Les cimetières des guillotinés
Les quatre cimetières parisiens de la Madeleine, des Errancis, de Sainte-Marguerite et de Picpus, ont reçu les corps suppliciés par la guillotine de la Révolution. Impressionnant le rythme des exécutions sous la Terreur ! Les terroristes et dictateurs du XXI° siècle n’ont décidément rien inventé !
Le cimetière de la Madeleine
(36 rue Pasquier, 75008 Paris)
En 1762, décision est prise de construire l'actuelle église de la Madeleine. L'ancienne église est supprimée en 1765. Mais le cimetière qui touche l'édifice religieux est conservé dans le but de l'affecter spécialement à l'inhumation des condamnés exécutés sur la place de la Révolution. La commune de Paris publie cet arrêté :
« Séance du 23 août 1792 : … le conseil général arrête que la guillotine restera dressée sur la place de la Révolution, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, à l'exception néanmoins du coutelas que l'exécuteur des hautes œuvres sera autorisé d'enlever après chaque exécution. »
Mais le couteau de la guillotine fauche tant de têtes que le pavé de la rue de la Ville-l'Évêque est constamment rougi de sang. D'ailleurs, ce charnier se trouve aussi dans le voisinage trop immédiat de la place de la Révolution. Cette double circonstance motive la suppression de l'ancien cimetière de la Madeleine. Sa fermeture n'a donc pas lieu pour cause d'encombrement, attendu qu'on s'empresse, dès qu'une tranchée est remplie de cadavres, de les couvrir d'une couche de chaux vive.
Le cimetière de la Madeleine a donc servi pendant la Révolution française de lieu d'inhumation de Louis XVI (21 janvier 1793) et son épouse Marie-Antoinette 16 octobre 1793), chacun dans une fosse individuelle, avant que leurs dépouilles soient emmenées à la basilique de Saint-Denis lors de la Restauration, mais aussi de personnes guillotinées place de la Révolution, telles que Charlotte Corday (qui assassina Jean-Paul Marat le 13 juillet 1793) le 17 juillet 1793, Louis-Philippe d'Orléans (Egalité) le 06 novembre 1793, la comtesse Madame du Barry (favorite de Louis XV) le 08 décembre 1793, Olympe de Gouges (rédactrice en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne) le 03 novembre 1793), 21 députés Girondins proscrits, … en tout environ 500 personnes guillotinées de 1792 à 1794.
En 1770, 133 corps y avaient été exposés puis inhumés, victimes d’une violente bousculade lors des festivités données pour le mariage du futur Louis XVI et de l’archiduchesse Marie-Antoinette sur la place Louis XV (actuelle place de la Concorde) ; un fait divers macabre connu comme la « grande presse ».
Louis XVIII, pour perpétuer le souvenir de l'exécution de son frère, y fera construire une chapelle expiatoire en 1826, chapelle aujourd'hui incluse dans le square Louis-XVI qui occupe l'espace de l'ancien cimetière.
De petite dimension, le cimetière de la Madeleine arrive à saturation avec l’afflux des corps des guillotinés. Le 24 mars 1794, le cimetière est fermé.
Le cimetière de la Madeleine devient « bien national ». Il est vendu une première fois en 1797 puis à nouveau en 1802 à un voisin, Pierre-Louis Ollivier-Desclozeaux. Ayant été témoin des inhumations qui y furent faites, et ayant dressé la liste des 1.343 personnes inhumées, il avait circonscrit l'endroit exact où reposaient les corps et entouré le carré d'une charmille avec des saules pleureurs et des cyprès, dans le souci de sauvegarder les dépouilles du couple royal et des autres victimes qui y étaient inhumées.
Sous la Restauration, Louis XVIII fera ériger à cet emplacement la chapelle expiatoire, réalisée par Pierre Fontaine. Il l'ouvre à la visite et affirme avoir identifié un certain nombre de fosses, dont celles du Roi et de la Reine.
Le cimetière des Errancis
(97 Rue de Monceau, 75008 Paris)
Ancien cimetière de la Révolution française, il tire son nom d’un lieu-dit, qui signifiait en ancien français « les estropiés », du verbe « eraincier », peut-être une maison de repos pour convalescents ou une sorte d'hospice.
Avant la fermeture du cimetière de la Madeleine, la Commune de Paris avait fait choix d'un nouvel emplacement, dans un lieu entouré de murs nommé le « clos du Christ ». Près de l'ancien mur d'octroi, il y avait alors, un vaste terrain ayant la forme d'un carré. Du fait de la saturation du cimetière de la Madeleine ce terrain en partie dévolu au maraîchage, devint le cimetière des Errancis, et remplaça celui de la Madeleine.
Ce terrain servit en 1794 de lieu d'inhumation ordinaire, du 5 au 25 mars, puis de lieu d'inhumation pour 1.119 personnes guillotinées pendant la Révolution française, du 25 mars au 10 juin.
