Et toi, tu l’aides un peu ?

Aline L.  Maman et femme d'agriculteur

Les questions/réactions que cela suscite quand je fais mon « coming-out » de femme d’agri, car ça laisse rarement indifférent. Alors, en vrac!

  • Et tu l’aides un peu ?

On est quand même dans le top des questions posées. Avec le temps j’ai construit une petite réponse automatique « Ah non, je me limite juste à quelques livraisons de sandwichs. Et d’ailleurs il ne m’aide pas non plus quand je suis sur mes dossiers ».

Ben oui, il est là le sujet. Certes c’est un métier hyper prenant, un métier passion, du genre 7 jours sur 7. Mais c’est un métier. Et il se trouve que par hasard ce n’est pas le mien. Et donc, c’est sûrement dommage, mais je ne suis pas hyper compétente dans le domaine. Et il se trouve que par hasard j’en ai un de métier (légèrement prenant aussi d’ailleurs même si théoriquement je ne travaille pas le week-end).

Question que je peux compléter par le non moins classique « ça doit être facile pour toi tous ses papiers »… celle-ci revient peut-être avec plus de récurrence de par mon métier « administratif », mais j’ai l’impression qui est sous-jacent c’est une représentation bien genrée de la vie à la ferme … l’homme dans les champs, les mains pleine de cambouis … la femme en « back-office », qui fait tourner la maison, mais aussi tout l’administratif de la ferme (avec ses jolies mains propres) … ben oui c’est bien connu l’homme des champs n’y comprend rien lui en informatique et en compta … My god, on est si loin de la réalité chez nous (et heureusement sinon on serait pas rendu #phobieadministrative). Encore une fois, chacun son métier (et l’administratif représente une part importante du travail de la ferme).

  • Il est en bio ?

Là aussi si podium il y avait, on friserait la première marche. La question en soi n’est pas dérangeante, et ça montre un intérêt, mais souvent il n’y a qu’une réponse attendue/acceptable. En sous-entendu c’est une question-espérance « il est en bio j’espère ». Ici aussi j’ai une réponse toute faite, que je garde secrète. Dans la même veine, j’ai parfois le « et vous mangez vos animaux ? »…

  • Vous arrivez à partir un peu quand même ?

Celle-ci c’est le nerf de la guerre. C’est aussi ce sur quoi la différence peut être la plus marquante en matière de mode de vie. 7 jours sur 7, 365 jours sur 365. Je crois que la réponse est claire … que j’atténue toujours par un petit « on prend quelques jours mi-août et 2-3 début janvier ». Donc, en fait, la réponse est oui, on part. La nuance est dans le « un peu ».

  • Financièrement c’est pas trop galère ?

Euuuuh. Et toi, je te demande combien il gagne ton mec ? Tu peux compléter cette question par « heureusement toi tu as une bonne situation (expression mythique de ma grand mère) », « mais il devrait faire de la vente directe, j’ai vu un reportage sur France 5 ça rapporte vachement » (si jamais ça t’intéresse d’acheter de la graine de colza en big bag vas-y n’hésite pas !) …

  • Oh mais c’est génial, tu dois habiter à la ferme, avec des poules et tout, moi j’adorerais, en plus vous pouvez trop être autonomes !

Spoiler alert : non on n’habite pas à la ferme. Et ça tombe bien car accessoirement j’ai la phobie des animaux (sic). Oui la vie à la campagne c’est le top, je ne changerai pour rien au monde, mais n’oublie pas que la première boulangerie est à 10 kilomètres, que si tu veux te faire un ciné tu ne trouves pas d’étudiante pour le babysitting et tu dois prendre ta voiture, … Et pour l’autonomie, (cf ma première réponse) il se trouve qu’accessoirement j’ai un métier (rentable mais prenant, cc la question ci-dessus) du coup je n’ai pas trop de temps libre pour le potager et le pétrissage du pain.

  • Vous venez à combien au mariage ?

LA question la plus difficile à répondre de l’univers ... Souvent, il n’y a pas la case « ça dépend s’il pleut » dans les cartons-réponses. Souvent je suis optimiste quand même et me dis que c’est plus facile d’enlever une assiette que d’en rajouter une, mais ce n’est pas très cool pour l’orga des mariés et des traiteurs, et tu peux finir assise à côté du relou qu’il fallait caser en dernière minute. Tu peux donc compter sur moi pour sortir le fameux « mariage pluvieux, mariage heureux ».

  • Et le petit, il va reprendre ?

La tradition, la transmission, tout ça tout ça. No idea. Pour l’instant il veut devenir « basketteur-philosophe » alors bon comment te dire …

  • « L’amour est dans le pré » c’est réaliste ?

Ben, c’est une émission donc c’est hyper scénarisé, pour ne pas dire caricatural. Ensuite sur les 10-20 candidats, tu vois bien l’immense diversité. En tout cas je trouve bien souvent qu’ils ont des maisons de dingues avec des cuisines toutes neuves (j’suis dans ma jalousie). Et qu’on ne leur dit pas assez que ouais là tu pars une semaine en vacances tous frais payés par la production, mais profites-en bien hein (la vraie réponse c’est comme pour toutes les autres, impossible de généraliser sur la base d’une situation personnelle)

  • Mais, euh, ça te dérange pas trop les odeurs ?

