Les Rolling Stones : la légende continue, mais à quel prix ?
Le Figaro - Nicolas Ungemuth – 15 jul 2022
Si les contemporains des Beatles ne vendent plus de disques depuis des lustres, ils n'ont désormais plus de rivaux sur scène. Le temps de deux concerts en France, le groupe né en 1962 va réjouir son public. Le mythe n'en finit plus de briller. Pour le meilleur ?
. Ils se sont formés en 1962. Six décennies ont passé, ils sont encore en activité, lancés dans une tournée qui passera par la France le temps de deux concerts à Lyon et à Paris. Les deux sont naturellement complets, même si à Longchamp les prix des billets ont grimpé jusqu'à 342,50 €, hors marché noir. Soixante ans après les débuts, le public est toujours fidèle au rendez-vous pour le plus vieux groupe de l'histoire du rock. Leurs concurrents, de ce qu'on a nommé la « british invasion » – Beatles, Kinks et autres –, ont tous lâché l'affaire il y a longtemps. Seuls les Who ont continué jusqu'à il y a peu, mais ce n'était pas brillant. Qui viendra aux concerts des Stones ? Des fans, évidemment, mais aussi beaucoup de gens incapables de citer le titre d'un de leurs albums, parfois avec leurs enfants qui préfèrent Jul et Booba. Ils viennent se payer la légende et écouter les tubes. Car en réalité, ce n'est pas les Stones qu'ils verront sur un écran géant, mais ce qu'il en reste.
. Retour en arrière : Brian Jones, dandy blond, qui a fondé ceux qui s'appelaient alors les Rollin'Stones en hommage à une chanson du bluesman Muddy Waters, est mort noyé dans sa piscine le 3 juillet 1969. Il s'était ruiné la santé en quelques années. Tout le monde ne survit pas au succès. Les Stones l'avaient viré quelques mois plus tôt, tant son comportement était devenu erratique et ingérable. Son remplaçant, le grand guitariste soliste Mick Taylor, a quitté le groupe en décembre 1974. Il en avait assez de ne pas être crédité – et donc de ne pas toucher les droits d'auteur – pour des chansons qu'il avait coécrites. Ça se passe comme ça avec Keith Richards et Mick Jagger, ancien étudiant en économie. Ron Wood, ex-guitariste des Faces, menés par Rod Stewart, et grand ami de Keith Richards, l'a remplacé sans faire d'étincelles à la fin des années 1970.
Les Rolling Stones originels. De gauche à droite, Mick Jagger, Brian Jones, Bill Wyman, Keith Richards et Charlie Watts. Mark and Colleen Hayward/Redfern
Deux guitaristes, un bassiste et un batteur partis
. En 1993, Bill Wyman, bassiste historique, en a eu assez de tout ce cirque et est parti s'installer à Saint-Paul-de-Vence où il s'amuse avec un détecteur de métaux. Quant à Charlie Watts, il est mort le 24 août 2021 à 80 ans. C'était un batteur singulier, léger, économe et plein de swing, habillé en costumes taillés à Savile Row, d'une grande élégance, tant vestimentaire que musicale. Normal : il n'aimait pas le rock and roll et n'écoutait que du jazz… Et puis il est parti, lui qui détestait tant les tournées. Les Stones auraient-ils dû alors mettre fin à leur activité ? À titre de comparaison, lorsque John Bonham, batteur de Led Zeppelin, est mort étouffé dans son vomi en 1980, le chanteur Robert Plant a immédiatement décidé d'arrêter le groupe. Pour lui, il eût été indigne de continuer sans « Bonzo ». A contrario, les Who, eux, n'ont pas eu les mêmes scrupules : quand Keith Moon et John Entwistle – tellement essentiels dans le son du groupe – sont morts, ils ont continué à s'appeler les Who. Les Who sans leur batteur et leur bassiste, est-ce une blague ? C'est comme si Ringo Starr et Paul McCartney faisaient des tournées sous la bannière Beatles.
Avec le défunt Charlie Watts (à gauche) : le plus élégant du groupe. Nils Jorgensen / I-Images / Bureau233
Quoi qu'il en soit, à la mort de Charlie Watts l'an dernier, les Stones ne se sont pas plus posé la question qu'auparavant. Ils l'ont remplacé illico par Steve Jordan, qui avait accompagné Keith Richards durant ses tournées en solo. Jordan et le remplaçant de Bill Wyman, Darryl Jones, n'ont pas le droit d'apparaître sur les photos officielles du groupe et ne figurent pas sur les écrans géants durant les concerts, sauf lorsque c'est techniquement impossible. Pour Jagger et Richards, ils ne sont pas des Stones : juste des employés temporaires.