La fosse pour recevoir les restes de Robespierre, Saint-Just, Georges Couthon, Fleuriot-Lescot, Payan, Vivier et autres victimes du 9 thermidor de l’an II (27 juillet 1794) fut creusée au nord du cimetière. On comptait 22 troncs dans 2 tombereaux (les têtes avaient été mises séparément dans un grand coffre), puis le cadavre de Lebas, le seul qui fut au complet en raison de son suicide. Les frais de transport et d'inhumation s'élevèrent à 193 livres, plus 7 livres données comme pourboire aux fossoyeurs, y compris l'acquisition de chaux vive, dont une couche fut étendue sur les restes. C'est également là que fut ensevelie Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, le 10 mai 17945.
Avec pour seuls témoins les charretiers, les fossoyeurs et un commissaire de police, les corps des suppliciés étaient déposés dans des fosses communes de 15 pieds carrés environ, après avoir été entièrement dépouillés de leurs vêtements et de tous leurs effets personnels qui, consignés dans un registre, étaient ensuite remis à l'Hôtel-Dieu. Les corps étaient disposés tête-bêche, en plusieurs couches séparées par 6 pouces de terre, les têtes séparées des troncs étant utilisées indistinctement pour remplir les vides. Dans certaines fosses, cohabitaient des corps de suppliciés et des cercueils « envoyés par l'état-civil ». La dernière couche de cadavres était recouverte d'un mètre de terre environ.
À l'entrée du cimetière se trouvait un panneau sur lequel était marqué « Dormir, enfin ». Un bal s'y installa au début du XIXe siècle, jusqu'à ce que le terrain soit morcelé. Les ossements retrouvés à l'occasion des travaux furent transportés pêle-mêle aux catacombes de Paris.
Le cimetière Sainte-Marguerite
(36 rue Saint-Bernard, 75011 Paris)
En 1627, Antoine Fayet fait construire à ses frais une chapelle dédiée à Sainte-Marguerite dans le faubourg Saint-Antoine. Elle deviendra église paroissiale en 1712, et fut agrandie plusieurs fois.
Elle était entourée d’un cimetière ouvert en 1637. Une partie des soldats des troupes de Turenne et de Condé, qui furent tués pendant la Fronde lors de la bataille du faubourg Saint-Antoine le 02 juillet 1652, y furent inhumés. En 1763, il recevait de 1.000 à 1.200 corps, dans 34 fosses communes qui pouvaient recevoir 800 corps chacune. Deux galeries de charniers avaient été édifiées en 1722. D'une surface initiale de 1.960 m2, il se réduisit avec les aménagements du quartier, et il fut amputé en 1764 pour la construction de la chapelle des Âmes-du-Purgatoire.
Il continua de servir pendant la Révolution. En effet, la guillotine qui sévissait depuis janvier 1793 Place de la Révolution (= Concorde) puis Place du Carrousel à été déplacée Place St-Antoine (= de la Bastille) au début du mois de juin 1794. Ainsi du 09 au 12 juin 1794, les 73 personnes guillotinées place de la Bastille durant les trois jours où l’échafaud y fut dressé (avant son retrait en raison de la colère des riverains), et celles qui furent décapitées à la barrière du Trône, en attendant l’ouverture du cimetière de Picpus furent mis dans les fosses communes de Sainte-Marguerite. Le total des suppliciés serait d’environ 300.
Le 10 juin 1795, vers 5 heures du soir, l’enfant mort au donjon du Temple le 08 juin sous le nom de Louis XVII est enterré à Sainte-Marguerite. La bière fut déposée à la suite des fosses communes. La nuit, le fossoyeur Valentin Bertrancourt retira le cercueil, décloua une planche et constata que le crâne avait été scié. Il plaça le cercueil dans une bière en plomb, qu’il marqua d’une fleur de lys et l’enterra le long de l’église. L’exhumation de 1864 montra que le corps était celui d’un jeune de 15 à 18 ans alors que le Dauphin n’avait que 10 ans. Le corps fut ré-inhumé avec une discrète inscription « L… XVII 1785-1795 ».
La dalle porte une épitaphe latine tirée du Livre des Lamentations : « Attendite et videte si est dolor sicut dolor meus » (Vous qui passez, voyez s’il est une douleur comme la mienne).
Le cimetière fut désaffecté en 1804 avec l'ouverture du cimetière du Père-Lachaise, puis fermé en 1806. Par permission spéciale du Roi, l’abbé Dubois, curé de Sainte-Marguerite de 1802 à 1817, fut cependant inhumé dans le cimetière.
Le cimetière de Picpus
(35 Rue de Picpus, 75012 Paris)
Le cimetière de Picpus, dans le XIIe arrondissement, est un lieu singulier. Par son statut, d’abord, puisqu’il est l’un des deux seuls cimetières privés de la capitale. Par son affectation, ensuite, puisqu’il n’accueille que des descendants de personnes guillotinées lors de l’épisode le plus sanglant de la Révolution : la Grande Terreur, dont la fin sera marquée par l’exécution de Robespierre. Un lieu sans équivalent dans la capitale.
