Une lutte mondiale pour la reconquête de la Lune
Depuis la course à la Lune entre l’Union soviétique et les États-Unis, avec comme point d’orgue les 6 alunissages Apollo entre 1969 et 1972, le soufflé est retombé : pas de base lunaire, pas même d’autre mission vers la Lune pendant pas mal de temps.
Notre satellite restant un objet scientifiquement intéressant, quelques missions lunaires se mirent en place quand même dans les années 1990. Deux missions d'observations américaines, Clementine en 1994 et Lunar Prospector en 1998 ; une première européenne, essentiellement symbolique, en 2003, avec SMART-1. Petit à petit, d’autres acteurs sont venus s’ajouter : le Japon (Hiten en 1990 puis Kaguya/Selene en 2007), l’Europe (SMART-1 en 2003), la Chine (Chang’e 1 en 2007) et l’Inde (Chandrayaan en 2008). Cependant, il s’agissait d’orbiteurs, des satellites tournant autour de la Lune pour l’étudier … de loin. Désormais, le devant de la scène est occupé par les aluniseurs …
Depuis 2007, le développement de programmes spatiaux dans les pays émergents et la maturation des programmes d'explorations martiennes, qui prévoient une étape relais lunaire, ont entraîné un regain d'intérêt pour la Lune, visitée par une dizaine de sondes.
Le signal de départ de cette nouvelle course à la Lune a été donné en 2007 avec le Google X-Prize (le secteur privé marque le secteur spatial depuis les années 2000). Cette initiative devait récompenser le premier acteur privé à atterrir sur la Lune. Cinq équipes finalistes avaient été choisies mais au moment de clôturer en 2018, aucune n’avait réussi. Néanmoins, deux se lancèrent quand même avec un peu de retard avec les sondes israélienne Bereshit en 2019 et japonaise Hakuto-R fin 2022 …, sans succès.
Dressée sur son pas de tir en Floride, l'immense fusée SLS (Space Launch System) s'envole le 16 novembre 2022 et, vérifiant que le véhicule est sûr pour accueillir les futurs astronautes, annonce le retour des vols habités. La Nasa a déjà identifié 13 sites, proches du pôle Sud, qui pourraient être propices à un alunissage prévu pour 2026 avec la troisième mission du programme Artemis. Parmi l’équipage, il pourrait y avoir la première femme à poser le pied sur la Lune, mais pas encore d’Européens, malgré la fourniture du module de service de la capsule Orion par l’Agence spatiale européenne, indispensable à la survie des astronautes.
La Lune est une escale avant d’aller sur Mars. Les programmes spatiaux la considèrent comme une étape nécessaire Artémis affiche clairement un objectif de "Moon to Mars", de la Lune vers Mars. Depuis 40 ans, ne dit-on pas que l’homme serait dans 20 ans sur Mars ! Mais quand la Lune est à 384.400 kilomètres de la Terre, Mars est … à plus de 55 millions de kilomètres !
La sonde indienne Chandrayaan-3, s’est posée au pôle sud de la Lune.
Objectif Lune atteint. La sonde indienne Chandrayaan-3 s’est posée le 23 août 2023 à la surface de la Lune non loin du pôle Sud, trois jours après l'échec de la sonde spatiale russe Luna 25 ayant le même objectif d'atteindre cette région lunaire. L'astromobile et l'atterrisseur effectuent différentes mesures à l'aide de leurs instruments.
La sonde spatiale est une copie de Chandrayaan-2 lancée en juillet 2019 mais qui s'est elle écrasée à la surface de la Lune à la suite d'une défaillance de ses équipements. L'Inde, intègre ainsi le club très fermé des grandes puissances spatiales malgré le budget relativement réduit de son programme aérospatial comparé à d'autres nations. Alors que seuls 4 pays ont réussi des alunissages contrôlés (l’Union soviétique, les Etats-Unis, la Chine et désormais l'Inde), Chandrayaan-3 est la première à réussir son alunissage à proximité du pôle sud lunaire peu exploré. Mis au point par l'Isro, Chandrayaan-3 comprend un module d'alunissage nommé Vikram (vaillance en sanskrit) et un rover nommé Pragyan (sagesse). Ce robot d'exploration mobile doit parcourir la surface de la Lune pendant un jour lunaire, l'équivalent de quatorze jours terrestres. De son côté, le lanceur va "poursuivre son voyage sur l'orbite actuelle pendant des mois/des années" dans le cadre d'un programme d'étude des exoplanètes.
