3 – Et si les Soviétiques avaient été les premiers sur la Lune ?

Le marteau et la faucille contre la bannière étoilée

Une vieille idée

           La fascination des Russes pour l'espace est bien antérieure à celle des Américains. À la fin du XIXe siècle, le cosmisme est apparu en Russie sous l'impulsion de Nikolaï Fedorov (1829-1903), mêlant les idées de la philosophie occidentale et orientale à celles de l'Église orthodoxe russe pour réfléchir à l'origine, à l'évolution et à l'avenir du cosmos. En 1885, Konstantin Tsiolkovsky décrit pour la première fois dans son livre Rêves de terre et de ciel comment un satellite artificiel pourrait être lancé sur une orbite à basse altitude.

Si la NASA a commencé à envisager un programme lunaire en novembre 1959, l'année précédente, Sergei Korolev (1907-1966), le maître d'œuvre des succès spatiaux de l'URSS, avait déjà esquissé une mission et une colonie sur la Lune dans ses travaux les plus prometteurs sur le développement de l'espace extra-atmosphérique. C’est grâce à lui que l'Union soviétique va acquérir une position dominante dans le domaine spatial à la fin des années 1950 et au début des années 1960. (Note 1)

            A la fin des années 1950, les Américains étaient surclassés dans la course à l'espace et il semblait inévitable que l'URSS soit la première à faire atterrir un être humain sur la Lune.

Galvanisés par les succès retentissants des programmes Sputnik, Luna et Vostok, les soviétiques rayonnent d'optimisme : la course à l'espace ne peut que tourner en leur faveur. Preuve de leur suprématie, le président Kennedy leur a même proposé une alliance de circonstances en 1961, un partenariat inédit visant à gagner la Lune conjointement, par-delà les barrières idéologiques.

Pourquoi les Russes auraient-ils accepté ?

             Ils sont en avance dans tous les domaines.

Ils ont envoyé

  • le premier satellite Spoutnik dans l'espace (04 octobre 1957) dont le "bip bip bip" de la télémétrie avait secoué le monde entier,
  • le premier organisme vivant en orbite (novembre 1957),
  • la première sonde sur la Lune (Luna 2, septembre 1959),
  • le premier survol de la face cachée de la Lune (Luna 3, octobre 1959)
  • le premier homme (avril 1961),
  • la première femme (juin 1963),
  • le premier équipage de plusieurs personnes dans l'espace (1964),
  • le premier orbiteur lunaire (Luna 10, mars 1966)

Ils ont effectué

  • la première image de la face cachée de la Lune (Luna 3, octobre 1959)
  • la première sortie extravéhiculaire (1965),
  • le premier alunissage en douceur (Luna 9, février 1966)
  • la mission Zond 5 (septembre 1968), qui transporta des animaux, des plantes et un mannequin habillé en cosmonaute, et qui fut la première à contourner la Lune et à retourner sur Terre sans dommage.

La première image de la face cachée de la Lune (par Luna 3, octobre 1959)

En plein contexte de « guerre froide » qui fait rage, ces exploits se doivent d’avoir leur apogée avant la fin de la décennie 1960. Car les Soviétiques qui ont attendu jusqu'en 1964 pour « donner l'autorisation » (ordonner) -cachée au monde– de procéder à une mission humaine sur la Lune, construisent, en secret, un lanceur et un module lunaire capables, espère-t-on, d'atteindre la surface de notre satellite avant l’ennemi américain.

En réaction aux succès exploités par la propagande soviétique, et en particulier au vol de Gagarin le 12 avril 1961 à bord de Vostok 1, le président Kennedy annonce, le 25 mai 1961, le programme Apollo destiné à poser un équipage sur la Lune, ce qu'il confirmera et précisera le 12 septembre 1962 : « We choose to go to the Moon » (« Nous choisissons d'aller sur la Lune »). Il promet de voir un Américain poser le pied sur la Lune avant la fin des années 1960, et qualifie l'espace de « nouvelle frontière ».

Dès lors, côté américain, la pression monte. Moins d'un mois après Vostok 1, le 05 mai 1961, Alan Shepard, dans le cadre de la mission Mercury-Redstone 3, accomplit le premier vol américain, suborbital alors que Gagarine a effectué une orbite. Et pourtant, dès 1963, toute perspective de victoire semble compromise. Il va falloir prendre des risques, brûler des étapes. Alors qu'un conseiller scientifique suggère de commencer par envoyer des singes dans l'espace, James Webb, le directeur de la NASA, ne mâche pas ses mots: « Nos hommes doivent apprendre à prendre des risques et à s'assurer que tous les efforts sont faits pour ne pas faire de blessés ». Le 20 février 1962, John Glenn sera le premier Américain à réaliser un vol orbital habité dans l'espace à bord de la capsule spatiale Mercury.

La tension monte encore d'un cran tandis qu'une autre étape est franchie côté soviétique : en septembre 1968, la mission Zond 5, est la première à contourner la Lune et à retourner sur Terre sans dommage.

            En dépit de ce succès, Leonov, qui a effectué la première sortie extravéhiculaire, enrage : il aurait pu être à bord de Zond 5 et marquer l'histoire. La Lune n'était plus très loin. Seulement, on a préféré ne pas prendre le risque d'une expédition habitée. Les Russes ne le savent pas encore, mais ils viennent de rater leur unique fenêtre de tir pour la Lune.

