Les labyrinthes des églises
S’y perdre et périr !
Le plus vieux labyrinthe connu, gravé sur une corne de mammouth, serait de l’époque paléolithique. Il semble que le labyrinthe soit une évolution des cupules gravées dans la roche, du néolithique. On en trouve de très nombreux à l’époque du bronze, env 2500 BC, gravés sur des dalles rocheuses, de l’Espagne à la Norvège, puis à l’âge du fer, ~750 BC, comme par exemple au Valcamonica en Italie, dans la zone montagneuse de la Lombardie
On donnait dans l’Antiquité le nom de labyrinthes à ces édifices considérés par les anciens auteurs comme inextricables et composés d’allées ou de galeries dont les innombrables ramifications mettaient le visiteur dans l’impossibilité de sortir. Les grecs et romains feront un grand usage des labyrinthes sur leurs mosaïques. Au Moyen Age et notamment en France, le labyrinthe devient une disposition particulière du pavage des églises, l’arrangement, la coupe et la couleur des pavés formant des lignes sinueuses conduisant par de nombreux détours à différentes stations, et finalement à un calvaire figuré.
Notre mot labyrinthe n’est qu’un mot grec francisé, dont les avis sur l’origine sont partagés. Les uns y trouvent la racine dans le mot grec labra qui signifie grotte, passage étroit et souterrain. D’autres, peut-être avec plus de raison, en font une transformation du mot égyptien Lope-rohunt, temple à l’entrée du lac, indiquant le fameux labyrinthe que le roi Amenemhat III, quelque deux mille ans avant notre ère, avait fait construire non loin du lac Mœris, sans doute pour servir de sépulture à sa dynastie.
De tous les labyrinthes, le plus célébré dans notre culture gréco-latine est celui de Knossos, en Crête, construit par Dédale, sur les ordres du roi légendaire Minos, fils de Zeus et d’Europe. Au centre de ce dédale inextricable le Minotaure, monstre mi-homme mi-démon était enfermé, dévorant les humains qui osaient y pénétrer, car quiconque s’y aventurait était incapable d’en sortir et devenait la proie du monstre. Le héros Thésée parvint jusqu’au centre et tua le Minotaure. Puis, guidé par le fil d’Ariane qu’il avait déroulé après lui, retrouva son chemin vers la sortie. Hérodote, Diodore de Sicile, Pline, ont décrit ce labyrinthe avec admiration.
Thésée et le minotaure, par Edward Burne-Jones (1861)
Sauver son âme !
Après une interruption de quelques siècles due à l’effondrement de l’empire romain, l’ère des cathédrales gothiques relancera l’usage du labyrinthe. Mais, alors que dans l’antiquité le labyrinthe se présente sous forme d’un bâtiment architectural, dans la suite et de nos jours encore on le retrouve dans les genres les plus différents : ornementations murales, pavages, tracés de jardins. Le Moyen Age en orne plus d’une fois nos vieilles cathédrales et il commence donc à abonder dès le début du XIIe siècle.
Les labyrinthes dans les édifices religieux auraient été réalisés à l’origine pour chasser les démons. Ceux-ci seraient toujours situés du côté ouest, là où le soleil disparait, donc là où apparaissent la mort et les démons. Les démons, ne pouvant se déplacer qu’en ligne droite, seraient alors piégés par ces labyrinthes.
La Basilique de Saint Quentin, dans l’Aisne, construite à partir de 1170 pour être collégiale, a obtenu le statut de basilique en 1876. Elle possède un labyrinthe pavé à l’entrée.
Le labyrinthe octogonal de la Basilique de Saint Quentin.
Ce labyrinthe de forme polygonale constitue une partie du pavement de la nef ; son diamètre est d’un peu plus de 10 mètres. En s’y engageant sur les pavés blancs, même sans connaître le chemin, on est sûr de parvenir au centre après avoir patiemment parcouru tous les détours. Peu de labyrinthes disposaient d’embranchements ou de culs de sac, il suffisait donc juste d’être persévérant ; ils sont couramment nommés labyrinthes déambulatoires ; c’est le cas pour celui de la basilique de Saint Quentin. En le déroulant, le pèlerin devait réaliser 260 mètres à genou.