Keith Richards un peu éteint
. Il reste donc deux membres fondateurs du groupe, Ron Wood ayant joué sur son premier album avec le groupe seulement en 1978. Curieusement, pour avoir vu des vidéos du groupe sur scène, cela fonctionne encore bien, et l'émotion est forte de les voir interpréter parfaitement cette pépite oubliée qu'est Out of Time. Keith Richards ne joue plus beaucoup de guitare et plante beaucoup de riffs (voir sa version de Can't You Hear Me Knocking à Hyde Park), Ron Wood rame sur les solos que jouait avant lui Mick Taylor, le nouveau batteur a la frappe un peu lourde, surtout lorsqu'on se souvient du talent de Charlie, mais Jagger est en pleine forme. Il a conservé sa ligne et sa voix contrairement à McCartney qui n'en a plus. L'homme est incroyable : c'est le Peter Pan du rock. Les Rolling Stones assurent toujours, mais la nature même de leur art a profondément changé.
Durant l'âge d'or du rock existait un principe invariable : un groupe sortait un album précédé par un single, la plupart du temps un tube, puis partait en tournée pour promouvoir ce nouveau disque et jouer les morceaux des précédents. Puis il recommençait un ou deux ans plus tard. Mais les Stones ne font plus de disques depuis longtemps – leur dernier véritable album compte 17 ans au compteur – et leur dernier tube, Start Me Up, date de 1981. Rebelles mais pas très courageux, les Stones ont supprimé leur grand classique Brown Sugar de leur set list : l'histoire d'une jeune esclave noire qui se fait fouetter aux environs de minuit et dont Jagger se demande comment elle peut avoir un goût aussi bon. Sexe, esclavagisme, jeu de mots avec l'héroïne la plus destructrice de l'époque : en 2022, à l'époque du woke et des ligues féministes, tout cela ne passerait pas (tout comme Some Girls, dans laquelle Jagger explique que les femmes noires aiment se faire honorer toute la nuit).
Les Rolling Stones sont ainsi devenus un groupe qui n'existe plus que sur scène, un juke-box égrenant les tubes d'un lointain passé : chaque concert s'achève avec (I Can't Get No) Satisfaction enregistré au printemps 1965. Est-ce bien raisonnable ? Jagger a-t-il encore du mal à se satisfaire ? Avec plus de 240 millions d'albums vendus dans le monde, le quotidien de Keith et Mick doit être confortable, d'autant que pour cette tournée, il se dit qu'ils demanderaient entre 5 et 7 millions d'euros par concert, sans compter les revenus très juteux du merchandising et les droits reversés par la Sacem. Et puis, lorsqu'on a donné plus de 2.000 concerts en près de soixante ans, il doit être difficile de se passer de l'adulation du public. Qu'importe s'il faut jouer Satisfaction pour la énième fois, même si les paroles n'ont plus aucun sens pour celui qui les a écrites. Mais comment ont-ils pu durer aussi longtemps ?
L'obsession du blues
. Tout commence en octobre 1961, à la gare de Dartford, dans le Kent, lorsque Keith Richards rencontre Mick Jagger, qu'il avait brièvement connu à l'école primaire. Mick, qu'on appelle encore Mike, a deux disques sous le bras. L'un de Chuck Berry, l'autre de Muddy Waters, deux héros de Richards (en réalité Richard). C'est le début d'une amitié qui connaîtra des hauts mais aussi beaucoup de bas. L'appel de Londres, où bourgeonne une scène musicale portée sur le blues, se fait entendre. C'est dans la capitale qu'ils rencontrent Brian Jones, qui utilise le pseudonyme Elmo Lewis (le prénom est un hommage à son idole Elmore James).
Les Rolling Stones: Charlie Watts, Mick Jagger, Keith Richards, Bill Wyman et Brian Jones (1942-1969) à Londres, le 23 avril 1964. Le temps de l'innocence. ALAMY/KOKO / REUTERS
Ils jouent dans un premier temps avec un futur membre des Kinks, un autre, Dick Taylor, qui rejoindra ensuite les Pretty Things, Le 12 juillet 1962, ce sera le premier concert officiel de la formation de blues londonienne, dans le cadre du Marquee Club londonien. Puis ils découvrent Charlie Watts (batterie), et Bill Wyman (basse) embauché parce qu'il possède un ampli. Il y a également Stu Stewart, prognathe (qui a le menton saillant), au piano. Brian Jones s'occupe de trouver des concerts, envoie des lettres aux journalistes musicaux. Il pense être le leader du groupe. Durant l'une de leurs prestations, un jeune impresario, le flamboyant Andrew Oldham, les repère et les prend sous son aile. La musique anglaise est en pleine effervescence, il ne faut pas traîner. Oldham leur trouve un contrat chez Decca, un premier single – une reprise gentillette de Chuck Berry – sort au printemps 1963, la légende est lancée.