Et la meilleure pour la fin ! C’est sûr que je suis aussi la première à en parler. Parce que j’adore ces soirs d’été où les enfants s’en vont tout poussiéreux faire des tours de moissonneuse jusqu’au bout de la nuit. Parce que sans l’idéaliser c’est beau le travail de la terre, et que ça permet de garder les pieds sur terre justement. Parce que oui, c’est quand même un peu impactant sur le quotidien et c’est pour ça que j’en parle assez souvent (genre la réunion imprévue un soir de juillet ensoleillée quand il a plu non-stop depuis 15 jours c’est légèrement l’angoisse, par exemple).

Les femmes de la terre

Causeur - Cécile Audebert – 16 mars 2024

La crise agricole vient de mettre en lumière la nouvelle place que les femmes ont prise dans l'agriculture

            Femmes, mères, épouses, filles ! Ces femmes de la Terre, trop longtemps oubliées, invisibles, travaillant en silence, parfois sans droit, sans statut et sans reconnaissance. Les voilà, fières, telles des amazones, prêtes à se battre pour sauver leurs exploitations, pour ne pas trahir l’esprit de la lignée paysanne qui coule dans leurs veines, pour faire honneur à un père ou un grand-père. Ces femmes qui ne cherchent à déconstruire ni un modèle traditionnel ni les hommes, mais simplement à s’affirmer dans le rôle qu’elles ont su conquérir naturellement depuis 50 ans.

            Au début du XXème siècle et jusque dans les années 60, le monde agricole est le domaine réservé des hommes, les exploitations se transmettent de père en fils. Main d’œuvre infatigable, l’épouse du chef d’exploitation était « l’aide familiale », sans réelle profession, mais pilier essentiel, mêlant son travail à son statut matrimonial. Sous l’influence des mouvements féministes, les années 70 marquent un vrai tournant et annoncent les prémices de la reconnaissance de ses droits et de son travail.

En 1962, la création du GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun), permet aux époux de s’associer … mais avec une troisième personne. Dans les faits, cette loi a surtout été créée en vue de faciliter la reprise de l’exploitation par les fils.

La création en 1973, du statut « d’associé d’exploitation » a également connu des conséquences mitigées. Ce seront les années 80 et 90 qui marqueront réellement la fin du règne masculin. En 1980, le statut de « co-exploitante » lui permet d’accomplir des actes administratifs nécessaires à la bonne gestion de l’exploitation, mais ce sera la création en 1985 de la EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée) qui apportera un vrai changement – les époux peuvent s’associer en répartissant les tâches et les responsabilités – sans toutefois accorder à la femme un droit individuel dans cette organisation. Le vrai progrès aura lieu en 1999 avec la loi d’orientation agricole qui instaurera le statut de « conjoint collaborateur », lui accordant enfin des droits en matière de protection sociale. Cette loi sera complétée en 2019, en lui permettant de bénéficier d’indemnités journalières en cas de maternité et d’impossibilité de se faire remplacer. Il aura fallu 50 ans aux agricultrices pour que soient reconnus leur travail et la place majeure qu’elles occupent dans les exploitations.

            Les mentalités ont changé, le monde agricole aussi.  Les femmes représentent aujourd’hui   presque   un   quart   des chefs d’exploitations agricoles et viticoles. En 2021, près de 40% des installations sont le fait de femmes, soit 4.518 sur 11.614. Elles se sont également de plus en plus imposées à la présidence des chambres d’agriculture et des syndicats agricoles. Les lycées agricoles et les écoles d’agronomie comptent, en 2023, 45% de filles, qui sont souvent plus diplômées que les garçons de leur âge et qui ont des parcours plus diversifiés.

Aujourd’hui l’égalité des droits entre les hommes et les femmes agriculteurs semble atteinte et n’est plus un sujet de débat.

Le monde agricole demeure cependant un milieu traditionnel. La représentativité des femmes, bien qu’étant de plus en plus importante, reste freinée par le poids des charges familiales, éducatives et administratives qui repose encore bien souvent sur leurs épaules.

Et puis, il y a toutes ces femmes, aujourd’hui cinquantenaires, qui sont parties étudier, et qui sont devenues des citadines. Mais le cœur a ses raisons que la raison ignore, car cet attachement à la terre est le plus fort. Combien sont-elles chaque été, à arrêter leurs activités et à rentrer pour les moissons, ou pour les vendanges en septembre ?

            À l’image de nos aïeules, les « Gardiennes », évoquées par Ernest Perochon dans son roman publié en 1924, et porté à l’écran par Xavier Beauvois, qui avaient répondu à « l’Appel aux femmes de France pour la moisson » lancé par le président du Conseil René Viviani en 1914, aujourd’hui, elles répondent toutes par leur présence et par leur engagement pour garder leurs terres et pour survivre au sein d’une société mondialisée et déracinée.

Et si les femmes étaient l’avenir de l’agriculture, en apportant de nouvelles compétences, une nouvelle vision et une nouvelle sensibilité ?