Pourquoi et Comment

Câble vs Satellite ?

            Constellations de satellites, lancements de SpaceX, notions de « cloud » ou de sans-fil : tout cela tend à faire croire que smartphones, ordinateurs et autres machines sont liés les uns aux autres via l’espace. Depuis le premier câble transatlantique à fibres optiques, posé en 1988, c’est la révolution. 35 ans plus tard, 99 % de l’internet mondial passe sous l’eau, au fond des océans, dans près de 500 câbles hautement isolés.

.            Le satellite ne permet pas de faire transiter les immenses volumes de données actuellement utilisés par internet. Alors que les câbles optiques, d’un diamètre excédant rarement 10 cm, ont désormais des capacités de 600 térabits (unité de stockage de l’information numérique), à titre de comparaison, le satellite KA Sat, l’un des plus gros dédiés à internet, lancé par Eutelsat en 2010, n’a qu’une capacité de 72 gigabits. Le câble, qui coûte sensiblement moins cher que le satellite, non seulement autorise des transferts bien plus volumineux, mais évite la perte de temps induite par la distance nécessaire pour effectuer une transmission par satellite (0,24 seconde dans le cas d'un aller-retour vers un satellite géostationnaire). Peut-être encore, jusqu’au jour où les myriades de satellites à orbite basse …

.            Les deux dernières décades du 20e siècle ont vu une révolution complète des réseaux d’infrastructure fixes de communication avec l'introduction de la fibre optique. Grâce aux technologies optiques, la capacité par câble sous-marin a augmenté d’un facteur supérieur à 10.000 menant, dès l’an 2000, à la transmission équivalente à plus de 100 millions d'appels téléphoniques simultanés à travers l'océan sur un seul câble ; la capacité de transmission sur fibre connaît sa loi de Moore comme l’électronique.

Loi de Moore : ensemble de lois empiriques qui ont trait à l'évolution de la puissance de calcul des ordinateurs et de la complexité du matériel informatique. La première de ces lois est émise en 1965 par le docteur Gordon E. Moore (né en 1929 à San Francisco), lorsque celui-ci postule sur une poursuite du doublement de la complexité des semi-conducteurs tous les ans à coût constant. Dix ans plus tard Moore ajusta sa prédiction à un doublement du nombre de transistors présents sur une puce de microprocesseur tous les deux ans. Ce second postulat se révéla particulièrement exact, et popularisa le terme « loi de Moore », si bien que ce dernier a fini par s'étendre au doublement d'une capacité quelconque en un temps donné.

Et, en 2016, après une pause qui a suivi l’éclatement de la bulle Internet, la capacité sur un câble sous-marin a de nouveau augmenté de plus d'un facteur 20, conduisant à une capacité approchant 20 Tbit/s par paire de fibres optiques sur un câble transatlantique.

Dans l’infrastructure des communications internationales voix-données-images, les câbles optiques sous-marins constituent un maillage continu, dépassant désormais 1,3 million de kilomètres. Leur faible coût et leur efficacité ont permis de créer à l’échelle de la planète le « village global », slogan utilisé dès 2001. Cette capacité de communication, presque illimitée et d’un coût au bit transporté très faible, rend possible tous les développements du web, y compris l’actuel déploiement du nuage (cloud).

.           Les câbles sous-marins transportent pratiquement 99% du trafic mondial des données. Outre plus de 90 % du trafic Internet, ils assurent la circulation d'informations multiples : journalistiques, diplomatiques, financières, images, vidéos, communications téléphoniques. Véritable « colonne vertébrale » des télécommunications mondiales, les câbles sous-marins sont des infrastructures indispensables à la mondialisation ; le trafic entre l’Amérique du Nord et l’Europe double tous les deux ans en moyenne ! Et la croissance de ce trafic ne se limite pas à la communication entre personnes (un email parcourt ainsi en moyenne 15.000 km pour parvenir à destination !), car le trafic échangé entre les machines a maintenant dépassé le volume échangé entre les êtres humains. Aussi les câbles sous-marins constituent-ils le maillon essentiel du réseau des communications modernes qui requiert une multitude de serveurs répartis dans le monde entier qu’il faut donc relier.

