5-4 – Le cas Taïwan

Taïwan

.            Les premiers contacts avec les Européens eurent lieu en 1542 lorsqu'un vaisseau portugais repéra l'île et la surnomma Ilha Formosa, soit « belle île » en portugais. Toutefois, les Portugais ne firent aucune tentative de colonisation. (L’appellation Formose sera surtout utilisée par les Européens et sera progressivement abandonnée à partir des années 1960’s, alors que les Chinois, l’ont toujours appelée Taïwan.)

Seul le Japon s’intéressa à Taïwan à la fin du XVIe siècle et début XVIIe siècle. Hideyoshi Toyotomi d’abord, puis le Shogunat Tokugawa essayèrent plusieurs fois de mener des expéditions vers Taïwan en 1609 et 1616. Ces expéditions furent des échecs face à la résistance des aborigènes.

Les Hollandais cherchant à établir un poste avancé pour commercer avec la Chine et le Japon et ainsi mettre fin au monopole qu’entretenaient les Portugais et les Espagnols, établirent une base dans les îles Pescadores en 1622. Contrés par les troupes chinoises, ils durent se retirer et partir s’installer à Tayouan (Anping dans l'actuel ville de Tainan) en 1624, où ils construisirent le Fort Zeelandia. Les Hollandais de la Compagnie des Indes (VOC) colonisèrent l’île jusqu’en 1662. Ils en seront chassés par Koxinga, un loyaliste Ming.

Rencontre entre les colons hollandais et les populations aborigènes de Taïwan circa 1635

Les Espagnols, préoccupés par l’installation des Hollandais à Taïwan et la menace que cela représentait pour leur commerce avec la Chine et le Japon, décidèrent également de s'installer à Taïwan mais dans le Nord de l'île. Ils débarquent près de Keelung en 1626. Mais ils n’arriveront jamais à étendre leur influence dans l’île et finalement l’abandonneront aux Hollandais en 1642.

.            Lors de la guerre franco-chinoise, (entre septembre 1881 et juin 1885, les Français tentèrent de prendre le contrôle du fleuve Rouge qui reliait Hanoï à la province du Yunnan en Chine), la France bombarda Formose en août 1884, puis, en 1885 assura son blocus avant de débarquer sur les îles Pescadores. En 1885, comprenant l'importance stratégique de l’île, les Qing élèvent Taïwan au rang de Province et Liu Mingchuan en devient le premier gouverneur.

La guerre sino-japonaise de 1894-1895 s’est soldée en 1895 par la défaite de la Chine qui, aux termes du Traité de Shimonoseki cède à perpétuité Taïwan et les îles Pescadores à l’Empire du soleil levant. Comme en Corée, le Japon a colonisé l’île en imposant une ségrégation. Un système d'éducation publique est mis en place. Mais, la colonisation japonaise doit faire face à de nombreuses révoltes. Les premières années, la pacification de Taïwan engloutit 90 % du budget de la colonie. En 1930, durant l'Incident de Wushe (les aborigènes révoltés attaquèrent les militaires japonais au village de Wushe et en tuèrent plus de 130), les Japonais utiliseront même des armes chimiques tuant un millier d’aborigènes.

Le gouvernement colonial met en place une politique agricole afin d’améliorer la production et de tirer des profits des exportations. Les techniques agricoles et d’irrigation sont améliorées. Une réforme agraire distribue des terres aux paysans. La surface cultivée est ainsi doublée et les rendements triplés.  L'occupation contribue significativement à l'industrialisation de l'île : entre autres, le réseau de voies ferrées, et un système d'assainissement sont développés.

Avec le déclenchement de la guerre sino-japonaise en 1937, l'empire du Japon initie une politique d'assimilation sociale et culturelle sur toute l'île pour raffermir les liens entre l'île et la nouvelle mère patrie. L'usage de la langue et l'adoption de noms nippons sont encouragés par des mesures répressives et l'enregistrement à un sanctuaire shintō de même que le culte de l'empereur Shōwa sont déclarés obligatoires. L'élite taïwanaise doit porter les costumes d'apparat japonais.