À leurs débuts, ils ne jouent que des reprises
. Oldham a en tête un plan marketing simple mais efficace : à grand renfort de pubs, il va faire passer les Stones pour des bad boys, concurrents des mignons Beatles dans leurs costumes à col Mao. « Laisseriez-vous votre fille épouser un Rolling Stones ? » publie-t-il dans l'une de ses déclarations exaltées pour ne pas dire ésotériques. La presse raffole de ce faux combat : en réalité, les Stones et les Beatles s'apprécient, à tel point que John et Paul offrent à leurs rivaux un tube, I Wanna Be Your Man.
C'est le problème des Stones à leurs débuts : ils ne jouent que des reprises. Pour Oldham, à l'époque de Dylan et des Beatles, ce n'est plus possible. Le manager enferme Keith et Mick dans une pièce et leur dit qu'ils ne pourront en sortir que lorsqu'ils auront des chansons. Ce sera Tell Me, As Tears Go By, qui sera un tube pour Marianne Faithfull, et The Last Time (pompé sur un gospel des Staple Singers, mais la partie de guitare change tout). Brian Jones est déjà dans l'ombre, le pianiste Stewart viré car trop « laid » selon Oldham (il deviendra le tour manager du groupe jusqu'à sa mort).
Marianne Faithfull, la poétesse rock, muse rebelle du Swinging London :
. Au début des années 1960, elle se produit dans des cafés où elle interprète des chansons populaires traditionnelles. C'est à l'issue d'un de ces récitals qu'elle fait, en 1964, la rencontre déterminante d'Andrew Loog Oldham, le manager des Rolling Stones. Mick Jagger et Keith Richards écrivent au même moment, poussés par leur manager, leur première chanson As Tears Go By, mais ils ne veulent pas la faire interpréter par les Stones car, jugée trop sentimentale, elle ne correspond pas à ce qui constitue leur répertoire de l'époque : le (rhythm and) blues et le rock. Le titre est donc confié à Marianne Faithfull, alors âgée de 17 ans ; la chanson rencontre le succès et lance sa carrière.
. En 2018 : « Anita Pallenberg, ma grande amie, que j'ai perdue et à laquelle je rends hommage dans la chanson Born to Live. Durant les sixties, je sortais avec Mick Jagger et ma grande amie Anita avec Keith Richards. À cette époque, vous n'étiez pas considérée pour votre cerveau ni pour votre talent : vous étiez leur poule. Anita est restée emprisonnée dans cette toile d'araignée. Pourtant, c'était une peintre extraordinaire ! J'ai fui le monde des Rolling Stones jeune ; je serais morte autrement. »
Londres, Green Park, 1967. La période dandy de l'album sous-estimé « Between the Buttons ». Popperfoto via Getty Images
C'est le début officiel d'une collaboration qui fera des étincelles durant deux décennies. Des tubes magistraux, des albums qui n'ont cessé de s'améliorer. La méthode de travail des deux hommes est variable : souvent Keith écrit la musique et Mick, les paroles, parfois c'est le contraire, parfois encore, les deux participent à la musique et aux textes. Durant cette décennie, l'entente entre le chanteur et le guitariste est parfaite. Brian Jones est frustré, son groupe ne lui appartient plus, mais il est incapable d'écrire une chanson et, bientôt, il sera trop altéré pour être capable de jouer de la guitare. Enfin, Keith lui pique sa petite amie, Anita Pallenberg, lors d'un voyage au Maroc. Ultime humiliation. Richards et Jagger deviennent les patrons – ils ont finalement viré Oldham au profit de l'Américain Allen Klein, recommandé par Lennon, qui va les plumer –, et le resteront jusqu'à aujourd'hui, même s'il est arrivé à Jagger de vouloir être le seul capitaine à bord. Ce qui ne risque pas d'arriver lorsqu'on a en face de soi un homme comme Keith Richards. Un rebelle, une tête de mule, un obstiné qu'il vaut mieux ne pas trop chercher.