Celui de la cathédrale de Chartres est circulaire, de 12,89 mètres de diamètre. Réalisé probablement entre 1215 et 1220, il est contemporain de la construction de la cathédrale. Le chemin d’une largeur de 34 cm, représente un déroulé d’environ 261,50m. Il est le plus large de toutes les cathédrales gothiques. Le chemin est constitué de 272 dalles, ce qui pourrait être une évocation du nombre de jours entre l’Annonciation et la Nativité, la cathédrale de Chartres étant dédiée à Notre-Dame. Le labyrinthe est composé de 11 cercles concentriques. Dans une approche chrétienne, il se situe entre deux nombres parfaits, le 10 et le 12. Le 10 qui renvoie à la tétraktys pythagoricien, 1+2+3+4=10=1, plénitude de la divinité, et le 12 comme les 12 apôtres ou tribus d’Israël, symbole de plénitude terrestre.
Le cercle ainsi dessiné symbolise le cours de la vie, et synthétise toutes les oppositions : le début et la fin, la naissance et la mort, l’origine et l’éternité. Ce cercle forme le serpent qui se mort la queue, l’Ouroboros. Ce labyrinthe dont l’entrée est à l’ouest, côté où le soleil se couche, symbole de l’imparfait, de l’impur, de la mort offre un cheminement ininterrompu vers l’est, là où se lève le soleil, symbole de la lumière christique et du salut. L’aboutissement se fait au centre du labyrinthe, dans la rosace à 6 lobes, symbole de la porte entre les mondes du créé et de l’incréé.
A Pâques, le chanoine principal de la cathédrale emportant avec lui, à l’image du fil d’Ariane, une pelote de laine jaune (couleur solaire), parcourait tout le chemin devant l’assemblée, puis arrivé au centre, jetait tour à tour la pelote aux personnes placées en rond autour du labyrinthe qui la lui renvoyaient.
Le labyrinthe circulaire de la cathédrale de Chartres.
Celui de la cahédrale d’Amiens, dont la pose de la pierre centrale en 1288 marque l’achèvement des travaux (débutés en 1220), fut détruit par le Chapitre en 1825 sous prétexte du bruit produit par les jeunes fidèles qui suivaient, par jeu, ses lignes compliquées pendant les offices. Il a été reconstruit de 1894 à 1896. Long de 234 mètres, il est semblable à celui de la nef de la basilique de Saint-Quentin.
Le labyrinthe octogonal de la cathédrale d’Amiens.
Le paradoxe de ces labyrinthes (tels que à Saint-Quentin et Chartres), est que ce ne sont pas vraiment des labyrinthes. Dans un labyrinthe, tout est fait pour que l’on s’y perde : choix multiples d’orientations, impasses etc. Or là, il n’y a qu’une seule voie, qui se déroule linéairement de l’entrée à l’arrivée.
Le but ou le sens de pareilles ornementations était donc tout religieux. Les pénitents se devaient de suivre le dédale, si possible à genoux, pour atteindre le centre le « paradis » ou la « Jérusalem céleste ». Ceux qui en avaient la patience et de l’énergie, car il fallait souvent plus d’une heure pour suivre tous les détours, gagnaient de riches indulgences ou se libéraient par cet expédient d’un vœu comme celui d’aller en Terre Sainte.