Après la défaite de 1945, le Japon abandonne 50 années de colonisation et remet Taïwan à l'ONU, qui en confie la stabilisation (récupération et administration) à la République de Chine de Tchang Kaï-chek, toujours installé sur le continent. Des troupes chinoises du Kuomintang viennent donc reprendre rapidement le contrôle de l'île, avec le soutien des États-Unis. Après avoir maintenu une attitude globalement neutre entre Tchang Kaï-chek et Mao Zedong durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont reconnu en 1945 le gouvernement nationaliste comme le seul gouvernement légitime de la Chine. Le président Truman a toutefois prévenu le 05 janvier 1950 qu'ils ne s'impliqueraient pas dans un conflit éventuel entre Taïwan et la nouvelle République Populaire de Chine (RPC), proclamée le 01 octobre précédent.

L’île a été globalement épargnée par les destructions et les soldats chinois s'en étonnent. Ils décrivent un pays développé et presque intact. Rapidement toutefois, des pénuries alimentaires apparaissent et des épidémies de peste bubonique et de choléra se propagent.

Très vite, le malaise s'installe entre les nouveaux-venus et la population taïwanaise. Le 28 février 1947 éclatent des émeutes, sous le nom d'Incident 228 (02-28). Il s’ensuit une violente répression qui provoque la mort d'environ 30.000 Taïwanais et la proclamation de la loi martiale. La loi martiale est proclamée, qui durera pendant 30 années ; c'est le début de la Terreur blanche. La police du Kuomintang n’ayant rien à envier en ce domaine aux dictatures qui viennent de s’effondrer.

En 1949-1950, les nationalistes du Kuomintang, à la suite de leur défaite dans la guerre civile chinoise (1927-1950), fuyant l'Armée de libération et la création de la République populaire de Chine, s'y établissent alors avec deux millions de Chinois du continent, en majorité des troupes, et l'ambition de reprendre le continent au Parti Communiste chinois. Tchang Kaï-Chek en prend le contrôle et y installe un gouvernement. Il y proclame la République de Chine et revendique le continent. Depuis la Chine continentale communiste n’a cessé de vouloir récupérer les 35.980 km² situés à 180 km à l’est du continent. Xi Jinping fait du rattachement de Taïwan une priorité et une intervention par la force n'est pas à exclure.

En mai 1949, la loi martiale est déclarée, Tchang Kaï-chek contrôle Taïwan (officiellement appelée République de Chine) d'une main de fer, et toute opposition est réprimée. Le mandarin est imposé comme langue officielle. Cette sinisation à marche forcée est un choc non seulement pour les plus anciens Taïwanais, également d'origine chinoise, mais aussi pour les aborigènes dont la culture était déjà décimée par les premiers colons européens, les colons chinois des dynasties Ming et Qing, et par la colonisation japonaise.

La guerre de Corée qui éclate en 1950 est un salut pour le régime de Tchang Kaï-chek. En effet, l’Armée populaire de libération se préparait à envahir Taïwan. Harry S. Truman décide de défendre l’île contre une invasion des troupes communistes. La 7e flotte américaine croise au large de Taïwan. En 1954, les accords de défense mutuelle sont signés et des troupes américaines stationneront à Taïwan.

Le 25 octobre 1971, les membres de l’ONU votent l’entrée de la République populaire de Chine à l’ONU. La Résolution 2758 expulse les représentants de Tchang Kaï-chek de l’ONU, et ne mentionne plus le nom de République de Chine. La République populaire de Chine devient le seul représentant de la Chine à l’ONU.

En 1979, sous Jimmy Carter, les États-Unis lient des relations diplomatiques avec la Chine et ferment par conséquent toutes relations diplomatiques avec la République de Chine. Les accords de défense mutuelle sont abolis et les bases américaines à Taïwan sont fermées. En contrepartie le congrès américain vote en 1979 le « Taiwan Relation Act », une loi qui autorise les États-Unis à accorder de l'aide militaire pour la défense de Taiwan.