1969, avec celui qui a remplacé Brian Jones, le guitariste prodige Mick Taylor (deuxième en partant de la gauche). Getty Images
Mais pour l'heure, la créativité est permanente et les chefs-d'œuvre s'enchaînent. Après l'épisode de Their Satanic Majesties Request, tentative psychédélique ratée, les Stones décident de resserrer les boulons et alignent quatre monuments insurpassables entre 1968 et 1972 : Beggars Banquet, Let It Bleed, Sticky Fingers et Exile on Main Street. Le groupe a réussi là où les Beatles ont échoué : ils sont des stars et remplissent les salles aux États-Unis (les Beatles ont arrêté de faire des concerts dès 1966). En décembre 1969, un gigantesque concert hippie est organisé en Californie, à Altamont, avec le gotha des groupes américains psychédéliques et les Stones en vedettes. Le Grateful Dead recommande aux Britanniques d'arranger le service d'ordre avec leurs amis, les Hells Angels. Un Angel massacrera un jeune Noir dans la nuit, laissé pour mort, Meredith Hunter. Le concert est filmé : Jagger tente de calmer l'audience (« Peace, peace ! »), Richards est imperturbable, l'ambiance est tendue, tout le monde part d'urgence en hélicoptère après le fiasco. Avec les tueries perpétrées quelques mois plus tôt par les marionnettes de Charles Manson – qui n'a pas osé y participer –, autre hippie dégénéré, c'est la fin du « Flower Power », la fin des sixties, la fin du « rêve ».
Le plus grand groupe de rock au monde
. En ce début des années 1970, après la disparition des Beatles et malgré l'apparition de nouveaux concurrents comme Led Zeppelin ou Pink Floyd, les Stones sont devenus « the greatest rock and roll band in the world ». Le tandem Jagger/Richards fonctionne à merveille. Le premier se transforme en jet-setteur coureur de jupons, roi de la scène. En réalité, sa gestuelle est souvent involontairement hilarante, surtout lorsqu'on coupe le son des vidéos désormais disponibles sur YouTube : c'est un clown par rapport à Iggy Pop. De son côté, Keith Richards, anti-mondain aux cheveux de jais, incarne à lui seul toute la mythologie du rockeur. Il se déplace avec une bande de dealers dont le fameux « Spanish Tony », préférant les limousines aux avions pour éviter les contrôles, prend des allures de torero débraillé sur sa guitare à cinq cordes, se déplace avec un flingue et un cran d'arrêt et pose, en 1972, le temps d'une photo devenue célèbre, devant une affiche stipulant « Patience please… A drug free America comes first ! » prise par le grand photographe Ethan Russell. Les fans adorent « Keef », comme on dit désormais, pour tous les clichés pseudo-romantiques du rebelle junkie. Hélas, la musique s'en ressent.
Au Madison Square Garden en 1975. Ron Wood a remplacé Mick Taylor. Corbis via Getty Images
Après 1972, les albums des Stones baissent en gamme au fur et à mesure que Richards s'épuise dans un coma opiacé. Il y a de jolies choses sur Goats Head Soup (Winter, Coming Down Again), même si le tube dégoulinant Angie, presque aussi atroce que Hotel California des Eagles, aurait été inconcevable un an plus tôt. En 1974, It's Only Rock and Roll sent l'auto-parodie à plein nez. Jagger sauve le navire tandis que Richards s'enfonce : un soir, en Allemagne, l'héroïne l'a tellement anesthésié qu'il s'endort sur scène et tombe dans la fosse. « Je n'ai jamais eu de problème avec la drogue, seulement avec la police », a-t-il dit. C'est assez juste : en 1977, il est incarcéré à Toronto pour possession d'héroïne, s'en sort en donnant un concert gratuit pour de jeunes aveugles. Finalement libéré, Keith se débarrasse assez lentement de son addiction, les Stones sortent leur dernier grand album, Some Girls, avec le tube discoïde et mondial Miss You. Puis c'est la chute : albums corrects (Tattoo You, composé de chutes d'anciens disques) et encore un hit, Start Me Up, puis la déchéance. Tout ce qui suit est dans le meilleur des cas médiocre (Emotional Rescue) ou minable (tout le reste).
