Le « nouveau monde » dessiné et baptisé à Saint-Dié

.            En 1492, la découverte de l'Amérique repousse les limites du monde connu. Les premiers contours de ce « nouveau monde » ont été dessinés et baptisés à Saint-Dié, dans les Vosges, ville considérée aujourd'hui comme la capitale mondiale de la géographie.

En route vers l’Asie

.             XVe siècle, la géographie en est à ses balbutiements. En cette fin de Moyen Âge, l'obscurantisme règne sur fond d'inquisition. L'Église catholique et certains savants soutiennent encore que la terre est plate (Note 1) De leur côté, les explorateurs décrivent, au-delà des terres connues, des mondes mythiques et des mers peuplées de monstres marins, C'est le moment où le Portugal, pour développer le commerce des épices et de l'or vers l'Asie, se lance dans une véritable politique navale. Les routes terrestres vers la Chine et l'Inde étant devenues incertaines depuis la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, les expéditions se feront désormais en contournant l'Afrique par sa côte atlantique.

Cette ambition est rendue possible par de grandes innovations, Les caravelles, ces navires rapides, maniables, capables d'affronter des vents latéraux ou contraires, permettent de longues expéditions. L'invention d'instruments, comme la boussole et les quadrants, et les progrès réalisés en cartographie rendent la navigation plus précise. Enfin, jusqu'à ce que Christophe Colomb ose mettre le cap plein ouest.

.             Malgré sa découverte, Christophe Colomb n'ayant jamais souscrit à l'idée d'avoir découvert un nouveau continent, ce fût en référence au   navigateur florentin, Amerigo Vespucci (1454 - 1512), que cette nouvelle terre fût baptisée « America » à Saint-Dié.

Amerigo Vespucci

.             En juin 1498, à la suite de Christophe Colomb et de quelques autres navigateurs comme l'Espagnol Alonzo de Ojeda, une escadre explore l'Océan Atlantique pour le compte du roi Ferdinand d'Aragon. Elle accoste en Amérique du Nord, en Floride, entre la baie de Chesapeake et l'actuel cap Canaveral. L'escadre est commandée par Juan Diaz de Solis et par Vincent Yanes Pinzon qui commandait la Niña lors du premier voyage de Colomb. À leurs côtés figure un homme de 46 ans issu d'une riche famille de Florence, Amerigo Vespucci (1452-1512).

La famille d'Amerigo est liée aux Médicis, qui gouvernent la république de Florence. Aussi le navigateur a-t-il soin d'envoyer des lettres et des documents à Lorenzo di Pier Francesco di Medici afin de l'informer de ses quatre expéditions menées à partir de 1498 et de se mettre en valeur. Sa lettre, écrite en 1503, judicieusement titrée « Mondus Novus » (Nouveau Monde), est un récit en italien destiné à des lecteurs cultivés mais ne connaissant rien des techniques de navigation. Elle s'acquiert un succès mondain surtout dû à des anecdotes sur la vie sexuelle des indigènes. Traduite en plusieurs langues, la lettre circule dès 1503 partout en Europe. Dans une version latine, on peut lire : « quam multa mirande in dies reperiantur » (« Afin que les gens instruits puissent voir combien de choses prodigieuses ont été repérées pendant ces jours »).

Les Vosges, haut lieu de l’élite scientifique

.             Nous sommes au tout début du XVI° siècle, l'Humanisme se propage en Europe, notamment grâce à l'invention de l'imprimerie par Gutenberg cinquante ans plus tôt à Strasbourg.

René II (1451-1508), duc de Lorraine, autant passionné de géographie que l’est le roi du Portugal, est un personnage clé de cette histoire. Il connaît les travaux du grec Ptolémée, notamment sa Géographie, un traité rédigé par le célèbre astronome et astrologue grec vers ... l'an 150 (Note 2), dont la redécouverte, en Europe au XVe siècle, va relancer l'étude de la géographie mathématique et de la cartographie.