Avec la Corée du Sud, Hong-Kong, et Singapour, Taïwan est un des quatre dragons du fameux « miracle de l’Asie orientale ». Ces quatre pays sont devenus des puissances industrielles, en s’inspirant du modèle japonais, et en s’appuyant sur quatre facteurs : une industrie d’exportations reposant sur des unités de production de petite taille, à faible intensité capitalistique et employant une main d’œuvre à faible coût ; une croissance qui repose principalement sur les inputs de travail pour compenser des apports limités de capital et de progrès technique ; une féminisation de la population active ; et enfin le rôle de l’État qui supporte les exportations au-delà de ce que le marché pourrait juger comme non-rentable, après s’être assuré d’avoir un avantage à développer tel ou tel secteur. L’État, très présent, a organisé le développement de l’industrie selon le schéma suivant : import de matières premières et de techniques, développement dans tous les secteurs de la recherche, puis enfin spécialisation et transfert technique dans certaines branches sélectionnées par l’Etat. Le miracle taïwanais

Le mouvement démocratique de la fin des années 1980 a transformé la république de Chine d'une dictature à parti unique en un État démocratique et bipartite. Taïwan est le 22e plus grand système économique du monde, se classant au premier rang des États non membres des Nations Unies.  Comptant plus de 23 millions d’habitants en 2020, Taïwan est un pays riche avec un PIB par habitant de 26.000 $ (15e rang mondial), jouissant d'un niveau de vie équivalent à celui du Japon ou de l'Union européenne, mais avec un taux de natalité parmi les plus bas du monde.

L’économie s’est développée sans trop de heurts jusqu’à la crise thaïlandaise de 1997, laquelle a mis en évidence la perméabilité des économies asiatiques ; leur interconnexion a favorisé leur développement endogène. Depuis, est intervenue l’explosion économique chinoise et l’affirmation de l’Empire du milieu dans toutes ses dimensions : Mer de Chine, routes de la soie et … Taïwan.

Taïwan et la Chine : une zone grise du droit international

D'après : Les Echos – 11 jan 2021

.            Classiquement, un État existe à partir du moment où il possède un territoire, un peuple, un gouvernement. C’est le cas de Taïwan comme de la République populaire de Chine (RPC). Cependant, pour être un sujet et un acteur du droit international, il faut aussi qu’il soit reconnu par les autres États.

En 1949, Tchang Kaï-Chek revendique une légitimité portant sur l'ensemble de la Chine, y compris sa partie continentale. Taïwan est ainsi reconnu par les États-Unis et une grande partie du monde libre comme le seul représentant de la Chine, possédant même un siège à l'ONU. Mais en 1964, le général de Gaulle, pour entamer un dégel avec Pékin, reconnaît la République populaire de Chine de Mao comme étant la Chine légitime et légale. Une décision suivie en 1979 par les États-Unis. Progressivement, tous les pays du monde adopteront cette position, Pékin menant à cette fin une large politique de lobbying. Seuls 14 États conservent des relations diplomatiques officielles avec Taïwan, essentiellement de petits pays d’Amérique centrale et d’Océanie, ainsi que le Vatican en Europe.

Pour autant, la position des gouvernements demeure complexe. La grande majorité a adopté la politique «d'une seule Chine», reconnaissant la République populaire communiste comme autorité légitime. Peu, néanmoins, disent ouvertement et explicitement que Taïwan en fait partie. C'est tout l'ambiguïté diplomatique.

Taïwan n’est pas un État plein et entier. C’est un État indépendant de facto, appelé aussi République de Chine depuis 1949. Du point de vue de la RPC, l’île est de jure « la 43éme province de Chine », bien que celle-ci n’y exerce actuellement aucun pouvoir. Cette situation particulière (État de facto) est fondamentalement liée à la reconnaissance internationale de la République populaire de Chine comme État ayant la qualité de représenter le peuple chinois.

Le préambule de la Constitution chinoise de 1982 définit Taïwan comme une partie sacrée et inaliénable de la Chine. Dans la logique de la position de Pékin, la loi anti-sécession de 2005 précise qu’a priori la réunification doit être pacifique, mais n’exclut pas des moyens non pacifiques.

Le 25 octobre 1971, la reconnaissance par les Nations unies de la République populaire de Chine (résolution 2758) a marginalisé Taïwan. Conséquence problématique : les ressources du droit international ne sont pas disponibles à Taïwan, dans le sens où ni les traités internationaux de protection des droits humains, ni les recommandations des Nations unies n’y sont applicables.