Jagger progressiste, Richards conservateur
. Jagger le progressiste adorait les aventures musicales de son ami Bowie – même s'il ne serait pas allé si loin que lui – et voulait coller à son époque : funk, disco, peut-être même quelques synthétiseurs new wave. Richards, désormais sobre et plus conservateur que jamais, entendait rester fidèle au blues, à Chuck Berry, et au reggae qu'il avait découvert au début des années 1970. Keith refuse toute concession au-delà de Miss You. Cela ne pouvait plus fonctionner.
Les Stones en 2013. Près de dix ans plus tard, Mick Jagger n'a pas changé. Igor Vidyashev/Fastimage
En 1985, Mick commet le sacrilège absolu selon Keith : il sort un premier album solo. Le disque des Stones qui suit (Dirty Work, au titre explicite) est tellement plein de haine que les deux hommes se débrouillent pour ne pas se croiser dans les studios. Mick remet le couvert en 1987. C'est la guerre, avant un retour largement orchestré en 1989. Steel Wheels, acceptable, leur permet de remplir les stades et de gagner beaucoup d'argent avec les sponsors inexistants dans les années 1960 et 1970. Pour se venger, Richards sort à son tour deux disques sans les Stones sous le libellé Keith Richards & The X-Pensive Winos (les soiffards coûteux) avec le fameux batteur qui remplace désormais Charlie Watts chez les Stones. Et puis, plus rien à signaler. Contrairement à ceux de John Lennon, George Harrison ou Paul McCartney, les albums en solo de Jagger sont aussi quelconques que ceux de Richards. Ces deux-là ne sont rien l'un sans l'autre. Désormais, ils ne se retrouvent que sur scène. Pour combien de temps ?
Les Stones : 58 ans de concerts mythiques à Paris
Le Figaro - Olivier Nuc – 18 mar 2022
Les Rolling Stones, en concert au Stade de France le 13 juin 2014. Silpa David/UPI/ABACA
. Le groupe formé à Dartford en 1962 s'apprête à célébrer son soixantième anniversaire sur les scènes européennes à partir du 1er juin 2022. Désormais seuls membres originels à bord, Mick Jagger et Keith Richards donneront le 23 juillet le 34e concert de leur carrière de tous les records ; quatre jours après Lyon, le groupe assemblé par Brian Jones, fanatique de blues, se posera à Paris. La dernière fois qu'ils s'étaient produits ici, en 2017, c'était pour inaugurer le stade Paris La Défense Arena, une structure de 50.000 places à Nanterre, pour trois concerts. Cette année, ils retrouvent l'hippodrome de Longchamp, où ils avaient donné deux concerts en 1995. L'occasion de revenir sur toutes les haltes parisiennes de leur histoire avec notre confrère de Paris Match Sacha Reins, qui a assisté à toutes les prestations des Stones !
Olympia, 20 oct 1964
. Quelques mois après les Beatles, l'autre grande formation britannique des sixties fait ses premiers pas sur une scène française dans le légendaire music-hall parisien. En première partie, comme il était de coutume à cette époque, un assortiment d'attractions diverses : jongleurs, chansonniers (ici, Jean-Marie Proslier) et aussi Pierre Perret, qui parviendra à glisser cinq chansons devant un parterre de blousons noirs.
Olympia, du 16 au 18 avr 1965
. « En un an, les Stones avaient fait des progrès fulgurants » se souvient Sacha Reins. Après une première partie assurée par le rocker anglais exilé en France Vince Taylor, Jagger et sa bande ont mis les bouchées doubles. « Le concert était plus structuré que la première année » explique Reins. Jagger commençait à développer le style qu'on lui connaît. Ils jouaient encore en majorité des standards de Chuck Berry et des classiques du rhythm’n’blues. Dans la salle, une majorité de garçons, accueillis par des gendarmes, le fusil à l'épaule. « Le groupe était encore considéré comme un danger pour l'ordre public. Mais la salle n'a pas du tout été saccagée. »
Olympia, 29 mar 1966 et 11 avr 1967
. En 1967, les Stones donnent leur dernier concert parisien avec Brian Jones. La formation a changé de statut depuis le succès de Satisfaction en 1965. Pourtant, il continue de trancher avec le tout-venant du rock anglais. « Le fait qu'ils soient débraillés était une révolution. Ils ne respectaient pas les règles. Ils faisaient la gueule sur les pochettes. Mon premier choc était visuel, dès la pochette du premier 33 tours. Ils étaient horribles, mal fringués selon les canons de l'époque », se souvient Sacha Reins.