            James Webb, l'administrateur de la NASA, estime que la mission Zond 5 est « la plus importante démonstration spatiale jamais faite par une nation ». Les États-Unis, qui pensent que le prochain lancement soviétique vers la Lune sera habité, décident donc d’avancer la date du vol Apollo 8.

Cette mission initialement prévue, au début de 1969 sur une orbite terrestre moyenne elliptique, comme le deuxième vol d'essai du module lunaire Apollo avec équipage et de son module de commande, est alors modifiée. Ceci au profit d'un vol orbital lunaire plus ambitieux, mais avec le module de commande uniquement, car le module lunaire n'est pas encore prêt à effectuer son premier vol. Apollo 8 est ainsi lancé le 21 décembre 1968. C'est le deuxième vol spatial habité du programme spatial américain Apollo, après Apollo 7 qui est resté en orbite terrestre.

Apollo 8 sera le premier vaisseau spatial habité à quitter l'orbite terrestre basse et le premier à se mettre en orbite autour de la Lune. Il faudra 68 heures pour rejoindre la Lune. Les trois astronautes constituant l'équipage — Frank Borman, James Lovell et William Anders — sont les premiers à se rendre à proximité de la Lune, à assister à un lever de Terre et à le photographier, et à échapper à l'attraction d'un corps céleste.

L'équipage effectue 10 orbites lunaires en 20 heures, au cours desquelles il réalise une émission télévisée la veille de Noël, durant laquelle les astronautes lisent les 10 premiers versets du livre de la Genèse. À l'époque, elle est l'émission la plus regardée de tous les temps. Les astronautes reviennent sur Terre le 27 décembre 1968. Le succès de la mission Apollo 8 permettra à Apollo 11 d'atteindre l'objectif fixé par le président John F. Kennedy de faire atterrir un homme sur la Lune avant la fin des années 1960.

            Le cosmonaute russe Alexeï Leonov a commencé à s’entrainer avec Oleg Grigoryevich Makarov pour la mission lunaire. Le 27 mars 1968, Leonov entend une explosion lointaine alors qu'il s’entraînait avec un groupe de cosmonautes aux techniques d'alunissage. Plus tard dans la journée, on apprend que Gagarine s'est écrasé lors d'un vol d'entraînement à bord d'un MiG-15.

Lundi 21 juillet 1969

            Le monde est rivé à ses écrans de télévision lorsque Neil Armstrong puis Buzz Aldrin posent le pied sur la Lune dans le cadre de la mission Apollo 11. Hasard ? La mission russe Luna 15, destinée à rapporter des échantillons de sol de la surface lunaire, s'est déroulée en même temps qu'Apollo 11. Le planificateur de la mission Apollo, n'était pas rassuré par la présence de Luna 15 des Soviétiques lors de l'atterrissage d'Apollo 11. La nécessité de coordonner ces deux missions adverses a marqué un rare exemple de coopération entre les superpuissances spatiales du monde.

L'URSS prévoit que Leonov atterrira sur la Lune à bord de LK, un « engin lunaire ». À l'instar du programme américain Apollo, les Soviétiques souhaitaient utiliser une fusée géante pour leur mission lunaire, et leur N1 avait une hauteur similaire à celle de la fusée américaine Saturn V. Mais le projet N1 a été précipité et les moteurs n'ont jamais été entièrement testés avant la première tentative de lancement.

La première N-1 (vol 3L) embarquant une maquette du module lunaire avait explosé en retombant au sol le 21 février 1969.

La deuxième N-1 a été lancée sur le pas de tir du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, le 03 juillet 1969. Elle transportait un vaisseau spatial L1 Zond modifié et une tour de sauvetage réelle. Le vol ne dura que quelques instants ; dès qu'elle eut dépassé le haut de la tour, il y a eu un éclair de lumière et des débris se sont détachés du bas du premier étage. Tous les moteurs se sont arrêtés instantanément, à l'exception du moteur n°18. Cela a amené la N-1 à s’incliner et à retomber. Les près de 2.300 tonnes d’ergols à bord ont déclenché une explosion massive et une onde de choc qui ont brisé les fenêtres du complexe de lancement et envoyé des débris voler jusqu'à 10 km. L'explosion fut équivalente à celle d'une bombe de cinq kilotonnes de TNT. Elle est encore considérée comme la plus puissante explosion d'origine humaine non-nucléaire.

Le soir même, Nikolaï Kamanine, l'un des artisans du programme spatial soviétique, écrit dans son journal : « Tous les espoirs ont été dissipés par la puissante explosion de la fusée 5 secondes après le lancement … » Cet accident enterre définitivement les espoirs soviétiques.

Le 26 juin 1971, la troisième N-1 (vol 6L) embarque une maquette du train lunaire L3. En moins de 50 secondes après son décollage, la fusée « titube » et les débris retombent dans un rayon de 15 km.

La quatrième (et dernière) N-1 (vol 7L) embarque un module-vaisseau spatial factice LK pour le survol de la lune. Elle décolle le 23 novembre 1972. La défaillance des moteurs a fait s’écraser la fusée en moins de 2 minutes.

Comparaison des lanceurs Saturn V (à gauche) et N-1 (à droite) - NASA

Découragé, Leonov a expliqué que le programme de l'URSS aurait pu faire un pas de plus vers la Lune, puisque « six vaisseaux spatiaux ont orbité autour de la Lune sans aucun homme à bord ».