De plus, le cas de Taïwan pose un problème connu des spécialistes de droit international : la tension qui existe entre le droit à l’autodétermination des peuples, brandi par Taïwan, et le respect de l’intégrité des États, invoqué par la Chine populaire. Il en résulte à l’étranger un doublage institutionnel. Il y a ainsi à Paris une ambassade de la RPC, ainsi qu’un bureau de représentation de Taïwan. Les deux s’ignorent. À Taipei, l’American Institute, officiellement organisation à but non lucratif, inauguré en 2018, est une ambassade de fait des États-Unis. L’ambassade officielle se trouve à Pékin.

.            Une digue de fer ne sépare pas les deux rives du détroit de Formose. En 2010, un accord-cadre de coopération économique a été signé entre les deux parties. 40 % des exportations de Taïwan s’effectuent en direction de la RPC. 400.000 Taïwanais sont établis sur le continent. En 2019, avant le Covid, 2.683.000 touristes chinois avaient visité Taïwan.

Mais sur le plan politique, les problèmes sont nombreux. Depuis quelques années, la Chine accentue la pression sur Taïwan. Le 2 janvier 2019, Xi Jinping déclare que la seule solution est l’intégration à la Chine, dans le cadre de la formule : un pays, deux systèmes. Mais 84 % des Taïwanais la rejetaient en 2019. Le Livre Blanc chinois de la défense de juillet 2019 réaffirme son opposition à la sécession. Et le 1er juillet 2021, Xi déclare que la Chine fera obstacle à toute tentative visant à assurer l’indépendance de Taïwan.

En réalité, deux nationalismes s’affrontent. Celui de la Chine populaire, pour laquelle les Taïwanais sont forcément chinois. Et celui de Taïwan. Au-delà des déclarations des partis politiques, Taïwan et la Chine sont séparés par des conceptions différentes de la démocratie.  La RPC a une autre conception de la démocratie. Il s’agit d’une démocratie socialiste chinoise : le gouvernement est à l’écoute du peuple, assure l’ordre et la progression du niveau de vie, mais le peuple n’élit pas ses dirigeants au niveau national. Taïwan est depuis 1987 une démocratie au sens occidental du terme. Son cas prouve qu’on peut être de culture chinoise et adhérer à cette forme de démocratie.

Taïwan a intégré en 2020 le groupe très restreint de la vingtaine de « démocraties complètes » (full democracies) que compte la planète et s’est classé au 8e rang mondial en 2021, avec un score de 8,99 (sur un maximum de 10). Cela place Taïwan juste derrière les champions habituels que sont les cinq pays du nord de l’Europe, la Nouvelle-Zélande et l’Irlande, et juste devant l’Australie et la Suisse.

La crainte d’une grande majorité de la population de l’île, qui est apparemment satisfaite du système démocratique dans lequel elle vit désormais, est de subir le sort que la Chine a réservé récemment à Hongkong et d’être rattachée en tant que 23e province à la Chine continentale. Ce scénario n’est pas à exclure, car Pékin, tient absolument à réintégrer Taïwan avant le 100e anniversaire de la RPC en 2049 en s’appuyant sur le fait que sa légitimité à être seule et unique représentante de la Chine, au regard du droit international et de la reconnaissance au sein du système de l’ONU, est acquise et indiscutable. Le scénario inverse est inenvisageable, malgré que, en 1945, ce fut tout naturellement la République de Chine (RoC) nationaliste dirigée par Tchang KaÏ-chek qui a initialement occupé le siège permanent auquel le pays a droit au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, et qui ainsi fait également valoir le « principe d’une seule Chine ».

La guerre pour Taïwan ?

D'après : BBC / Contrepoints - Yves Montenay

.            Taïwan n’a pas toujours été chinoise et sa population initiale existe toujours même si elle est maintenant très minoritaire. Il y a eu en effet plusieurs vagues de colonisation chinoise, la dernière ayant eu lieu à l’occasion du repli de l’armée du Kuomintang dirigée par le président légitime de la Chine, Tchang Kai-Check, accompagnée de civils. Légitime ? En tout cas davantage que Mao, ce qui l’a amené à dire qu’il était le seul représentant de la Chine.