Mick Jagger durant le concert des Rolling Stones à l'Olympia le 11 avril 1967. AGIP / Bridgeman Images
Palais des Sports, du 22 au 24 sep 1970
. « J'étais en train de boire un verre dans le bar en face quand un jeune mec m'a abordé pour me demander si je pouvais le faire entrer », se souvient Sacha Reins, alors rédacteur en chef de la revue rock Best. « Je n'ai pas pu mais je lui ai proposé de passer me montrer ses photos du concert le lendemain au journal dans le cas où il arriverait à se faufiler. Son nom : Claude Gassian, le photographe de l’âme rock. Dire que 20 ans plus tard il était devenu le photographe officiel du groupe. » Un an après la mort de Brian Jones, les Stones intronisent leur nouveau guitariste, Mick Taylor, grand soliste. « Le groupe n'a jamais été aussi bon que quand il était là » explique Sacha Reins. En première partie, les bluesmen Buddy Guy et Junior Wells accueillent une autre légende de la guitare : Eric Clapton.
Bruxelles, 17 oct 1973
. Bien sûr, Bruxelles n'est pas la capitale française, mais, empêchés de poser le pied dans notre territoire à la suite de leurs frasques de l'été 1971 sur la Côte d'Azur - et les déboires de Keith Richards avec la drogue - les Stones donnent un concert réservé au public français dans la capitale belge. La radio RTL a affrété un train spécial. Le groupe est alors au sommet, qui vient de publier ses 4 meilleurs albums coup sur coup. Longtemps diffusé en enregistrement pirate, le concert est sorti officiellement sur le coffret Goat's Head Soup. Répertoire magique, cohésion impressionnante, vitalité exceptionnelle : les Stones sont alors vraiment « le meilleur groupe de rock du monde. »
Pavillon de Paris, du 4 au 7 jun 1976
. Nouveau spectacle et nouveau guitariste avec l'arrivée de Ron Wood, clone de Keith Richards. Les caméras de Freddy Hausser immortalisent le concert pour Antenne 2. Mais l'ambiance est maussade. Un soir, Keith Richards monte sur scène quelques heures après avoir appris la mort accidentelle de son jeune fils de dix mois. « Si je n'avais pas joué ce soir-là, je me serais flingué » expliquera Richards. « Dans les coulisses, ils avaient reconstitué une place de petit village typique du sud de la France. À un moment donné, un mec a semé la panique parce qu'il a sorti un flingue. Caroline de Monaco était là, la sécurité était là qui l'a vite neutralisé. Probablement un fou qui voulait punir Jagger de ses pêchés », explique Sacha Reins.
Mick Jagger le 5 juin 1976, sur scène au pavillon de Paris à la Villette. AFP
Hippodrome d'Auteuil, 13 et 14 jun 1982
. Un véritable marathon rock avec des concerts à partir de 13 heures : les Américains J Geils Band et George Thorogood, et les clones français des Stones : Téléphone. Le groupe assume le gigantisme en inaugurant les tournées en plein air qui deviendront leur raison d'être pour les 40 années à venir. En tenue de sport jaune poussin, Jagger prend l'habitude d'arpenter les scènes en courant. Les Stones sont devenus un cirque.
Mick Jagger et le guitariste Ron Wood se produisent le 14 juin 1982 à l'hippodrome d'Auteuil à Paris, devant 70.000 personnes. JOEL ROBINE / AFP
Parc des Princes, 22, 23 et 25 jun 1990
. « J'avais emmené mon épouse qui n'aimait pas les groupes de vieux. Elle a adoré, elle est devenue inconditionnelle des Stones depuis », se souvient Sacha Reins. Après avoir frôlé la séparation, Jagger et Richards se sont rabibochés le temps d'un album correct et d'une tournée mondiale. Pourtant, déjà, les bruits courent. « Serait-ce la dernière fois ? » Dans un décor extravagant, il s'agit de l'ultime tour de piste du bassiste Bill Wyman, fatigué de prendre l'avion dans tous les sens, qui prendra sa retraite dans le sud de la France.
Hippodrome de Longchamp, les 30 jun et 01 jul 1995
. Deux soirs, deux ambiances. Le vendredi, un grand beau temps. Le samedi, un déluge. « Pour remercier le public d'être resté malgré la pluie, le groupe, trempé, a joué une demi-heure supplémentaire », se rappelle Sacha Reins.
Olympia, 03 jul 1995
. 28 ans après leur dernière apparition dans la salle du boulevard des Capucines, les Stones y donnent un concert auquel se pressent les VIPs : Jack Nicholson, Jerry Hall, mais aussi Patrick Bruel ! Pourtant, le show, assez brouillon, déçoit les spectateurs qui ont dû attendre des heures afin de décrocher une place.