Le projet N-1 est abandonné en 1974, cinq ans après le premier atterrissage sur la Lune de l'équipage américain d'Apollo 11. L'existence de ce lanceur et plus généralement du programme lunaire habité soviétique, symbole de l'échec de l'Union soviétique dans la course à l'espace, sera longtemps dissimulé par le gouvernement : les premières informations officielles sur le lanceur ne seront fournies qu'après la chute du régime soviétique, au début des années 1990.

            Il va sans dire que la poigne de fer de ses dirigeants, habitués à la dissimulation et au mensonge, a joué contre l'URSS. Pour ne pas risquer l'humiliation idéologique, les Soviétiques se sont contentés de clamer leurs succès et de taire leurs échecs, attendant par exemple que Youri Gagarine revienne sain et sauf de son vol orbital avant de partager la nouvelle avec le reste du monde.

Par ailleurs, l'administration soviétique n'a pas cru bon de révéler qu'elle était également engagée dans la course vers la Lune. Ce ne sera qu'en 1989, soit 20 ans après le succès d'Apollo XI, que des étudiants du MIT découvriront avec stupeur le module lunaire soviétique LK-3, dont l'existence n'avait pas été avérée, relégué dans un coin de l'Institut d'aviation de Moscou.

Le modèle soviétique, larvé par une bureaucratie lourde et une gouvernance chaotique, n'avait pas la hiérarchie ordonnée de la NASA, ni son assurance technologique et encore moins de véritable instance de pilotage du programme spatial civil. Seul Sergueï Korolev, l'ingénieur des grands succès spatiaux soviétiques des années 1960, donnait un semblant d'organisation et de méthode au programme. Mais il est accablé de problèmes de santé depuis plusieurs années, il mourra à l’hôpital en 1966. Ironie de l'histoire : victime des purges staliniennes, Korolev avait séjourné au goulag et eu la mâchoire brisée durant un interrogatoire. Cette blessure empêchera les médecins de l'intuber correctement !

Le dernier blocage qui mine le programme spatial soviétique est son manque de moyens. Les vannes financières se sont taries : déjà 6 milliards de roubles ont été engloutis, et l'URSS, encore convalescente de la Seconde Guerre mondiale, n'a pas les ressources financières de son rival américain. Par ailleurs, elle a lancé son programme lunaire sur le tard, en 1964, soit deux ans après le célèbre discours de Kennedy « Nous avons choisi d'aller sur la Lune ».

Les grandes étapes du spatial soviétique

Spoutnik 1 (04 oct 1957)

            Le 04 octobre 1957, le vaisseau spatial Spoutnik 1, lancé depuis le cosmodrome de Tyuratam (proche de la petite ville de Baïkonour), au Kazakhstan, qui faisait alors partie de l’Union soviétique (URSS) (Note 2) a été le premier satellite artificiel placé avec succès en orbite autour de la Terre. Le mot russe « Spoutnik » signifie « compagnon » (« satellite » au sens astronomique).

Le satellite Spoutnik 1 était une sphère en aluminium de 58 cm de diamètre, d’un poids de 84 kg, remplie d'azote sous pression, qui portait 4 antennes en forme de fouet mesurant de 2,4 à 2,9 m de long. Les instruments, essentiellement des émetteurs, et les sources d'énergie électrique étaient logés dans une capsule scellée.

Les émetteurs satellite ont fonctionné pendant trois semaines ; son signal -le fameux « bip, bip »- a été capté partout sur la planète, et a été surveillé avec un intense intérêt dans le monde entier. Quand les batteries chimiques embarquées furent épuisées, l'orbite du satellite alors inactif a été observée optiquement. L'apogée orbitale est passée progressivement de 947 km après le lancement à 600 km le 09 décembre. Il s’est désintégré 92 jours après son lancement (04 janvier 1958) après avoir effectué environ 1.400 orbites autour de la Terre avec une distance parcourue cumulée de 70 millions de kilomètres.

Il s'agissait du premier d'une série de 10 satellites faisant partie du programme Spoutnik et devait contribuer à l'Année géophysique internationale (1957-1958). Le dernier Spoutnik 10 fut lancé le 25 mars 1961 depuis Baïkonour, ce fut le cinquième et dernier vol test pour le programme Vostok (vols habités).

Spoutnik 2 (03 nov 1957)

            Sitôt le succès impressionnant de Spoutnik 1, et en vue du 40e anniversaire de la révolution bolchevique le 07 novembre, Khrouchtchev, qui voulait impressionner les Américains, ordonna la construction de Spoutnik 2 en moins de 4 semaines. Dans la précipitation et sans véritable test de fiabilité, et bien que Sergei Korolev, chef du programme spatial, signala qu'il était impossible d'être prêt avant le mois de décembre, la construction de Spoutnik 2 fut effective. Ceci allait s'avérer fatal pour Laïka, la chienne embarquée ; en effet, comme il n'était pas possible de ramener une charge utile sur Terre en toute sécurité, il fut d’emblée décidé que Laika manquerait d'oxygène après environ 10 jours de rotation autour de la Terre.

Le 03 novembre 1957, Spoutnik 2 fut donc le premier vaisseau spatial biologique en orbite terrestre. Egalement lancé du cosmodrome de Tyuratam, il s’agissait d’une capsule en forme de cône de 4 mètres de haut avec un diamètre à la base de 2 mètres, l’ensemble pesant 508 kg. Il contenait plusieurs compartiments pour l’instrumentation et une cabine scellée séparée contenait la chienne expérimentale Laika. Une caméra de télévision était installée dans l'habitacle pour observer Laika.