.            Face à une superpuissance mondiale se trouve cette petite île qui n'a même pas la taille de Cuba. Taïwan, située à seulement 180 kilomètres de la République populaire de Chine, vit en regardant son éternel ennemi avec lequel elle partage la même langue et les mêmes ancêtres, mais un régime politique différent. D'un côté du détroit, Pékin dirige une Chine communiste de 1,3 milliard d'habitants sous la coupe d'un parti unique. De l'autre, Taipei dirige une république démocratique de 23 millions d'habitants.

En 2005, le parti communiste chinois a adopté une loi anti-sécession qui affirme son droit de recourir à des "mesures non pacifiques" contre Taïwan si celle-ci tente de faire sécession de la Chine continentale. Depuis lors, La Chine répète de plus en plus fortement qu’elle est décidée à « réunifier » le pays en annexant Taïwan. Si Taïwan déclarait son indépendance, le petit territoire insulaire pourrait faire l'objet d'une attaque militaire.

Lorsque le président Jimmy Carter a établi unilatéralement des relations diplomatiques avec Pékin en 1979 et rompu les liens officiels avec Taïwan, le Congrès a adopté la loi sur les relations avec Taïwan, qui autorise la vente d'armes défensives à l'île. Comme il semble que Taïwan ne puisse pas se défendre sans les États-Unis, une guerre à grande échelle est tout à fait possible si ce soutien se matérialisait.

Le temps a passé, la Chine communiste a été reconnue, Taïwan ne l’est plus comme un pays distinct à la suite des pressions chinoises, mais de facto des relations quasi diplomatiques demeurent avec le monde occidental. Le différend qui oppose les deux pays depuis 1949 a privé Taïwan de l'accès aux instances internationales et lui a conféré un statut indéfini et une reconnaissance internationale limitée. En effet, seuls 13 pays dans le monde reconnaissent ce territoire comme un État souverain, tandis que la Chine revendique l'île comme faisant partie de son domaine et la considère comme une province rebelle.

Il y a eu plusieurs tentatives de séduction chinoise envers Taïwan pour que la réunification se fasse de manière paisible.  Et il y a une crainte très réelle de la population taïwanaise de se retrouver dans la même situation que Hong-Kong. Tout semble réuni pour que la Chine fasse une pression violente sur Taïwan.

.            On remarquera que Taïwan a gagné la guerre économique, puisque ce sont des sociétés de ce pays qui ont activement participé au décollage industriel de la Chine. Mais l’offensive de Pékin contre ses propres capitalistes ne peut que renforcer la crainte de ceux de Taïwan. Tandis que d’un point de vue américain, le risque de voir la Chine mettre la main sur la principale entreprise mondiale de production de puces électroniques accroît encore l’inquiétude.

.            Après des années d'hostilités et de tensions, Taïwan a trouvé une stratégie qui favorise sa survie nationale dans ce conflit asymétrique et a réussi à éloigner le spectre d'une invasion chinoise : le "bouclier de silicium". Une "arme" que personne ne peut reproduire à moyen ou long terme compte tenu de son niveau de complexité, un secteur-clé dont dépendent tous les produits, des avions de chasse aux panneaux solaires, des jeux vidéo aux instruments médicaux.

Les puces sont le "cerveau" de tout appareil électronique. Le "bouclier de silicium" signifie que la position de Taïwan en tant que premier fabricant mondial de puces à semi-conducteurs avancées et a un effet dissuasif sur une action militaire de la Chine. Surtout avec la pénurie de semi-conducteurs qui s’est manifestée avec le développement de la pandémie Covid-19, à partir de la fin 2020, période où Taïwan est devenue le goulot d'étranglement de la chaîne d'approvisionnement mondiale.