Stade de France, 25 jul 1998
. Mick Jagger déclenche une émeute lorsqu'il prend la parole pour dire: « Nous sommes très contents de jouer chez les champions du Monde », quelques semaines après la Victoire des Bleus. Le chanteur fête ce jour ses 55 ans. Premier chanteur de rock à se produire au Stade de France, deux mois avant Johnny Hallyday, Mick Jagger ne s'économise pas. Et si les setlists sont devenues de plus en plus prévisibles au fil des ans, cette tournée Brides to Babylon - pourtant un de leurs pires disques - ne démérite pas. Le groupe reviendra très souvent au Stade : en 2003 dans le cadre de la tournée des 40 ans, en 2006 et 2007 pour le disque A Bigger Bang, et en 2014 dans le cadre des cérémonies de leur cinquantenaire, avec Mick Taylor en invité spécial.
Des fans assistent au concert des Rolling Stones, le 25 juillet sur la scène du Stade de France à Saint-Denis, lors du premier concert organisé dans le stade. BERTRAND GUAY / AFP
Bercy, 07 jul 2003
. Pour leurs 40 ans de carrière, les Stones donnent trois concerts : au Stade de France, à l'Olympia et au Palais de Bercy. Divine surprise, le groupe joue Can't You Hear Me Knockin, perle de Sticky Fingers, dans ce qui reste le meilleur des trois concerts parisiens donnés cet été-là.
Les Rolling Stones à l'Olympia lors du troisième et dernier concert parisien de la tournée mondiale Forty Licks, le 11 juillet 2003. ERIC FEFERBERG / AFP
Le Trabendo, 25 oct 2012
. L'inscription sur le ticket annonçait un concert de chauffe très court. C'est finalement pendant une bonne heure et quart que les vétérans ont joué une douzaine de titres en formation serrée. Malgré un Keith Richards très en retrait - ils ne jouent simplement pas de guitare sur certains morceaux, le concert marque les chanceux qui y assistèrent. « Il est étrange d'être de retour. Nous n'en revenons pas d'être encore tous debout. Un ou deux d'entre nous devraient être à terre, mais ce n'est pas le cas », déclarera Mick Jagger entre deux chansons.
Mike Jagger à son arrivée au Trabendo à Paris, le 25 octobre 2012. KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Théâtre de Mogador, 29 oct 2012
. Quelques jours après le Trabendo, les Stones donnent un concert privé pour les invités de l'homme d'affaires français Édouard Carmignac.
La Défense Arena, 19 et 22 oct 2017
. 53 ans après leur premier concert parisien, les Stones ont donné une prestation plus qu'honnête. Voire franchement inspirée par moments. Jagger est toujours une bête de scène incomparable. Étincelant en veste lamée, la voix affirmée, la gestuelle précise, le chanteur s'impose comme la référence qu'il est depuis les débuts du groupe. Jamais il ne semble peiner dans un tour de chant d'un peu plus de deux heures, constitué en majorité de titres rapides. « Je vous surkiffe », déclarera-t-il au public.
Les Rolling Stones se produisent en concert à la Défense Arena à Paris le 19 octobre 2017. Le concert était l'événement inaugural au stade moderne. Silpa David/UPI/ABACA
La célébrissime bouche lippue des Rolling Stones
Le Figaro - 15 avr 2020
Le logo des Rolling Stones fête son cinquantenaire. Célèbre dans le monde entier, il sert aussi de décoration de Noël à Londres. AFP
. Symbole anticonformiste à connotation sexuelle, le logo du groupe anglais a été inspiré par la déesse indienne Kali et Mick Jagger en personne. Cette bouche lippue, symbole à la connotation sexuelle évidente, est reconnaissable entre toutes. Le logo des Rolling Stones, a été créé en 1970 par le dessinateur John Pasche,
Ce simple dessin griffonné sur une feuille à la demande expresse du leader du groupe, Mick Jagger, est devenu en cinq décennies une véritable signature, qui par centaines de millions a orné des tee-shirts, des briquets, des objets publicitaires de toutes sortes - jusqu'aux décorations de Noël du vieux Londres.
À l'instar du groupe lui-même, une légende s'est forgée autour de la bouche héraldique des Rolling Stones. Au début des années 70, le groupe qui s'apprête à faire une grande tournée européenne ressent le besoin de la symboliser par un dessin immédiatement identifiable. Un jeune étudiant au Royal College of Arts de Londres, John Pasche, prête son talent à cette entreprise qui prendra bientôt une dimension historique.