L'Organisation indienne pour la recherche spatiale lance sa mission Chandrayaan-3 vers la Lune, depuis Sriharikota (Inde), le 14 juillet 2023. (ISRO / AFP)
Depuis la mise en orbite d'une sonde autour de la Lune en 2008, le programme spatial indien s'est considérablement développé. En 2014, l'Inde est devenue le premier pays asiatique à mettre un satellite en orbite autour de Mars et, trois ans plus tard, elle a lancé 104 satellites en une seule mission. En 2024, elle devrait envoyer une mission habitée de trois jours en orbite autour de la Terre.
En 2019, l’Inde se flattait d’avoir abattu un satellite en orbite basse avec un missile, mais s'était attirée des critiques en raison des quantités de déchets spatiaux générés. L'Inde s'efforce également d'augmenter sa part (2% actuellement) du marché spatial commercial mondial grâce à des coûts bien moindres que ceux de ses concurrents.
La NASA s’ouvre aux financements privés
Côté américain, le programme lunaire est multiforme. Il y a tout d’abord le programme Artemis de la NASA, censé ramener des astronautes sur la Lune. Il a souffert de divers retards, dus à la fusée SLS … sans oublier un financement insuffisant ou des dépassements divers, qui font qu’Artemis I, mission inhabitée, n’a été lancée qu’en 2022, Artemis II (mission habitée autour de la Lune) a été reportée à fin 2025. Pour la première fois depuis Apollo 17, en 1972, des astronautes vont s'aventurer au-delà de l'orbite basse terrestre. Les quatre premiers passagers de la capsule Orion de la Nasa feront un tour autour de la Lune, avant de revenir sur Terre, le tout en 10 jours environ. L'Agence spatiale européenne est chargée du module de service qui fournit air, eau, électricité, et assure la propulsion.
(Artemis est aussi le nom d’accords internationaux non contraignants rassemblant 23 pays principalement d’Amérique et d’Europe et précisant des « règles » pour les activités lunaires futures.)
Artemis III (mission avec un équipage de 4 et alunissage au pôle sud) n’arrivera pas sur la Lune avant probablement début 2027. Pour le moment aucun alunisseur n'est capable de réaliser ce transfert, qu'il s'agisse du Starship de SpaceX ou du Blue Moon de Blue Origin. Et il y a peu de chances qu'un des deux soit prêt rapidement. En attendant, les premiers éléments d'une station orbitale lunaire devraient être envoyés dans l'espace en 2025. C'est probablement celle-ci qui sera la destination des prochaines missions Artemis.
Pour la seule année 2024, pas moins d'une dizaine de missions lunaires sont programmées. S’ajoutant aux « missions nationales » institutionnelles, cela a commencé par le lancement de Peregrine, premier alunisseur de l'entreprise américaine Astrobotic, qui marque le début d'une série de 7 missions privées. Malgré le retard de deux ans, elle reste toutefois inédite. Il s’agissait du premier lancement commercial d’un robot à la surface de la Lune. Mais l’échec de cette mission en janvier 2024, reporte la première concernant le secteur privé, que constituait le retour d’un engin américain sur la lune depuis plus de 50 ans. La société Intuitive Machines, fondée par d'anciens membres de la Nasa du centre spatial de Houston a lancé le 15 février 2024, avec une fusée SpaceX, son alunisseur Nova-C qui a déposé, à l’endroit le plus au sud de la Lune où un vaisseau ne s’est jamais posé, sa sonde Odysseus le 23 février (allongée sur le côté !).