.            Le géant asiatique, comme le reste de l'économie mondiale, dépend de puces ultra-sophistiquées fabriquées à Taïwan, constituées de circuits intégrés généralement en silicium. L'impact d'une guerre dans cette partie du monde serait si important que la Chine en paierait un lourd tribut, y compris de graves dommages à sa propre économie 

Le bouclier de silicium s'apparente ainsi au concept de DMA (destruction mutuelle assurée) de la guerre froide, car toute action militaire dans le détroit de Taïwan serait aussi dommageable pour la Chine que pour Taïwan et les États-Unis. Ainsi, dans les faits, on peut penser qu’elle empêche le déclenchement d'un conflit et protège le petit territoire d'une attaque militaire ordonnée par Pékin.

Les analystes pensent que la Chine voulait effrayer Taïwan lorsqu'elle a mené un entraînement militaire dans le détroit en 1996. Et la plupart des experts militaires s'accordent à dire que la Chine n'a pas la capacité militaire de lancer une attaque de grande envergure contre Taïwan. Néanmoins, le futur des sociétés développées pourrait se jouer désormais là-bas.

.            En effet, que deviendraient les économies occidentales si elles étaient privées des semi-conducteurs en provenance de cette île ? Elles sont sous la menace d’une sorte de black-out géant de tous leurs outils de production, soumis au manque du plus petits des composants. La haute dépendance européenne et américaine à Taïwan, qui pèse plus de la moitié de la production mondiale de puces, souligne cruellement l’abandon de son propre outil industriel.

En 1990, les États-Unis représentaient 44 % de la production mondiale de puces et l’Europe 37 %. En vingt ans, avec le sacro-saint modèle du "fabless",  ces entreprises sans usines qui sous-traitent la fabrication loin de leur territoire, les chiffres donnent le vertige : seulement 12 % pour l’Oncle Sam et 10 % pour le Vieux Continent. En 2022, le géant taïwanais TSMC est passé de rien à 60% de la fabrication mondiale de semi-conducteurs et 92 % des plus sophistiqués (60% de ses clients sont nord-américains). Avec UMC, le numéro deux taïwanais, la part de marché des acteurs taïwanais de l’industrie des semi-conducteurs atteignait 75,7% dans la fonderie, 56,7% dans l’emballage et les tests et 19,3% dans la conception. Cette dépendance est devenue critique. Les Taïwanais, si l’environnement géopolitique le leur permet, vont continuer d’investir massivement dans des capacités supplémentaires et dans de nouvelles technologies. En 2021, TSMC avait annoncé un plan de 100 milliards de dollars pour faire face à la croissance de la demande. Début 2022, le groupe a finalement décidé de débourser 44 milliards sur cette seule année.

Le coréen Samsung est le numéro deux mondial pour la fabrication des puces, avec près de 17 % de part de marché. Mais la Chine compterait plus de 86.000 entreprises liées au secteur des semi-conducteurs. La part de marché des chinois dans la production de puces devrait passer de 9 % en 2020 à 17 % en 2024. Autrement dit, elle ajouterait en capacités de production l’équivalent de Global Foundries, l’américain numéro quatre mondial.

            Une Zone d'identification de défense aérienne ou Air defense identification zone (ADIZ) est un espace aérien au-dessus de la terre ou de l'eau dans lequel l'identification, la localisation et le contrôle des aéronefs civils sont effectués dans l'intérêt de la sécurité nationale. Ils peuvent s'étendre au-delà du territoire d'un pays pour donner au pays plus de temps pour répondre aux aéronefs éventuellement hostiles. Le concept d'une ADIZ n'est défini dans aucun traité international et n'est réglementé par aucun organisme international.

La première ADIZ a été établie par les États-Unis le 27 décembre 1950, peu de temps après que le président Truman eut proclamé une urgence nationale pendant la guerre de Corée. Habituellement, ces zones ne couvrent qu'un territoire incontesté, ne s'appliquent pas aux aéronefs étrangers qui n'ont pas l'intention d'entrer dans l'espace aérien territorial et ne se chevauchent pas.

L’ADIZ de Taïwn, conçue et créée par les forces armées américaines (USAF) après la Seconde Guerre mondiale, couvre la majeure partie du détroit de Taiwan, une partie de la mer de Chine orientale et l'espace aérien adjacent. La plupart des ADIZ de Taiwan sont construites sur sa zone économique exclusive. Une vingtaine de pays et régions ont désormais de telles zones.