Kilo (k): 1.000 ; Méga (M), million : 1.000.000 = 106 ; Giga (G), milliard : 1.000.000.000 = 109 : Tera (T), billion : 1.000.000.000.000 = 1012 = 1.000 milliards ; Péta (P), billiard = 1.000.000.000.000.000 = 1018 = 1.000.000 milliards.

La capacité d’un câble optique se mesure en bit/seconde. Jusqu’à 30 térabits/s (Tbit/s) en 2021 !

Dans la théorie de l'information, un bit (binary digit, élément binaire) est la quantité minimale d'information transmise par un message, et constitue à ce titre l'unité de mesure de base de l'information en informatique. Le bit, l'unité la plus simple dans un système de numération, ne pouvant prendre que deux valeurs, désignées le plus souvent par les chiffres 0 et 1, est l'élément constitutif du système de numération binaire. A ne pas confondre avec le byte qui est généralement une suite de 8 bits (cas d’un octet)

Comment en est-on arrivé là ?

.            La technologie des câbles remonte aux années 1800, lorsque des scientifiques et des ingénieurs comme Werner Siemens ont découvert comment poser des câbles télégraphiques au fond des rivières, de la Manche et de la mer Méditerranée. Beaucoup des premières tentatives ont échoué, en partie parce que le câble posé au fond de l’océan se déchirait en deux sous l’effet de la pression.

1850-1900 :

.         La première tentative de pose d'un câble sous-marin (pour étendre la portée du télégraphe) fut celle de l'ingénieur télégraphiste britannique John Watkins Brett et de son frère. Ils ont proposé en 1845 d'établir un système général de communication télégraphique pour la Grande-Bretagne et ont obtenu en 1847 une concession du gouvernement français pour établir un câble entre l'Angleterre (le cap Southerland) et la France (le cap Gris-Nez). Ils posent le premier câble sous-marin en cuivre le 28 août 1850. Il ne pouvait envoyer qu’un peu plus d’un mot par minute, mais il ne fonctionnera que pendant 11 minutes, car il sera malheureusement coupé et volé par un pêcheur qui le croyait couvert d'or. Une deuxième tentative entre Douvres et Calais en 1851 s'est avérée un succès durable : le premier câble télégraphique sous-marin commercialement viable au monde.

Ainsi commence le cycle industriel de la télégraphie sous-marine. En 1853, l'Angleterre est reliée à l'Irlande et à la Belgique, puis les années suivantes à l'Allemagne, au Danemark, à la Russie et aux Pays-Bas. En 1854, la Sardaigne est reliée à l'Italie (par un câble de 400 km pesant 2.000 tonnes) et la Corse à la France.

A partir de 1851, des câbles sous-marins ont été posés dans des eaux relativement peu profondes (60 mètres de profondeur dans le détroit de Douvres/Col du Calais ; jusqu'à 200 mètres en mer d'Irlande). Il n'y avait alors aucune expérience de pose de câbles dans l'océan. Pour relier l'Amérique à l'Europe sans traverser les océans, la seule route possible était via la Sibérie et le détroit de Béring, large de 92 km et profond de 30 à 50 mètres.

L'idée de relier l'Europe aux Etats-Unis par cette voie a été conçue par l'entrepreneur américain Perry McDonough Collins en 1854, et son projet, de télégraphe russo-américain, également connu sous le nom de Western Union Telegraph Expedition et Collins Overland Telegraph a été soutenu par les gouvernements américain et russe et fut entrepris par la Western Union Telegraph Company en 1865. La pose du câble à travers la Sibérie s'est avérée bien plus difficile que prévu. Entre-temps, le câble transatlantique de Cyrus West Field a été achevé avec succès, ce qui a entraîné l'abandon en 1867 de ce projet. En dépit de cet échec économique, nombreux sont ceux qui considèrent certains aspects de cet effort comme un succès, en raison des divers avantages que l'exploration a apportés aux régions traversées. (À ce jour, aucune entité n'a tenté d'installer un câble de communication à travers la mer de Béring !)