Une accumulation qui témoigne d'une tendance de fond, une grande vague de reconquête lunaire. Elle est en grande partie due à la Space Policy Directive 1 de décembre 2017 qui prévoit que les États-Unis vont conduire « avec des partenaires commerciaux et internationaux » le « retour des Hommes sur la Lune » puis des « missions humaines vers Mars » ; en fait, on recrée le commandement de l’espace américain, dissous dans plusieurs organismes en 2002. La concrétisation du programme CLPS (Commercial Lunar Payload Service) de la Nasa est ainsi lancée, qui finance, depuis 2018, 14 entreprises privées pour stimuler l'innovation et tenter de réduire le coût du fret vers le pôle sud lunaire. Acheter des alunisseurs privés, souvent développés par des start-ups, est devenu une nécessité pour la NASA quand on compare le budget du programme Artemis, estimé entre 25 et 50 milliards $, avec le coût du programme Apollo qui s’est élevé à environ 300 milliards $ (éq. 2020). La Nasa compte d'ailleurs faire émerger une « économie lunaire », autour du programme institutionnel Artemis de la Nasa, qui ambitionne de reposer le pied sur la Lune avant la fin de la décennie.
Mais les aléas techniques peuvent perturber la donne. Ainsi les fusées Falcon-9 de SpaceX sont clouées au sol le temps d’une enquête après le rare échec le 11 juillet 2024 (le premier en 8 ans sur près de 320 lancements !), d’une mission qui a échoué à placer en orbite 20 satellites Starlink du groupe.
La fusée Falcon-9 assure en outre pour la NASA des missions de ravitaillement de la Station spatiale internationale (ISS) et y achemine régulièrement des astronautes. Les incidents sur cette fusée, considérée comme très fiable, sont cependant rares. SpaceX a rappelé avoir réussi 364 décollages. Une Falcon-9 avait cependant explosé sur son pas de tir à Cap Canaveral en 2016, lors du remplissage des réservoirs pour un test au sol. Cet accident s’était produit quinze mois après une première explosion d’une fusée Falcon-9 peu après son décollage de Floride, lors du lancement de sa capsule Dragon vers l’ISS pour une mission de réapprovisionnement.
La Nasa a annoncé le 17 juillet 2024 mettre un terme au développement de son rover Viper, qui devait explorer le pôle sud de la Lune en quête d’eau, à cause de coûts devenus trop élevés. 450 millions de dollars ont déjà été dépensés pour ce rover déjà assemblé, soit 20 millions de plus que le budget prévu. Le lancement, qui était initialement prévu pour fin 2023, ne pouvait désormais pas avoir lieu avant 2025 au plus tôt, ce qui aurait porté son coût total à plus de 600 millions de dollars. De plus, le rover devait décoller à bord d’un alunisseur Griffin, construit par la jeune entreprise américaine Astrobotic dont la première mission vers la Lune en janvier 2024, avec son alunisseur Peregrine a échoué.
La deuxième mission d’Astrobotic est toutefois maintenue, et la Nasa livrera pour celle-ci un objet d’une masse similaire au rover, mais sans utilité scientifique, car l’agence spatiale ne veut pas risquer de retarder encore le décollage en imposant une cargaison scientifique nouvelle. Il faut en effet au préalable que Astrobotic puisse réussir, au moins une fois, un alunissage, ce qui est visé au troisième trimestre 2025.
Autant de problèmes que doit affronter la Nasa, tandis que sa concurrente chinoise a réussi ses dernières missions lunaires. La Chine prévoit par ailleurs d’envoyer ses premiers taïkonautes sur la Lune d’ici 2030.
Chang’e 6 : L’impressionnante mission chinoise
La Chine, nouvel acteur de premier plan, n’est pas en reste. Pour le géant asiatique, il n’y a pas officiellement de compétition avec les États-Unis, mais le choix d’un alunissage en 2029, pour célébrer les 80 ans de la création de la République populaire et l’ambition d'y construire une base, montrent l’importance de l’enjeu. Si la Chine n'a envoyé son premier humain dans l'espace qu'en 2003, ses programmes spatiaux, alimentés par des milliards de dollars, montent en gamme depuis plusieurs décennies.
