624, l’anglais Henry Briggs (1556-1630), correspondant avec Napier, modifie les paramètres de construction des tables de logarithmes. D'abord il fixe à 0 le logarithme de 1. Ses tables transforment alors les produits en sommes, ce qui s'écrit en formulation moderne :

Log (xy) = log (x) + log(y)

Ensuite, il fixe à 1 le logarithme de 10, ce qui fait qu'une multiplication par 10 d'un nombre se traduit par un ajout d'une unité à son logarithme. Briggs obtient ainsi une table de valeurs du logarithme décimal, (qui n’est applicable qu’à des nombres strictement positifs).

103 = 10 x 10 x 10 = 1 000, alors log (1 000) = 3

105 = 10 x 10 x 10 x 10 x 10 = 100 000, alors log (100 000) = 5

De façon générale, si 10x = y, alors log (y) = x

Mais log ne donne pas nécessairement une valeur entière :  10x = 25, alors x = log (25) ≈ 1,397 9

L’intérêt d’établir des tables logarithmiques, est de permettre de substituer une multiplication par une addition (opération bien plus commode à effectuer).

Ainsi, celui qui aurait à effectuer 36 x 62, appliquerait cette formule, soit :

log (36 x 62) = log (36) + log (62) ≈ 1,5563 + 1,7924

L’addition étant beaucoup plus simple à effectuer que la multiplication, on trouve facilement :

log (36 x 62) ≈ 3,3487

En cherchant dans la table, le logarithme égal à 3,3487, on trouve qu’il est celui de 2 232, soit : 36 x 62 = 2232.

On voit par cet exemple que les logarithmes ne sont que des intermédiaires qui disparaissent pour laisser place au résultat cherché de l'opération. C'est pour cette raison qu'ils seront qualifiés à l'époque de Napier de nombres artificiels.

Logarithme naturel

.            En 1647, le flamand Grégoire de Saint-Vincent (1584-1667) met en évidence une relation analogue à celle du logarithme entre les aires de domaines délimités par une branche d'hyperbole et son asymptote. Le logarithme naturel est mis en évidence, mais sa base (e) n'est pas identifiée. C’est dans une lettre de Leibniz à Huygens que ce nombre est enfin identifié comme la base du logarithme naturel, vers 1690, mais Leibniz le note b.

On peut le voir comme l’aire de la portion du plan comprise entre l’axe des abscisses, la courbe d’équation y = 1 / t et les deux droites d’équation t = 1 et t = x (aire hachurée sur la figure ci-après). L’aire sous la courbe entre les valeurs de x égale à 1 et à e est exactement 1

Nouvelle notation

.            Euler, dans un article écrit en 1727 ou 1728, est le premier à noter e « le nombre dont le logarithme est l'unité » : ln(e) = 1. Il voyait dans les fonctions exponentielles et les fonctions logarithmes des fonctions réciproques l'une de l'autre.

Le choix de la lettre e comme un hommage au nom d'Euler lui-même étant peu probable, d'autres suppositions ont été avancées : première lettre non utilisée dans un calcul littéral, initiale de « exponentielle », etc.

Anecdote commerciale

Pour son introduction en bourse en juillet 2004, Google a annoncé vouloir lever non pas un chiffre rond comme c'est généralement le cas, mais 2 718 281 828 $, soit e milliards de dollars (au dollar près).

Google est aussi à l'origine d'une campagne de recrutement originale : des panneaux mentionnant « {first 10-digit prime found in the consecutive digits of e}.com »({premier nombre premier à 10 chiffres trouvé dans les décimales successives de e}.com) affichés dans un premier temps dans la Silicon Valley, puis les campus de Cambridge, Seattle et Austin, incitaient les curieux à se rendre sur le site aujourd'hui disparu « 7427466391.com ».

Là, le visiteur devait résoudre un problème encore plus difficile, qui lui-même le renvoyait sur le site Google Labs où il était invité à soumettre son CV, si on trouvait le premier nombre premier à dix chiffres dans les décimales de e. (Celui-ci est 7 427 466 391, qui commence à la 99e décimale).

La croissance de la fonction exponentielle est redoutable

.            Tôt ou tard, elle dépasse la croissance des fonctions polynomiales. Cette remarque est essentielle pour l'estimation de la durée d'exécution d'un programme de calculs. Si la quantité s'exprime par un polynôme, le temps de calcul sera raisonnable ; par contre, si elle croît de façon exponentielle, la capacité de calcul peut être vite dépassée.