Les vacheries parisiennes. Les affaires du lait.

D’après : Le Piéton de Paris - 31 mai 2013 / parismyope.blogspot.com (2013) / paris-bise-art.blogspot.com

"Dans une agglomération, lieu où l'on tire le lait des vaches et où l'on vend du lait". Au XIX° siècle, plusieurs centaines de ces établissements irriguaient Paris en lait frais car, avant l'invention de la pasteurisation, ce liquide était intransportable.

Petite histoire des vacheries

.            Avant la découverte de la pasteurisation le lait ne se conservait pas très longtemps et donc ne pouvait être transporté sur de grandes distances. Les parisiens n'ont jamais été historiquement de gros consommateurs de lait, mais cet aliment indispensable notamment aux enfants a été de plus en plus commercialisé en ville par les laitiers et les crémiers, à partir du XVII° siècle (les Temps Modernes). Les crémiers se distinguaient par la vente en boutique, alors que les laitiers " criaient " leur marchandise dans les rues. Laitiers et crémiers du XVIIème siècle tiraient leur approvisionnement de lait dans les villages environnant Paris. Déjà, en 1450 on trouvait une rue de la Pierre-o-let (ou des Escrivains), qui donnait dans la rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie. On rapporte qu'en 1710, tous les matins plusieurs femmes " criaient " leur marchandise ou l'exposaient à la vente sur cette petite place.

.             Les parisiens sont peu accoutumés au lait, aliment dont ils se méfient car les laitières le dénaturent souvent ! A la fin du XVIIIème siècle, avec la mode du café au lait qui atteint alors jusqu'aux couches sociales les plus pauvres, le lait s'impose définitivement dans l'alimentation des parisiens. Quelques femmes, en petit nombre, débitent dans leur boutique, du lait qu'elles achètent au laitières de campagne dans un rayon d’une quinzaine de km, principalement en été, livré au moyen de charrettes à cheval.

Dans les grandes villes européennes (Paris, Londres, Copenhague, …) la consommation de lait frais est un sujet de préoccupation pour les hygiénistes du XIXe siècle. C’est un commerce important qui suscite des questionnements tant commerciaux que de santé publique sur la qualité du lait, sur l’approvisionnement ou sur la prévention des fraudes. Devant la consommation de plus en plus importante de lait par les parisiens au XIXème siècle, de nombreuses vacheries vont s'installer, tant à Paris que dans la proche banlieue constituée alors par les petits villages qui en 1859 furent rattachés à la capitale. Ainsi la vacherie Saint-Anne installée près de la barrière Saint-Jacques qui fournissait le lait à plusieurs hôpitaux. Ces vacheries étaient des commerces de lait fraîchement trait (lait cru) et quelquefois de fromages et de crème.

Pendant la belle saison, les nourrisseurs cultivaient des terrains dans les communes limitrophes de la capitale pour donner des aliments verts à leurs vaches. Mais durant l'hiver, ils les nourrissaient de betteraves et de drèche, ce résidu des brasseries composé de seigle, de maïs et d'orge malice.

Les vacheries parisiennes

.            La stabulation des vaches à Paris avait lieu le plus souvent dans de très mauvaises conditions. Une fois entrées dans l’étable, les animaux restaient pendant un an, voire 18 mois, sans être jamais mis à l'air dans une cour, et encore moins au pâturage. Attachés à leurs râteliers ils n’en sortaient que pour être conduits à l’abattoir ! Les étables, ou plutôt les lieux auxquels on donne ce nom, et qui presque jamais n’étaient à l’origine destinées aux animaux qu’elles renferment, sont généralement mal construites, mal placées, mal tenues, basses, remplies d’ordures, et n’ayant le plus souvent d’autre issue que celle de la porte, et donc par conséquent mal aérées. Il y fait une chaleur insupportable, même en hiver : la gêne qu’y éprouve la respiration des animaux, est parfois en évidence par leur souffle haletant.