Spoutnik 2 a été lancé par un lanceur similaire à celui utilisé pour Spoutnik 1 sur une orbite de 212 x 1.660 km avec une période de 103,7 minutes. Après avoir atteint l'orbite, le cône avant a été largué avec succès, mais le noyau du Blok A ne s'est pas séparé comme prévu. Cela a empêché le fonctionnement du système de contrôle thermique. De plus, une partie de l'isolant thermique s'est détachée, de sorte que la température intérieure a atteint 41 °C.

Après 2.570 révolutions autour de la Terre, Spoutnik 2 s’est désintégré dans l'atmosphère terrestre le 14 avril 1958 au-dessus des Antilles. Ces photos prises par un astronome amateur représenteraient les ultimes secondes de l'existence du satellite et de sa passagère, morte depuis 5 mois. Les ellipses bien visibles sur le document de droite montrent les rotations que le satellite effectuait sur lui-même pendant sa descente. La dépouille de Laïka aura parcouru une distance d'environ 100 millions de kilomètres avant de se consumer dans l'atmosphère, 163 jours après son lancement.

            Le premier animal à orbiter autour de la Terre était donc une chienne bâtarde, rebaptisée plus tard Laika, qui pesait environ 6 kg. Pourquoi une chienne ? Tout simplement pour une raison pratique : une chienne n'a pas besoin de lever la patte pour uriner et de ce fait, elle nécessite moins de place qu'un mâle dans une cabine ! La cabine pressurisée de Spoutnik 2 lui laissait suffisamment d'espace pour s'allonger ou se tenir debout et était rembourrée. Un système de régénération de l'air fournissait de l'oxygène ; la nourriture et l'eau étaient distribuées sous forme gélatineuse. Laika était équipée d'un harnais, d'un sac pour collecter ses déchets et d'électrodes pour surveiller ses signes vitaux.

Selon les responsables, les premières télémétries ont indiqué que Laika était agitée mais mangeait correctement. En raison des problèmes thermiques, rapidement, Laïka n'a plus donné aucun signe de vie et on n'enregistra plus aucune donnée. Elle est morte bien avant que ses réserves en oxygène aient été épuisées. Elle n'aurait survécu qu'un jour ou deux (information officielle : la chienne mourut par un poison mélangé à sa nourriture afin de ne pas la faire souffrir lors du retour dans l'atmosphère !), mais probablement pas plus de 5 ou 6 heures. La mission a néanmoins fourni aux scientifiques les premières données sur le comportement d'un organisme vivant en orbite dans l'environnement spatial.

Ce n'est qu'en 1998 que le responsable de la mission, Oleg Gazenko, émit des regrets concernant la mort de la chienne, jugée inutile au regard des enseignements tirés. Et en 2002, lors du World Space Congress à Houston, le docteur Dimitri Malashenkov (d’un l'institut biomédical russe) révéla les réelles causes de la mort de Laïka.

Luna 2 (12 sep 1959)

            Luna 2 (390 kg) était le deuxième d'une série de vaisseaux spatiaux lancés en direction de la Lune. et le premier impacteur lunaire. Il était de conception similaire à Luna 1, un vaisseau spatial sphérique, sans système de propulsion propre ; il était donc impossible de corriger la trajectoire après le lancement et toute petite erreur pouvait entraîner un écart important. Ainsi, une erreur de calcul dans la détermination de la vitesse de la fusée de 0,01% aurait conduit à un écart de 250 km du point d’impact avec la Lune. Muni d’antennes et d’instruments saillants, il transportait également des « fanions » soviétiques, petits pentagones métalliques avec les symboles du marteau et de la faucille et d’une étoile et le « CCCP » cyrillique gravés gravé sur 3 sphères en acier inoxydable.

Luna 2 (NASA/NSSDCA), symboles, sphère portant les inscriptions « СССР январь 1959 » (« URSS janvier 1959 ») ! et sites lunaires (Oaktree b)

12 heures après son lancement le 12 septembre 1959, Luna 2 s'est séparé de son troisième étage (qui l'a accompagné vers la Lune) puis a libéré un nuage orange vif de sodium gazeux qui a facilité son suivi et a servi d'expérience sur le comportement du gaz dans l'espace. Le 13 septembre 1959, après 33 heures et 30 minutes de vol, il touchait la Lune, ce qui en faisait le premier vaisseau spatial à entrer en contact avec un autre corps du système solaire. Environ 30 minutes plus tard, le troisième étage de sa fusée, a également percuté la Lune à un endroit inconnu. La mission a confirmé que la Lune n'avait pas de champ magnétique appréciable et n'a trouvé aucune preuve de ceintures de radiations sur la Lune.

            Khrouchtchev utilisera cette nouvelle preuve de la supériorité de la technique soviétique en offrant au président Eisenhower, lors d'un séjour de 13 jours du 15 au 28 septembre 1959, aux États-Unis, une réplique de sphère ornée des symboles soviétiques qui se sont écrasées sur la Lune avec la sonde. Sans doute la date du lancement n’était-elle pas un hasard. Et quelle aurait été l’histoire si cet alunissage avait été un échec ?