La mission Chang’e 3 a déposé un mini rover (Yutu « Lapin de Jade » n°1 sur la Lune en 2013. La mission Chang’e 4, avec un atterrisseur et un autre petit rover (un autre « lapin de Jade », le n°2), s’est posée sur la face cachée de la Lune le 03 janvier 2019. La mission Chang’e 5 a effectué une mission de retour d’échantillons de la face visible de la Lune. Elle s’y est posée le 1er décembre 2020 et en est repartie deux jours après. La capsule portant les échantillons les a livrés sur Terre, comme prévu, le 16 décembre. Aucun échec donc et une progression impeccable.
Chang’e est le nom de la déesse de la Lune (comme notre Artemis). L’aventure lunaire et la compétition … sont aussi civilisationnelles !
Un petit robot a atterri sur Mars en 2021.
Mais la mission Chang’e 6, est la première fois que l’humanité aura des échantillons de la face cachée de la Lune.
On devrait avoir ensuite Chang’e-7 pour vérifier les « ressources » disponibles du côté du pôle sud et Chang’e-8 qui préparera l’utilisation in situ de celles-ci. Les alunisseurs habités suivront dans les années 2030. La Chine ambitionne également d'établir une base internationale permanente, d'abord automatique, puis visitée par des taïkonautes (7 pays en font déjà candidats). La Russie devrait y être associée, ce qui pose quelques problèmes géopolitiques.
Réplique de Chang’e 5, la sonde Chang’e 6, a été lancée par la puissante fusée Chen Zhang 5, CZ-5 (Longue Marche 5), depuis le port spatial de Wenchang, dans la province de Hainan. C’est une fusée sans élément récupérable mais qui a déjà fait ses preuves et un peu plus puissante que la future Ariane 6, A64 qui pourra mettre 21,5 tonnes en orbite basse (la CZ-5B peut y placer 25 tonnes). Elle utilise de « nouveaux » moteurs semi-cryogéniques, devenus classiques, brûlant du kérosène dans de l’oxygène liquide, un processus plus fiable que d’utiliser de l’hydrogène -comme il est prévu pour Ariane 6- (fragilisation des matériaux et risque de fuites).
La sonde Chang’e 6 a été propulsée le 3 mai 2024 dans l'espace depuis le centre de lancement de Wenchang, dans la province insulaire et tropicale de Hainan (sud de la Chine). Elle s’est posée le 01 juin 2024 sur la face cachée de la lune, comme prévu, dans le bassin Pôle Sud-Aitken au niveau du cratère Apollo. Durant 48 heures, un bras robotique et une foreuse ont fait des prélèvements (jusqu’à 1 mètre de profondeur). C’est une grande première, car deux kilos d’échantillons seront rapportés sur Terre pour étudier l’histoire de notre planète ; la Lune est comme un morceau de Terre arraché il y a plus de 4 milliards d’années puis « mis au frigo » ! Le 4 juin, la sonde a effectué le premier lancement réussi de l'histoire depuis la face cachée de la Lune, afin de placer les échantillons récoltés en orbitaire lunaire, en attendant la « livraison » sur Terre. La sonde Chang'e 6, avec à son bord 1.935 grammes de ses précieux échantillons, est retournée le 25 juin sur Terre, dans une zone désertique de la région de Mongolie intérieure (nord de la Chine), marquant le "succès complet" de la mission.
Mission Chang'e 6
La prochaine étape doit être l’établissement d’une base robotique puis habitée au Pôle Sud de notre satellite sur le même site … que celui visé par les Américains. Ce sera Chang’e 7, pour vérifier les « ressources » disponibles, puis Chang’e 8 pour les exploiter.
Les alunisseurs habités suivront dans les années 2030. La Chine ambitionne également d'établir une base internationale permanente, l’International Lunar Research Station (ILRS) d'abord automatique, puis visitée par des taïkonautes (7 pays sont déjà candidats). Un accord de mars 2021 avec la Russie associe cette dernière au projet, ce posera probablement quelque problème géopolitique.
Mais les dates pourraient se rapprocher tant Pékin est discret sur l’avancée de son programme spatial. Cependant, en quelques mois, la Chine a été témoin de plusieurs incidents graves liés à ses fusées.
Le lancement d’une fusée de type Longue Marche 2C le 22 juin 2024, depuis la base de lancement de Xichang, dans la province du Sichuan (sud-ouest de la Chine) devait mettre en orbite un satellite d'observation spatial, fruit d'une collaboration entre la Chine et la France. Mais le premier étage de la fusée est tombé sur un village.