Ces étables étaient souvent source de nombreuses nuisances causées par la puanteur du fumier et les nuées de mouches l'été, comme le décrira si bien Balzac dans son roman Le colonel Chabert ! Bien entendu il n’y avait aucun contrôle vétérinaire. De plus, l'hygiène lors de la traite était totalement absente (mains sales, pis des vaches non nettoyés avant la traite etc.). La transmission de maladies bactériennes par le lait des bêtes malades (tuberculose, mammite, fièvre aphteuse, etc.) n'était pas rare. L’important c’est que la vache puisse donner beaucoup de lait : donc la nourrir et peu importe qu'elle ait une pneumonie, qu'elle soit phtisique ou aphteuse.

A noter aussi qu’il y avait également des nourrisseurs de vaches et de chèvres qui à Paris et dans ses faubourgs conduisaient leurs animaux par bande, tous les matins, dans différents quartiers de la capitale, afin de fournir aux parisiens du lait frais directement sorti du pis de leurs animaux.

Vacherie 35 rue de Chaillot

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.            Avec la croissance des profits tirés de la vente du lait et sa consommation de plus en plus importante, de nombreuses vacheries vont s'installer dans Paris. De 150 au milieu du XIXème siècle, elles passent à 305 en 1879, puis de 476 en 1888 (plus 612 en banlieue) à 502 en 1892 ce qui constituera l'âge d'or de cette activité.

Le nombre de vaches variait suivant la taille des vacheries. En 1887, dans Paris, on comptait environ 500 vacheries, pour un troupeau total de près 7.000 vaches. Sur ce nombre 100 vacheries avaient moins de 10 vaches, 300 autres possédaient de 10 à 20 vaches, 100 enfin dépassaient ce chiffre de 20, dont 3 ayant respectivement 40, 51 et 57 vaches, sans parler du Jardin d'Acclimatation qui en élève plus de 80.

Les parisiens consommaient 173.000 litres de lait en 1833, mais pas moins de 200 millions de litres par an en 1895. Ce lait provenait en 1895 de vaches entretenues dans Paris même qui ont donné 210.000 hectolitres (environ 10%), par les vacheries de la banlieue qui en ont fourni 530.000 hectolitres (environ 25%) et par les vacheries plus éloignées qui en ont expédié 1.350.000 hectolitres.

Le lait, au-delà des banlieues, était acheminé par le chemin de fer qui permit d’étendre le rayon d’approvisionnement jusqu’à 150 km à la fin du XIXe siècle et aussi des livraisons plus rapides pour éviter qu'il ne " tourne". Avec le progrès des transports ferroviaires, des compagnies laitières, en particulier normandes, s'organisèrent pour faire converger à Paris des « fleuves » de lait à des prix accessibles.

Des « ramasseurs » récupéraient les bidons de lait, ensuite vendus directement à domicile ou confiés à des dépôts de crémiers ou laitiers en gros. Les consommateurs parisiens se rendent aussi parfois directement à l’étable pour obtenir du lait frais à la source.

On estime à 28 millions de francs le produit qui en résulte pour l'agriculture, et à 26 millions et demi le bénéfice des intermédiaires dans le transport et le débit. Le prix du litre variait entre 20 centimes et 1 franc. La dépense en lait de Paris était d’environ 54,5 millions de francs.

Passe encore si on lui laissait toute sa crème ! La crème vendue à part, rapportait en effet gros. Devant les fraudes de plus en plus croissantes, on mit au point des appareils afin de les détecter comme les lactoscopes, les lactodensimères, les saccharimètres et les butyromètres.

.           Mais les étables à l’hygiène trop souvent douteuse faisaient de plus en plus problème. A tel point, qu’à Londres par exemple, dans les années 1820-1830, la recherche de lait frais et non frelaté se traduisit par une demande importante de traite en présence du client, ce que rendaient possible les étables urbaines ainsi que la « foire au lait » de Saint James’s Park qui existera jusqu’en 1905 ; laquelle n’est pas sans rappeler le point de vente à la « pierre au lait » parisienne, à un carrefour proche de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, où les laitières vendirent leur lait jusqu’au XVIIIe siècle.