Dans l’abbatiale de Saint-Bertin, à Saint-Omer, dans le bras Sud du transept, était un de ces labyrinthes, construit au XIIe siècle, qui symbolisait le Temple de Jérusalem, avec des stations pour les pèlerins. Les moines durent quitter l’abbatiale à la révolution et c’est donc une copie de celui-ci réalisée en 1716 au quart de sa grandeur, qui orne la cathédrale actuelle. Contrairement aux labyrinthes symboliques de la cathédrale d'Amiens ou de Chartres dont le chemin est très épuré, celui-ci est complexe. De forme carrée (662 x 667 cm), il compte 49 carreaux de côté, soit 1.240 carreaux de calcaire noir et 1.161 carreaux de marbre blanc (2.401 au total). Le centre représente une croix noire, appuyée de 9 carreaux blancs, que l’on atteint par le chemin (la Lieue), qui évoque le calvaire du Christ sur son chemin de croix et le dédale de la vie qui conduit à Dieu, symbolisé par la croix.
Le labyrinthe carré de la cathédrale de Saint-Omer. La cathédrale a été sévèrement endommagée par un incendie le 02 septembre 2024.
A Reims, les enfants avaient transformé ce « lieu de pèlerinage » simplifié en un divertissement bruyant ; aussi les chanoines firent-ils enlever le labyrinthe de la cathédrale en 1779. Inauguré lors du sacre de Philippe le Bel le 06 janvier 1286. Son originalité était de présenter les maitres d'œuvre de la cathédrale en les faisant sortir de l'anonymat.
Aux quatre coins du labyrinthe de Reims se trouvaient quatre personnages représentant les quatre architectes de la cathédrale et des inscriptions donnant leurs noms (Construit en 1286 ; détruit en 1779).
Débarrassé de ses personnages, avec une rotation de 45° et souvent de couleur rouge foncé, le labyrinthe de la cathédrale de Reims a inspiré le logo des Monuments historiques, utilisé depuis 1985
En raison de sa longueur et de sa signification, le labyrinthe était parfois appelé « chemin de Jérusalem », « lieue », et ce dernier nom n’était pas loin d’être mérité. A Caen, par exemple, se trouve dans l’abbaye de Saint-Etienne un labyrinthe d’à peine quatre mètres de diamètre, mais dont les détours sont si artistement compliqués que le parcours total forme près de deux kilomètres.
Quelquefois, le labyrinthe était de dimensions plus restreintes. Il était alors d’ordinaire appliqué sur un mur, et les fidèles se contentaient de le parcourir du doigt. On en trouvait ou l’on en trouve encore de tels dans les cathédrales de Poitiers, de Reims, d’Arras, dans l’église de San-Vitale à Ravenne, à Aix-en-Provence, dans l’abbaye de Toussarts, à Châlons-sur-Marne ; à Sainte-Marie in Aquiro, à Rome.
Commun dans les vieilles églises de France et du continent, le labyrinthe ne se trouve peut-être pas une seule fois dans celles d’Angleterre. Par contre, il n’est probablement pas un seul comté anglais qui n’ait ou n’ait eu quelque labyrinthe tracé sur un gazon ou dans un bois. Le fait que beaucoup de ces labyrinthes soient la reproduction de ceux que l’on trouve dans les églises du continent, et que presque tous sont placés près d’anciens monuments religieux, suffit à prouver qu’ils ont, eux aussi, une origine religieuse et ne sont pas l’œuvre utilitaire de quelque berger, ou autre habitant de la campagne. Chose curieuse, ces labyrinthes tracés sur des pelouses sont à peu près inconnus ailleurs qu’en Angleterre.
Dans tous les cas, de tous les labyrinthes, ceux-ci sont, on le conçoit, les plus fragiles. Combien de temps subsista le labyrinthe d’Egypte, il est difficile de le savoir. Ceux de nos cathédrales datent de plusieurs siècles. Un labyrinthe de gazon se détruit, lui, en quelques années, si l’on n’en prend soin. Ainsi en fut-il de celui de Leigh, dans le Dorset, qui se trouvait au sommet d’une colline, non loin du village ; il avait environ 25 mètres de diamètre. En 1868, l’herbe avait grandi dans les petits fossés qui en constituaient les sinuosités, si bien qu’il fut impossible d’en retrouver la trace.
En sortir !
Venons-en maintenant à l’intéressante question de savoir comment sortir d’un labyrinthe.