Puis la chute d’un booster, suivie d’une grosse explosion : le 30 juin 2024, le test de l'étage principal d'une fusée chinoise privée vire à la catastrophe. Le booster a décollé par erreur et s'est crashé peu après dans une zone urbanisée. Le test faisait partie du développement d'un futur lanceur, Tianlong-3, de capacité équivalente à la Falcon 9 de SpaceX, et également réutilisable. On notera cependant qu’Il n’a fallu que 4 ans pour faire décoller la précédente Tianlong-2 (une durée équivalente au retard d'Ariane 6 !).
Généralement, les sites de lancement de fusées sont construits le long des côtes, afin que les propulseurs s'écrasent dans l'océan. Pas en Chine, où plusieurs sites sont situés dans les terres, ce qui augmente naturellement le risque d'accident. Encore, à la fin du mois de décembre 2023, c'est le propulseur d'une fusée Longue Marche 3B qui s'était écrasé près d'une habitation, dans la province du Hunan (sud-est de la Chine). La Chine spatiale fait la course avec SpaceX d’Elon Musk ... quitte à négliger toute sécurité.
Chaque année, le nombre de satellites chinois en orbite augmente : 1.000 satellites depuis 2010, dont les deux tiers ces cinq dernières années. La Chine soutient la mise en place de méga-constellations satellites privées ou publiques, avec plusieurs dizaines de milliers de satellites à mettre en orbite d'ici 2030. Ainsi, la Chine disposerait d'autant de satellites dans l'espace que les États-Unis. La Chine cherche aussi à conquérir les marchés étrangers avec ses lanceurs et ses constructeurs de satellites. En première cible : l'Afrique ; elle est actuellement en train de construire une base de lancement à Djibouti et est partenaire de plusieurs programmes spatiaux du continent. Une logique d'occupation qui lui garantit d'avoir son mot à dire sur l'avenir de l'orbite face aux dogmes occidentaux.
Fin 2024, la Chine franchit une nouvelle étape dans le domaine de l’observation spatiale avec le lancement des premiers satellites au monde dotés de capacités de navigation autonome, autrement dit les premiers « drones-satellites » de l’Histoire.
Les satellites Gaojing-2 03 et Gaojing-2 04, marquent une évolution majeure dans la technologie spatiale. Contrairement aux satellites traditionnels qui nécessitent un contrôle constant depuis la Terre pour leurs manœuvres, ces nouveaux venus peuvent maintenir et ajuster leurs orbites de manière indépendante grâce à des systèmes embarqués avancés, utilisant la technologie radar à synthèse d’ouverture (SAR)
Ces deux satellites font partie d’une initiative plus large, le projet de constellation de télédétection commerciale Siwei, qui vise à établir un réseau d’au moins 28 satellites pour fournir des données d’observation de la Terre complètes pour diverses industries et applications.
D’autres prétendants se sont fixés l'objectif Lune.
De son côté, le 11 août 2023, la Russie, en perte de vitesse après un arrêt de 47 ans, a lancé son premier engin vers la Lune depuis 1976. La sonde Luna-25 s'est toutefois écrasée le 19 août 2023 sur le sol lunaire en tentant un alunissage dans la zone du pôle sud lunaire. L’orbiteur Luna 26 n’arrivera pas avant 2027.
La Corée du Sud a également placé en orbite lunaire sa sonde Danuri en décembre 2022, lancée quelques mois plus tôt à bord d'une fusée SpaceX. Séoul s'est donné pour objectif de poser un engin sur la Lune en 2032.
Le Japon a réussi le premier alunissage de 2024. Le pays devient ainsi la 5e puissance à réussir cette prouesse après les États-Unis, l'URSS, la Chine, et plus récemment l'Inde. La première tentative japonaise, en novembre 2022, s'était soldée par un échec : la mini-sonde de la Jaxa, Omotenashi (hospitalité), qui était embarquée à bord de la mission américaine Artémis 1, avait connu une défaillance fatale de ses batteries peu après son éjection dans l’espace. Fin avril 2023, la start-up nippone Ispace (qui tentait de devenir la première entreprise privée à réussir à se poser sur la Lune) avait elle aussi crashé son premier alunisseur lors de la phase d’approche pour se poser sur le sol lunaire. L’alunisseur Slim (Smart Lander for Investigating Moon), principalement un démonstrateur destiné à tester des technologies d'atterrissage de haute précision, a atteint son objectif de se poser à 55 m de sa cible initiale au pole sud lunaire, soit un très haut degré de précision, … mais la tête en bas ! Cependant, l'alunisseur se rallumera 5 semaines plus tard.