Vostok 1 (12 avril 1961)

            Parti de Baïkonour (Tyuratam) le 12 avril 1961, Vostok 1 (4.725 kg) a été le premier vaisseau spatial à transporter un humain, Yuri A. Gagarin, dans l'espace, ceci 25 jours avant le premier vol suborbital américain le 05 mai 1961 par l'astronaute Alan Shepard lors de la mission Mercury-Redstone 3.

Le vaisseau spatial consistait en une cabine presque sphérique recouverte de matériau ablatif. Il y avait trois petits hublots et des antennes radio externes. Des radios, un système de survie, des instruments et un siège éjectable étaient contenus dans la cabine habitée. Cette cabine était attachée à un module de service qui transportait des batteries chimiques, des fusées d'orientation, le système rétro principal et des équipements de support supplémentaires pour l'ensemble du système. Ce module s’est séparé de la cabine habitée à la rentrée dans l’atmosphère.

En raison des craintes de réactions indésirables dues à l'apesanteur, les commandes manuelles du vaisseau spatial ont été verrouillées avant le lancement et l'ensemble du vol fut sous le contrôle du personnel au sol. Après une orbite (périgée : 181 km, apogée : 327 km), le vaisseau spatial est rentré dans l'atmosphère et a atterri au Kazakhstan (à environ 26 km au sud-ouest d'Engels) 1 heure 48 minutes après le lancement. Les communications radio avec la Terre ont été continues pendant le vol et des transmissions télévisées ont également été effectuées depuis l'espace.

La sonde Vostok a été conçue pour éjecter le cosmonaute à environ 7 km et lui permettre de revenir sur terre en parachute. Dans un premier temps, l'Union Soviétique a soutenu que Gagarin avait atterri à bord de son vaisseau. Ce n'est que 10 ans plus tard que l'on a appris qu'il s'était effectivement éjecté à 7 km d'altitude et qu'il avait atterri en parachute. En effet, pour homologuer un vol spatial habité, la Fédération Internationale d'Astronautique avait décidé que le pilote devait être à bord du vaisseau au moment de l'atterrissage. Les soviétiques avaient donc quelque peu arrangé les faits.

Avant que Gagarine n'effectue son vol, le vaisseau Vostok avait été testé quatre fois dans l'espace sous le nom générique Spoutnik, à chaque fois avec des animaux à bord. Après l'échec de Spoutnik 4, vide, abandonné en orbite haute le 15 mai 1960, ces vols s'échelonnèrent pendant un an : Spoutnik 5 (19 août 1960) : plusieurs animaux passagers, dont deux chiennes, tous récupérés ; Spoutnik 6 (01 décembre 1960) : deux chiens passagers, morts lors de la rentrée dans l'atmosphère ; Spoutnik 9 (09 mars 1961) : un mannequin et une chienne passagère, récupérée vivante ; Spoutnik 10 (25 mars 1961) : un mannequin et une chienne passagère, récupérée vivante.

Vostok 6 (16 jun 1963)

            Vostok 6 (4.713 kg), comme toute la série comparable à Vostok 1, fut le dernier vaisseau spatial de la première série de vols en équipage de l'URSS. Il transportait Valentina V. Terechkova, 26 ans, la première femme dans l'espace. Jeune ouvrière du textile passionnée de parachutisme, après des entraînements intensifs et des tests particulièrement éprouvants, elle fut choisie (parmi 400 candidates) par Nikita Khrouchtchev. Ce vol a duré 3 jours du 16 au 19 juin 1963 et, pendant la majeure partie de ce temps, Vostok 6 a volé avec Vostok 5 (qui transportait un homme, Valery Bykovsky), en maintenant des communications radio bidirectionnelles et en établissant des communications avec la Terre à intervalles réguliers. Des images télévisées des cosmonautes dans leurs cabines ont été retransmises sur Terre et une série d'expériences biomédicales et scientifiques ont été menées. Après avoir effectué 48 orbites en 70,7 heures (périgée : 180 km ; apogée : 231 km ; période : 87,8 minutes), Vostok 6 a atterri, au nord-est de Karaganda (Kazakhstan). Valentina dut faire face à un dysfonctionnement, car à un moment donné son vaisseau s’éloignait de la Terre plutôt que de s’en rapprocher. Il lui fallut alors utiliser les contrôles manuels pour atteindre sa destination. Cet événement a été caché par les soviétiques et Terechkova n’en dévoilera les péripéties que 30 ans après son voyage.

Svetlana Savitskaya, la seconde femme dans l’espace, soviétique elle aussi, ne volera qu’en 1982, 19 ans plus tard.

Voshkov 1 (12 oct 1964)

            La course à l’espace et à la Lune, qui se joue sur la toile de fond de la guerre froide entre l’URSS et les États-Unis, s’intensifie au cours des années 1960. Planifiée pour devancer le programme Gemini américain, la septième mission spatiale soviétique et la première du programme Voskhod, fut conçue pour emporter des équipages de deux hommes. Les Soviétiques réussissent une première les 12 et 13 octobre 1964, en amenant un équipage de … trois membres dans l’espace. Avec un tel scenario, les dirigeants soviétiques n'hésitent pas à imposer à leurs techniciens de prendre des risques importants, mettant sérieusement en cause la sécurité des équipages. Ainsi, à la différence de tous les vols spatiaux précédents, il n'est pas prévu, par manque de place, que les occupants de Voskhod 1 portent la moindre combinaison pressurisée. Et la fusée qui les emportera ne sera équipée d'aucun siège éjectable, ni de tour de sauvetage en cas d'explosion au décollage.

