Le commerce éclairé par la fermeture … éclair !

The Conversation - François Lévêque - 28 jan 2019

Un zipper YKK sur des jeans. Visualhunt

            Une tirette, un curseur et des dents qui s’engrènent, et voilà un blouson ou un sac qui s’ouvrent et se referment prestement. Ce truc bien pratique de la vie de tous les jours, américain de naissance, n’a plus d’attache territoriale aujourd’hui. Il est fabriqué un peu partout, cousu ou collé presque partout, et utilisé absolument partout. Cosmopolite la fermeture éclair détient pourtant encore un passeport japonais avec un tampon chinois. Mais le monde peut changer et le chinois demain peut éliminer le nippon. Zippons quelques pièces de la théorie du commerce international avec ce concurrent du bouton.

YKK, avantage Japon

            Commençons par un petit tour dans votre armoire. Examinez la fermeture éclair de quelques-uns de vos vêtements ; disons 5. Soulevez et observez attentivement la tirette et, au moins une fois, vous verrez apparaître le sigle YKK. C’est celui d’une société japonaise, championne de la fermeture à glissière. Elle en vend chaque année pour environ 10 milliards de dollars et accapare ainsi 40 % du marché mondial. Bluffant non ?

D’où vient une telle domination ? S’agit-il d’avantages comparatifs du Japon dont David Ricardo a expliqué en 1817 qu’ils étaient à l’origine des flux d’échange entre nations ? Pas vraiment. L’empire du Soleil levant ne s’est jamais spécialisé dans la fermeture à glissière ou plus largement dans l’industrie manufacturière légère. Et surtout la fermeture éclair japonaise ne doit pas son succès à l’exportation mais à l’investissement à l’étranger d’une seule firme pour y installer des usines. YKK est implantée dans 73 pays à travers une centaine de sociétés locales dont elle est l’unique actionnaire.

Une invention américaine au pays du jean

            Et si avantage comparatif d’un territoire pour la fermeture éclair il y eut, il eût été celui des États-Unis. C’est là en effet qu’elle a été inventée et a fini tant bien que mal par être adoptée. La saga américaine de la fermeture à glissière est contée par l’historien des technologies, Robert D. Friedel, professeur à l’Université du Maryland. Elle est à ses yeux l’exemple même d’une invention dont personne n’a besoin mais qui finit laborieusement par s’imposer. De son brevet déposé en 1893 à sa première utilisation pour des couvre-chaussures en caoutchouc, les zipper galoshes, il s’est écoulé 25 ans. L’histoire de la fermeture éclair est du type invention-cherche-désespérément-débouché. Les boutons, crochets, fermoirs et autres attaches ont longtemps fait l’affaire des industriels du vêtement, des couturières et de nos aïeuls. Ils sont moins chers, peuvent se changer facilement, et offrent une grande palette d’usage et d’esthétique. Mais les nécessités de la vitesse et de la mode se sont finalement conjuguées pour que la fermeture éclair devienne un accessoire obligé.

Le jean en est un parfait exemple. Le premier modèle de Levi’s à fermeture à glissière date de 1947. L’idée de l’entreprise de San Francisco était alors d’attirer des clientes de la côte Est, supposées freinées dans leur achat par une boutonnière trop voyante (Note 1). Bouton contre zipper (le terme américain, zip est l’anglais), la bataille a fait rage pour garnir les pantalons. On sait aujourd’hui qui l’a gagnée. Hormis quelques nostalgiques du Far West et les angoissés pathologiques à l’idée d’être blessés par un engin à dents métalliques, le jean à fermeture à glissière a été adopté par tous les sexes. Témoin de ce basculement, mais de l’autre côté de l’Atlantique, l’étiquette (Note 2) des pantalons siglés Johnny Hallyday lancés au début des années 1960. Elle précise qu’« ils sont équipés de fermeture Éclair ». Notez au passage que si les Anglo-saxons ont opté pour l’onomatopée « Zip », les Français ont préféré désigner la fermeture à glissière par antonomase. Comme le frigidaire, la fermeture éclair a perdu sa référence de marque, celle du fabricant Prestil qui voulait souligner sa rapidité foudroyante, ainsi que sa majuscule car elle est entrée langage courant.

La glissade de Talon et la montée de YKK

            À la fin des années 1960, Talon, le fabricant historique de fermeture éclair, domine très largement le marché nord-américain. Son nom apparaît sur sept tirettes sur dix En dix ans sa part de marché est descendue de moitié ; elle n’atteint plus que quelques pour cent aujourd’hui. Glissade classique d’un monopole qui s’est reposé sur ses lauriers. Insuffisance d’effort de productivité, d’où des prix élevés ; absence d’innovation, d’où l’ignorance de nouveaux débouchés (sacs, bagages, matériel de camping, etc.) ; prise de risque réduite, d’où l’absence à l’exportation alors que la production de textile se déplace à l’étranger.