.            Les découvertes des différentes techniques de conservation du lait, tout d'abord par Nicolas Appert en 1831 (l’appertisation consiste à stériliser par la chaleur des denrées périssables dans des contenants hermétiques), puis celle de Louis Pasteur en 1864 (la pasteurisation consiste à chauffer certains aliments rapidement pendant une courte durée, 62° à 88° C pendant 15 à 20 secondes), largement prônée par l'allemand Franz von Soxhlet en 1886 (il construisit un appareil pour la stérilisation du lait destiné aux nourrissons) furent autant de procédés qui permirent une meilleure conservation du lait et une consommation pratiquement sans risque d'infection microbienne.

.            Les nouvelles techniques de conservation vont faire disparaître peu à peu les vacheries urbaines remplacées progressivement par un approvisionnement issu des fermes laitières des alentours, désormais plus hygiénique. On ne comptera plus que 453/457 vacheries en 1895, puis 141 en 1910 et 30 en 1918. Il n'en restera plus que trois en 1945 ! Les étables parisiennes n’assureront plus que 15 % du commerce du lait parisien en 1913, seulement 8 % durant les années 1930 et à peine 3 % en 1945.

.            L’émergence des moyens de transport rapides et la mise en place d'une législation plus contraignante (hygiène et nuisances des vacheries en ville), la concurrence des grandes sociétés laitières, la difficulté de recruter des garçons vachers mal payés auquel s'ajoute la spéculation foncière, autant d’explications à la disparition des vacheries parisiennes. D’autant que se développe en parallèle une structure de type industriel pour approvisionner le marché parisien.

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste à Paris à l’essor des laitiers en gros, comme la Compagnie Générale de la Laiterie Parisienne, fondée en 1859. Elle fait rapidement faillite, mais d’autres se développent comme la Société des Fermiers Réunis, fondée en 1881, qui devient le premier fournisseur de lait de Paris avec environ 200.000 litres de lait quotidien et cela jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Si les Fermiers Réunis dominent le marché parisien, ils n’en ont pas l’exclusivité. Ils doivent compter, au début du XXe siècle, avec la Laiterie Centrale, la Laiterie d’Augerville, la Laiterie Hauser ou encore la société laitière Maggi, fondée en 1907. Le succès de cette dernière tient à la création d’une chaîne de magasins qui assurent la vente de lait dans des conditions d’hygiène optimales. Face à l’hégémonie des entreprises de vente, les producteurs de la banlieue parisienne se regrouperont en coopérative pour contrebalancer leur quasi-monopole.

.            Au début du XXe siècle, le lait frais est encore parfois stérilisé, à une température proche de 100 °C, avant d’être versé dans les bouteilles vendues directement aux particuliers. Cela limite les problèmes d’hygiène, mais c’est économiquement peu rentable. Il faut attendre les années 1930 pour que le lait soit transporté dans des citernes isothermes ; on généralise alors aussi l’embouteillage du lait. Ainsi conditionné, le lait est vendu au porte-à-porte par des laitières, souvent des jeunes filles, dans tous les quartiers de la capitale.

.            Jusque dans les années 50, le lait sera principalement vendu au détail en vrac. Un décret du 23 février 1950 impose, à partir du 1er janvier 1953, dans les villes de plus de 20.000 habitants, la vente de lait pasteurisé en bouteilles cachetées. C'est la fin des bidons à lait en aluminium. Avec l'apparition de la stérilisation à haute température lait UHT (ultra haute température ; porté à 138° C pendant 2 secondes) dans les années 1960, le lait obtenu sera désormais exempt de tous germes et de tous spores. Couplé à l’emballage en brique opaque et sous vide d’air développé par Tetra Pak, la pasteurisation à ultra haute température, permettra de conserver le lait pendant des mois à température ambiante.