Le Japon devient ainsi le cinquième pays à réussir à se poser sur le satellite naturel de la Terre après les États-Unis, l'URSS, la Chine et l'Inde.
Il est en effet courant que les engins lunaires traditionnels se posent à plusieurs kilomètres de leur cible, ce qui peut compliquer leurs missions d’exploration. Et l’alunissage est plus difficile que de se poser sur des astéroïdes car la gravité sur la Lune est plus forte que sur de petits corps célestes. 2024 sera aussi l’année d’un nouvel essai pour la sonde privée japonaise Hakuto-R. La suite s’appelle LUPEX (Lunar Polar Exploration Mission), une mission prévue pour 2026 avec récolte et analyse sur place d’échantillons lunaires.
L’Europe et Ariane 6
Le vol inaugural d’Ariane 6 (A 62) le 09 juillet 2024 été un succès presque parfait. Rien à dire de négatif sur la performance du premier étage LLPM (Lower Liquid Propulsion Module). Mais le second étage ULPM (Upper Liquid Propulsion module), le plus novateur des deux, a montré une petite défaillance. Il est composé (outre les réservoirs) d’un moteur Vinci, qui brûle de l’hydrogène dans de l’oxygène, dont c’était le premier vol, et d’un moteur auxiliaire APU qui donne la possibilité d’éteindre et d’allumer le Vinci en vol permettant ainsi de moduler la poussée, donc l’altitude, en fonction de la masse transportée et de l’orbite désirée, donc de desservir plusieurs orbites avec des charges différentes. La défaillance est venue de ce que le dispositif complet n’a fonctionné que deux fois et non trois.
En espérant qu’ArianeGroup parvienne à sécuriser le fonctionnement de cet auxiliaire, l’Europe sera donc bientôt de retour comme acteur du spatial mondial avec un outil techniquement capable de mettre en orbite une large variété de charges utiles, mais sur le plan commercial la concurrence va être très rude.
En effet, le marché du transport spatial est mondial, ou plutôt il est largement dominé par SpaceX, avec en parallèle une concurrence potentielle indienne (ouverte sur les pays du Sud) et japonaise (locale) qui pointent, et un marché fermé sino-russe, … sans parler des petites pousses du NewSpace, qui grandissent derrière, comme Maia le lanceur léger de MaiaSpace, filiale à 100 % d'ArianeGroup, dont la mise en service opérationnelle est prévue en 2026).
SpaceX a réalisé en 2023 un nouveau record de 96 lancements (dont 91 Falcon 9 et 5 Falcon Heavy), soit 50 % de plus qu’en 2022, et quasiment la moitié des lancements mondiaux (211 réalisés, en comptant les 63 de la Chine, les 7 de l’Inde, les 3 du Japon… et les 3 de l’Europe). SpaceX vise 148 lancements en 2024. Du point de vue de la capacité (volume et surtout masse), Ariane 6 se situe à peu près au niveau du Falcon 9 et loin en dessous du Falcon Heavy (sans parler du Starship, hors catégories !). C’est un lanceur moyen. Dans ce marché, il est évident que la confiance et le coût jouent. Les lanceurs indiens (GSLV de l’ISRO) sont structurellement moins chers du fait du niveau général des salaires dans le pays. Mais ils sont petits et en concurrence avec VEGA, le lanceur léger de l'Agence spatiale européenne (ESA) sous maîtrise d'œuvre italienne. Les lanceurs japonais (H3 de la JAXA) sont moins puissants, dans une catégorie intermédiaire (capacités un peu au-dessus du VEGA-C). Les lanceurs indiens et japonais sont nouveaux mais maintenant qu’ils ont donné (difficilement) leurs premières preuves, ils vont bien sûr continuer.