L’exact contraire de l’entreprise japonaise YKK. Cette dernière, très tôt lancée dans la fabrication de ses propres machines pour produire mieux et plus vite, s’est ouverte à l’international en s’implantant rapidement en Malaisie, Thaïlande et Costa Rica. Entrée en 1960 sur le marché des États-Unis avec des fermetures moins chères et de qualité comparable, sinon meilleure, elle y a installé sa première usine 12 ans plus tard. Humiliation pour Talon, les combinaisons des deux premiers astronautes à marcher sur la lune porteront des zips YKK.

Note 1 - Le grand débat sur le denim : bouton ou fermeture éclair

Levi Strauss & Co. - 03 oct 2014

            Ne vous laissez pas tromper par le nom « Unzipped ». En matière de braguette, nous apprécions autant la version classique à bouton que sa cousine moderne à fermeture éclair. Mais une telle neutralité est rare parmi les passionnés du jean. Aucune partie du pantalon n'a suscité autant de débats, tant chez les denim addicts que chez les non-denim addicts, que la méthode de fermeture. C'est une bataille entre deux camps : les partisans du bouton et les zélotes de la fermeture éclair, chacun croyant que sa méthode est supérieure.

Histoire de la braguette

            Pour les puritains du denim, c'est le bouton ou la fermeture éclair (bust). La braguette à boutons a gagné en popularité ces dernières années pour son look vintage classique, et trouve ses origines dans la paire originale de 501, créée le 20 mai 1873. Soit 20 ans avant la conception de la fermeture éclair, et près d'un demi-siècle avant son invention telle que nous la connaissons.

Les fermetures à glissière sont si courantes qu'on en oublie facilement la prouesse technique. La fermeture, dont le nom vient du bruit, ou « zip », que fait le curseur lorsqu'il est fermé, a nécessité plus de 20 ans de détermination et la collaboration de nombreux grands esprits : du « Clasp Locker Or Unlocker » de Whitcomb L. Judson, développé pour les bottes boutonnées en 1891, au « Hookless Hooker » de l'ingénieur suédois Otto Frederick Gideon Sundback en 1912, qui a remplacé les crochets et les œillets par des dents et a révolutionné à jamais la fermeture. Ce n'est qu'en 1947 que Levi's a ajouté une braguette zippée à ses jeans, espérant séduire la clientèle féminine. Alors que les femmes occidentales travaillant dans les ranchs portaient des jeans à boutons pour hommes depuis des années, de nombreuses femmes respectables de la côte Est considéraient la version à boutons comme manquant de pudeur.

Forme, fonction et motricité fine

            Le débat sur la fermeture ne se limite pas à opposer « old school » et « new wave ». Il s'agit aussi d'une question de fonction. En termes de maîtrise technique requise, la plupart s'accordent à dire que la fermeture éclair, plus efficace, l'emporte, avec une commodité indéniable qui s'adapte à notre monde moderne à grande vitesse.

La fermeture à boutons exige plus de motricité et ajoute du volume. Et pour les jeans skinny populaires d'aujourd'hui, les boutons ne suffisent tout simplement pas : le tissu peut se gonfler et se déchirer sans la technique d'aspiration et de traction qu'offre une fermeture à glissière.

Ceci étant dit, les fermetures à glissière sont plus susceptibles de se casser et de se coincer, plus difficiles à réparer et plus susceptibles de se défaire. Elles représentent ainsi une menace mineure pour celui qui les porte. Comme le disait le grand Jerry Seinfeld (un fervent adepte des braguettes à boutons) : « C'est un endroit de ma garde-robe où je n'ai pas besoin de dents métalliques acérées et entrelacées. »

Et pour les vrais démineurs, un autre avantage de la braguette à boutons est esthétique. Grâce à leur volume, les boutons créent des couleurs plus intéressantes sur la braguette au fil du temps, une caractéristique recherchée par les fanatiques du dégradé.

Levi Strauss & Co, nous croyons autant au maintien des traditions du passé qu'à l'innovation pour l'avenir. Qui sait ce que l'avenir réserve à la braguette, et quel appareil moderne pourrait un jour révolutionner la façon dont nous enfilons et retirons nos jeans ? Mais en attendant qu'une nouvelle fermeture vienne bousculer les règles, la fermeture éclair moderne et les boutons traditionnels auront tous deux leur place sur nos Levi's.

 Note 2

          Eclair, partie du langage courant’ est une marque déposée, créée en 1924.

Quarante ans plus tard, la fermeture Eclair équipait les Pantalons Johnny Hallyday, et un disque souple était offert comme article publicitaire. Le titre The Big Chief Twist était interprété par le groupe Les Rochers. Un concours permettait également de gagner un déjeuner avec l'idole.