Le chanoine Vautrin Lud vient de fonder le Gymnase Vosgien, un centre d'études, au sein de l'école ecclésiastique de la collégiale de Saint-Dié dans les Vosges lorraines. C’est un cénacle de savants, que René II a réuni, dédié, entre autres, à la géographie et la géométrie, et qui a pour mission d'établir un nouvel atlas en actualisant la "géographie de Ptolémée". Saint-Dié est située sur la route qui relie les principaux centres intellectuels de l'époque (Paris, Strasbourg, Sélestat, Heidelberg ou encore Fribourg). La présence d'une importante imprimerie permet de diffuser rapidement et en masse les traités et les cartes qui y sont édités. Autant d’éléments qui ont fait de Saint-Dié un carrefour de l'Humanisme au XVIe siècle.

.             En 1507, René II confie à Vautrin Lud une copie du « Mundus Novus » (Le nouveau monde), découverte à Paris en 1505 par le moine cartographe Mathias Ringmann. Amerigo Vespucci est convaincu que Colomb se trompe, et il l’affirme dans sa lettre. Pour lui, ce vaste territoire que ce dernier a récemment découvert, n'a rien à voir avec l'Inde : il s'agit en réalité d'un nouveau continent. Les savants se mettent au travail et exploitent les informations d'Amerigo Vespucci.

Le 25 avril 1507, le fruit de leur labeur sort de presse. Ils appellent leur planisphère Universalis Cosmographia, une grande carte découpée en 12 feuillets. Mais pour la postérité, on l’appellera le planisphère de Waldseemüller, du nom du dessinateur cartographe allemand qui se fait appeler Hylacomylus, qui l'a imprimé. Passionnés par la précision des récits et descriptions, ils décident de tirer un livret de 52 feuillets explicatif du planisphère : la Cosmographiae introductio. Martin Waldseemüller y explique pourquoi il a souhaité baptiser ce nouveau continent « America », et édite la traduction en latin des récits de voyages de Vespucci par Jean Basin.

Une innovation « made in » Saint-Dié !

« Universalis cosmographia secundum Phtolomaei traditionem et Americi Vespucii aliorumque lustrationes » (Cosmographie universelle selon la tradition de Ptolémée, et les relevés de Vespucius et d'Americus) -Médiathèque intercommunale de Saint-Dié-des-Vosges

.             Cette mappemonde, est la première carte sur laquelle apparaît le mot « America », un terme choisi par Martin Waldseemüller et l'érudit Mathias Ringmann, qui ont voulu ainsi rendre hommage au premier "découvreur". Les noms des continents sont alors féminins : Europa, Africa, Asia; Amerigo devient donc America. Bref, c'est là, dans la forêt vosgienne, au pied du Kemberg, qu'une poignée de savants a tout simplement signé l'acte de naissance de l'Amérique.

Et c'est une œuvre magistrale à plus d'un titre. Le planisphère, accompagné du livret Cosmographiae Introductio contenant un traité de géographie, compile savoirs antiques et observations contemporaines pour représenter le monde tel qu'on ne l'avait jamais vu. Jusqu'alors, la cartographie s'appuyait encore sur la "Mapa Mundi", inspirée de notions géographiques bibliques qui placent Jérusalem au centre d'un monde ne comptant que trois continents...

.             Ce planisphère est aussi la première carte murale du monde réalisée par la technique de l'imprimerie. De grand format (1.290 x 2.320 mm), non coloriée, elle fut imprimée selon la technique de la xylographie sur douze planches séparées de 430 x 590 mm chacune. L'ensemble représente la forme de la terre grâce à une modification de la projection conique de Ptolémée où les méridiens sont incurvés ; un type de représentation qui marqua profondément la cartographie. Le planisphère est cordiforme (en forme de cœur), surmonté par deux médaillons : à gauche, Ptolémée, à droite, Amerigo Vespucci. Suivant la tradition de l'époque, l'Europe, l'Afrique et l'Asie sont placées au centre du document, Et c'est sur la gauche qu'il faut chercher la nouveauté : les deux parties du nouveau continent sont séparées par un détroit, entourées d'eau et de toute évidence non rattachées à l'Asie comme le croyait Christophe Colomb. Le mot « America », qui apparaît pour la première fois, est placé assez bas, dans un commentaire, plutôt vers le sud de l'Amérique latine actuelle.