L'industrialisation et le développement des transports frigorifiques ont eu définitivement raison des vacheries.

Implantation des vacheries parisiennes 

Carte des fermes en 1895 (Atlas des Parisiens). Elles se situaient presque toutes dans les anciens faubourgs, à l'image de celle de Montsouris.

.            Des 500 bâtiments, il ne reste plus que la grange de la Ferme de Montsouris, sa cour, la maison des vachers et le bâtiment sur rue avec sa porte charretière. Le tout dans un environnement (26-30, rue de la Tombe-Issoire et 15-17, villa Saint-Jacques) exclusivement du 19e siècle.

La ferme de Montsouris. Sous le terrain en friche se cachent des carrières médiévales, classées monuments historiques.

.            On retrouve encore aujourd'hui des traces de ces vacheries, souvent signalées par une tête de vache sculptée ou fixée dans la pierre.

Tête de vache. Entrée du Passage Delanos, où se tenait une vacherie. 148, rue du Faubourg-Saint-Denis, Xe Arr.

Tête de vache en fonte de fer sur le portail d'une ancienne vacherie. Cour du 15, rue de la Présentation, XIe Arr.

.            Les vaches donnèrent leur nom à des lieux et des rues de Paris et de banlieue. Au XVIe siècle, existe à Grenelle le Chemin aux Vaches. L’Ile-aux-Vaches correspond à la partie orientale de l’Île-Saint-Louis (ancienne Ile Notre-Dame) coupée en deux lorsque Charles V construisit l’enceinte qui porte son nom, la rue Trousse-vache, détruite lors du percement du boulevard de Sébastopol, la rue aux vaches aujourd'hui rue Saint-Dominique, l'impasse aux vaches devenue impasse Haxo, La « Vache Noire » demeure un carrefour bien connu de Cachan etc.

Île Louviers, Île aux Vaches, Île Notre-Dame 1630.

La ferme impériale de Vincennes 

.            La ferme impériale de Vincennes est fondée en 1855. Les Parisiens descendent à la gare de Joinville pour venir y boire une tasse de lait pur …  Elle est située tout près de Saint-Maur, en dehors des fortifications, à environ 4 kilomètres de l’ancienne barrière du Trône. La vacherie, avec ses 104 vaches, est la partie principale de la ferme de Vincennes. Dans l'étable se trouve une voie ferrée centrale, sur laquelle circulent les chariots portant la nourriture aux vaches. Celles-ci, sont alignées en rangée de part et d’autre ; derrière les animaux sont aménagés deux corridors de service. Les animaux sont attachés par une chaîne à quatre branches, deux pour ceinturer le cou de chaque bête, et deux terminées par des anneaux qui glissent le long des piquets pour que l’animal puisse lever ou baisser la tête. Dans le compartiment central se trouve une auge pour rafraîchir le lait. Un escalier mobile permet de monter au premier étage de ce compartiment, … là se trouvent les lits des quatre bouviers qui ont chacun une fenêtre pour voir d’un seul coup d’œil chacune des quatre travées qui sont sous leur surveillance.

La Vacherie !

Falsifications du lait.

.            Barruel dans ses Considérations hygiéniques sur le lait vendu à Paris comme substance alimentaire, publiées en 1829, souligne que l'extension considérable de l'usage du café au lait, a depuis 18 à 20 ans, doublé le nombre des laitières qui se placent au coin des rues ; que, dans les campagnes voisines de la capitale, le nombre des vaches laitières n'a pas augmenté dans la même proportion ; que, conséquemment, les laitières puisent leur lait ailleurs que dans le pis des vaches. Quelques exemples :

1°. Écrémage du lait. — Une première et constante tromperie des débitants est de vendre leur lait écrémé, c’est à dire privé de la portion de matière crémeuse qui, par un repos de quelques heures après la traite, a pu monter dans la partie supérieure du récipient. Ce lait riche, soustrait avec précaution, est vendu séparément dans de petits vases en grès, à un prix plus élevé, sous le nom de crème.

