Malaise à la ferme France.

D’après : Le Figaro - 25 fév 2023 / Atlantico – Sylvie Brunel – 26 fév 2023 / Ouest-France -Antonin Le Bris – 26 fév 2023.

Derrière des paysages bucoliques ...,

.            ... l’agriculture française souffre de plus en plus. Quelques chiffres suffisent à planter le décor, à traduire le malaise qui court les campagnes. En moins de 10 ans, notre balance commerciale agricole est passée d’un excédent de 6 milliards d’euros à un déficit de 300 millions. Sur les 20 dernières années, la France est passée de 2ème à 5ème exportateur mondial, et ses importations alimentaires ont doublé. Aujourd’hui, notre pays achète un poulet sur deux à l’étranger, importe 40 % de ses légumes et 60 % de ses fruits.  Avec le recul des cheptels, la France a dû importer en 2021, 29% de sa viande bovine et plus de 25% de sa viande porcine. Il reste en France 3,1 millions de vaches allaitantes et 3,4 millions de laitières, ce qui en fait le premier cheptel bovin d’Europe, mais on a perdu 3 millions de vaches depuis 1980.

C’est dire si l’excellence française donnée en spectacle au Salon de l’agriculture, grand-messe annuelle, n’est qu’une façade trompeuse. Elle est loin de garantir l’indépendance alimentaire que la crise sanitaire a plus que jamais mise au goût du jour.

.            Bien sûr, le réchauffement climatique n’est pas hors de cause. L’année 2022 en a été une criante illustration: il assèche les sols, détruit les cultures, dérègle les saisons, rend incertaines les récoltes et les conditions d’élevage. Mais cet inquiétant phénomène ne sévit pas qu’en France et n’explique pas tout. Il y a aussi, et surtout, la tyrannie des contraintes écologiques, plus violente dans notre pays qu’ailleurs.

Si le recours abusif à certains produits phytosanitaires doit être dénoncé, le jusqu’au-boutisme des règles et diktats imposés aux agriculteurs est blâmable. Il répond à une idéologie plus verte que verte, qui contamine élus et bureaucrates, de Bruxelles à Paris. Pire, même la constitution de réserves d’eau donne lieu à des batailles rangées. Agribashing et écoterrorisme font des ravages.

Résultat, les champs sont désertés et les métiers agricoles n’attirent plus. En quarante ans, le nombre de paysans est passé de 1,6 million à moins de 400.000 (dont 150.000 éleveurs), et près de la moitié ne seront plus en exercice en 2030.

Faut-il rappeler que, selon l’INRAE, la part des aides publiques représente 87 % du revenu des éleveurs de vaches laitières et 195 % (!) du revenu des éleveurs de vaches allaitantes … L’éleveur vit de subventions et non plus de son travail. Est-il besoin d’ajouter, à l’heure du débat sur la réforme des retraites, que la pénibilité est une notion inconnue à la ferme ?

Le problème du foncier

.           Des centaines d’hectares de terres agricoles sont régulièrement achetées à des prix inaccessibles pour les paysans par des investisseurs étrangers, notamment chinois, comme dans l’Indre ou l’Allier, mais aussi par des coopératives ou des grands groupes d’envergure internationale, en particulier, des secteurs de l’agroalimentaire et la dermo-cosmétique. L’objectif de ces derniers est double. D’abord, faire face à la compétition féroce qui se joue sur le marché des produits alimentaires pour sécuriser leur approvisionnement : acquérir une exploitation agricole, c’est s’assurer de la quantité produite. Et au niveau de la qualité, pouvoir faire varier la production de manière plus fine et s’adapter plus facilement à l’évolution de la demande des consommateurs.

Ce phénomène est en train de transformer radicalement l’agriculture française. Sur les 26,7 millions d’hectares de terres agricoles en France (prairies comprises), si on sait que seules 35 % des terres cultivées appartiennent aujourd’hui aux agriculteurs qui les travaillent avec le pouvoir de décision, et que les sociétés agricoles financiarisées en détiennent 14 %, dont 640.000 ha en faire-valoir direct, c’est-à-dire en propriété, en revanche, on ne connait pas le pourcentage détenu par ces grands groupes qui ont une architecture complexe et échappent ainsi à l’appareil statistique. D’autre part, depuis 2017, les Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), créées en 1960 pour améliorer les structures foncières par l'installation d'exploitations agricoles ou forestières ou le maintien de celles existantes, se financent désormais à hauteur de 2 % auprès des Régions, de 8 % par leurs expertises, et le reste, par les commissions sur les ventes, et sont donc … devenues juges et parties ! Ces sociétés financières cherchent rarement à nourrir leur territoire, mais se tournent vers des grandes cultures, industrialisent au maximum les pratiques agricoles et participent progressivement à la déqualification du métier en remplaçant les chefs d’exploitations par des salariés.

Quand on sait que le taux d’endettement des agriculteurs a été multiplié par 4 depuis les années 1980, on peut comprendre ces salariés, qui bénéficient d’un outil de travail, d’une ferme, d’un salaire mensuel et de vacances, sans s’imposer des remboursements de prêts sur 20 ou 30 ans. Ou bien la difficulté d’un agriculteur, qui, part à la retraite en touchant environ 700 € en moyenne (pour un indépendant) et qui souhaite avoir un petit bagage supplémentaire pour arrondir la fin de ses jours !

Après s’être désindustrialisée, la France semble bien partie pour se désagricultiriser !