La Grande Terreur, un mois et demi d’exécution de masse
Juin 1794. Deux ans après son installation sur la place de la Révolution (aujourd’hui place de la Concorde), la guillotine rassemble plus de mécontents contre elle que n’importe quelle mesure prise par la Convention nationale. Plus que la méthode, c’est son emplacement qui pose problème. Le passage continuel des charrettes remplies de corps sanguinolents apporte son lot de désagréments. Pire, l’inhumation des milliers de cadavres dans les fosses communes du cimetière des Errancis empeste l’air d’odeurs nauséabondes. Faisant face à de multiples plaintes, les autorités n’ont guère d’autre choix que de délocaliser le “hachoir national”. Ils choisissent d’abord la place de la Bastille, puis la place du Trône-Renversé, actuelle place de l’Île-de-la-Réunion.
La guillotine établie, il leur faut maintenant trouver un endroit où inhumer les cadavres qui s’accumulent … En essayant, cette fois-ci, de trouver un lieu qui ne liguera pas tous les habitants contre lui.
À quelques centaines de mètres de la place du Trône-Renversé se trouve un enclos de 300 mètres de long sur 70 mètres de large. Cet immense domaine au cœur de la capitale a longtemps abrité un couvent, celui des Chanoinesses de Saint-Augustin de la Victoire-de-Lépante. En mai 1792, les bâtiments et le terrain de cette communauté religieuse ont été confisqués par les révolutionnaires et donnés à un “patriote”. Le lieu semble tout trouvé : proche du lieu d’exécution, grand, caché derrière des murs et propriété de la Nation. Deux grandes fosses pouvant accueillir des centaines de cadavres sont immédiatement creusées et le tracé d’une troisième réalisé. Pour minimiser le risque de recevoir des plaintes, les autorités gardent le lieu secret. Pendant toute la durée de la Grande Terreur, personne ne saura vraiment où les corps sont transportés.
Un comité révolutionnaire, chargé de donner les sentences d’exécution, sous la Terreur
Et pourtant, Dieu sait qu’ils sont nombreux ! En seulement 6 semaines, du 14 juin au 27 juillet 1794, 1.306 suppliciés seront inhumés dans l’enclos de l’ancien couvent. Le couperet du bourreau Sanson tombera plus de fois en un mois et demi qu’en deux ans de présence sur la place de la Révolution. Nous sommes au paroxysme de la Terreur et les “ennemis de la Révolution” sont des nobles, des religieux, des militaires, mais surtout des gens du peuple. Tout le monde peut tomber sous le coup d’une décision du Tribunal Révolutionnaire : parmi les 1.306 victimes, il y a des meuniers, des marquis, des boulangers, des princesses, des lieutenants ou des brasseurs. 1.109 hommes et 197 femmes de tous rangs dont les noms sont aujourd’hui inscrits sur des plaques installées dans la chapelle de Picpus.
Un lieu de mémoire et de recueillement
Sous le Directoire, le domaine est découpé en parcelles et vendu à des particuliers qui n’ont généralement pas connaissance des pratiques funestes qui s’y sont déroulées quelques années plus tôt. Seuls quelques officiels et privilégiés savent que des milliers de corps en décomposition sont empilés à quelques mètres en dessous du sol. C’est grâce à la persévérance de trois femmes que les secrets de l’ancien couvent seront portés à la connaissance du public.
En 1797, la princesse Amélie de Salm-Kyrbourg part à la recherche du lieu de sépulture de son frère et de son amant, Alexandre de Beauharnais, tous deux exécutés sur la Place du Trône-Renversé, le 23 juillet 1794. Grâce à l’aide de quelques habitants du quartier, elle retrouve l’endroit et achète l’une des parcelles. Cinq ans plus tard, en 1802, Madame de Montagu et sa sœur Madame de La Fayette, épouse du marquis de La Fayette, engagent la même démarche. Leur grand-mère, leur mère et leur sœur aînée sont décédées sur l’échafaud et ont été inhumées dans l’une des fosses communes. Elles achètent une partie du domaine et fondent une société composée des familles des guillotinés sur la place du Trône-Renversé. Les parcelles réunies, l’espace servira désormais de lieu commémoratif et de cimetière pour les familles des suppliciés.
Encore aujourd’hui, seuls les descendants de personnes passées sur l’échafaud entre juin et juillet 1794 peuvent être inhumés dans ce calme cimetière toujours bien caché dans son enclos.
Le cimetière des familles et l’enclos des fosses communes sont séparés par un mur et une grille. Des plaques racontent l’histoire de ce lieu unique à Paris. © Marc Heimermann
La plaque qui notifie l’emplacement de la fosse n°1
La tombe du marquis de La Fayette, inhumé auprès de son épouse descendante de guillotinés, est la plus connue du cimetière des familles. Chaque année, les États-Unis lui rendent hommage le 4 juillet.
D’après : Wikipedia - www.pariszigzag.fr/insolite/histoire-insolite-paris - Cyrielle Didier - 2025 jan 20 / Diocèse de Paris.