L'envoi de cosmonautes en simple survêtement, la composition d'un équipage avec deux spécialistes non pilotes d'essai impressionna fortement les médias occidentaux, qui créditèrent alors les Soviétiques d'une avance considérable sur les Américains, d'au moins deux ans sur le programme Apollo.

Voshkod 2 (19 mar 1965)

            Le 19 mars 1965, Voshkod-2 frappe un autre grand coup. Pendant que son partenaire Pavael Belyayev demeure dans la capsule, Alexeï Leonov, un vétéran du programme spatial, devient le premier humain à effectuer une sortie extravéhiculaire dans l'espace, d'une durée de 12 minutes. Retenu au sas du vaisseau par un câble de 5,4 mètres, il passe une douzaine de minutes à l’extérieur. Sa combinaison ayant gonflé, Leonov peinera à réintégrer la capsule. Des problèmes dans le système de guidage, lors de la rentrée dans l’atmosphère, créent aussi des inquiétudes, comme le fait que les deux hommes atterrissent dans la forêt sibérienne, à 2.000 km de l’objectif. Ils ne sont secourus qu’après avoir passé quelques jours dans des conditions difficiles. Après avoir gardé le secret, les Soviétiques annoncent publiquement cette autre réussite qui tend à confirmer leur avance dans la course à la Lune.

Cette mission est la dernière du programme Voskhod, celui-ci étant progressivement abandonné l'année suivante au profit du programme Soyouz.

L’Américain Ed White imitera Leonov quelques mois plus tard, le 03 juin 1965.

Soyouz 1 & 2 (23 avr 1967)

            Vladimir Komarov, le premier mort de l’espace, savait qu'il ne reviendrait pas vivant.

            Le 12 avril 1961, Vostok 1, fut la seule mission spatiale réalisée par Gagarin, qui continua ensuite à travailler pour le programme soviétique depuis la Terre. En réalité, il aurait pu retourner dans l'espace en 1967. Gagarin était le cosmonaute numéro 5, un remplaçant de luxe participant à l'entraînement sur Terre afin de pouvoir suppléer à tout moment n'importe lequel de ses quatre partenaires si l'un d'entre eux rencontrait un problème avant le départ des deux Soyouz.

Cette année là, l'Union soviétique décida en effet de lancer deux engins spatiaux coup sur coup: Soyouz 1, avec un passager, puis Soyouz 2, avec trois autres cosmonautes à bord. Une fois en orbite, il était prévu que le passager de Soyouz 1 réalise une sortie dans l'espace, puis que deux de ses trois camarades présents sur Soyouz 2 le rejoignent dans Soyouz 1, au terme d’une sortie extravéhiculaire entre les deux vaisseaux, avant de repartir avec lui vers la Terre.

C'est à Gagarin que Komarov vint se confier quand il eut vent des nombreux problèmes découverts sur l'engin spatial. Un rapport d'une dizaine de pages consignait plus de 200 problèmes de structure sur Soyouz 1, lesquels devaient être résolus d'urgence, sous peine de transformer la capsule en cercueil.

Craignant de faire remonter ces informations inquiétantes jusqu'au plus haut sommet du pays, les responsables du programme spatial soviétique ont alors décidé d’occulter les difficultés tout en tentant de « colmater les brèches », sans même proposer de reporter la date du lancement. Pendant ce temps, les proches de Komarov tentèrent de le convaincre de ne pas partir et de refuser la mission Soyouz 1.

Mais Komarov, bien que conscient de l'immense danger qu'il courait s'il maintenait son voyage spatial, décida de ne pas annuler sa participation. Il savait en effet que s'il ne prenait pas place dans l'engin, Yuri Gagarin serait appelé et risquerait l’accident à sa place. Un sacrifice destiné à exprimer sa loyauté et son amitié envers le héros de la conquête spatiale soviétique, qu'il a toujours considéré comme un modèle et un mentor.

Le jour du lancement, le 23 avril 1967, Gagarin fit des pieds et des mains pour faire prendre du retard à la mission, ne pouvant pas explicitement demander son annulation. Mais rien n'y fit : Soyouz 1 fut lancé, avec Vladimir Komarov à son bord.

Mais à la suite d'une série de dysfonctionnements, le décollage de Soyouz 2 a été annulé et pour Soyouz 1, déjà lancé, les ennuis débutèrent rapidement, avec l'échec de déploiement de l'un des panneaux solaires du vaisseau, synonyme d'une perte conséquente d'énergie et de puissance. Au sol, l'agence spatiale décida d’écourter le vol Soyouz 1 et ordonna à Komarov de rentrer. Mais, après une rentrée dans l'atmosphère mouvementée, l'engin se mit à tourner de façon incontrôlable, devenant vite impossible à maîtriser, puis le parachute de la capsule se mit en torche et celle-ci s'est écrasée sur Terre, provoquant la mort de son passager.

Soyouz 1 constitue le tout premier accident mortel survenant lors d'un vol spatial. Son sacrifice, destiné à sauver Youri Gagarine, fit de Komarov le premier mort de l'histoire de l'espace.

Les objectifs de la mission ainsi que les circonstances de l'accident resteront ignorées durant de longues années, avant d'être finalement révélés, avec la Glasnost, la politique de transparence amorcée par les Soviétiques à la fin des années 1980.