2°. Falsification avec l'eau. — Falsifier avec une trop grande quantité d'eau, rend la saveur aqueuse, et fait apparaitre un léger reflet bleuâtre. Pour lui rendre sa saveur, il faut avoir recours aux falsifications additionnelles suivantes :

3°. Falsification avec la cassonade. —-La bonne dissolution de cette substance nécessite de remuer très souvent les récipients.

4°. Falsification avec de la farine délayée dans l'eau.

5°. Falsification par l'émulsion d'amandes douces ou de graines de chenevis (graines de chanvre) pour colorer plus blanc à laquelle on peut ajouter une petite quantité de cassonade.

6°. Falsification par le sous-carbonate de potasse ou de soude, pour empêcher, pendant les chaleurs de l'été, le lait de cailler

7°. Falsification avec de l'oxyde de zinc. Pour épaissir le lait.

8 ° Falsifications du beurre avec de la fécule de pomme de terre, de la craie ou autres matières analogues

9° Falsification du fromage, avec de la fécule de pomme de terre ou de la farine.

Menus propos

.            Malgré leur annexion (loi du 16 juin 1859, qui porte le nombre des arrondissements à 20 avec l'annexion des faubourgs situés entre les fortifications de l'enceinte de Thiers et le mur des Fermiers généraux) les arrondissements excentriques de Paris ont conservé de nombreuses vacheries qui sont « renommées » pour l'excellence et l'abondance du lait qu'elles débitent ; aussi les gens qui veulent du lait pur et frais, et non pas le liquide blanchâtre échauffé et frelaté que les départements nous expédient par les chemins de fer, ont-ils soin de se fournir, non pas dans une laiterie, mais dans une vacherie de Passy, Vaugirard, La Chapelle, etc. Or à la porte d’une vacherie renommée on voit, outre trois vaches superbes peintes sur un des battants, une réunion de femmes et d'enfants tous très animés : la vachère refusait du lait à toutes ses ‘pratiques’ ; même les plus anciennes. Elle invectivait les gens du chemin de fer de l'Ouest (Normandie-Bretagne), qui étaient de quatre heures en retard. En réalité les seules vaches de l'établissement étaient celles peintes sur la porte.

D’après : Le Petit Journal, 8 mars 1863

.            Le lait est l'objet d'une surveillance toujours active. On a répandu bien des fables sur la façon dont les crémiers sophistiquaient leur marchandise ; on a parlé de plâtre, de cervelles de chevaux et de je ne sais quels autres mélanges, … En réalité, le lait est allongé d'eau dans des proportions considérables après qu'on l'a préalablement écrémé et mêlé à du bicarbonate de soude, pour l'empêcher de tourner. Ainsi préparé, il n'offre aucun danger au consommateur, mais il perd une bonne partie de ses qualités nutritives, ce qui ne peut que porter préjudice aux enfants et aux vieillards. Le lait vendu à Paris contient en moyenne 18 pour 100 d'eau ; le lait tout préparé, j'allais dire tout baptisé, est expédié par les producteurs aux crémiers détaillants qui ne se font pas faute de le mouiller de nouveau. Non-seulement les débitants sont surveillés, mais dans les gares mêmes des chemins de fer, à l'arrivée des trains qui apportent le lait à Paris, les inspecteurs vont examiner les bidons et s'assurer de ce qu'ils contiennent. Les contraventions ne sont pas rares, car les gens de campagne excellent aujourd'hui à ce genre de commerce dont le puits leur fournit l'élément principal. Ce ne sont pas seulement les petits cultivateurs, les pauvres fermiers qui allongent le lait, ce sont aussi les gros propriétaires, qui ne reculent pas devant une fraude coupable pour augmenter leurs bénéfices.