Les lanceurs de SpaceX sont moins chers en raison des énormes économies d’échelle dont bénéficie la société du fait:
- Du nombre de lancements très important en termes absolus et relatifs qu’elle effectue chaque année
- De la réutilisabilité très largement pratiquée et qui est d’ailleurs un des facteurs les ayant conduits à dominer le marché (actuellement tous les lanceurs Falcon-9 sont réutilisés, le record est détenu par l’un de ces boosters réutilisé 22 fois).
- Par ailleurs les lancements des fusées d’ArianeGroup sont plus chers du fait, des avantages acquis par les véhicules de SpaceX ci-dessus mentionnés, et d’un lancement de l’autre côté de l’Atlantique,
- Mais aussi d’une direction multinationale d’ArianeGroup qui suppose bien évidemment de la concertation et des accords, pour assurer la production européenne multi-centrée,
- Grâce à sa puissance acquise, SpaceX peut se permettre de développer constamment sa recherche ingénieriale. Il faudra donc que les pays membres de l’ESA continuent à subventionner le spatial pendant des années, et ce au moins jusqu’à ce que la successeure d’Ariane 6, Ariane Next arrive sur le marché… dans les années 2030. Pour le moment, ce n’est qu’un projet.
Dans ce contexte, Ariane 6 va d’abord devoir faire ses preuves techniques et démontrer sa fiabilité. Pour cela il faudra effectuer un minimum de lancements sans faute, en jouant, au début, sur sa clientèle captive, c’est-à-dire toutes les institutions qui n’auront pas le choix du lanceur du fait de leur affiliation nationale. Mais cela ne fera pas beaucoup de lancements.
Certes, à fonctionnement égal à Ariane 5, Ariane 6 va bénéficier de coûts structurellement moins élevés. Les volumes beaucoup mieux ajustés aux charges permettront un ajustement des coûts. Par contre, la non-réutilisation restera un gros problème car SpaceX en joue énormément.
Course à la Lune : et si la Chine prenait de vitesse les États-Unis?
Le premier des quatre pas de tir de la première base spatiale chinoise dédiée aux lancements commerciaux a été inauguré fin décembre, sur l’île de Haïnan. CNSA/Agence Spatiale Chinoise
Dans la course à la Lune, la Chine tente de doubler les États-Unis. Artemis, le programme de retour sur la Lune des Américains, prend du retard. La Nasa a annoncé en janvier, le décalage d’un an, à 2026, d’Artemis III, la mission qui doit déposer des astronautes sur la surface du satellite de la Terre. Après Artemis II, décalée de 2024 à 2025, qui doit envoyer quatre astronautes autour de la Lune sans s’y poser, Artemis III doit marquer la première étape d’une présence américaine durable sur la Lune. Une première depuis 1972 et la fin du programme Apollo.
Mais des incertitudes demeurent sur la capacité des États-Unis à tenir ce calendrier: les atterrisseurs Starship, développés par SpaceX, et Blue Moon, conçu par Blue Origin, ne sont pas prêts. Et le vaisseau Starship, lancé par une fusée Super Heavy, n’a pas encore démontré ses capacités après deux tirs en 2023, qui se sont soldés par des explosions.
Sur le papier, la Chine doit poser des taïkonautes sur la Lune trois ans après les États-Unis. C’est-à-dire en 2029, année de célébration des 80 ans de la République populaire de Chine. L’écart avec les États-Unis se resserre. Rien n’est joué. La Chine avance vite tandis que le programme Artemis rencontre des difficultés et s’appuie sur un système de ravitaillement en vol des vaisseaux très complexe, avec jusqu’à 8 Starship citernes mobilisés, pour atteindre la Lune. Et qui n’a pas été testé.
La Chine, dont le budget spatial 2024 est estimé à 25 milliards de dollars, accélère. Pékin vient de dévoiler une partie de ses objectifs 2024, dans le cadre de son nouveau livre bleu spatial. Il annonce viser 100 lancements cette année, établissant un nouveau record après les 67 missions réussies en 2023. La grande majorité (70 %) étant assurée par l’entreprise publique China Aerospace Science and Technology (CASC), le constructeur des fusées Longue Marche (CS), pour déployer 290 satellites.