Thésée se guida par le fil d’Ariane. C’était là un moyen sûr de retrouver son chemin après avoir pénétré au centre et tué le Minotaure. Mais il risquait fort de mettre longtemps avant d’atteindre le centre, et peut-être de ne pas l’atteindre du tout s’il allait toujours au hasard et sans règles fixes. Depuis Thésée, le poétique fil d’Ariane a cédé la place à quelques principes plus rationnels permettant d’aboutir, sinon par le plus court chemin, du moins avec certitude, au centre du labyrinthe le plus enchevêtré, et d’en sortir avec non moins de certitude.
Les labyrinthes peuvent être répartis en deux catégories bien distinctes. Les uns sont de simples jeux de patience : une fois l’entrée trouvée, il suffit de suivre la route « unique » que l’on a devant soi ; on est assuré, peut-être après de longs détours, de parvenir au centre. Dans cette première catégorie se rangent la plupart des labyrinthes anciens, plusieurs des labyrinthes d’Angleterre, presque tous ceux de nos cathédrales.
Les autres sont à la fois œuvres de patience et œuvres d’ingéniosité : on pourrait les appeler labyrinthes à carrefours. Dans les premiers, on n’arrive jamais à un endroit avec plus d'une route. Dans ceux-ci, au contraire, il y a un certain nombre de bifurcations, et il faut décider pour l’une des routes qui se présentent. En général, une seule sera la bonne, les autres seront des impasses. Comment donc éviter celles-ci ? Ou du moins comment ne pas manquer de prendre tôt ou tard le bon chemin sans errer indéfiniment ?
En entrant dans un labyrinthe dont on ne connait nullement le plan, voici alors la première règle à suivre : si le labyrinthe en question est d’un seul tenant, c’est-à-dire s’il n’a aucune partie détachée de l’ensemble, il suffit de longer constamment un mur, en l’ayant, par exemple, à main droite (ou constamment à main gauche), et cela sans s’inquiéter des carrefours. Si l’on arrive ainsi à des culs-de-sac, on en ressortira tout naturellement en longeant le mur de l’autre côté ; on passera sûrement par tous les sentiers du labyrinthe ; on atteindra donc le centre, et l’on sortira infailliblement après avoir parcouru deux fois chaque allée.
Si le labyrinthe présente ainsi des parties détachées, des « îles », le parcours peut en être fort difficile. Un procédé ingénieux, datant du XIXe siècle, est dû à Trémaux, Supposons un labyrinthe, relativement simple, formé de quatre enceintes concentriques indépendantes (figure ci-dessous).
Résolution d’un labyrinthe par la méthode de Trémaux
On entre par la porte A, on y trace à terre un signe, puis on longe, comme dans la première méthode, le mur de droite. On fait de la sorte le tour de la première enceinte, jusqu’à retrouver le signe tracé à l’entrée. On retourne alors sur ses pas, mais en suivant le mur d’en face que l’on a, par conséquent, encore à droite. Arrivé ainsi à la porte B, on trace un nouveau signe à terre, et en suivant toujours le mur de droite on pénètre dans la seconde enceinte. En ayant fait le tour, on revient au signe B. On retourne alors sur ses pas, mais en suivant le mur d’en face comme auparavant. En C, on entre dans la troisième enceinte. On franchit enfin la porte D au centre. En suivant cette méthode on ne passe jamais plus de deux fois au même endroit.
Le but des deux méthodes est de donner un moyen sûr de parvenir au centre de n’importe quel labyrinthe. Mais ils ne donnent pas, on le voit, le plus court chemin, ni le nombre de chemins différents pour y arriver. D’ailleurs, si l’on excepte le cas de labyrinthes simples et réguliers, on peut dire que cette détermination est en général assez compliquée. On peut y réussir en marquant au sol tous les passages sans issue, et en examinant ensuite aussi exactement que possible les différentes routes qui restent ouvertes.
Source partielle : Le Mois littéraire et pittoresque (1910) - La France pittoresque, oct 2023