            Les zones de défense aérienne ne doivent pas être confondues avec les Flight Information Regions (FIR), les Régions d’information de vol, qui sont utilisées pour gérer le trafic aérien.

Au-delà de Taïwan, la zone maritime est très convoitée.

            Bordée par les Philippines, la Chine, l’Indonésie, le Vietnam, Taiwan, la Malaisie, Singapour et Brunei, cette zone maritime d’environ 3.000 kilomètres de long 1.000 kilomètres de large est disputée par ces pays. Depuis plusieurs décennies, ils revendiquent leurs droits sur plusieurs îles situées dans l’archipel des Paracels et des Spratleys, tous deux convoités pour ses eaux riches en poissons et pour son sous-sol qui regorge de pétrole et de gaz. Des ressources qui poussent Pékin à faire pression sur les pays frontaliers. À titre d’exemple, la Chine avait exigé du Vietnam, qui revendique une partie des Îles, qu'il cesse d’effectuer des recherches de gaz et pétrole en mer de Chine méridionale. Résultat : des patrouilleurs chinois auraient sectionné les câbles d'un navire d'exploration sismique du groupe public PetroVietnamen 2012. Pour étendre son influence dans cette zone stratégique et affirmer sa souveraineté sur l'archipel des Spratlys, la Chine a même construit plusieurs îles artificielles depuis 2014, notamment pour y installer des bases aériennes.

Pourquoi si peu de pays reconnaissent Taïwan ?

Le Figaro -  Elisabeth Pierson – 05 aoû 2022

Au fil des décennies, beaucoup de pays qui soutenaient le régime de Taïpei sont revenus sur leur position, pour favoriser le dialogue avec la Chine.

.            En décembre 2021, le Nicaragua annonçait la rupture de ses relations diplomatiques avec Taïwan. Prenant acte, le régime de Taïpei se désolait de la perte d'« un partenaire loyal », et exprimait «douleur et regrets du fond du cœur». Niger, Afrique du Sud, Lesotho, Macédoine... La liste est pourtant longue des États qui, ces dernières décennies, ont fait acte de reconnaissance envers la République populaire de Chine, au détriment de Taïwan.Haut du formulaire

Pékin, de son côté, considère l'île à 130 kilomètres de ses côtes comme partie intégrante de son territoire. Si les 23 millions de Taïwanais ont leurs propres institutions démocratiques, leurs lois, leur monnaie et leur armée, le régime de Taïpei n'est plus reconnu en 2022 que par 14 États dans le monde - la majorité d’entre eux étant d’ailleurs des « micro-États », même si 57 pays ont conservé des relations « non diplomatiques » avec Taïpei, dont la plupart des grandes puissances membres du G20. Même aux yeux de l'ONU, Taïwan n'est pas un État souverain !

Pourtant, il n’en a pas été toujours de même. Jusque dans les années 1970, les Nations unies et la plupart des États occidentaux, dont la France et les États-Unis, reconnaissaient l’île comme seule représentante de la Chine. Comment expliquer cette volte-face ? Taïwan est-elle complètement isolée sur la scène internationale ?

Le principe d’une seule Chine

.            Pour le comprendre, il faut remonter en 1949, lorsque Mao Tse Toung gagnait la guerre civile et proclamait la République populaire de Chine. Son rival Tchang Kaï-chek et les nationalistes du Kuomintang se réfugient sur l'île de Formose, appelée également République de Chine. Côté occidental, les États et organisations internationales ne reconnaissent pas le régime communiste de Mao.

La réalité géopolitique les rattrape pourtant. En pleine guerre froide et en période de rupture sino-soviétique, la Chine et ses 800 millions d'habitants devient un partenaire attractif, sinon incontournable. D'autant que le régime taïwanais du Kuomintang, dictatorial, ne se soucie guère de son siège à l'ONU. Cela devenait incohérent de se focaliser sur une petite île et d'ignorer la grande puissance.

À l'aune d'un rapprochement avec Pékin, plusieurs pays occidentaux opèrent la bascule. Le général de Gaulle en 1964, puis le président américain Nixon en 1979, reconnaissent la République populaire de Chine. De facto, cela implique d'adhérer à la version de Pékin de considérer Taïwan comme une simple province chinoise. C'est le principe d'une seule Chine, dont découle tout ce qui est en train de se jouer aujourd'hui : un pays ne peut avoir des relations diplomatiques qu'avec une seule entité.