D’après : Paris, ses organes, ses fonctions, T. 2./ Maxime du Camp, 1875

.            On ne peut s'empêcher d'avoir le cœur serré en trouvant sur son chemin une affiche blanche placardée à la porte d'un crémier, mentionnant sa condamnation à quelques francs d'amende pour le rachat de tous les infanticides qu'il peut avoir sur la conscience. Après avoir lu de telles affiches, beaucoup de mères se mettent en quête d'un nourrisseur pour avoir un lait pur et sain. Certaines, rendues défiantes, se rendent elles-mêmes à la vacherie sans jamais surprendre ce petit tour de passe qui consiste, pour le nourrisseur, à traire sous les yeux du client dans un vase d'étroite encolure, lesté préalablement avec une convenable quantité d'eau.

Le bon lait ! La question de l'alimentation par le lait ! Elle est vitale pour Paris comme pour la France entière, où l'usage du lait a pris une extension inouïe depuis dix ans. Les mères nourrices diminuent dans des proportions considérables un peu partout, mais principalement dans les grandes villes et dans les agglomérations industrielles. Raison de plus pour veiller à ce que le lait soit pur ou tout au moins stérilisé.

On a pu s'assurer que l'Assistance publique, grâce aux prix qu'elle y met et à la surveillance qu'elle exerce, est pourvue de bon lait. Il en est de même des riches qui ne regardent pas à cette dépense essentielle. Mais que vaut le lait qui alimente la masse des consommateurs ?

Après enquête, le lait laisse fort à désirer dans les 20 arrondissements de Paris. Dans 6 seulement, il contenait plus de 30 grammes de beurre. Dans 14 autres, il y avait moins de grammes, et cette dose tombait jusqu'à 19, 17 et même 15 grammes. Tous ces laits avaient été écrémés. Dans celui qui l'avait été le moins, on avait enlevé 10 % de matières grasses ; le maximum constaté de l'écrémage avait été de 59 % de la crème. Certains avaient été en outre additionnés d'eau.

Une expérience faite après la présentation d'enfants pales et malingres à une consultation gratuite a permis d'établir que le lait le moins mauvais qui leur était distribué ne renfermait pas 27 grammes de beurre et que le pire n'en recelait pas 15. Aussi les enfants dépérissaient et étaient condamnés à trépasser, bien que le lait dont ils étaient nourris eût coûté 20, 25 et même 30 centimes le litre. Et certaines mères, pensant avoir acheté du bon lait, croient devoir encore le couper d'eau !

Nous connaissons le mal, son étendue, sa gravité. Voyons-en maintenant les origines. La première est la vache elle-même. Elle peut être atteinte d'une affection contagieuse, de tuberculose, de fièvre aphteuse, etc. Il y a aussi la traite, les doigts qui la font, l'eau qui sert au lavage des vases, et aussi l'eau ajoutée par la fraude. Autant de causes de production et de transmission de microbes qui peuvent engendrer des affections chroniques comme la pulmonie, des diarrhées infectieuses, le choléra infantile et toutes sortes d'accidents graves, surtout pendant les chaleurs de l'été.

Pour ta stérilisation, qui semble plus que jamais s'imposer, il faut rejeter tous les ingrédients chimiques. On peut refroidir le lait ou le pasteuriser pour le conserver, mais le mieux est encore de le faire bouillir ou de le chauffer en flacons clos à 100 degrés pendant trois quarts d'heure. Il faudrait aussi qu'on distribue gratuitement du lait stérilisé aux mères nécessiteuses.

D’après : Le Petit Journal, 4 septembre 1897

Décoration d'une crèmerie, dépôt de lait de la ferme "Domaine de Faronville". Les pots sont scellés. Céramique Ebel et Cazet, fin du 19e siècle. 13, rue Rougemont, IXe Arr.

Enseigne d'un nourrisseur. 1, impasse Franchemont, XIe Arr

Décorations de crèmeries, céramique