Sa première esquisse ne donne pas toute satisfaction à Mick Jagger. Les deux hommes se rencontrent et discutent ensemble de ce que doit être le logo du plus grand groupe de rock au monde. Du moins le pensent-ils. Le leader des Stones a une idée très précise en tête. Il veut que telle une marque planétaire, cet emblème, son emblème, soit aussi identifiable que le coquillage de la Shell Petroleum.
La langue d'un enfant facétieux
. L'inspiration décisive lui vient très vite à l'esprit. Jagger a vu lors d'une de ses déambulations londoniennes une représentation de la déesse indienne Kali. La bouche scandaleusement ouverte de l'icône l'a aussitôt frappé. Irrévérencieuse, décalée, cette image pourra, retravaillée par la main de John Pasche, signer avec une belle et indispensable simplicité l'esprit anticonformiste du groupe anglais.
Finalisé, le dessin à l'origine monochrome, s'immortalisera en rouge, une couleur synonyme de passion et d'amour. Les fantasmes des fans, et peut-être un fond de vérité, attribueront cette bouche lippue, gourmande à l'envi, à son initiateur : Mick Jagger.
Cinquante ans plus tard, la bouche provocatrice des Stones est devenue, à l'instar du portrait de Che Guevara, un authentique objet publicitaire vintage qu'il est recommandé d'afficher dans son salon, sa bibliothèque ou sa chambre à coucher. Selon les historiens des Rolling Stones, cette bouche et sa langue tirée comme une grimace d'enfant facétieux, véritable entité économique à part entière, en un demi-siècle à peine, aurait rapporté la bagatelle de quelques centaines de millions de dollars.
Et comme un dernier paradoxe, l'artiste John Pasche, le designer et le premier interprète du souhait originel de Mick Jagger n'aura touché, quant à lui, que quelques petits milliers de livres sterling. Tout le monde ne peut obtenir « satisfaction » !
Beatles ou Rolling Stones : après la guerre des groupes, la bataille des guitares
Le Figaro – 07 déc 2021
Une guitare des Stones, signée par Keith Richards devrait dépasser le prix d'une basse dédicacée par Paul McCartney, lors d'une vente aux enchères à Beverly Hills le 30 janvier 2022. AFP/Frederic Brown
. Les Beatles plus forts que les Rolling Stones ? Ou l'inverse ? L'une des plus vieilles controverses de l'histoire du rock pourrait bientôt trouver un début de réponse, en tout cas dans le monde des enchères, et, ce, grâce à la technologie NFT, qui a le vent en poupe. Une guitare des Stones, accompagnée par une vidéo authentifiée par un certificat d'authenticité NFT et montrant Keith Richards en train de signer cette Gibson ES-335, devrait dépasser le prix d'une basse dédicacée par Paul McCartney, lors d'une vente aux enchères à Beverly Hills en Californie qui se tiendra le 30 janvier à Los Angeles et via internet.
« Je pense que Keith Richards va gagner ce coup-ci, parce que c'est amusant et qu'il y a le NFT », a dit Martin Nolan, le directeur exécutif de la maison Julien's Auctions, qui organise la vente. Les NFT (pour « jetons non fongibles ») sont des certificats d'authenticité associés à un objet virtuel qu'ils rendent ainsi unique. Quasiment inconnus voici encore un an, ils représentent pour certains la nouvelle poule aux œufs d'or du marché de l'art contemporain.
. D'après Julien's Auctions, la guitare accompagnée de ce premier NFT jamais offert par Keith Richards devrait partir entre 6.000 et 8.000 dollars (57.600 $ en réalité), tandis que la basse Hofner signée Paul McCartney est estimée entre 4.000 et 6.000 dollars (38.400 $, en réalité). Les deux instruments font partie d'une vente caritative qui collecte des fonds pour payer des soins aux professionnels de la musique dans le besoin.
. Signe que les temps ont changé, le lot le plus emblématique n'est lié ni aux Beatles ni aux Stones mais au boys band sud-coréen BTS. Les icônes de la K-pop ont offert les sept costumes taillés sur mesure qu'ils portaient lors de la dernière cérémonie des Grammy Awards, pour un montant estimé entre 30.000 et 50.000 dollars. « Ils ont une communauté de fans tellement gigantesque partout dans le monde », décrypte Martin Nolan.