Un timbre réalisé en l'honneur de Vladimir Komarov et du vol Voskhod 1, qui s'est déroulé avec succès les 12 et 13 octobre 1964. | Paille via Flickr

De 1967 à 1981, 41 missions Soyouz seront réalisées, dont 2 seuls échecs avec mort de l’équipage : Soyouz 1 (1967) et Soyouz 11 (1971).

Zond 5 (14 sep 1968)

            Zond 5 a été conçu comme un précurseur du vaisseau spatial lunaire avec équipage. C’est une capsule de 5.375 kg, lancée le 14 septembre 1968 du site habituel de Tyuratam par une fusée Proton. Il a été le premier véhicule spatial ayant contourné la Lune à être récupéré sur terre (3 mois avant le vol américain circumlunaire d'Apollo 8, en déc 1968).

Il a été mis en orbite de stationnement terrestre pour réaliser des études scientifiques avant de s’éloigner pour un survol lunaire et revenir sur Terre. En route vers la Lune, le principal contrôle optique de positionnement est devenu inutilisable et des capteurs de secours ont alors été utilisés pour guider le vaisseau spatial. Le 18 septembre 1968, la sonde spatiale survole la Lune à une altitude, au plus proche, de 1.950 km. Des photographies de haute qualité de la Terre ont été prises à une distance de 90.000 km. Une charge biologique composée de tortues, de mouches à vin, de vers de farine, de plantes, de graines, de bactéries et d'autres matières vivantes était embarquée. De plus, selon l'Académie russe des sciences, dans le siège du pilote se trouvait un mannequin de 175 cm de haut et pesant 70 kg contenant des détecteurs de rayonnement.

Lors du retour sur Terre, un autre capteur de contrôle de positionnement est tombé en panne, rendant impossible le guidage de l'entrée qui fut donc balistique. Le 21 septembre 1968, la capsule entra dans l'atmosphère terrestre à la vitesse de 11 km/s, freina aérodynamiquement et déploya ses parachutes à 7 km d’altitude. Le freinage fut extrêmement brutal, avec une décélération entre 10 et 16 g. La capsule s'est écrasée dans la zone de secours de l'océan Indien, au sud-ouest de Madagascar. Il s’agissait de la première mission soviétique de retour sur Terre circumlunaire réussie.

Les Soviétiques garderont le plus longtemps possible secrets les objectifs de la mission Zond 5 et son déroulement. Au lancement, ils se bornent à déclarer que Zond 5 doit faire l'étude de l'« espace extérieur ». Faute d'information précise, l'observatoire anglais de radioastronomie de Jodrell Bank et celui de Bochum suivent la trajectoire de Zond 5 en captant ses émissions radio et observent qu'il se dirige vers la Lune, puis la survole. Les responsables du programme Apollo paniquent lorsque Jodrell Bank intercepte dans la nuit du 18 au 19 septembre 1968 une conversation entre les cosmonautes Pavel Popovitch et Vitali Sevastianov, supposés à bord de Zond 5, et le centre de contrôle des vols d'Evpatoria (Ukraine). Il faudra un certain temps avant que la NASA se rende compte qu’en réalité les cosmonautes sont à Terre et testent la chaîne de communications !

Ce n'est que le 20 septembre qu'un communiqué de l'agence Tass confirmera que Zond 5 « a fait le tour de la Lune le 18 à une altitude de 1.950 km environ et a maintenu des communications stables avec la Terre », sans préciser si l'engin allait ou non revenir sur Terre. Le 22, après la récupération de la sonde le 21, le professeur Boris Petrov commente enfin à la télévision soviétique le déroulement de la mission. Il faudra attendre le 15 novembre pour que la Pravda révèle que des organismes vivants étaient à bord de Zond 5, et donne des détails médicaux : les tortues ont perdu 10% de leur poids, restaient actives et ne présentaient aucune perte d'appétit ; leur analyse de sang n'a pas montré de différences notables par rapport au groupe témoin. Par contre, une accumulation excessive de glycogène et de fer a été observée dans les tissus hépatiques et des modifications de structures de la rate.

            En octobre 1968, des sources américaines ont affirmé que la mission n'avait pas été aussi réussie que les Soviétiques l'avaient annoncé. Le vaisseau ne s’est pas suffisamment approché de la Lune pour avoir des photos lunaires exploitables. L’angle sous lequel le vaisseau spatial est rentré dans l'atmosphère était trop aigu pour qu'un cosmonaute puisse y survivre. L’amerrissage dans l’océan indien alors qu’il était prévu sur le territoire soviétique, a prolongé la phase de récupération de 10 heures.

Ce n’est que deux mois plus tard que l'agence de presse officielle soviétique, TASS, a annoncé que le vol transportait des animaux vivants. En novembre 1968, il a été annoncé que le vaisseau spatial était le précurseur d'un vaisseau spatial lunaire avec équipage, ceci un mois avant le vol prévu d'Apollo 8, emporte trois hommes autour de la Lune.