Parité stratégique
Là encore, sur le papier, c’est moins que ce que prévoit le seul SpaceX. La société spatiale d’Elon Musk vise 144 tirs en 2024. Un objectif jugé très, voire trop ambitieux, par les observateurs. Et qui est d’abord soutenu par les missions Starlink, la constellation d’internet spatial de SpaceX. Là où la Chine réalise des lancements beaucoup plus diversifiés.
Cette année, Pékin prévoit l’envoi de 4 missions à destination de Tiangong, la station spatiale chinoise, dont deux vols habités. Et d’organiser le vol inaugural de deux nouvelles fusées: CZ-6C, nouvelle version du lanceur léger, et CZ-12, un lanceur de moyenne capacité. Ces deux fusées doivent décoller de la première base spatiale dédiée aux lancements commerciaux, dont le premier des quatre pas de tir a été inauguré fin décembre 2023, à Haïnan (sud de la Chine).
Non inscrits dans le livre bleu, mais prévus cette année, figurent les premiers vols tests de la nouvelle fusée lunaire CZ-10. L’Administration spatiale chinoise (CNSA) vient d’annoncer la fin du développement de Mengzhou, (le vaisseau de rêve) de nouvelle génération, et du module lunaire Lanyue, (tenir la Lune), avec sa capsule pressurisée et son « automobile spatiale », destinées à déposer et véhiculer deux taïkonautes à la surface de la Lune. Les premiers vols tests doivent commencer cette année.
Six objets « non identifiés »
Parallèlement, la Chine, qui a déjà fait atterrir 4 sondes sur la Lune, dont, Chang’e-6 pour collecter des échantillons sur le sol de sa face cachée. Une première mondiale, à laquelle participent la France, l’Italie et l’Agence spatiale européenne (ESA) en fournissant des instruments scientifiques, précise la CNSA.
Il s’agit d’une première étape d’un projet d’installation d’une constellation multi-missions - télécoms, navigation et observation - destinée à communiquer avec les futurs taïkonautes et à les géolocaliser sur la Lune. Dans le cadre d’Artemis, l’ESA a proposé de déployer une constellation de ce type autour de la Lune. Mais le projet n’a guère avancé.
Dans les constellations, la Chine est en revanche en retard autour de la Terre où Starlink, avec plus de 5.000 satellites, règnent en maître. Pékin a testé plusieurs projets et a finalement confié à la nouvelle société d’État China SatNet, créée en 2021, associée à des start-up privées, telle que Galaxy Space, le pilotage de sa future constellation. Baptisée Guowang, elle doit entrer en service avant 2027 et compter à terme près de 13.000 satellites.
En revanche, dans le domaine des avions militaires spatiaux, Pékin a atteint la parité stratégique avec les États-Unis, avec le 3e vol du Shenlong réutilisable en décembre 2023. Pendant chinois du X-37 américain, Shenlong, (Le dragon divin), développé dans le plus grand secret, a décollé fin 2023 pour une mission de très longue durée. Il orbite au-dessus de nos têtes et a relâché six objets « non identifiés » mais émettant des signaux dans l’espace, qui intriguent les observateurs. La Chine assure que ces objets servent à réaliser des expériences scientifiques et à tester des charges utiles réutilisables « dans un but pacifique ». Sans autre précision …
Mais rien n’est définitivement gagné.
Le 22 juin 2024, si le vol d’une fusée Longue Marche 2C depuis la base de lancement de Xichang, dans le Sichuan s’est bien passé, permettant de déployer le satellite franco-chinois SVOM dans l’espace, la gestion post-décollage du lanceur a été plus difficile ; le premier étage est retombé non loin d’habitations, en exhalant une fumée orange toxique. Une semaine plus tard un essai de mise à feu statique d’une fusée, une procédure classique, a mal tourné : le lanceur Tianlong-3 qui devait rester solidement ancré au sol, a décollé ; l’engin a fini par retomber lourdement, provoquant une grosse explosion.
Source partielle : Le Figaro - Véronique Guillermard – 28 fév 2024