Une carte à jour du savoir de ses auteurs

.             Le travail sur le tracé des continents américains est assez approximatif. En effet, Waldseemüller se base uniquement sur des cartes marines (principalement le planisphère de Caverio ou des documents issus d'une source commune) qui ne représentent pas encore les côtes ouest des Amériques, car seule la partie atlantique a été explorée. Waldseemüller est donc obligé de tracer lui-même les limites ouest des nouveaux continents.

Pour l'Amérique du Sud - l'Isthme de Panama n'étant pas connu - il relie le nord et le sud par deux traits quasiment rectilignes et transforme ainsi le continent en île. Pour l'Amérique du Nord, il élude le problème en plaçant l'échelle des latitudes à l'emplacement de la côte ouest. La côte ouest de l'Amérique du Sud est, quant à elle, remarquablement stylisée par deux lignes droites. Ainsi, le planisphère de Waldseemüller représente deux continents séparés ; de petits arrangements repris, par la suite, par d'autres géographes.

Un trésor conservé à Washington

.             En 1513, six ans après la première parution de la carte indiquant l'existence du Nouveau Monde, Martin Waldseemüller publie une mise à jour chez Jean Schott, à Strasbourg. Curieusement, sur cette nouvelle carte conservée par la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, le nom « America » est remplacé par « Terra incognita » et seul le nom de Colomb est mentionné. Mais il est déjà trop tard pour revenir sur la pratique issue de la publication de 1507.

La carte de Martin Waldseemüller, éditée en 1513

.             En 1538, le cartographe flamand Mercator reprend le nom « Amerique » sur une de ses cartes. Le Nouveau Monde est désormais baptisé pour l'éternité.

.             Si on estime à 1.000 le nombre de copies imprimées à l'époque, on a longtemps pensé les avoir toutes perdues. C'est pourquoi, lorsqu'un exemplaire est retrouvé au début du XXe siècle par un prêtre jésuite en Allemagne, la Bibliothèque du Congrès des États-Unis manifeste aussitôt son intérêt. Mais le gouvernement allemand refuse catégoriquement de la céder.

En 2001, après 80 ans de négociations, les États-Unis réussiront finalement à l'acquérir pour 10 millions de dollars. Après restauration, elle est exposée depuis 2007 à la Bibliothèque du Congrès à Washington DC.

.             On trouve sur un mur de Saint-Dié-des-Vosges une fresque reproduisant le planisphère de Waldseemüller, et à la médiathèque Victor-Hugo, les curieux pourront admirer l’un des deux exemplaires propriété de la ville, du livret Cosmographiae Introductio de Mathias Ringmann.

C'est également à Saint-Dié que Martin Waldseemüller, à la demande de René Il, réalisera et imprimera la toute première carte de la Lorraine, en 1508, puis celle de l'Alsace deux ans plus tard. D'ailleurs, en plus d'être la marraine de l'Amérique, Saint-Dié-des-Vosges est surnommée la capitale des géographes, et un festival international de géographie y est organisé chaque année.

Note 1 - L'astronome grec, Ératosthène de Cyrène, a démontré que la Terre est ronde, 200 ans avant notre ère.

Note 2 - Un ouvrage de référence où Ptolémée décrit la totalité du monde connu aux environs de 125 après JC, qui a servi de guide à tous les voyageurs et navigateurs jusqu'au XVe siècle.