En 1971, l'Assemblée générale des Nations unies vote la résolution 2758 par laquelle la République de Chine (Taïwan), qui occupait le siège réservé à la Chine depuis 1945, est tenue de céder sa place à la République de Mao. Taïwan rejoint ainsi un groupe restreint d’États qui, tel le Kosovo, sont partiellement reconnus et non membres de l’ONU.

Compétition sur la scène diplomatique

.            De son côté, Taïwan continue ses efforts pour sortir de l'isolement diplomatique cherché par Pékin. Après la répression de la place Tiananmen (le 4 juin 1989, Pékin mobilisait l’armée pour mettre fin à un mouvement étudiant pacifique réclamant la démocratisation de la Chine. On estime qu’environ 1000 personnes ont été tuées), de nombreux pays d'Afrique (Lesotho, Guinée Bissau, Centrafrique en 1990 et 1991, Niger, puis Sénégal et Tchad en 1996 et 1997), des Caraïbes ou d'Amérique latine (Guatemala, Honduras, Paraguay) nouent des relations avec l'île, souvent en échange d'une politique d'aide au développement.

Pour sa part, le régime de Pékin réussit à faire basculer un certain nombre d'États de son côté, en exerçant sur eux une pression plutôt incitative que coercitive, par la promesse d'un commerce bilatéral florissant et d'investissements massifs. Beaucoup de pays reviendront sur leur position, le dernier en date étant le Nicaragua en décembre 2021.

Parmi les 14 états qui persistent à reconnaître Taïwan aujourd'hui, le Vatican est le plus symbolique. Le Saint-Siège représente les catholiques du monde entier. Preuve du poids de ce soutien, Pékin tente un rapprochement depuis plusieurs années avec le Saint-Siège, sans doute en vue de le détourner. En 2004, le président Chen Shui-bian effectue la première visite en Europe d'un président taïwanais en exercice en assistant aux funérailles de Jean Paul II.

Un isolement seulement apparent

.            Dans les faits pourtant, l'isolement de Taïwan n'est qu'apparent. L'île bénéficie d'un réseau diplomatique dense avec près de 110 postes diplomatiques à l’étranger. Ces postes, bien loin cependant d’égaler ceux de la Chine (276 postes), ne représentent pas moins une coopération dense à la fois économique, commerciale et culturelle avec de nombreux états. À titre d’exemple, la France bénéficie d'un « Bureau Français de Taïpei » sur l'île, aux prérogatives similaires à une ambassade. À Paris également, un « bureau de représentation de Taïpei » reste actif.

Avec une économie florissante et ces solides relations bilatérales, le gouvernement de Taïpei se contente du statu quo. D'autant que réclamer un siège à l'ONU serait sans doute prétexte pour Pékin à une invasion. Taïwan est conscient qu'il est difficile d'avoir plus aujourd'hui. Pour autant, le régime est désireux d'élargir sa présence au sein des organisations internationales. Sous le statut d'observateur, elle est déjà membre de la Banque asiatique de développement sous le nom de « Taïpei, Chine », du Comité international olympique sous le nom de « Taïpei Chinois », ou encore l’Organisation mondiale du commerce, sous le nom de « Territoire douanier distinct de Taïwan, Penghu, Kinmen, Matsu », explique encore Antoine Bondaz dans sa note au think-tank FRS. Après la pandémie de Covid-19, l'île souhaite notamment un retour au sein de l'OMS, où elle avait un statut d'observateur de 2008 à 2016.

La reconnaissance en tant qu'État est-elle une priorité ? Taïwan a, de facto, toutes les composantes d'un État : un territoire, une population, un pouvoir exécutif et une présidente élue au suffrage universel. Or, l'existence d'un État en droit international ne dépend pas uniquement de la reconnaissance des autres. La souveraineté d’un État, dépend autant de la reconnaissance par les autres États que de la souveraineté intérieure et la souveraineté fonctionnelle. L’« État de facto » versus « l'État de jure ».