.            Les agriculteurs depuis des décennies nous ont garanti une nourriture sûre et de qualité, qui est devenue tellement évidente, que l’on ne cesse de mettre des entraves à leur métier, à leur imposer des normes, des interdictions, des contrôles qui les découragent. Aujourd’hui, la vision de la nature est erronée, vue comme prodigue et bienveillante, y compris les rats, les loups et autres ravageurs des récoltes et des élevages ! Il y a aussi une forme de racisme de classe d’un monde devenu urbain, persuadé de mieux connaître l’agriculture que les paysans et leur administrant des leçons d’agronomie, en les renvoyant au passé, à une précarité et une pénibilité dont ils ne voudraient jamais pour eux-mêmes. Alors qu’il s’agit d’une des professions les plus avancées au monde, avec des outils d’aide à la décision hyper-pointus pour réussir à répondre à nos attentes contradictoires !

.            Le « mainstream » et des politiques trop souvent dogmatiques commettent des erreurs graves à moyen terme en la matière.

Ainsi interdire les traitements, même les mieux connus et maîtrisés, alors que la pression parasitaire s’aggrave avec la mondialisation et le changement climatique, ceci sans vouloir admettre que l’utilisation de ces produits baisse régulièrement (-20% depuis 5 ans).

Mais aussi le génie génétique pour trouver rapidement les variétés les plus adaptées aux nouvelles conditions de culture. Pour nous les vaccins ARN, pour eux la binette !

Proscrire l’irrigation alors que l’eau se déverse à la mer et que nous sommes le pays record au monde pour le nombre de piscines privées (d’ailleurs traitées …). Parler de méga-bassines là où il s’agit notamment en cas de tension sur la disponibilité de réserves de substitution qui apportent de l’eau pour tous, pour les oiseaux, les insectes, la biodiversité, la lutte contre les incendies … C’est une erreur tragique que de vouloir une agriculture uniquement pluviale, locale, de petite taille et traditionnelle … Les cultures maraîchères, arboricoles et plantes aromatiques de la frange rhodanienne ne seraient pas sans les eaux du barrage de Serre-Ponçon !

Mise de la profession sous la contrainte des normes multipliées à l’envi, parfois plus strictes que la réglementation européenne, entraînant des distorsions de concurrence.

.            Nous sommes en train de perdre notre souveraineté alimentaire dans un monde où la faim est redevenue une arme. 20.000 départs d’exploitants chaque année, 13.000 installations seulement ! Nous perdons des paysages, des patrimoines, de bonnes terres désormais bétonnées ou rendues à la friche. Nous perdons des territoires vivants et notre indépendance ! Et dans certaines régions on recherche des « volontaires » pour exploiter des friches ou des terres laissées à l’abandon ! Il y a beaucoup de responsables ; les médias qui les accablent de leurs mépris et de leurs ricanements, certaines organisations environnementales qui refusent de travailler avec eux, voire saccagent leurs installations, certains néo-ruraux qui sont venus s’installer à la campagne, en particulier l’été, parce qu’ils la trouvent belle - grâce au travail des agriculteurs ! - et leur pourrissent la vie.

Un changement nécessaire de paradigme

.            Par rapport à la « révolution verte » des années 1970, ce sera un processus lent. Comment arrêter de commettre les erreurs qui peuvent encore être réparées ? D’abord respecter ceux qui nous nourrissent et nous font vivre. Aller à leur rencontre pour comprendre la technicité et la difficulté de leur métier, et leur être reconnaissants de nous protéger de maladies mortelles comme les mycotoxines, de nous assurer une alimentation sûre, saine, variée, de qualité … et accessible financièrement.

.            Les agriculteurs ont déjà engagé des mouvements d’ampleur. D’abord, leur révolution numérique ; l’agriculture de demain sera connectée et écologique. Quelque 120 start-up françaises, regroupées au sein de Ferme digitale, sont attelées à cette tâche : data, formation, biotechnologies, optimisation des intrants et des consommations d’eau, gestion, nouveaux schémas d’exploitation, … Puis, la diversification de leur activité, en produisant par exemple de l’énergie.

.            L’adaptation au changement climatique et à une agriculture plus durable est en cours. Adoption de nouvelles pratiques agricoles pour l’amélioration des sols, avec la rotation des cultures, les couverts végétaux et la réduction des labours, cette référence ancestrale du métier. Réutilisation des eaux usées (0,8% seulement en France). Essais de nouveaux fourrages, nouveaux cépages, nouvelles variétés de semences, de maïs et d’arbres fruitiers. Ceci pour améliorer la résistance des cultures aux malades et aléas du climat, comme celle du maïs qui requiert 30% d’eau de moins qu’il y a 20 ans. Etude de nouvelles variétés potentielles par croisement (lesquelles se comptent naturellement par centaines de milliers dans le monde rien que pour les céréales et les légumineuses !) Recherche d’alternatives aux pesticides et herbicides. Un système français d’inscription des variétés à faire évoluer pour considérer autant la résistance au stress climatique que le rendement attendu.

Ceci est du temps long : il faut au minimum 7 ans pour mettre au point une nouvelle variété. Peut-être faut-il reconsidérer certains OGM qui font leur preuve depuis longtemps ailleurs, … et aussi chez nous indirectement ? Il faudra explorer de nouvelles techniques scientifiques, notamment celles d’« édition du génôme » (NBT, New Breeding Technics). Celles-ci seront-elles mieux acceptées une fois au point et admises pour le traitement des maladies humaines ?