Simultanément, après trois tentatives infructueuses le premier câble télégraphique transatlantique fut donc posé en août 1858 par l'entrepreneur Cyrus West Field (Atlantic Telegraph Company) sur 4.200 km entre Valentia (Irlande) et Trinity Bay (Terre-Neuve), avec deux navires militaires reconvertis en câbliers. L'enthousiasme de l'entreprise a rapidement été remplacé par le découragement, car il a fallu 16 heures et demie pour que le message de félicitations de 98 mots (509 lettres) de la reine d'Angleterre Victoria au président américain James Buchanan lui soit transmis. La transmission de la réponse de 149 mots a pris 10 heures. Malheureusement, la ligne ne fonctionna que 20 jours.

Carte du premier câble télégraphique transatlantique de 1858

Le premier câble sous-marin reliant la France et les États-Unis fut posé en 1869 par la Compagnie Française des Câbles Télégraphiques. Il reliait Brest à Cap Cod près de Boston, via Saint-Pierre-et-Miquelon.

En 1870, suite à une requête du gouvernement britannique, un câble sous-marin reliant Londres à Bombay est installé. Cette mise en place fût exécutée avec le paquebot Great Eastern reconverti. (Le plus grand navire jamais construit à l’époque –4.000 passagers- le plus long jusqu'en 1899, 211 m et le plus gros jusqu'en 1901, 32.000 t). En 1882, l’Angleterre détenait près des deux tiers des câbles du monde.

Côté français, la Compagnie Française des Câbles Télégraphiques (CFCT) installe en 1898 un câble reliant Brest et New-York.

Brooklyn Eagle article and photo, August 3, 1909

1900 à nos jours :

.            1,2 million de mots par semaine c’est ce que permettaient de transférer les 21 câbles reliant l’Angleterre et la France en 1917, année des premiers services téléphoniques publics transatlantiques. Avec des coûts prohibitifs, très peu y avaient accès.

.            Courber la trajectoire de la lumière par réfraction a permis la création de nombreuses inventions telles que la fibroscopie, ou encore les fontaines lumineuses. Le premier usage de la réfraction avec de longues fibres de verre est le fait de Baird et Hansell en 1927. Les premières utilisations opérationnelles de la fibre optique remontent aux années 1950 et concernent le domaine médical, avec le fibroscope.

.            En 1950, les répéteurs immergés apparaissent et permettent de ré-amplifier régulièrement le signal.

.            Le 25 septembre 1955, le TAT1 (Trans-Atlantic Telephonic cable), le premier câble téléphonique coaxial sous-marin entre Oban en Écosse et Clarenville dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador au Canada, est mis en service. A modulation de courant et fréquence, sa capacité initiale était de 35 liaisons téléphoniques simultanées ; il disposait de 48 canaux d’un débit unitaire de 64 kbps (soit 3,1 Mbps).

Les systèmes optiques sont basés sur quatre inventions clés : le laser, la fibre optique, l’amplification optique et la technologie de détection cohérente.

Le laser à semi-conducteur, démontré en 1962, par Robert Hall (1919, Connecticut – 2016) a été associé à une fibre optique en 1964, par Charles Kao (1933, Concession française de Shanghai – 2018) permettant l’émission, sans perte, d’un signal télécommunication à longue distance.

Dans les années 1970 aux Etats-Unis la technologie connaît de grandes avancées et l’on peut dès lors construire des réseaux de télécommunications par fibre optique performants. Le déploiement des câbles optiques transocéaniques prenait corps.