L’épisode des échanges radio, le 19 septembre, avec les cosmonautes … restés à terre, au plus fort de la guerre froide, a fait vraiment craindre que les Soviétiques battent la NASA sur la Lune. L'astronaute d'Apollo 17, Eugene Cernan, a fait remarquer que l'incident nous avait choqués au plus haut point. Le cosmonaute Popovich se souviendra plus tard : « Lorsque nous avons réalisé que nous ne pourrions jamais aller sur la Lune, nous avons décidé de faire un peu de l’intox »

(Note 1)    En 1938, Korolev avait été arrêté au cours des purges staliniennes qui décimèrent les cadres du pays et envoyé dans le bagne de la Kolyma (Extrême-Orient soviétique), dont il fut sauvé grâce à l'intervention de parents et d'amis. Interné dans une charachka (laboratoires secret, partie du système du Goulag), il contribua, durant la Seconde Guerre mondiale, à mettre au point des fusées d'assistance au décollage d'avions. Mi-1945, il est libéré et envoyé en Allemagne comme tous les spécialistes des fusées soviétiques pour tenter de récupérer le savoir-faire que l'équipe de Wernher von Braun a acquis en concevant et produisant le missile V2. En mai 1946, alors que les relations avec les pays occidentaux se tendent, Staline décide de lancer son pays dans la réalisation de missiles balistiques. Korolev, qui a été identifié pour ses talents d'organisateur, va jouer un rôle clé dans le plan de Staline.

Il est placé à la tête d'un des bureaux d'études, où il est chargé de développer une copie améliorée du missile V2, le R-1, premier d’une série de 7. En 1953, les dirigeants soviétiques donnent leur accord pour le développement de son projet de missile balistique intercontinental R-7 porteur d'une tête nucléaire. C’est le premier missile balistique intercontinental au monde. Le missile effectue son premier vol le 07 septembre 1956, et entrera en service opérationnel en 1960. Après avoir surmonté de nombreux problèmes de développement, le R-7 Semiorka servira également de lanceur spatial : rebaptisé Spoutnik, il lancera le satellite du même nom,

Korolev parvient à convaincre ses donneurs d'ordre militaires de l'intérêt des missions spatiales habitées. Le vol de Youri Gagarine, premier homme dans l'espace, et les premiers succès des sondes lunaires du programme Luna consacrent le triomphe de Korolev. Mais celui-ci doit lutter pour garder la faveur de ses donneurs d'ordre : il a du mal à imposer ses projets contre des concurrents, tandis que ses relations avec d'autres responsables de bureau d'études dont dépendent ses réalisations, se tendent. Les dirigeants soviétiques décident tardivement en 1964 de relever le défi du programme Apollo et demandent alors à Korolev de battre les Américains, alors que le retard technique de l'industrie soviétique s'est creusé.

(Note 2)    L'Union soviétique refuse de reconnaître et déteste l'appellation "Tyuratam" apposée par le gouvernement américain au principal centre d'essais de missiles et d'engins spatiaux de l'URSS. Le nom Tyuratam est depuis longtemps accepté dans tout l'Occident, mais n'est jamais apparu dans les annonces ou publications soviétiques concernant leurs programmes d'armement dans l'espace lointain et de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM).

En réalité, leur base spatiale a été nommée par un fonctionnaire de la CIA (Central Intelligence Agency) à l'aide d'une carte nazie. Cela n'a pas été fait à dessein, mais plutôt parce que, dans les années 1950, les Soviétiques entouraient leurs programmes de production et de lancement de missiles du plus grand secret, et que la carte nazie était la carte la plus précise de la région dont disposaient les Américains à l'époque.

La communauté du renseignement américain a inévitablement appris que les Soviétiques construisaient un site d'essai de missiles quelque part vers la mer d'Aral. L'emplacement exact étant inconnu, le site devint un objectif prioritaire pour les missions de reconnaissance U-2. Les routes de la mission U-2 longeaient naturellement la principale ligne de chemin de fer de la région, et le site fut ainsi rapidement localisé. Le complexe de lancement de la mission était situé dans le désert de Bet Pak Dala, à l’est de la mer d'Aral. L'immense rampe de lancement se trouvait à l'extrémité d'un embranchement qui s'étendait sur une quinzaine de kilomètres dans le désert à partir de la voie ferrée principale.

Dans les années 1950, la communauté du renseignement avait pour habitude de dériver le nom d'une installation de celui d'une ville voisine. Les meilleures cartes disponibles de la Sibérie et de l'Asie centrale avaient été préparées par Mil-Geo, la composante géographique de la Wehrmacht. Tyuratam figure sur la carte sous la forme d'un "Bf", pour Bahnhof (gare), et se situe à l'endroit à l'embranchement de la ligne ferroviaire principale dans le désert. L'embranchement menait probablement à une carrière d'avant-guerre qui, plus tard, a servi pour l’amorce de flamme pour la première rampe de lancement. La base soviétique a ainsi été officiellement désignée sous le nom de Tyuratam.

Avec le lancement de la mission orbitale de Youri Gagarine le 12 avril 1961, les Soviétiques ont désigné leur centre spatial sous le nom de Cosmodrome et ont admis à contrecœur qu'il était situé en Asie centrale et l’ont ensuite désigné comme le Cosmodrome de Baykonur, même si les Soviétiques savaient pertinemment que Tyuratam avait été photographié à plusieurs reprises par les U-2 et qu'il s'agissait en fait d'une cible privilégiée du vol de Gary Powers. Le nom de Tyuratam apparaît aujoud’hui sur les cartes russes, non pas comme la grande ville qu'elle est, mais comme un petit hameau.

Sources : Slate - Nicolas Méra - 25 fév 2024 / NASA / sciencemuseum.org.uk - Roger Highfield - 20 Jul 2019 / Korii. - Thomas Messias - 03 avr 2022 / www.airandspaceforces.com - Dino A. Brugioni, March 1, 1984 / www.espace-sciences.org