.            Le premier câble optique transatlantique TAT8 (le 8e câble de communication transatlantique), entre la France, l’Angleterre et les États-Unis date de 1988. Le système de AT&T contenait deux paires de fibres optiques fonctionnelles ; un troisième était en réserve. Le signal sur chaque fibre optique était modulé à 295,6 Mbit/s (transportant 20 Mbit/s de trafic) et régénéré par des équipements (répéteurs) placés dans des boîtiers sous pression séparés par environ 40 km de câble. Il permettait l’échange simultané de 40.000 voies téléphoniques. (Un câble transatlantique installé en 1973 pouvait gérer 1.800 conversations simultanées). L’amplification optique a amené avec elle le multiplexage en longueur d’onde (WDM). La fibre qui, avant 2000, reliait uniquement les centraux téléphoniques, s’est invitée depuis 2005 chez les particuliers.

En 2008, Nortel, Lucent et Alcatel ont développé la technologie de détection cohérente sur les réseaux terrestres. Elle fut mise en oeuvre dans les terminaux sous-marins transocéaniques en 2010 pour les montées en capacité des câbles existants. Il s’en est suivi de nouveaux câbles transocéaniques de capacité pouvant atteindre 100×100 Gbit/s soit 10 Tbit/s.

Les prochaines années …

.            La durée de vie théorique des câbles est de 25 ans. Ils sont parfois remplacés plus tôt lorsqu’ils sont considérés comme obsolètes technologiquement et que l’on veut doper leurs capacités. Les câbles transatlantiques ont ainsi déjà tous été renouvelés depuis leur pose à la fin des années 80. Face au défi posé par l’explosion du trafic internet mondial, la solution ne sera pas forcément de multiplier sans limite le nombre de câbles mais plutôt celui des paires optiques à l’intérieur. Un câble peut contenir aujourd’hui entre 4 et 8 paires de fibres. Le câble Dunant de Google, mis en service en 2020, en contient 12, un record ; ce qui devrait lui permettre d’atteindre une capacité de 30 Tbit/s.

.            Les câbles des prochaines années continueront à s’appuyer sur les technologies de la génération des systèmes optiques actuels, mais de nombreuses évolutions pourront servir l’augmentation de capacité et l’amélioration des services associés. Microsoft mise ainsi sur une amélioration des fibres optiques elles-mêmes. En décembre 2022, il a acquis une société appelée Lumenisity qui développe des fibres creuses avec un minuscule canal d’air central. La vitesse de la lumière dans l’air est 47 % plus rapide que dans le verre, le temps de latence (environ 80 millisecondes à ce jour), qui est une limite essentielle à la performance des réseaux en sera réduite. Google va utiliser des fibres à deux cœurs et on annonce l’utilisation de fibres optiques à quatre cœurs permettant 20 fois plus de données que les câbles actuels.

Cependant, au-delà, aucune révolution technologique nouvelle n’est aujourd’hui entrevue dans les laboratoires, signifiant que la révolution optique, commencée il y a 35 ans, est proche d’avoir complété son cycle technologique. La limite de l'efficacité spectrale maximale atteignable vient de la théorie de l'information. C’est la limite dite de la loi de Shannon. Mais le multiplexage spatial est un autre progrès qui viendra directement de l'augmentation du nombre de paires de fibres dans le câble, limité techniquement à ce jour, à 12 paires. En particulier, une difficulté pratique majeure viendra de la puissance électrique disponible sur un câble sous-marin.

Loi de Shannon : Le théorème de Shannon (1916, Michigan– 2001), du nom de l'ingénieur qui en a publié la démonstration en posant les bases de la théorie de l'information chez Bell Laboratories en 1949, énonce (en première approximation) que la représentation discrète d'un signal exige des échantillons régulièrement espacés à une fréquence d'échantillonnage supérieure au double de la fréquence maximale présente dans ce signal.